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Pour des lapereaux plus robustes au sevrage : des bases biologiques aux leviers d’action en élevage

Chapeau

La période encadrant le sevrage est une période à risque sanitaire important pour les lapereaux qui subissent une modification tant de leur environnement physique et social et que de leur alimentation. L’enjeu en élevage est de développer des pratiques pour tirer parti des capacités physiologiques et comportementales des lapereaux pour préserver leur santé et contribuer à la réduction de l’utilisation d’intrants médicamenteux1.

Introduction

La filière cunicole, à l’instar des autres filières de production animale, est confrontée à de nombreuses difficultés dont la diminution de la consommation de viande liée notamment à l’image du lapin et l’acceptabilité sociale de cet élevage, le coût des aliments, et la maîtrise sanitaire. La technicité croissante des éleveurs, l’évolution des formules alimentaires et le contrôle de l’ingestion concourent à de meilleures performances d’élevage dans cette filière. Toutefois, le contexte de l’entérocolite épizootique du lapin et la prégnance des maladies digestives conduisent à une consommation de médicaments qui représente un coût important pour l'éleveur, sans omettre l’aspect négatif pour le consommateur en termes d’image, d’acceptabilité de la filière, et de questions de santé humaine (antibiorésistance). Les plus forts taux de mortalité et de morbidité sont souvent observés dans les deux à trois semaines qui suivent le sevrage (Peeters et Charlier, 1984 ; Licois et Marlier, 2008). Dans un contexte de limitation des intrants médicamenteux, il est nécessaire de réfléchir aux leviers disponibles en situation d’élevage pour favoriser la robustesse des lapereaux au moment du sevrage.

La robustesse peut être définie comme la capacité d’un animal à s’adapter aux modifications de son environnement (Sauvant et Martin, 2010). La première grande modification à laquelle un jeune mammifère doit faire face est la naissance. Le passage de la vie fœtale en milieu thermo-régulé à l’existence aérienne et progressivement autonome est un challenge conséquent. La robustesse des lapereaux au moment de la naissance dépend notamment de leur développement pendant la période fœtale, de la motivation et aptitude de la lapine à élever sa portée, de sa production de lait, et des capacités des lapereaux à interagir avec leur mère (biologique ou adoptive) dans un contexte de compétition au sein de la portée. Comme pour tout jeune mammifère, le challenge suivant est l’étape du sevrage. Au sens biologique, ce terme correspond à l’arrêt de l’alimentation lactée. En élevage cunicole, ce terme recouvre aussi la séparation physique des lapereaux et de leur mère, généralement pratiquée entre 28 et 38 jours d’âge.

Ainsi, dans cette synthèse, la robustesse du lapereau se définit, à l’échelle de l’animal, comme sa capacité à faire face au changement inhérent au sevrage. Au moment du sevrage, elle correspond donc à sa capacité à surmonter l’absence d’apport lacté et le passage à l’alimentation solide exclusive, l’arrêt des interactions avec la mère, et éventuellement, l’adaptation à un nouveau logement et/ou à de nouveaux congénères. Pratiquement en élevage, un lapereau robuste autour du sevrage est un animal qui maintient un état de santé dans ses composantes physique et psycho-sociale (Fortun-Lamothe et al., 2017) entre 25 et 49 jours d’âge pour un sevrage généralement pratiqué entre 28 et 38 jours d’âge (l’âge d’abattage étant entre 70 et 72 jours d’âge) : absence de signe de maladie, développement corporel et comportemental en relation avec son stade physiologique (par exemple : ingestion, locomotion et interactions sociales).

L’objectif de cette synthèse est de faire le constat qu’en dépit d’une apparente fragilité, les lapereaux non-sevrés disposent de capacités adaptatives auxquelles il convient de veiller, voire qu’il est envisageable de mettre à profit. Il s'agit aussi de faire le point sur les leviers dont dispose l'éleveur et certaines pistes de recherche qui seraient à explorer pour améliorer la robustesse des jeunes lapereaux, et ainsi sécuriser l’étape du sevrage.

1. Les lapereaux de la naissance au sevrage, une fragilité apparente

1.1. Un système sensoriel et des capacités de thermorégulation immatures à la naissance

Le lapin est une espèce nidicole, c’est-à-dire à gestation courte, aboutissant à la naissance de portées de 8 à 10 nouveau-nés en moyenne de 50 g environ, en partie immatures sur les plans sensoriel, physiologique et moteur. Ainsi, les lapereaux sont dépourvus d’audition, de vision et de capacités masticatrices à la naissance (Coureaud et al., 2008a). Ils ne commencent à entendre que vers 7-8 jours, et à voir vers 10-13 jours, en même temps que leurs aptitudes masticatrices apparaissent (Gottlieb, 1971). Naissants nus, ils répondent aux stimulations thermiques (Pacheco-Cobos et al., 2003), mais ne sont pas capables d’assurer une autorégulation suffisante pour faire face aux variations de température s’ils se retrouvent isolés à l’extérieur du nid.

1.2. Une compétition au sein de la portée

Les lapereaux sont en compétition pour la place dans la portée et l’accès au lait. Le poids des lapereaux au sein de la portée varie fortement (Bolet et al., 1996) et les lapereaux de faibles poids (< 35g) se retrouvent plus fréquemment dans les portées de grande taille (> 10). Les lapereaux les plus gros occupent généralement le centre du nid, sont avantagés thermiquement et présentent un meilleur taux de survie (Bautista et al., 2013). Bien que le nombre de tétines (entre 8 et 10 et jusqu’à 12 en fonction des lignées) ne soit pas limitant, puisque le lapereau ne s’octroie pas une tétine mais en change toutes les 20 secondes au cours d’un allaitement (Hudson et Distel, 1982), la compétition pour l’accès au lait est liée à l’hétérogénéité du poids des lapereaux intra-portée. Coureaud et al., (2007) ont estimé que 14 % des lapereaux n’ont pas accès à la première tétée (colostrum), essentielle à la survie. L’homogénéité des poids de portée est donc à prendre en compte pour améliorer la robustesse des lapereaux.

1.3. Des interactions mère-jeunes peu fréquentes

Chez les espèces nidicoles, l’activité de la mère dans les jours qui suivent la naissance se restreint souvent aux limites du nid et se concentre sur les soins apportés aux nouveau-nés (protection physique, thermique et alimentaire), avec généralement plusieurs allaitements par jour. La lapine déroge totalement à cette règle. Dans la nature, après avoir mis bas et allaité, elle quitte rapidement le nid et n’y reviendra qu’une seule fois par 24 h pour nourrir sa portée de façon brève (< 5 min); une fois l’allaitement achevé, la femelle referme l’ouverture du terrier conduisant au nid (Mykytowycz et Dudzinski, 1972). Cette parcimonie s’observe également chez les races domestiques en élevage au travers d’un seul allaitement quotidien (très rarement deux; Lincoln, 1974 ; Hudson et Distel, 1982 ; Coureaud et al., 2000a). Chez ces dernières, du fait du matériel utilisé (cages et boite-à-nid en matériaux durs), la femelle ne peut pas obturer l’entrée du nid lorsqu’elle en sort, tâche que peut par contre réaliser l’éleveur en pratiquant l’allaitement contrôlé. Cette faible fréquence d’interaction mère-jeunes pourrait expliquer l’apparente absence de reconnaissance individuelle des lapereaux par la lapine, du moins dans les premiers jours post-naissance (ce n’est plus le cas lorsque les lapereaux sont en âge de sortir du nid; Mykytowycz et Dudzinski, 1972). Cela a été mis à profit en élevage par la pratique de l’adoption afin d’égaliser à la naissance la taille des portées et optimiser les chances de survie des lapereaux.

1.4. Des besoins alimentaires différents de ceux de la mère

Chez le lapin en condition d’élevage, l’ingestion solide se met en place progressivement dès J17, bien avant le sevrage qui correspond à la séparation physique de la mère et des jeunes (autour de J35). Si la détermination des besoins nutritionnels des lapins après le sevrage, et leurs liens avec la santé digestive ont fait l’objet de nombreux travaux (pour revue : Gidenne, 2015 ; Gidenne et al., 2017), en revanche, le nombre d’études portant sur les besoins avant le sevrage est plus limité et les résultats suggèrent que femelles reproductrices et lapereaux ont alors des besoins en énergie et en fibres différents (Gidenne et Fortun-Lamothe, 2002).

Ainsi, les jeunes ont des besoins en fibres qui sont satisfaits par la distribution d’un aliment à faible teneur en énergie. La distribution d’un aliment fibreux, à faible teneur en amidon, et peu énergétique pendant la période qui entoure le sevrage (< 2 350 kcal/kg) améliore le statut sanitaire des lapereaux en engraissement sans pénaliser leur poids à la vente (Duperray, 1993 ; Mousset et al., 1993 ; Piccolo et al., 2005). Comme pour le lapin sevré, la nature des fibres serait aussi à prendre en compte. Ainsi, Morisse et al. (1989) ont montré que la distribution d’un aliment riche en lignines (6,4 vs 4,5 %) avant le sevrage permet de diminuer la mortalité (2,6 vs 6,1 %) pendant l’engraissement. L’effet positif des fibres est associé à une activité fermentaire caecale plus élevée (pH plus faible et teneur en acides gras volatils plus élevée).

A l’opposé, les femelles ont des besoins énergétiques élevés (recommandations alimentaires : > 2 500 kcal/kg d'aliment) nécessaires à la croissance fœtale et la production de lait. Une réduction des apports énergétiques (par exemple < 2 300 kcal/kg d'aliment) peut entraîner une baisse des performances de reproduction, de production laitière, mais surtout une détérioration de l’état corporel des femelles car celles-ci peuvent alors atteindre leur capacité d'ingestion quotidienne maximale et doivent puiser dans leurs réserves corporelles pour satisfaire leurs besoins énergétiques (cf. revues de Castellini et al., 2010 ; Xiccato et Trocino, 2013). Chez les lapines, l’origine de l’énergie a une influence importante sur les performances de lactation et l’évolution de l’état corporel : comparé à un apport sous forme d’amidon, un apport de lipides stimule la production laitière et entraîne une mobilisation corporelle plus intense (Fortun-Lamothe, 2006). Pour satisfaire ces besoins énergétiques élevés, les lapines reçoivent un aliment à plus faible teneur en fibres (15-18 vs > 19 % d’« Acid Detergent Fibre » (ADF) : fraction ligno-cellulosique) et à plus forte teneur en amidon (> 16 vs < 14 %) que les lapereaux. Peu de travaux ont concerné les besoins en protéines des partenaires. Il semble qu’ils soient relativement proches (16-19 % protéines brutes) et les apports pourraient sans doute être réduits (Garcia-Palomares et al., 2006 ; Chamorro et al., 2007).

Malgré des besoins alimentaires différents entre femelle et lapereaux avant le sevrage, il n’existe aujourd’hui en élevages cunicoles professionnels qu’une mangeoire par cage, servant pour l’alimentation de ces deux catégories d’animaux. La stratégie alimentaire courante consiste à distribuer un aliment riche en énergie (2 500 kcal/kg) pendant les 4 premières semaines de lactation, satisfaisant les besoins de la femelle, puis un aliment plus riche en fibres durant la semaine qui précède le sevrage pour éviter aux lapereaux un changement trop brusque d’aliment au sevrage (figure 1). Toutefois, ce sont alors les femelles qui subissent ce changement d’aliment, démontré comme risqué (Lebas et Maître, 1989 ; Debray et al., 2002 ; Gerencsér et al., 2011), notamment si la teneur en énergie de l’aliment « périsevrage » (autour du sevrage) est trop faible. C’est pourquoi, dans l’aliment « périsevrage », une partie de l’amidon est généralement substituée par des fibres et des lipides afin de satisfaire le besoin en fibre des lapereaux sans trop réduire les apports en énergie côté femelle, ce qui constitue un compromis entre leurs besoins respectifs (Fortun-Lamothe et al., 2005).

Figure 1. Stratégies alimentaires en situation d’élevage professionnel (A), en conditions expérimentales avec accès à deux mangeoires spécifiques (Fortun-Lamothe et al., 2000 ; Read et al., 2015, 2016) (B) et selon une piste de recherche avec proposition d’un aliment solide au nid (Kacsala et al., 2018 ; Combes et al., 2017) (C).

1.5. Un système immunitaire immature qui entraîne une susceptibilité accrue aux agents pathogènes

La lutte contre les agents pathogènes fait intervenir des mécanismes de défense non spécifiques (innés) et l’immunité spécifique (acquise). La diversification du répertoire des anticorps, associée à l’immunité spécifique, se réalise en trois étapes. La première a lieu majoritairement pendant la vie fœtale et permet de constituer le répertoire néonatal. La seconde permet la création du répertoire des anticorps primaires. Alors que chez la plupart des mammifères cette seconde étape a également lieu avant la naissance, chez le lapereau elle intervient entre 4 et 8 semaines postnatales et est dépendante d’une stimulation adéquate par les microorganismes du microbiote intestinal. Ce répertoire, qui fournit au lapin une collection diversifiée d’anticorps pour le reste de sa vie, est ensuite enrichi et spécialisé au fur et à mesure des contacts avec des antigènes comme les agents pathogènes (maladies ou vaccins) pour former le répertoire des anticorps secondaires (cf. revue de Mage et al., 2006). Ainsi, l’enjeu pour le jeune animal est de trouver un équilibre entre la mise en place d’un microbiote intestinal sain permettant la diversification du répertoire des anticorps primaires, le développement, l’éducation et la stimulation du système immunitaire, et la protection contre les agents pathogènes ou opportunistes contre lesquels il n’est pas totalement armé.

Cet équilibre est délicat et de nombreuses maladies sont fréquemment décrites chez le lapereau non sevré. Elles peuvent être regroupées en deux catégories : i) celles dues à des agents pathogènes majeurs, pour lesquels les conditions de vie influent peu sur l’avènement de l’affection ; et ii) celles dont la fréquence est accrue par des conditions d’élevage dégradées. Parmi les agents pathogènes, sont observés des salmonelloses à Salmonella Typhimurium ou Enteritidis, des colibacilloses vraies dues à Escherichia coli O103eae +, O15 ou O109, mais également des staphylococcies à Staphylococcus aureus porteurs de gènes de pathogénicité et dénommés HV (hautement virulents; Boucher et Nouaille, 2013). Si pour ces affections, l’hygiène du nid (tableau 1) et de la cage ne constitue pas le facteur déclencheur, elle intervient dans le processus de transmissions entre lapereaux sains et malades. Par ailleurs, cette transmission se fait également entre la mère, porteuse saine de l’agent pathogène, et sa portée (Boucher et Nouaille, 2013).

Tableau 1. Évolution de la communauté microbienne des litières des nids (exprimée en Unité Formant Colonie) (d’après Boucher et Nouaille, 2013).


Litière

Communauté microbienne mésophile
72 h à 30 °C

Coliformes fécaux
24 h à 44°C

Staphylococcus aureus
24h à 37°C

Propre 1

104

< 10

< 100

Propre 2

248 x 104

< 10

< 100

5 jours

266 x 104

10

< 100

11 jours

1 408 x 104

67 500

< 100

18 jours

12 960 x 104

93 200

< 100

22 jours

> 20 000 x 104

54 000

< 100

Une hygiène ou une ambiance du nid dégradée, c’est-à-dire procurant une isolation thermique insuffisante et une humidité accrue au contact des lapereaux, sont à l’origine de l’apparition de diarrhées, en général aqueuses et claires, sans entérite ou typhlite. Le contenu de l’intestin et du caecum est plus liquide, les selles sont émises en quantité et fréquence plus élevées qu’à l’ordinaire. Une analyse bactériologique du contenu intestinal met en évidence une prolifération de colibacilles banals (non O103, O15 ou O109), parfois plusieurs milliards/gramme, alors qu’ils sont habituellement < 10 000 germes/gramme. Cela signe une dysbiose caecale en faveur d’une population plus riche en colibacilles mais aussi parfois en Clostridium. Ce type de dysbiose est observé dans le jeune âge, avant que l’animal n’ait une fourrure suffisamment protectrice. Elle a été observée lorsque les femelles sont nourries avec un aliment très riche en protéines (> 18 %) qui stimule la production laitière. L’hypothèse est que le lapereau aurait alors plus de mal à digérer le lait fourni en trop grande quantité, ce qui provoquerait la diarrhée (Boucher et al., 2011 ; Boucher et Nouaille, 2013). La klebsiellose est également une maladie fréquemment associée à des conditions d’élevage inadéquates, pouvant aboutir à une septicémie mortelle. A l’autopsie, on note une stéatose marquée, une ascite pulmonaire discrète, une splénomégalie et une entérite rouge sang alors que le contenu intestinal ne contient pas de méléna. La modification de l’alimentation de la mère influence fortement sur le développement de la maladie chez les jeunes. Ainsi, une alimentation riche en fibres, pauvre en énergie et en protéines durant la gestation induit un taux de klebsiellose plus élevé à l’âge de 20 jours (Boucher et Nouaille, 1999 ; Hamelin, 2009 ; Boucher et Nouaille, 2013). Enfin, les dermatophyties microsporiques ou trychophytiques (communément appelées, « teignes ») se développent sur la peau et la fourrure de lapereaux non sevrés s’ils sont élevés dans des conditions d’ambiance défavorables (humidité relative élevée, chaleur forte, surdensité (Boucher et Nouaille, 2001)).

Ces résultats montrent que la maîtrise d’une partie des maladies du lapereau non sevré est possible par le biais d’au moins deux leviers: la maitrise des conditions de l’environnement du nid, en particulier le confort thermique, et la nutrition de la femelle (taux protéique, fibre et énergie optimisée).

2. Des aptitudes spécifiques pour survivre

En dépit d’une vulnérabilité liée à leur maturité incomplète, la rareté des interactions mère-jeune et à des besoins alimentaires spécifiques encore assez mal pris en compte en élevage, les lapereaux disposent d’un certain nombre d’aptitudes physiologiques et comportementales leur permettant de faire face aux challenges imposées par la naissance et le sevrage. La réponse à la phéromone mammaire, le comportement de coprophagie au nid, l’adaptation du système digestif à la transition alimentaire constituent certains de ces atouts.

2.1. Un nid isolé thermiquement

Afin de compenser les faibles capacités de thermorégulation de sa descendance, la lapine constitue un nid au cours des 2-3 jours précédant la mise bas, en mélangeant des poils qu’elle arrache de son corps avec des débris végétaux qu’elle trouve dans son environnement (Hudson et Distel, 1982). Ce confort thermique est déterminant pour la survie des lapereaux. Il convient donc de fournir à la femelle en élevage les conditions lui permettant d’exprimer ce comportement en lui mettant notamment à disposition en quantité suffisante, et au moins trois jours avant la mise bas, un matériau isolant et qui peut être creusé (généralement des copeaux de bois).

2.2. Une phéromone qui guide les lapereaux, la phéromone mammaire

L’interaction olfactive du lapereau avec la femelle allaitante est cruciale dans les premiers jours postnatals. En effet, alors que le succès de tétée conditionne la survie des 2-3 premiers jours de vie (Coureaud et al., 2000b), l’olfaction joue un rôle majeur dans le guidage des lapereaux vers les tétines maternelles et leur saisie orale. Comme chez les mammifères en général, cette interaction repose en partie sur la perception d’odeurs apprises in utero et retrouvées sur le corps de la femelle; odeurs notamment dépendantes des arômes présents dans l’alimentation maternelle (Bilkó et al., 1994 ; Semke et al., 1995 ; Coureaud et al., 2002). Cependant, il existe chez le lapin un signal hautement réactogène émis par toutes les femelles allaitantes de l’espèce, indépendamment de leur régime alimentaire, la phéromone mammaire. Il s’agit d’un aldéhyde volatil, le 2-méthyl-2-buténal, présent dans le lait parmi plus de 150 autres molécules odorantes (Coureaud et al., 2003 ; Schaal et al., 2003). Ce composé a été qualifié de phéromone, car il répond aux 5 critères précis de définition énoncés par Beauchamp et al. (1976) à savoir i) la simplicité chimique du signal ; ii) une réponse comportementale à la substance non ambiguë, peu variante et fonctionnelle ; iii) une action sélective ; iv) une action propre à l'espèce lapin ; v) une action indépendante de tout apprentissage. Le qualificatif de « mammaire » est lié au fait que le lait semble se charger en cette phéromone au cours de son transit dans la mamelle (Moncomble et al., 2005).

Plusieurs résultats soulignent le rôle clé que semble jouer la phéromone mammaire dans le succès de tétée du nouveau-né. Elle déclenche en effet chez le lapereau, de façon prédisposée, le comportement typique de recherche-saisie orale normalement exprimé pendant l’allaitement. C’est ce comportement qui aboutit à la localisation très rapide (< 15 secondes) et à la prise orale des tétines. Classiquement, plus de 90 % des lapereaux à qui la phéromone mammaire est présentée y répondent (dans une gamme précise de concentrations situées entre 10-4 et 10-9 g/ml ; Coureaud et al., 2004). Le lendemain de la naissance, ceux qui n’y répondent pas ingèrent moins de lait que ceux qui y répondent, fait qui s’observe particulièrement chez les lapereaux de petits poids (< 48 g ; figure 2a); de plus, les non-répondants à la phéromone mammaire ont un taux de mortalité plus élevé au cours de la semaine qui suit comparativement à ceux qui y répondent (> 14 vs < 4 %; Coureaud et al., 2007 ; figure 2a). Par ailleurs, cette activité de la phéromone mammaire, très forte chez le nouveau-né, le demeure tant que le lapereau est exclusivement nourri au lait, soit jusqu’à 15-20 jours d’âge (Coureaud et al., 2008b) (figure 2b). Cette période est aussi celle où la femelle émet le plus de phéromone dans son lait (Coureaud et al., 2006a). Ensuite, et jusqu’au sevrage, le lapereau y répond progressivement de moins en moins, puis plus du tout par le comportement de tétée (Coureaud et al., 2006a, 2008b). Notons qu’en imagerie cérébrale chez le lapin nouveau-né puis le lapereau de quatre jours, la phéromone mammaire active de façon singulière le cerveau par rapport à un odorant contrôle (Schneider et al., 2016) ce qui souligne la très haute valeur biologique de ce signal maternel auquel le lapereau est prédisposé à répondre.

Figure 2. A : Gain de poids lors de la tétée (J0: naissance) et mortalité, pour des lapereaux non-répondant (NonR) ou répondant (R) à la phéromone mammaire à un jour d’âge; B : proportion de lapereaux répondant à la phéromone mammaire entre la naissance et 28 jours d’âge (adapté de Coureaud et al., 2007 et 2008b).

Outre ce premier rôle, la phéromone mammaire en possède un deuxième également très utile au lapereau : elle favorise l’apprentissage très rapide de nouvelles odeurs. En effet, dans les 4 premiers jours qui suivent la naissance, une exposition unique et brève (< 5 min) à un stimulus nouveau en présence de phéromone, suffit à faire apprendre celui-ci par le lapereau : 24h plus tard, le nouveau-né exprime le comportement de tétée envers ce stimulus comme il le fait envers la phéromone mammaire (Coureaud et al., 2006b, 2010 ; Coureaud et al., 2011). Cela est vrai pour un stimulus simple (odorant unique) ou complexe (mélanges d’odorants) (Sinding et al., 2013 ; Coureaud et al., 2014 ; Romagny et al., 2015). De façon notable, un nouveau-né qui retrouve sur le corps de la mère un odorant préalablement appris grâce à la phéromone mammaire, tète plus efficacement (prise de lait augmentée) qu’un lapereau exposé à un odorant non familier (Jouhanneau et al., 2016).

2.3. Un système digestif adapté à la transition alimentaire et en interaction étroite avec un système immunitaire en développement

Durant les deux premières semaines de vie postnatale, le lapereau dépend totalement de l’ingestion de lait (10 à 25 g/jour/lapereau) pour survivre et croître. De la naissance à trois semaines, la couverture des besoins énergétiques est assurée à 95 % par la digestion des lipides du lait (Gallois et al., 2008a), qui renferme de 15 à 20 % de matières grasses (respectivement en début et fin de lactation; Maertens et al., 2006) et très peu de sucres (lactose < 1 %). Durant l'allaitement, la capacité de digestion du lapereau provient essentiellement d'enzymes sécrétées par la muqueuse gastrique (lipase, protéases) et intestinale. Parallèlement au début d'ingestion d'aliment solide (J17), la sécrétion d'enzymes par le pancréas se met en place. Ainsi, la sécrétion de lipase pancréatique, et l'activité lipasique dans la lumière intestinale, augmentent fortement à partir de 4 semaines (Gidenne et al., 2007). En revanche, les protéases pancréatiques augmenteraient dès J7 et jusqu'à environ 7 semaines, tandis que la pepsine de la muqueuse gastrique augmenterait de J7 à J90. La digestion de l'amidon (amylase pancréatique, maltase intestinale...) ne se développe vraiment qu'à partir de J25 (Debray et al., 2003 ; Gallois et al., 2008b), lorsque l'ingestion d'aliment solide est bien installée.

L'ingestion d’aliment solide débute autour de J17, tout en dépendant de la mobilité du lapereau pour accéder à la mangeoire de la mère (figure 3). Cette ingestion de granulés est de 2,5 g/j/lapin de J18 à J21 (Read et al., 2015) mais le profil d'ingestion nocturne classique (18 à 9 h) ne se met réellement en place qu’à compter de 28 jours d’âge (Orengo et Gidenne, 2007). En parallèle, la caecotrophie débute vers J22 et est en place à J28. Ceci conduit à l'ingestion de protéines et d'enzymes microbiennes, qui a priori participent à l'accroissement de la capacité de digestion du lapereau. La quantité, de même que la qualité et l'origine des nutriments ingérés, évoluent donc très rapidement entre J20 et J32 : la quantité de protéines fournies par l'aliment devient équivalente à celle provenant du lait dès J25, puis la dépasse en quelques jours (Gidenne et Fortun-Lamothe, 2002). Dès J21, la quantité de fibres ingérée dépasse 2 g de NDF (« Neutral Detergent Fibre » qui correspond à la fraction hemicellulosique et lignocellulosique des fibres) par jour, tandis que l'amidon de l’aliment devient la principale source de glucides « digestibles ». La capacité digestive du lapereau évolue avec ces changements de nutriments ingérés, comme le développement de l'activité microbienne caeco-côlique, estimée par la concentration caecale d'acide gras volatils qui passe de 20 à 90 mM entre 3 et 6 semaines (Gidenne et al., 2008). De même, le microbiote caecal évolue beaucoup en lien étroit avec l’augmentation de la prise alimentaire solide, avec une forte réduction du ratio Bacteroidaceae / Ruminococcaceae (Combes et al., 2014).

Figure 3. Ingestion de lait et d'aliment granulé entre 16 jours et le sevrage (32 jours), chez des lapereaux élevés en portées de 4 (ligne pointillée rouge) ou de 10 individus (ligne pleine noire) (adapté de Gidenne et Fortun-Lamothe, 2002).

La muqueuse stomacale et intestinale se développe graduellement de la naissance à l'âge adulte (Fortun-Lamothe et Gidenne, 2002). A la naissance, les villosités intestinales sont longues et minces, puis s'allongent et sont plus épaisses à partir du début de l'ingestion d'aliment solide (Gallois et al., 2005b) et jusqu'au sevrage (en forme de langue). Cette transformation s'accompagne de modifications fonctionnelles digestives (sécrétion d'enzymes, renouvellement de la muqueuse, augmentation de la surface d'échange et d'absorption…), et du développement des tissus et organes lymphoïdes (GALT) en interaction avec le développement du microbiote caecal.

Ces observations semblent montrer que le système digestif du lapereau, adapté à la naissance à la digestion du lait, acquiert progressivement, dès que la prise d’aliment solide est significative, la capacité à digérer l’amidon, les protéines végétales et les fibres. L’acquisition de cette capacité digestive est sous le contrôle de facteurs ontogéniques, mais peut être stimulée par des facteurs nutritionnels (Gallois et al., 2005b, 2008a et b). A l’inverse, la mise en place de l’activité fermentaire est dépendante de la consommation d’aliment solide. La maturation du système digestif s’accompagne de la mise en place du système immunitaire digestif en interaction étroite avec celle du microbiote digestif (pour revue : Mage et al., 2008). Cette période de transition alimentaire constitue à la fois une phase clé mais également à risque pour le développement et la survie ultérieure du lapereau. Elle représente aussi une fenêtre de plasticité pendant laquelle l’éleveur pourrait agir pour favoriser la mise en place d’un écosystème digestif plus résilient au stress du sevrage, c’est-à-dire capable de surmonter les modifications de substrats (alimentation exclusivement solide) et d’environnement physique et social de son hôte pour atteindre un nouvel équilibre.

2.4. Un comportement de coprophagie au nid support de la transmission du microbiote maternel vers la progéniture

La colonisation du tube digestif des lapereaux, stérile à la naissance, se fait par contact avec la mère et l’environnement proche. Les études comparant des lapins axéniques et conventionnels (Štěpánková et al., 1980) ou isolant l’appendice vermiforme (Hanson et Lanning, 2008) ont permis d’indiquer le rôle prépondérant de la colonisation du microbiote sur la formation du tissu lymphoïde digestif et le développement du système immunitaire. La présence du microbiote et de certaines espèces, en particulier Bacteroides fragilis et Bacillus subtilis, conditionne le développement des follicules dans l’appendice vermiforme et la mise en place du répertoire primaire d’anticorps (Rhee et al., 2004). Enfin, le microbiote constitue en soi une barrière rendant plus difficile l’implantation de bactéries non commensales potentiellement pathogène. Ainsi, l’acquisition rapide d’un microbiote diversifié pourrait contribuer à la survie du lapereau, puisque le développement des organes digestifs tout comme celui du système immunitaire intestinal (GALT) sont dépendants de la présence du microbiote.

Plusieurs auteurs ont mis en évidence le dépôt de fèces dures par la lapine dans le nid, au moment de l’allaitement, et l’ingestion de certaines d’entre elles par les lapereaux (Moncomble et al., 2004 ; Kovács et al., 2006 ; Gidenne et al., 2013a ; Combes et al., 2014). Ces études s’accordent autour d’une quantité excrétée de 2-3 fèces dures/jour dans le nid sur les six premiers jours qui suivent la mises bas avec toutefois une forte variabilité de l’émission (5 % des femelles n’excrètent aucune crotte tandis que 20 % ont une excrétion supérieure à 6 fèces/jour). Parallèlement, l’ingestion de fèces par les lapereaux débute dès les 2-3 premiers jours de vie (< 1 fèces par portée de 10), plafonnent autour de 10 jours d’âge (1-2 fèces/jour/portée) et se poursuit jusqu’à 20 jours d’âge. Ce comportement constituerait un vecteur de transmission du microbiote de la mère vers ses lapereaux, et compenserait le faible temps de contact quotidien des partenaires. Il permettrait un ensemencement dirigé et précoce du tube digestif dès les premiers jours de vie néonatale. En effet, la privation de ce comportement retarde la dynamique d’implantation du microbiote et entraîne une augmentation de la mortalité (Combes et al., 2014).

3. Des leviers d’action en élevage pour augmenter la robustesse des lapereaux

A la lumière des constats de vulnérabilité et de la connaissance des capacités d’adaptation des jeunes lapins, il est possible de suggérer des leviers d’action et pistes de recherches pour améliorer la survie des lapereaux et sécuriser la phase de sevrage en élevage.

3.1. La maîtrise du confort thermique au nid

a. Garnissage et hygiène du nid

Comme évoqué précédemment, un environnement thermique garantissant une température élevée (> 18°C) et constante est nécessaire aux nouveau-nés. Cela passe par l’indispensable construction du nid par la femelle avant le terme de la gestation. Une boîte-à-nid garnie de matériaux végétaux doit donc être mise à disposition de la femelle suffisamment tôt avant la mise bas (2-3 jours), sans quoi le comportement maternel est perturbé. La paille est peu utilisée en élevage professionnel car elle est réputée être - contrairement aux copeaux dépoussiérés qui font l’objet d’une utilisation standard - un vecteur potentiel d’agents pathogènes issus des lapins de garenne ou de chiens (virus de VHD, de myxomatose, cysticerques…). Elle présenterait pourtant l’avantage d’induire un comportement maternel supérieur (e.g. motivation à allaiter et qualité du nid; Boucher, observations collectées auprès des éleveurs). Différentes pratiques sont par ailleurs observées dans les élevages professionnels : retrait d’une partie des poils de la mère pour transfert sur un nid différent qui en manque, saupoudrage de poudre asséchante pour limiter l’humidité du nid. D’une manière générale, toutes les pratiques conduisant à modifier l’environnement immédiat des lapereaux, peuvent avoir des conséquences sur la transmission des maladies et la mise en place du microbiote, et par conséquent sur le développement du système immunitaire.

b. Pratique de l’allaitement contrôlé

L’unique visite quotidienne de la mère est à respecter. En effet les entrées/sorties répétées de la mère dans la boite-à-nid, liées le plus souvent au stress subit par celle-ci, engendrent une mortalité accrue des nouveau-nés. Celle-ci résulte des blessures infligées, mais aussi de la perturbation de l’équilibre thermique du nid et du rythme d’activité adopté par les lapereaux en absence de la mère (Verga et al., 1978 ; Coureaud et al., 2000a). Ce rythme, centré sur l’allaitement quotidien, est basé sur des mouvements post-tétée d’enfouissements dans les matériaux du nid, puis de regroupement des individus au sein de la portée, et enfin d’émergence en surface du nid peu avant l’heure d’arrivée de la mère. Il est essentiel car il permet aux lapereaux de limiter les pertes énergétiques jusqu’à la tétée suivante et d’anticiper la venue de la femelle (Hudson et Distel, 1982 ; Jilge, 1993).

3.2. Homogénéisation des portées pour limiter la compétition au nid

La sélection de lignées parentales sur la taille de portée a permis d'augmenter cette taille de façon significative (de 0,05 à 0,13 lapereaux nés vivants par génération de sélection, (de Rochambeau et al., 1994 ; Gómez et al., 1996). En raison d'une forte corrélation positive (Lenoir et al., 2011), le poids total de la portée à la naissance a également augmenté, alors que le poids moyen du nouveau-né a diminué (de Rochambeau, 1998 ; Bolet, 1998 ; Szendro, 2000). Cela a conduit à réduire l’importance du critère "taille de portée" dans les schémas de sélection actuels, et en revanche à mieux prendre en compte ceux liés aux poids du lapereau à la naissance ou au sevrage, dont l'héritabilité est assez élevée (Garreau et al., 2008 ; Lenoir et al., 2011 ; Loussouarn et al., 2011). Par ailleurs, une expérience de sélection divergente a permis de démontrer qu'il est possible de sélectionner une souche sur l'homogénéité du poids des lapereaux à la naissance, malgré la très faible héritabilité de ce caractère (figure 4, Bolet et al., 2007 ; Garreau et al., 2008 ; Bodin et al., 2010). Cette réponse à la sélection s'est accompagnée d'une réponse corrélée favorable sur la viabilité des lapereaux à la naissance et de la naissance au sevrage (Bolet et al., 2007 ; Garreau et al., 2008). L'homogénéité du poids des lapereaux intra-portée (à la naissance) est maintenant un des critères de sélection des souches commerciales (Bolet et al., 2007 ; Lenoir et al., 2011).

Figure 4. Écart de l'écart-type intra-portée du poids des lapereaux à la naissance (en g) entre 2 lignées divergentes sélectionnées pour augmenter ou diminuer l'homogénéité du poids des lapereaux (Bolet et al., 2007).

L’hétérogénéité des portées pourrait également être réduite par le biais de stratégies nutritionnelles appliquées à la mère. La composition de l’aliment pourrait moduler la qualité des ovocytes et des follicules ou favoriser le développement du placenta et les transferts materno-fœtaux de nutriments pendant la gestation. Ainsi chez la truie, la supplémentation en arginine d’un régime standard pendant le dernier tiers de gestation diminue l’hétérogénéité du poids des porcelets de naissance (Quesnel et al., 2014).

Par ailleurs, la généralisation des pratiques d'adoption pour l’homogénéisation des portées pose la question de la transmission du microbiote digestif maternel ou de la mère adoptive à sa descendance, et de l'importance plus générale de l'environnement. Il serait notamment pertinent d'étudier l'impact du mélange des portées sur la survie des lapereaux dans des environnements variés (qualité et hygiène du nid, adoption inter-parité). De plus, à l’image de ce qui a été réalisé en production porcine, il serait peut-être judicieux d'adopter les plus petits lapereaux par des femelles spécifiques (parité élevée, état sanitaire...). En effet, la production laitière des femelles augmente avec la parité. De plus, le colostrum et le lait maternel jouent aussi un rôle important comme vecteur d’immunité. Disposer d'indicateurs précoces et individuels de production laitière, de santé des mères (portage de maladie ou d’infection subcliniques) et de qualité de transmission du microbiote pourrait ainsi permettre une meilleure gestion des adoptions. Enfin, la maturation immunitaire du lapereau, encore mal connue, peut en partie dépendre de paramètres d'élevage. Ainsi, l'effet de l'usage d'antibiotiques chez la mère biologique ou adoptive sur l'implantation du microbiote du lapereau et ses conséquences en termes de développement du système immunitaire devrait être évalué.

3.3. Stimuler la prise alimentaire précoce : Quand, comment et pour quel besoin ?

Sachant que la maturation du système immunitaire digestif (GALT) est sous la dépendance forte du microbiote digestif, la stimulation de l'activité microbienne pourrait renforcer l'immunité du lapereau ou l'installer plus précocement. Diverses pratiques d’élevage stimulant la prise alimentaire solide ont été utilisées ou font l'objet de recherches pour tester cette hypothèse.

a. Sevrage précoce ?

Bien que le sevrage, sur le plan nutritionnel, soit progressif (les lapereaux accèdent à l’aliment de la mère dès qu’ils sont capables de quitter le nid : autour de J17), l’âge optimal du sevrage est une question récurrente. Habituellement, il est pratiqué entre J28 et J35. Un sevrage précoce permet i) de limiter la sollicitation des mères, ii) d’apporter tôt un aliment adapté aux mères et aux lapereaux, iii) de stimuler côté lapereaux la mise en place des fonctions digestives et fermentaires, iv) de limiter la transmission verticale des pathogènes de la mère. Un sevrage tardif permet, lui, une transition alimentaire plus progressive et un prolongement de l’apport de lait qui confère au jeune une immunité passive. Le taux de mortalité et de morbidité est plus faible dans le cadre d’un sevrage tardif (Feugier et al., 2006) et la réduction de la période d'allaitement fragilise le lapereau en cas d'infection colibacillaire (Gallois et al., 2005a).

Un sevrage précoce entraîne une augmentation de l’ingéré solide pour compenser l’interruption de l’apport de lait (Scapinello et al., 1999 ; Gallois et al.,. 2005b ; Kovács et al., 2012). Cependant, cela ne suffit pas à assurer une croissance similaire à celle observée chez les lapereaux sevrés plus tardivement (Cesari et al., 2009 ; Kovács et al., 2012 ; Xiccato et al., 2003). La répercussion de l’âge au sevrage sur le poids d’abattage diverge en fonction des études. Le retard de croissance observé au moment du sevrage perdure jusqu’à la vente des animaux dans 3 études (Feugier et al., 2006 ; Xiccato et al., 2003 ; Cesari et al., 2009) tandis qu’une croissance compensatrice est observée dans 2 études (Gidenne et Fortun-Lamothe 2004 ; Xiccato et al., 2003). La croissance du tube digestif étant simultanée à la prise d’aliment solide, le sevrage précoce entraîne également une croissance plus précoce du tractus digestif (Kovács et al., 2012 ; Gallois et al.,. 2005b). Cependant aucun effet n’est observé sur le poids du caecum plein ou vide (Kovács et al., 2012), ni sur la morphologie de la muqueuse intestinale ou caecale (Gallois et al., 2005b). Toutefois, la digestibilité iléale est stimulée (Gallois et al., 2008a) et l’activité fermentaire (teneur en acides gras volatils du caecum) reste plus importante chez les lapereaux sevrés précocement (Kovács et al., 2012 ; Xiccato et al., 2003).

b. Alimentation mère-jeune séparée

Un autre moyen de stimuler l’ingestion solide est de favoriser l’accès à l’alimentation dès que le lapereau est en capacité de quitter le nid, sans modifier l'âge au sevrage, à l'aide d'un logement et de mangeoires adaptées (Fox et Guthrie, 1968 ; Fortun-Lamothe et al., 2000 ; Mirabito et Bocquier, 2005). Développé dans un cadre expérimental, ces dispositifs d’alimentation mère-jeune séparés, ont permis de préciser le comportement nutritionnel des jeunes (Debray et al., 2002 ; Travel et al., 2009 ; Read et al., 2016) mais n'ont pas été adopté en élevage commercial (figure 1).

L'une des pistes de recherche pour la mise au point d’un aliment spécifique lapereaux encore allaités est de fournir au microbiote caecal un substrat à base de fibres rapidement fermentescibles, afin de stimuler son implantation et l’activité digestive, dans le but de l'amener plus vite à un état stable apte à surmonter le stress du sevrage. En effet, les fibres fermentescibles telles que les pectines et polysaccharides pariétaux solubles (beta-glucanes…), sont les nutriments les plus efficaces pour stimuler l'activité fermentaire caecale (Gidenne et al., 2008). Malgré les difficultés méthodologiques pour les analyser, ces composés font l'objet d'un regain d'intérêt en alimentation cunicole (Trocino et al., 2013). Cependant, peu de travaux ont porté sur la réponse du microbiote caecal à la qualité des fibres chez le lapereau avant sevrage. Avec une hausse de la concentration en fibres rapidement fermentescibles de l'aliment (en remplacement d'amidon) Martínez-Vallespín et al. (2011) observent une baisse d'ingestion et de production laitière chez la lapine, et d'ingestion du jeune avant sevrage, mais une meilleure survie en contexte d'EEL. Les résultats de Jacquier et al. (2014) vont dans le même sens, avec une ingestion diminuée, mais une meilleure survie. La mise à disposition de feuilles et de racines de chicoré (Chicoria intybus) dans le nid à partir de 15 jours d’âge augmente l’activité fermentaire dans le caecum des lapereaux et stimule le développement des organes et structures lymphoïdes dans l’intestin (appendice vermiforme, structure des plaques de Peyer ; Castellini et al., 2007)

c. Apprentissage olfactif pour orienter précocement le lapereau vers l’aliment solide

Le lapereau étant capable d'ingérer des granulés d’aliment déposés dans le nid à partir de J12-14 (Gidenne et al., 2013b ; Combes et al., 2017 ; Kacsala et al., 2018), il pourrait être envisagé, moyennant la mise au point d'un aliment adapté à cet âge (composition, taille, dureté, odeur), de stimuler cette ingestion solide précoce afin d’orienter et optimiser l'activité microbienne utile à la transition alimentaire, sans toutefois stopper l'ingestion de lait.

Comme nous l’avons déjà évoqué, la phéromone mammaire est, en plus de son activité de déclenchement du comportement de localisation-prise en bouche des tétines et de tétée, un agent facilitateur d’apprentissage olfactif chez le nouveau-né (Coureaud et al., 2006b ; Coureaud et al., 2010 ; Coureaud et al., 2014) ; Sinding et al., 2013 ; Schneider et al., 2016). Dans le contexte naturel de l’allaitement, elle permet ainsi au lapereau d’apprendre des odeurs portées par le corps de la mère (individuelles ou provenant de l’environnement), odeurs susceptibles de l’aider à interagir avec la femelle plus efficacement, ou de se préparer aux choix sociaux et alimentaires qui deviendront nécessaires après sortie du nid et au sevrage. Ainsi, il a par exemple été montré qu’apprendre un odorant nouveau par couplage avec la phéromone mammaire à J2 + J3 optimise la prise lactée du lapereau à J4 lorsqu’il retrouve cet odorant sur le corps de la mère (Jouhanneau et al., 2016). Concernant l'odorisation directe de granulés avec la phéromone mammaire, une étude a suggéré qu’elle n'élèverait pas l'ingestion d'aliment entre J3 et J21 (Gidenne et al., 2013b). Ceci dit, son ajout en engraissement semble, lui, avoir des effets positifs sur la croissance voire la mortalité des lapins (Coureaud et al., 2001). Avant sevrage, il pourrait être envisagé de tester le rôle des apprentissages néonatals permis par la phéromone sur l’ingestion de granulés enrichis en odeurs préalablement apprises, et donc la facilitation de la transition alimentation lactée-solide et du développement du microbiote (donc du système immunitaire digestif). Un ajout dans les granulés d’autres odorants que la phéromone mammaire, suspectés appétants pour un jeune lapin, pourrait également se concevoir.

Enfin, il pourrait être envisagé d'intervenir dès la première semaine d'âge en stimulant l'ingestion de fèces maternelles (Gidenne et al., 2013a ; Combes et al., 2014). Ainsi, la stimulation du comportement naturel de coprophagie par la fourniture de fèces provenant d’une autre femelle que la mère, pourrait améliorer la survie des lapereaux au nid en induisant une implantation du microbiote plus rapide (Combes et al., 2014). Cette pratique correspondrait à la mise à disposition du lapereau d’un inoculum microbien à l’instar de ce qui est déjà pratiqué chez l’homme suite à une naissance par césarienne (Moya-Pérez et al., 2017). Toutefois, un premier essai de stimulation de la coprophagie en élevage commercial n’a pas permis de statuer sur l’intérêt de cette pratique. Ceci s’explique notamment par la difficulté, en condition de production, de standardisation de la récolte des fèces maternelles et de la distribution de celles-ci au nid (Savietto et al., 2015). Son transfert nécessite donc d’autres études, utilisant par exemple des fèces maternelles sélectionnées au plan de l'hygiène, pour éviter la transmission d'éventuels agents pathogènes.

Conclusion

L’amélioration de la robustesse des lapereaux au sevrage est un levier de progrès en filière cunicole puisqu’il peut permettre de réduire la mortalité élevée sur cette période et conditionne les performances de l’atelier d’engraissement. Le lapereau, encore en partie immature durant les 10 premiers jours postnatals, d’un point de vue sensoriel et moteur, présente une capacité limitée de thermorégulation autonome dans un contexte d’interactions très peu fréquentes avec la mère, ainsi qu’un système immunitaire spécifique encore peu développé, ce qui accroit sa susceptibilité aux agents pathogènes. Cependant, le duo lapine-lapereaux présentent des adaptations biologiques qui pallient en partie ces apparentes difficultés : i) la préparation par la femelle d’un nid thermiquement isolé, ii) l’émission d’odeurs, individuelles ou spécifiques, dont la phéromone mammaire, maximisant l’orientation vers les tétines et le succès de tétée, iii) de remarquables capacités d’apprentissage côté lapereaux, et iv) un comportement coprophage envers les fèces de la mère, qui pourraient contribuer à la transmission verticale du microbiote digestif de la mère vers sa descendance et être impliqués dans la maturation du système immunitaire.

Ces caractéristiques biologiques sont autant d’atouts qu’il convient de connaitre, d’utiliser voire de maximiser en élevage. Pour cela les leviers d’action possibles incluent i) les manipulations des nids (garnissage, hygiène, allaitement contrôlé), ii) les pratiques visant à l’homogénéisation des poids et tailles de portées (adoption, sélection génétique et/ou stratégie nutritionnelle d’alimentation des lapines) et iii) les pratiques impactant la transition alimentaire et l’arrivée d’autres substrats que le lait (composition de l’aliment, coprophagie). Certains leviers sont d’ores et déjà opérationnels comme ceux relatifs à la manipulation des nids ou aux pratiques d’adoption et à la sélection génétique pour homogénéiser le poids des portées. L’impact de la nutrition de la mère sur ce dernier critère constitue une action de recherches possible. Enfin concernant la transition alimentaire, si le sevrage précoce largement étudié est aujourd’hui non satisfaisant en termes de performances de croissance et de mortalité des lapereaux, l’ingestion d’aliment solide précoce sans interruption de l’apport de lait pourrait permettre de sécuriser le sevrage. En effet, la mise en place du microbiote est dépendante de l’arrivée des nutriments dans le caecum, et une maturation plus rapide du microbiote caecal pourrait permettre de stimuler le système immunitaire des lapereaux. Une telle alimentation précoce, combinée à la coprophagie et à la facilitation de l’apprentissage olfactif par la phéromone mammaire, constituent aussi des perspectives de recherche qu’il convient d’explorer en vue de favoriser la transition de l'aliment lacté vers l'aliment solide en accord avec les besoins nutritionnels du lapereau de plus de deux semaines d'âge postnatal.

Notes

  • Cet article est issu d’une synthèse bibliographique réactualisée et présentée à l’occasion des 15èmes Journées de la Recherche Cunicole en 2013.

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Résumé

Les lapereaux naissent nus, incapables d’assurer seul une thermorégulation autonome suffisante, et ne sont qu’en partie mature sur les plans sensoriel, physiologique et moteur. Leurs interactions avec la mère sont limitées. En élevage, dès qu’ils sont capables de sortir du nid, ils accèdent à l'aliment de la lapine, bien qu’ils aient des besoins nutritionnels différents des siens. Face à ces apparentes fragilités, l’espèce a développé des adaptations physiologiques et comportementales efficaces comme l’existence de la phéromone mammaire, le comportement coprophage au nid et la dynamique de maturation du système digestif, qui sont autant d’atouts contribuant à la viabilité et robustesse des lapereaux au sevrage. Nous présentons ici certains leviers d’action envisageables en élevage (gestion des nids, homogénéisation des tailles et poids de portée, allaitement contrôlé, alimentation spécifique) pour valoriser ces atouts.

Auteurs


Sylvie COMBES

sylvie.combes@inra.fr

Affiliation : 1GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, INP-ENVT, 31320, Castanet Tolosan, France

Pays : France


Thierry GIDENNE

Affiliation : 1 GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, ENVT, 31320, Castanet-Tolosan, France

Pays : France


Samuel BOUCHER

Affiliation : 2LABOVET CONSEIL, site des Herbiers, 22 rue Olivier de Serres, 85505, Les Herbiers, France

Pays : France


Laurence FORTUN-LAMOTHE

Affiliation : 1 GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, ENVT, 31320, Castanet-Tolosan, France

Pays : France


Gérard BOLET

Affiliation : 1 GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, INP-ENVT, 31320, Castanet Tolosan, France

Pays : France


Gérard COUREAUD

Affiliation : 3 Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, CNRS, INSERM, Université Claude Bernard, Lyon 1, 69001, Lyon, France

Pays : France

Pièces jointes

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