Conditions d’élevage des palmipèdes à foie gras : des demandes sociétales à une démarche de progrès
Chapeau
Bien que le foie gras soit associé au patrimoine culturel et gastronomique français, son mode de production, mettant en œuvre le gavage des animaux, est remis en question car jugé non respectueux du bien-être animal. Quelles sont les connaissances scientifiques sur l’état corporel et physiologique des animaux dans les ateliers de gavage ? Quelles sont les ressources disponibles pour objectiver l’évaluation des animaux en élevage et contribuer à faire évoluer cette production ?
Introduction
La production mondiale de foie gras cru s'élevait à 24 617 t en 2018, soit des chiffres proches de ceux observés avant les épisodes récents d'Influenza aviaire en Europe (2015-2016/2016-2017). Au niveau mondial, 95 % des tonnages produits proviennent d'Europe. La France reste le principal pays de production et de consommation (67 % de la production et 74 % de la consommation mondiale), où il est consommé, en particulier, à l'occasion des fêtes de fin d'année. La filière française représente un chiffre d'affaire annuel estimé de 2 326 millions d'euros, et implique près de 100 000 emplois directs et indirects, parmi lesquels environ 5 000 producteurs (Cifog, 2019), dont près de 47 000 seraient liés à la seule IGP (Identification Géographique Protégée) « foie gras du Sud-Ouest » (Farrant et al., 2017).
Le foie gras est défini comme un foie de canard ou d'oie gavé(e) de façon à entrainer une accumulation de triglycérides dans les hépatocytes et atteindre un poids de foie d'au moins 300 g chez le canard et 400 g chez l'oie (Règlement CEE n° 1538/91 du 5 juin 1991). Son mode de production comporte quatre phases (Arroyo et al., 2012 ; Pingel et al., 2012). Le démarrage (Phase 1 - durée de 3 à 5 semaines) est une étape durant laquelle les oiseaux de 1 jour sont installés sur litière dans un bâtiment chauffé, et sont alimentés à volonté avec un aliment riche en protéines (18 à 21 %). Lui succède une étape de croissance (Phase 2 - durée de 3 à 5 semaines) durant laquelle un aliment moins riche en protéines (15 à 17 %) est offert à volonté. S'en suit une étape de préparation au gavage (Phase 3 - durée de 4 à 8 semaines) durant laquelle l'aliment est distribué par repas. Les quantités d'aliment fourni lors de chaque repas sont maintenues à un niveau modeste pendant 3 à 7 semaines, puis progressivement augmentées au cours de la dernière semaine. Cette stratégie permet de préparer l'anatomie des animaux à une ingestion importante d'aliment en induisant une distension progressive de la partie distale de l'œsophage (ou pseudo jabot), ainsi qu'un début de stéatose hépatique. La phase de gavage (Phase 4 - 10 à 18 jours) démarre entre 10 et 14 semaines d'âge. Les animaux sont alors transférés dans des parcs collectifs au sol, ou plus rarement surélevés (par groupe de 15 à 25), ou placés dans des cages surélevées (groupes de 3 à 10 animaux), dans des bâtiments dont l'ambiance est contrôlée (ventilation, refroidissement). Ils y sont gavés deux à trois fois par jour. L'acte de gavage consiste à introduire un tube (embuc) dans l'œsophage, pour y déposer de l'aliment en quantité croissante. Chez le canard par exemple, les doses administrées varient de 250 g par repas en début de gavage à 450 g, par repas en fin de gavage (Pingel et al., 2012). Cette dernière phase est remise en question par les associations de protection des animaux et le Conseil de l'Europe. Les raisons en sont l'acte d'introduction de l'embuc de gavage dans l'œsophage des animaux, l'introduction forcée d'aliments (Knudsen et al., 2018), mais aussi la surcharge métabolique pouvant induire des dommages pour la santé et une augmentation de l'inconfort liée à la régulation thermique et un poids élevé. À l'instar d'autres filières, le mode d'hébergement des oiseaux au cours de cette dernière phase, en bâtiment dans des logements de faible surface et sans enrichissement du milieu de vie, est aussi régulièrement remis en question.
Pour répondre à ces demandes sociétales, faire évoluer cette production et entrer dans une démarche de progrès, il parait nécessaire de pouvoir objectiver l’état des animaux dans l’environnement dans lequel ils sont élevés. Dans ce contexte, cet article a pour objectif d’une part de replacer la production de foie gras au regard de la question du bien-être animal et d’autre part de considérer les connaissances et ressources disponibles sur lesquelles s’appuyer pour mettre au point une méthode d’évaluation multicritère.
1. État des animaux et production de foie gras
1.1. Le bien-être des animaux d’élevage une notion complexe et socialement vive
a. Évolution de la définition du bien-être animal
L’ANSES a proposé en 2018 une définition du bien-être animal : « Le bien-être d’un animal est l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux, ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal ». L’originalité principale de cette définition est d’avoir introduit la notion « d’attente » qui renvoie à l’anticipation d’un événement auquel l’animal se réfère pour évaluer la valence et la pertinence de la situation, leur niveau de satisfaction ou d’insatisfaction engendrant des émotions respectivement positives ou négatives (ANSES, 2018). Cette définition renforce la nécessité de prendre en compte le point de vue de l’animal et de se placer aux niveaux individuel (par opposition au groupe) et contextuel (chaque environnement impacte différemment l’individu). De nombreuses autres définitions avaient précédé cette définition faisant référence à l’état émotionnel des animaux. On peut notamment citer la définition de Hughes (1976) définissant le bien-être comme « état de plénitude mentale et physique, atteint lorsque l’animal est en harmonie avec son environnement ». Néanmoins, une des formulations opérationnelle, nommée la règle des 5 libertés (i. Absence de faim et de soif, ii. Absence d’inconfort, iii. Absence de douleur, de blessure ou de maladie, vi. Absence de peur et de détresse, v. Possibilité d’exprimer les comportements normaux de l’espèce ; , reste utilisée car elle permet plus aisément de réaliser une évaluation en ferme.
Cette évolution du regard porté sur l’animal s’est accompagnée d’évolutions de la règlementation relative au bien-être animal et à la protection des animaux (encadré 1).
Encadré 1. Bien-être animal et règlementation.
La règlementation sur le bien-être des animaux est établie à 3 niveaux : national, européen et international. La reconnaissance des animaux comme des êtres sensibles a été introduite dès 1976 dans le Code Rural Français (Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, article 91), puis en 2015 dans le Code Civil (Loi n° 2015-177 du 16 février 2015, article 22). Des obligations au propriétaire quant à la manière de traiter ses animaux sont apparues en France à la fin des années 60 et se sont imposées au plan européen. Plusieurs conventions européennes ont ainsi vu le jour dans des domaines comme le transport, l'élevage, l'abattage, l'expérimentation animale et les animaux de compagnie. Ces conventions ont peu à peu été accompagnées de recommandations et de directives visant à harmoniser les législations des États membres. Jusque dans les années 2000, la règlementation européenne s'est concentrée sur des obligations de moyens (ex. contrôles des conditions de vie des animaux avec des normes minimales, notamment pour les palmipèdes gras), pouvant aller jusqu'à l'interdiction des modes d'hébergement entraînant les plus fortes restrictions comportementales (ex. de l'interdiction de la cage individuelle pour les canards gras ; Comité Permanent de la Convention Européenne, 1999). Cette approche a évolué à partir de 2007 vers des obligations de résultats (contrôles directement sur les animaux) pour les espèces élevées dans des conditions moins restrictives (ie. sans cage ; ex. des poulets de chair pour lesquels des observations sont réalisées sur les animaux à l'abattoir en plus des obligations de moyens, Directive 2007/43/CE3). Depuis 2012, le contexte organisationnel et réglementaire en matière de protection animale a évolué avec la mise en place de la plateforme européenne pour le bien-être animal, l'adoption du Règlement UE 2017/6254 concernant les contrôles officiels et le développement de centres de référence nationaux et européens pour le bien-être animal (Mirabito et al., 2018).
Au plan international, il est très rarement fait mention du bien-être animal dans les textes des grandes organisations telles que l'OMC, la FAO ou le Codex Alimentarius. L'OIE s'est toutefois intéressée à la notion de bien-être animal dans les années 1990 pour finalement proposer un ensemble de standards relatifs au bien-être des animaux publiés dans le Code sanitaire pour les animaux terrestres au Titre 7 « bien-être animal »5. Ces recommandations n'ont pas de valeur contraignante pour les États membres de l'OIE (ANSES, 2018). L'adoption récente de la norme ISO/TS 347006, qui s'adresse aux opérateurs économiques, constitue une incitation à faire référence aux standards de l'OIE et aux indicateurs d'état mesurés directement sur l'animal (Mirabito et al., 2018) par opposition aux indicateurs de moyens décrivant les pratiques d'élevage.
Ces évolutions découlent de l’évolution des attentes sociétales, la société accordant de plus en plus d’attention à la façon dont sont traités les animaux d’élevage.
1 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000684998/1976-07-13/
2 Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000030250342/2015-02-18/
3 Directive 2007/43/CE du Conseil du 28 juin 2007 fixant des règles minimales relatives à la protection des poulets destinés à la production de viande https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1594201221287&uri=CELEX:32007L0043
4 Règlement UE 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques https://eur-lex.europa.eu/legal- content/fr/TXT/?uri=CELEX:32017R0625
5 Code sanitaire pour les animaux terrestres https://www.oie.int/doc/ged/D7598.PDF
6 Norme ISO/TS 34700:2016 Gestion du bien-être animal - Exigences générales et orientations pour les organisations des filières alimentaires https://www.iso.org/fr/standard/64749.html
b. Attentes sociétales, quelle réalité ?
L'intérêt et les préoccupations des citoyens européens vis-à-vis de la façon dont sont produits leurs aliments grandit tandis que leur confiance est très faible (Kjærnes et al., 2007). Une demande claire est de fait formulée pour des normes plus élevées en matière de bien-être des animaux d'élevage (Kjærnes et Lavik, 2008). Elle suggère l'intérêt d'un étiquetage « bien-être animal » européen pour la viande et le lait, à l'instar de celui existant sur les œufs (Delanoue et al., 2018). Deux principaux sujets de controverses sont identifiés : les conditions d'hébergement (ex. porcins et volailles sans accès au plein-air), et la prise en charge de la douleur lors des interventions sur les animaux (castration, épointage du bec, écornage…) ; (Delanoue et Roguet, 2015). Paradoxalement, le jeune public, qui connaît de moins en moins les fermes et les pratiques d'élevage, est aussi le plus soucieux du bien-être des animaux d'élevage. Ainsi, 82 % des lycéens interrogés s'en préoccupent. Les volailles, dont l'élevage est associé à un habitat en bâtiment fermé et en cages et à des animaux « entassés », apparaissent d'ailleurs à leurs yeux comme les animaux élevés dans les moins bonnes conditions (Chouteau, 2019). Ces résultats sont confortés par plusieurs auteurs (Delanoue et al., 2018 ; Mognard, 2011) pour qui les transformations sociales et l'évolution importante des systèmes de production sont à l'origine d'une évolution du regard de la société française sur l'élevage. Plus de la moitié des citoyens se déclarent ainsi « choqués » voire « très choqués » par des pratiques contraignantes pour les animaux (absence d'accès au plein air, coupe de la queue…), mais communément mises en œuvre en élevage, et environ un tiers d'entre eux envisagent de diminuer leur consommation de viande dans les 12 prochains mois (Delanoue et al., 2018).
1.2. Le foie gras : produit, filière et système de production
Bien que des témoignages de gavage remontent à l'antiquité égyptienne (Pingel et al., 2012), la production et la consommation de foie gras selon des modalités proches de ce que nous connaissons datent du XVIIIème siècle (Mognard, 2011). S'appuyant sur la capacité spontanée à l'hyperphagie et au stockage des graisses dans les tissus sous-cutanés et le foie des palmipèdes, les producteurs de foie gras ont développé des programmes d'alimentation spécifiques afin d'exacerber ce phénomène naturel. Les canards mulards, croisements de canards de Barbarie (Cairina moschata) et de canards Pékin (Anas platyrynchos), et dans une moindre mesure les oies et les canards de Barbarie constituent les 3 types de palmipèdes utilisés pour la production de foie gras et représentent respectivement 99 %, 1 % et une infime part des volumes produits (Cifog, 2019). Ce choix est en particulier guidé par la forte capacité d'ingestion de ces animaux et leur capacité de lipogenèse hépatique très développées (Pingel et al., 2012). Ces aptitudes sont liées au comportement migratoire de leurs ancêtres, qui avaient la capacité naturelle de surconsommer la nourriture pour stocker de l'énergie avant de longues migrations. Chez les canards, seuls les mâles sont utilisés pour le gavage du fait de leurs meilleures performances qualitatives et quantitatives (Pingel et al., 2012). Cette pratique est aujourd'hui critiquée car elle conduit à l'élimination des femelles à l'éclosion.
La stratégie alimentaire utilisée pour favoriser la stéatose hépatique consiste à faire surconsommer des matières premières, d'une part, riches en amidon et pauvres en protéine, afin de stimuler la synthèse d'acides gras par le tissu hépatique, et d'autre part, pauvres en choline, afin de limiter l'exportation de ces acides gras vers les tissus périphériques (Baéza et al., 2013b). Pour se faire, on augmente progressivement les quantités d'aliment distribuées. Il existe en effet un lien entre le poids de foie obtenu et le niveau et la durée de l'hyperphagie qui a pu être mis en évidence aussi bien pour la stéatose hépatique provoquée spontanément chez des oies (Fernandez et al., 2016), que pour la suralimentation chez des canards (Bonnefont et al., 2019). Ces quantités sont en baisse régulière depuis 1993 (– 23 %) pour des performances de production analogues, en lien essentiellement avec le progrès génétique des souches d'animaux (Litt et Pé, 2015). La surcharge métabolique induite entraîne une stéatose hépatique caractérisée par une accumulation de triglycérides dans les hépatocytes. Cette aptitude à l'engraissement du foie repose essentiellement, sur une capacité de lipogenèse hépatique accrue, une capacité de sécrétion hépatique des triglycérides néo-synthétisés insuffisante et une capacité de captage des lipides circulants par les tissus périphériques limitée favorisant ainsi leur retour vers le foie et accentuant le développement de la stéatose (Baéza et al., 2013b). Elle induit parallèlement des modifications importantes sur la qualité technologique et sensorielle de la viande qui modifie la qualité nutritionnelle et sensorielle des produits et leur aptitude à la conservation. Cela est expliqué par la fait que, comparé au filet de canard (muscle pectoral d'un canard non engraissé), le magret (muscle pectoral d'un canard engraissé) contient ainsi près du double de lipides intramusculaires et apparaît enrichi en acides mono-insaturés (en particulier en acide oléique) au détriment des acides gras polyinsaturés (Baéza et al., 2013a).
Durant cette phase, les animaux sont placés dans des cages collectives surélevées (groupes de 3 à 10 canards ; système largement majoritaire) ou plus rarement des parcs collectifs au sol ou surélevés (groupes de 15 à 25 canards). En application de la recommandation du 22 juin 1999, les cages individuelles sont interdites pour toutes les installations depuis le 01 janvier 2011, les producteurs français ont toutefois bénéficié d’un délai supplémentaire de 5 ans pour permettre les recherches et développements techniques nécessaires au passage vers des logements collectifs. Ces différents systèmes sont présentés en figure 1.
Figure 1. Illustration des différents modes d’hébergement rencontrés en gavage.
1.3. État des animaux et gavage : qu’en pense la société ?
a. Enquêtes consommateurs et point de vue des citoyens
Le foie gras constitue un des exemples de mouvement de patrimonialisation de l'alimentation (Mognard, 2011). Il est toutefois caractérisé par une dissonance chez le consommateur entre la perception du produit en tant que tel, jugé de façon positive, et celle de son mode d'obtention, jugé négativement. Une étude qualitative menée par Jacquinot et al. (2002), met en avant que l'image associée spontanément au foie gras par des consommateurs relève de 3 registres : le plaisir gustatif ; la fête, la convivialité, la joie ; la tradition. Ces résultats sont cohérents avec ceux mentionnées par le Comité Interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras (Cifog) qui estime que 90 % des français consommaient du foie gras en 2018 (vs. 95 % en 2015) et que le Foie Gras est un produit jugé comme « traditionnel » (95 %), « à partager » (93 %) et « festif » (92 % ; Cifog, 2019). Ainsi, le mode de production et notamment la composante « bien-être animal » sont quasi-absents dans les associations spontanées des personnes interrogées. Les questionnements sur les techniques de production entraînent des réflexions focalisées sur le gavage et l'idée d'une souffrance animale, confirmant que les interrogations relatives au bien-être concernent essentiellement la phase de gavage (Jacquinot et al., 2002). Dans une étude commanditée par l'association abolitionniste L214, 68 % des personnes interrogées sur le gavage pensent que cette pratique est source de souffrance pour les animaux (vs. 62 % en 2015), et 58 % sont favorables à son interdiction ou refusent d'en acheter pour des raisons éthiques (YouGov, 2017). Ces résultats apparaissent cohérents avec ceux obtenus par Chouteau (2019) sur un public de lycéens, dont 60 % des interrogés pensent que le gavage est mauvais pour les animaux. L'apport d'informations rationnelles sur le processus de production apparaît rassurant et contribue à atténuer cette forme de dissonance cognitive entre la perception du mode de production et de la perception du produit en lui-même (Jacquinot et al., 2002). L'ensemble de ces éléments, mêlant plaisir gustatif et débat éthique, ont contribué à la naissance d'une controverse autour du gavage et du foie gras, opposant les professionnels de la filière d'une part, et les associations de protection animale d'autre part. Sans doute par manque de connaissances, le magret, qui est le muscle pectoral recouvert de peau issu d'animaux gavés (le filet quant à lui provient d'animaux non gavés), est une viande très prisée des consommateurs et semble, dans leur esprit, peu reliée à l'acte de gavage.
b. Règlementation et foie gras
Si la légalité de la pratique est parfois questionnée au regard de l’article 14 la directive 98/58/CE, selon lequel « Aucun animal n'est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu'il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles », celle-ci a été réaffirmée par Bruxelles (Prats Monné, 2015). Les canards de Barbarie et leurs hybrides d’un côté, et les oies de l’autre, font l’objet de recommandations spécifiques (Comité Permanent de la Convention Européenne, 1999) qui liste entre autre les exigences relatives aux systèmes d'hébergement (Articles 10 et 11) : les animaux doivent pouvoir se tenir debout, se retourner, battre des ailes, interagir normalement avec d'autres individus. Ces exigences ont conduit à l’abandon des cages individuelles fin 2015 dans toutes les exploitations de canards utilisés à des fins de production de foie gras au profit de logements collectifs dont les caractéristiques minimales sont précisées dans la note de service DGAL/SDSPA/N2011-8176. Outre un nombre minimum d’animaux par loge (3), une largeur minimale (80 cm) et une surface minimale par animal (1 200 (loges de plus de 3 canards) à 1 333 cm² (loges de 3 canards)), l’utilisation d’abreuvoirs longitudinaux permettant de satisfaire les besoins comportementaux des canards est aussi imposée (les canards doivent avoir la possibilité de se couvrir la tête d'eau et de la répartir sur leurs plumes ; Comité Permanent de la Convention Européenne, 1999). Cette recommandation encourage par ailleurs les études portant sur les aspects de bien-être et la recherche de méthodes alternatives et limite la production de foie gras dans les pays producteurs (Article 24 et 25 respectivement), sans que ces deux derniers items n’aient un statut obligatoire. Seuls 5 pays européens produisent ainsi aujourd’hui du foie gras : la France, la Hongrie, la Bulgarie, l’Espagne et la Belgique. Pour ce dernier pays, la région flamande, après la région de Bruxelles en 2017, a adopté en mars 2020 un décret visant à interdire le gavage des palmipèdes fin 2023. Sa production avait par ailleurs été interdite plusieurs années plus tôt par des pays tels que la Pologne en 1999 et Israël en 2003 (Blaquière, 2019). Elle sera bientôt interdite en Ukraine. À l’échelle mondiale, des pays comme l'Argentine, l'Australie ou l'Afrique du Sud ont également interdit le gavage. Selon Duhart (2009), si la valeur symbolique de ces décisions apparaît considérable, ces mesures sont à relativiser du fait que la culture de la production du foie gras n’y était que peu ou pas enracinée et que l’importation et la vente du foie gras n’y est pas interdite. En effet, l’importation du foie gras n’est interdite qu’en Inde, dans l’état de Californie ou les villes de Sao Paulo et New York en 2022 (Blaquière, 2019 ; Le Monde, 2019). Au sein de l’Union Européenne une telle prise de position d’un état apparaît difficile, celle-ci-constituant une entrave à la libre circulation des marchandises sur le marché européen.
À noter que, en parallèle, de plus en plus d'enseignes de grande distribution ou de salons agroalimentaires ont pris la décision de ne plus vendre de foie gras (Blaquière, 2019). La menace est donc réelle pour la filière. En effet, les distributeurs sont les principaux moteurs de la mise en œuvre des normes en matière de bien-être animal (Delanoue et al., 2018) et ils répondent aux pressions exercées à la fois par les associations de protection animale et les consommateurs. Leurs choix peuvent susciter des ruptures relativement rapides dans les modes de production.
1.4. État des animaux et gavage : qu’en disent les sciences animales ?
a. Introduction forcée d'aliment, douleur et stress
La partie proximale du tube digestif des oiseaux présente un orifice dégagé car, contrairement aux mammifères, l'ouverture trachéale se situe au milieu de la langue (Guémené et al., 2007). L'œsophage des palmipèdes, ou pseudo-jabot, se présente comme un tuyau musculeux élastique en forme de fuseau relativement long et riche en glandes à mucus qui lubrifient les aliments et facilitent leur passage. Il peut facilement se dilater afin de stocker de l'aliment quand l'estomac est plein (Pingel et al., 2012). Ses parois sont recouvertes d'une couche kératinisée assurant une protection mécanique (Guémené et al., 2007). L'estomac vrai est le proventricule qui consiste en un agrandissement de l'extrémité inférieure de l'œsophage secrétant de l'acide chlorhydrique et de la pepsine (Pingel et al., 2012). Une représentation schématique du tractus digestif du canard est présentée en figure 2. Lors du gavage, l'animal ne contrôle pas lui-même les quantités d'énergie ingérées, qui dépendent directement du plan d'alimentation appliqué par le gaveur. Chez le canard, les doses administrées varient de 250 à 450 g par repas selon le stade de gavage (Pingel et al., 2012), quantités ne dépassant pas sa capacité d'ingestion transitoire spontanée qui est supérieure à 580 g (Guy et al., 1998 ; Knudsen et al., 2017) et peut même dépasser 750 g (Guy et al., 1998). Ce changement de régime conduit à une modification du microbiote intestinal, qui joue vraisemblablement un rôle dans l'induction de ce phénomène (Vasaï et al., 2014 ; Knudsen et al., 2018), et de la présentation des fientes qui deviennent semi-liquides lors du gavage (« Scientific Committee on Animal Health and Animal Welfare » (SCAHAW), 1998). La dilatation de la partie inférieure de l'œsophage induite par les quantités d'aliment distribuées augmente le risque de lésions et la présence de tissu cicatriciel dans l'œsophage des canards gavés a été décrite par SCAHAW (1998). Ce résultat est confirmé par Servière et al. (2011) qui ont observé, chez certains canards, un niveau d'inflammation modéré se présentant sous la forme de petites pétéchies apparaissant au niveau du pro-ventricule dès la période de pré-gavage et de l'œsophage (pseudo-jabot) en tout début de gavage, sans commune mesure toutefois avec l'inflammation constatée pour des canards traités chimiquement par une substance irritante. L'activation de neurones au niveau central ou périphérique a pu être vérifiée dans certaines zones spécifiques du cerveau ou de la moelle épinière des animaux traités mais pas des canards gavés indiquant que le gavage n'est très vraisemblablement pas nociceptif s'il est pratiqué correctement sans léser l'œsophage. Dans l'essai conduit par Bernadet et al. (2017), les lésions, observées visuellement lors de l'abattage des animaux apparaissaient en grande majorité à partir du milieu de l'œsophage et semblent ainsi davantage liées à l'importance de la dose qu'au passage de l'embuc, confirmant la fragilité particulière de ces tissus. En examinant le cou des canards à l'abattoir, les atteintes au niveau du jabot peuvent être détectées car elles sont caractérisées par une inflammation détectable sur la surface externe du cou, voire par des plaies ouvertes (Litt et al., 2015). L'examen de 76 lots de canards hébergés en logements collectifs, a montré une fréquence de 4 % de ces atteintes (Litt et al., 2015). Toutefois, ces blessures, générées par une mauvaise manipulation des animaux, pourraient être surestimées dans l'étude, du fait qu'une partie des éleveurs suivis n'avaient qu'une très faible expérience (quelques lots) du mode d'hébergement en place dans leur salle suite à une mise aux normes récente.
Figure 2. Représentation schématique du tractus digestif du canard : au niveau proximal (a) et interne (b).
La mesure de la corticostéronémie a été utilisée par certains auteurs pour évaluer l'état de stress des animaux pendant la période de gavage. Cette mesure suggère que le canard est davantage sensible à la capture et à la contention, procédures nécessaires avant l'acte de gavage tel que pratiqué actuellement, qu'à l'acte de gavage en lui-même (Mirabito et al., 2002 ; Guémené et al., 2006). L'amplitude de l'augmentation sanguine de la corticostérone diminue lors de la répétition de ces actes (attrapage, contention, gavage) suggérant une certaine habituation des animaux (Guémené et al., 2006). Les résultats sont contradictoires entre les études quant à l'apparition ou non d'un stress chronique lié au gavage en logements collectifs (Guémené et al., 2006 ; Mirabito et al., 2002). De même, chez l'oie, le gavage pratiqué en parc collectif induit également une élévation de la corticostéronémie lors des premiers repas (Guémené et al., 1999). Les modifications de la corticostéronémie lors d'états de stress dépendent beaucoup du contexte et de la réponse comportementale de l'individu, c'est pourquoi d'autres travaux se sont intéressés au comportement des palmipèdes lors du gavage. Carrière et al. (2006) ont notamment observé que le gavage réduit la fréquence et le temps alloué au lissage des plumes. Ce comportement, qui prend une place importante dans le budget temps du canard (22 % ; Reiter et Bessei, 1995), peut être associé à un état de bien-être (Rodenburg et al., 2005) et il diminue en cas de douleur (Gentle, 2011) ou lorsque la densité d'élevage est élevée (Hall, 2001). La baisse de sa fréquence pourrait également s'expliquer par un temps plus important consacré aux comportements de thermorégulation (halètement, abreuvement) lors du gavage. Elle s'accompagne d'une dégradation de l'état du plumage des animaux (Litt et al., 2020), signe d'une altération de l'état de ces derniers. Dans cette dernière étude, la durée du séjour en salle de gavage était toutefois de 26 jours alors qu'il n'est que de 10 à 12 jours en élevage commercial. Par ailleurs, il n'a pas été démontré d'aversion de l'animal pour le gaveur ou le poste de gavage (Faure et al., 2001).
b. Engraissement, santé et confort thermique
La phase de gavage est caractérisée par un alourdissement des animaux (+ 23 à + 45 % de poids vif ; Baéza et al., 2005) : le poids de foie est multiplié par 6 à 10, tandis que le poids de gras interne et périphérique est doublé (Pingel et al., 2012), de même que la teneur en lipides intramusculaires (Baéza et al., 2005). Des travaux récents ont montré que 13 indicateurs liés à l'état de santé et d'inconfort des animaux variaient au cours de la période de suralimentation et que l'intensité de gavage constituait un levier permettant de minimiser l'impact du processus de production de foie gras sur 8 d'entre eux (traces de pâtée observées à différentes localisation (sur les plumes, sur les barreaux…), boit, couché, actif, au repos, halète, immobile et plumage hérissé ; Litt et al., 2020). Cet engraissement conduit à un élargissement de l'abdomen et à une locomotion plus difficile car les pattes sont positionnées plus loin de la ligne médiane (SCAHAW, 1998). Ceci semble corroboré par les résultats de Carrière et al. (2006) qui notent une diminution des déplacements durant le gavage, concomitante à une augmentation du halètement. Parallèlement, est observée une aggravation des pododermatites (note moyenne augmentée de 13 % entre la fin de la phase de préparation au gavage (Phase 3) et l'abattage ; Litt et al., 2015), qui pourrait être liée à un manque de mouvement, une surcharge sur les pattes mais aussi aux systèmes de caillebotis métalliques généralement utilisés en gavage pour favoriser l'évacuation des fientes. Ces lésions dont la prévalence apparaît élevée (7 canards sur 10 présentent des lésions modérées à sévères au moment de l'abattage) sont caractérisées par une dermatite hyperplasique et hyperkératosique très souvent marquée, associée ou non à une inflammation hétérophilique pustuleuse, semblant évoluer, plus ou moins directement, vers une dermatite ulcéreuse variablement étendue (Litt et al., 2015). Elles correspondent à celles déjà décrites dans d'autres espèces (poulet et dinde, notamment) et sont probablement douloureuses, du moins pour les lésions graves (Gentle, 2011).
Si l'hypertrophie du foie est considérée par plusieurs auteurs comme un état pathologique, le foie gras issu du gavage ne présente pas de trace de nécrose ou de dégénérescence cellulaire (Hermier et al., 1999). Il correspond à une hypertrophie cellulaire, durant laquelle l'infiltration lipidique débute en zone périportale, pour gagner progressivement le centre du lobe, sans qu'il y ait d'hyperplasie cellulaire (Baéza et al., 2013b) : c'est la taille des cellules qui augmente et non leur nombre, en lien avec l'accumulation de lipides. Cette hypertrophie est réversible : des canards et des oies replacées dans leurs conditions initiales après gavage présentent une normalisation du poids et de la composition du foie, ainsi que des paramètres sanguins au bout de 15 à 30 et de 32 à 58 jours respectivement (Baéza et al., 2013b). Des observations analogues ont été rapportées sur des canards soumis à trois cycles successifs de gavage et de repos (Bénard et al., 2006) pour lesquels la fonction hépatique et la structure histologique du foie apparaissent préservées. Bénard et al. (2006) soulèvent toutefois que les fonctions détoxifiantes du foie sont diminuées après 2 semaines de gavage (clairance de la Brome Sulfone Phtaléine (BSP) plus lente et demi-vie plus longue), mais elles se rétablissent après l'arrêt du gavage. Par ailleurs, en fin de période de gavage, des marqueurs d'apoptose des hépatocytes ont pu être mis en évidence (Rémignon et al., 2018).
Le gavage génère une mortalité moyenne de l'ordre de 2,2 % (Litt et Pé, 2015). Les causes d'élimination et de mortalité et le moment de leur survenue ne sont pas documentées mais elles incluent en tout état de cause des blessures physiques et des problèmes de stress thermique et d'insuffisance hépatique (SCAHAW, 1998). Il n'est pas établi si l'hypertrophie hépatique en elle-même est nociceptive et l'examen de l'innervation suggère que le foie n'est pas à l'origine directe de sensations nociceptives (Guémené et al., 2007).
Compte tenu des quantités importantes d'aliment reçues en gavage, l'animal met en œuvre des mécanismes d'évacuation de l'extra-chaleur produite par la digestion mettant en œuvre une hausse des paramètres respiratoires, sans apparition d'hypoxie (i.e. sans réduction de la quantité d'oxygène dans le sang), et de la température du bec et des pattes des canards au cours du gavage (Souvestre, 2015). Chez les oiseaux, qui sont des animaux qui ne produisent pas de sueur, le halètement est un mécanisme important de dissipation de chaleur qui se produit principalement lorsque la dissipation de chaleur par les pattes devient insuffisante. Grace à ce mécanisme, l'oiseau laisse évaporer de l'eau et élimine ainsi une partie de sa chaleur (Pingel et al., 2012). Ce phénomène est d'autant plus marqué que la charge énergétique et nutritive est forte. Il augmente donc au cours du gavage (facteur 2 à 5 entre J1 et J13 de gavage ; Guémené et al., 2006 ; Litt et al., 2020), en lien avec l'extra-chaleur produite au moment de la digestion. Ce mécanisme est d'autant moins efficace que la température ambiante est élevée rendant l'animal particulièrement sensible au stress thermique en cas de conditions climatiques chaudes. Des études conduites en chambres métaboliques ont ainsi montré que la température de 14°C (vs. 16°C en phase d'élevage) correspond à la limite maximale de la zone de neutralité thermique du canard en fin de gavage (Litt et al., 2019b). Au-delà, les animaux doivent mettre en place des mécanismes d'évacuation de l'énergie dont l'efficacité dépend directement de l'écart de températures entre l'animal et son environnement. Ces mécanismes deviennent insuffisants au-delà d'une température critique de 22°C qui ne doit donc pas être dépassée sur des périodes prolongées. Ces températures peuvent varier en fonction de l'hygrométrie et de la vitesse de l'air, raison pour laquelle les salles de gavage sont le plus souvent équipées de systèmes de régulation combinant renouvellement d'air, brassage et refroidissement par ruissellement d'eau. Pour compenser la perte en eau liée à ces mécanismes de régulation, les animaux doivent boire, et la consommation journalière d'eau est près de cinq fois plus élevée en phase de gavage (Phase 4, 3,25 L/J/animal) comparée à la fin de la période de croissance (Phase 2, 0,60 L/J/animal ; Massabie et al., 2013). Ceci pourrait s'expliquer également par un anabolisme hépatique élevé en lien avec les quantités importante d'aliment ingérées durant cette période (Guémené et al., 2006).
c. Mode d’hébergement des animaux, comportement et état des animaux
La cage individuelle est à l'origine de restrictions comportementales individuelles (impossibilité de battre des ailes ou se déplacer) et sociales (impossibilité pour les animaux d'avoir des interactions sociales) pour les animaux. Pour limiter ces restrictions, des logements collectifs ont été adoptés. Une étude sur des cages de 4 à 12 individus montre que la fréquence des comportements de halètement et d'abreuvement, y est réduite par rapport à des cages individuelles, en lien avec la possibilité de déployer leurs ailes et/ou une meilleure circulation de l'air dans les loges (Guémené et al., 2006). Mirabito et al. (2002) ont par ailleurs montré des réponses comportementales différentes en fonction des configurations de logements collectifs. La fréquence d'animaux couchés est ainsi multipliée par 2 et les fréquences d'alignement des animaux longitudinalement à l'abreuvoir augmentée, traduisant un positionnement préférentiel des animaux à proximité de ces derniers, lorsque la surface passe de 1 000 ou 1 500 à 2 000 cm² par animal. L'augmentation de l'espace disponible de (+ 50 à + 100 %) conduit également à une expression majorée des comportements de déplacement, d'étirement et de toilettage (facteurs 13, 3 et 1,5 respectivement). Les comportements d'interactions sociales neutres ou agonistiques et d'abreuvement diminuent en revanche lorsque la surface disponible par animal augmente (– 36 à – 57 %). D'autres comportements, comme l'étirement, sont plutôt impactés par la surface totale disponible, et la taille de groupe (3, 6 ou 9 canards), ce comportement augmentant lorsque la surface totale disponible, ce comportement augmentant lorsque la surface totale disponible. La prévalence de griffures, de fractures des têtes humérales et d'hématomes tendent par ailleurs à diminuer lorsque l'espace disponible dans la loge augmente (Mirabito et al., 2002 ; Litt, 2011).
Les prévalences observées dans les systèmes d'hébergements actuels (1 200 à 1 333 cm2 par animal, soit un minimum de 4 000 cm2 de surface disponible au total) sont de l'ordre de 25 % pour les lésions au bréchet, de 10 % pour les hématomes et les arthrites tarsiennes, et de 19 % pour les lésions alaires (Litt et al., 2015). Ces dernières sont plutôt liées aux interventions après le gavage (ramassage, transport vers l'abattoir). La forte variabilité observée entre lots (facteur 2,5 à 10 sur les notes moyennes observées à l'abattage) indique une marge de progrès importante, à la fois lors des phases d'élevage (Phases 1 à 3) et de la phase de gavage (Phase 4 ; Litt et al., 2015). Des essais comparant différents aménagements de fond de logement montrent notamment que le sol des cages constitue un levier qui permet de réduire l'aggravation des pododermatites et des lésions au bréchet durant la phase de gavage (Litt et Estrade, 2017). Les modalités paillées étaient celles enregistrant les moins bons résultats en termes de pododermatites et d'état des logements en fin de lot.
1.5. Démarches et travaux engagés dans la filière ?
a. Démarches de progrès engagées par la filière
Les exemples de systèmes de réassurance des consommateurs et de pacte sociétal émanant des acteurs économiques de l'élevage à destination des distributeurs sont nombreux, qu'il s'agisse d'initiatives individuelles, de petits groupes ou de démarches portées par des filières organisées (Delanoue et al., 2018). Le foie gras ne déroge pas à la règle. Au niveau français, les professionnels de la filière ont ainsi mis en place en 2015 la démarche PalmiGconfiance qui vise à définir et à appuyer la mise en œuvre de pratiques d'élevage respectueuses du bien-être des palmipèdes. Il s'agit d'un engagement volontaire au travers duquel les éleveurs affirment leur volonté de transparence et de progrès et s'engagent à faire contrôler la bonne application de la charte européenne pour la production de palmipèdes gras (texte reprenant les 12 points édictés par la Commission Européenne concernant le bien-être animal), adoptée dans le cadre d'Euro Foie Gras le 24 janvier 2011 à Bruxelles (Cifog, 2015). Dans une logique d'amélioration continue, ce premier socle est amené à évoluer vers des objectifs renforcés, en matière de bien-être animal et de sécurité sanitaire. La filière travaille par ailleurs sur une stratégie RSE (responsabilité sociétale des entreprises), incluant des objectifs de bien-être animal.
Parallèlement à ces démarches, l'ITAVI (Institut Technique de l'Aviculture) a fédéré une réflexion collective impliquant des acteurs liés directement à la production et à la transformation, liés indirectement à la filière (représentants de la recherche, équipements, valorisation de coproduits) et non liés à la filière (associations de protection animale et de consommateurs). Celle-ci a conduit à organiser 3 ateliers de co-développement pour identifier des évolutions possibles des systèmes de production (Litt et al., 2019a). Ce travail constitue un socle de départ dans le cadre de réflexions à moyen et long termes dans la filière. Les voies les plus prometteuses concernent des actions liées au système d'élevage en lui-même (utilisation de lumière naturelle, d'embucs souples, optimisation du pilotage des bâtiments, interactions entre éleveurs et gaveurs) et à des actions de communication (enseignements dans les écoles, partage des résultats d'études auprès du public).
b. Du foie engraissé sans gavage ?
L'obtention d'un foie engraissé obtenu sans alimentation forcée apparaît comme une réponse de choix face aux critiques portées sur l'acte de gavage. Si quelques éleveurs témoignent depuis longtemps de la possibilité d'induire une stéatose hépatique spontanée chez les palmipèdes, aucune donnée chiffrée n'était disponible jusqu'à récemment concernant les pratiques à mettre en place et l'intensité des effets obtenus. Différentes voies sont a priori envisageables. Des méthodes d'induction de l'hyperphagie impliquant la destruction du centre de satiété (noyau ventromédian de l'hypothalamus) ont ainsi été testées dans les années 70 (Auffray et Blum, 1970). Toutefois, ce type de méthode n'est pas éthiquement acceptable. Aussi, les travaux engagés ces dernières années s'appuient sur des méthodes empreintes de naturalité. L'INRAE (Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'alimentation et l'Environnement) a ainsi développé au début des années 2010 un programme de recherches sur l'engraissement spontané du foie chez les palmipèdes, basé sur la modulation de 3 paramètres : la réduction de la durée d'éclairement, des températures froides et une offre alimentaire en maïs à volonté après une phase de restriction (Knudsen et al., 2018). Guy et al. (2013) ont apporté la preuve de concept en montrant la possibilité d'induire un comportement hyperphagique transitoire chez des jars conduisant à l'engraissement des foies (augmentation de 95 à 514 g vs. 1 000 g dans le système conventionnel). Toutefois, la réponse est très variable (45 % de variabilité vs. moins de 10 % dans le système conventionnel). Une corrélation forte (r2 > 0,6) entre le niveau d'ingestion de maïs et le poids de foie a été mise en évidence, en particulier lors des trois premières semaines (Fernandez et al., 2016). De plus, la durée et l'intensité de l'hyperphagie tend à augmenter lorsque les températures sont basses (hiver vs. printemps ; Knudsen et al., 2018). Ce système évite l'introduction forcée d'aliment et réduit la pénibilité du travail de l'éleveur. Toutefois, il n'apparaît pas généralisable en l'état. D'un point de vue économique d'une part, les quantités d'aliment nécessaires sont supérieures (+ 50 %/oie et + 138 %/kg de foie) pour obtenir des foies plus légers (– 37 %). Cela questionne la rentabilité du système et génère des impacts environnementaux très élevés (Brachet et al., 2015). De plus, la qualité des produits obtenus est jugée insatisfaisante sur les critères d'aspect, d'odeur et de goût (Fernandez et al., 2019). C'est pourquoi, les travaux en cours concernent l'amélioration de l'itinéraire technique. Plusieurs leviers d'action tels que l'alimentation, la conduite d'élevage, la sélection génétique et le microbiote intestinal sont identifiés (Knudsen et al., 2018). Des travaux analogues ont été conduits chez le canard mulard avec des résultats peu concluants (Knudsen et al., 2017). L'hyperphagie induite dure moins d'une semaine, le canard régulant très rapidement son ingestion lors de la transition alimentaire. Cette hyperphagie de très courte durée était associée à une augmentation négligeable du poids de foie (+ 26 g de foie en moyenne au point culminant après 2 semaines d'alimentation au maïs).
Au final, si les éléments décrits dans l’ensemble de cette section donnent des éléments factuels sur l’impact du gavage sur différentes dimensions du bien-être animal, aucune donnée n’est toutefois disponible sur l’état des animaux dans les ateliers commerciaux et leur variabilité. Une telle évaluation apparaît pourtant aujourd’hui comme une étape clé pour accompagner une démarche de progrès dans la filière. Celle-ci passe par la définition préalable d’une méthodologie d’évaluation multicritère de l’état des animaux en gavage.
2. L’évaluation multicritère de l’état des animaux gavés pour accompagner une démarche de progrès
Les méthodologies d'évaluation multicritère sont en plein essor. Ces méthodologies permettent d'appréhender les différentes facettes d'une même question donnant à voir les bénéfices et les limites d'un système. Toute la pertinence de ce type de démarche repose sur la capacité à produire un système d'évaluation cohérent, en adéquation avec les objectifs fixés par les porteurs d'enjeux et autres acteurs, et en s'appuyant sur un ensemble de données mesurables (Lairez et al., 2015).
2.1. Finalités et contraintes d’une évaluation de l’état des animaux
Le Réseau Mixte Technologique (RMT) « Bien-être animal et systèmes d'élevage » a réalisé une synthèse des différents outils d'évaluation du bien-être animal existants qui montre notamment que l'évaluation du bien-être animal peut servir à la description, l'analyse, l'appréciation des risques, le contrôle (certification ou réglementation), l'intervention-conseil et la conception de systèmes (RMT Bien-être animal et systèmes d'élevage (BEASE), 2012). Selon la finalité visée, les personnes qui appliquent la démarche et les contraintes de l'évaluation diffèrent (Lairez et al., 2015). Ainsi, si l'évaluation vise à fournir une certification, il est préférable qu'elle soit réalisée par une personne extérieure à l'élevage (ex. organisme certificateur tiers), par contre, si elle vise une démarche de progrès, il est préférable qu'elle soit réalisée par des acteurs fortement impliqués dans le suivi du système d'élevage (conseiller ou éleveur lui-même). Les protocoles doivent alors être applicables dans un cadre de temps réaliste en élevage commercial. Il a été estimé par un collectif de professionnels, de représentants d'associations de protection des animaux et de scientifiques spécialistes du bien-être animal qu'une durée de présence dans l'élevage de 1 heure environ est une cible à atteindre (Bignon et al., 2017). De plus, afin d'en faire des outils pertinents pour soutenir les processus de prise de décision et avancer vers une démarche de progrès, les protocoles doivent être simples à réaliser et faciles à comprendre. Ces qualités garantiront leur appropriation et leur adoption (Marchewka et al., 2013). On peut rappeler que de nombreux documents de suivi d'élevage comportent déjà des informations relatives à l'état des animaux et à leurs conditions de vie. Ils constituent des ressources à mobiliser pour rendre l'évaluation plus légère.
2.2. Les cadres conceptuels existants pour évaluer l’état des animaux
Définir le cadre conceptuel consiste à expliciter la vision du bien-être animal retenue, c'est-à-dire un ensemble d'objectifs et de critères qui représentent les résultats que l'on se propose d'atteindre et qui serviront de socle à l'évaluation multicritère. Cette étape est indispensable pour atteindre l'objectif visé et assurer la reproductibilité de l'évaluation (Lairez et al., 2015). Le projet européen Welfare Quality® a proposé un cadre conceptuel pour évaluer le bien-être à la ferme des principales espèces domestiques : porc, volailles (poulets de chair et poules pondeuses) et bovins (Veissier et al., 2010). Elle repose sur quatre principes génériques communs : alimentation adaptée (l'apport en nourriture et en eau est-il correct ?), logement correct (les conditions de logement des animaux sont-elles appropriées ?), bonne santé (l'état sanitaire des animaux est-il satisfaisant ?), comportement approprié (le comportement des animaux reflète-t-il un état émotionnel optimal ?). Chacun de ces principes se subdivise en 2 à 4 critères. Ce cadre générique a été adapté à d'autres espèces qui n'ont pas été étudiées dans le cadre du projet (cheval, chèvre, dinde…). Il a par ailleurs servi de socle de réflexion à des démarches ultérieures pour lesquelles des propositions de modifications ont pu être réalisées. C'est le cas notamment du projet français EBENE pour lequel des échanges entre les différentes parties prenantes (acteurs des filières, associations de protection des animaux, scientifiques, distributeurs, traiteurs hors domicile, administrations) ont conduit à adapter ce cadre conceptuel pour les filières avicoles et cunicoles et à proposer un premier jeu d'indicateurs que les professionnels peuvent facilement s'approprier (tableau 1 ; Bignon et al., 2017).
Tableau 1. Grilles comparatives des objectifs et critères retenus dans les méthodes d'évaluation Welfare Quality® (noir) et EBENE (en gras), d'après Veissier et al. (2010) et Bignon et al. (2017).
Objectifs |
Critères |
||
---|---|---|---|
A |
Alimentation adaptée/ |
1 |
Absence de faim prolongée/Accès à une alimentation adaptée |
2 |
Absence de faim prolongée/Accès à un abreuvement adapté |
||
B |
Logement correct/ |
3 |
Confort autour du repos/Confort au repos |
4 |
Confort thermique/Confort d’ambiance |
||
5 |
Facilité de déplacement/Capacité de mouvement |
||
C |
Bonne santé/Bonne santé |
6 |
Absence de blessure/Prévention des blessures et soin |
7 |
Absence de maladies/Prévention des maladies et soin |
||
8 |
Absence de douleurs causées par les pratiques d’élevage/ |
||
D |
Comportement approprié/ |
9 |
Expression des comportements sociaux/Comportement du groupe |
10 |
Expression des autres comportements/Adaptation aux exigences |
||
11 |
Bonne relation Homme-Animal/Comportement professionnel |
||
12 |
État émotionnel positif/Prévention de peur et de stress |
Mellor et Beausoleil (2015) ont par ailleurs proposé le modèle des « 5 domaines » : quatre domaines de l’ordre des domaines physiques et fonctionnels (alimentation, environnement, santé, comportement) et un cinquième domaine de l’ordre de l’expérience émotionnelle qui décrit les états mentaux possibles de l’animal (positif ou négatif) en relation avec les 4 autres. Ce modèle présente l’avantage de distinguer les actions correctives qui ne font que réduire le mal-être, de celles qui offrent un réel mieux-être aux animaux. Ce modèle résonne avec l’actualisation de la définition du bien-être des animaux (ANSES, 2018).
Une approche plus holistique du bien-être propose aujourd'hui d'extrapoler une vision conjointe du bien-être animal, du bien-être humain, de la biodiversité et de l'environnent dans un concept intitulé « One Welfare » (Garcia Pinillos et al., 2016) qui fait directement écho à l'adoption par l'OIE du concept de « One World, One Health » en 2013 où sont reconnus l'interdépendance de la santé des humains et des animaux, et le lien de la santé humaine/animale avec l'environnement. Un travail de formalisation du cadre théorique et de construction d'outils opérationnels reste à réaliser pour permettre une analyse globale des systèmes d'élevage.
Les cadres conceptuels basés sur le principe des cinq libertés restent aujourd’hui les plus utilisés.
2.3. Les cadres méthodologiques pour évaluer l’état des animaux
Le cadre méthodologique de l'évaluation consiste à organiser un large éventail d'indicateurs pertinents au regard du cadre conceptuel retenu, puis à définir la procédure à suivre pour passer des données disponibles à une interprétation en termes de niveau de bien-être : transformation et normalisation des variables, choix des valeurs de référence, pondération et éventuelle agrégation des données, présentation des résultats, etc. (Lairez et al., 2015). L'étape de sélection des indicateurs, qui permet de renseigner la réponse aux objectifs et aux critères que l'on souhaite atteindre, constitue une étape très importante. Gras et al. (1989) ont considéré que les indicateurs choisis doivent être aisés à mettre en œuvre, faciles à comprendre et sensibles aux variations de pratiques, refléter la réalité du terrain, être jugés pertinents pour les utilisateurs, adaptés aux objectifs et reproductibles.
a. Types d’indicateurs avantages et limites
Concernant l'évaluation du bien-être animal, on distingue généralement des indicateurs comportementaux, des indicateurs physiologiques, des indicateurs sanitaires (ante, peri ou post mortem), mesurables directement sur les animaux, et des indicateurs de moyens, liés à l'environnement et aux pratiques d'élevage (Mounaix et al., 2013). L'utilisation des indicateurs mesurés directement sur les animaux constitue aujourd'hui la voie privilégiée en situation d'élevage car elle permet d'aller au-delà de l'évaluation de la conduite et des soins apportés aux animaux et de s'affranchir des différences de systèmes d'élevage. Ces informations collectées sur l'animal peuvent être individuelles, réalisées sur un échantillon d'animaux (ex. les pododermatites peuvent être évaluées sur 50 % des animaux et non sur l'ensemble des animaux) ou collectives (ex. réaction à l'introduction d'un objet nouveau dans un groupe d'animaux), à l'échelle du troupeau (ex. taux de mortalité). Toutefois, l'utilisation additionnelle d'indicateurs de moyens restent nécessaires car ils permettent de déterminer d'éventuels facteurs de risque et d'apporter un conseil aux éleveurs (Mirabito et al., 2018). Si les indicateurs quantitatifs (ex. taux de mortalité) ou semi-quantitatifs (ex. score de boiterie) sont généralement privilégiés dans les méthodes d'évaluation, il est aussi possible de rencontrer des indicateurs qualitatifs (ex. oui/non). Ces indicateurs peuvent être objectifs (ex. sur la base de faits mesurés) ou, plus rarement, subjectifs (ie. soumis au jugement de l'enquêteur, ex. note globale attribuée par l'enquêteur sur la base de son ressenti lors de la visite).
b. Les indicateurs référencés chez les canards/volailles applicables en ferme
L'évaluation de l'état des oiseaux est classiquement réalisée sur des échantillons d'animaux pris à des endroits aléatoires des bâtiments et notés individuellement pour l'ensemble des indicateurs choisis. Cette procédure, utilisée par exemple dans le protocole Welfare Quality®, est toutefois chronophage. Pour pallier cela, une méthode d'échantillonnage dite par « transect », basée sur la méthode utilisée dans les études de la faune, a été développée par Marchewka et al. (2013). Celle-ci se rapproche des contrôles de routine réalisés par les éleveurs lors de leur circulation dans le bâtiment.
C’est sur ces échantillons que sont mesurés les différents indicateurs choisis pour l’évaluation. Ceux-ci se distinguent notamment par leur capacité à détecter des modifications plutôt précoces ou tardives.
Indicateurs comportementaux
L'analyse du comportement des animaux présente l'avantage de permettre un diagnostic précoce d'une inadéquation entre les conditions de vie et les besoins de l'animal car il traduit une réponse de sa part. Quel que soit le type de mesure, l'observation du comportement des animaux présente en revanche l'inconvénient de nécessiter une formation préalable pour produire des informations de qualité (Mounaix et al., 2013). Les différentes réponses comportementales peuvent être caractérisées quantitativement par leur durée et leur fréquence (halètement, toilettage, agressions, utilisation des enrichissements…), de manière ordinale (ex. résistance au gavage nulle/faible/modérée/forte) ou être évaluées qualitativement (ex. « Qualitatitive Behaviour Assessment » ; Wemelsfelder et Lawrence, 2001). Il est aussi possible d'analyser l'utilisation de l'espace, ou encore d'évaluer le comportement lors de tests comportementaux applicables directement en atelier (ex. tests d'évitement à l'homme et de résistance à l'acte de gavage décrits dans le tableau 2). La principale difficulté demeure dans le fait de choisir l'indicateur comportemental adapté, et de bien connaître l'origine de ce comportement (Mounaix et al., 2013). Le tableau 2 récapitule les différents comportements étudiés applicables en ferme, leur système d'évaluation et les conditions de mesure et d'applicabilité. Notons que le comportement de l'éleveur dans les situations quotidiennes de l'élevage impacte de façon évidente le comportement des animaux. Pourtant, celui-ci reste peu utilisé dans les outils portant sur les risques en élevage (Mounaix et al., 2013).
Tableau 2. Description, conditions de mesure et validité des principaux indicateurs comportementaux mesurables en ferme recensés dans la bibliographie, en fonction des espèces : poulet de chair, poule pondeuse et canard.
Indicateur, espèce |
Références |
Description |
Condition de mesure, |
---|---|---|---|
Évaluation qualitative |
|||
Évaluation
|
Wemelsfelder |
Repose sur la capacité des |
- Observation |
Comportements recherchés |
|||
Comportements
|
Reiter et Bessei,1995 ; |
Mesure sur temps donné de la |
- Vidéo ou observation |
Utilisation
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Appréciation du nombre d’animaux |
- Observation directe |
Comportements à limiter |
|||
Comportements
|
Mika et al., 2017 ; |
Il s’agit de mesurer sur un pas |
- Vidéo ou observation |
Confort
|
Welfare quality®, |
Évaluation du pourcentage |
- Observation directe |
Réaction |
Forkman et Keeling, |
Ce test (Novel Object test) consiste |
- Test réalisé |
Évitement
|
Guémené et al., 2007 ; |
Animaux élevés au sol : sont |
- Tests réalisés |
Résistance |
Arnaud et al., 2010 |
Évaluation par le gaveur de la |
- Évaluation individuelle |
*Le comportement couché est classé comme comportement positif en tant qu’indicateur de confort, il peut aussi être considéré comme négatif pour des animaux apathiques, malades… passant beaucoup de temps couchés.
Indicateurs physiologiques
Différents marqueurs sanguins, liés notamment au stress aigu, chronique ou oxydatif, ont été mesurés chez les volailles, dont le canard, dans le but d’évaluer l’état des animaux en élevage ou lors de l’abattage . Les réponses du système nerveux autonome (fréquence et variabilité cardiaque, température corporelle centrale ou périphérique, pression artérielle… ; ()) constituent des paramètres physiologiques complémentaires intéressants. L’étude de illustre notamment l’intérêt de l’oxymétrie de pouls (mesure de la saturation en O2 du sang), de la capnométrie (mesure de la fraction de CO2 de l’air inspiré ou expiré) et de la thermographie infra-rouge pour évaluer l’oxygénation, la respiration et la thermorégulation des canards mulards directement en élevage. Ces indicateurs ne sont toutefois pas facilement utilisables en ferme actuellement.
Indicateurs sanitaires
Les troubles de santé sont des indicateurs de l’état des animaux, mais ils traduisent parfois tardivement une dégradation du bien-être, notamment pour des pathologies difficiles à détecter précocement. Certains de ces indicateurs peuvent être évalués de façon facile et fiable directement à partir des informations présentes dans les documents de suivi de l’élevage (ex. taux de mortalité). Les performances de production sont également utilisées comme critères de bien-être et fréquemment associées aux indicateurs sanitaires. Elles sont cependant un peu plus délicates à manipuler car elles dépendent du potentiel génétique des animaux et peuvent être compensées par d’autres éléments de conduite . De nombreux critères de performances et d’état, dont des critères lésionnels, ont été définis chez les volailles. Si une partie des mesures est généralement réalisée peri- ou post-mortem lors de l’abattage pour éviter de devoir attraper et manipuler les animaux, une partie d’entre elles sont réalisables ante-mortem en condition d’élevage. Les tableaux 3 et 4 récapitulent les différents indicateurs sanitaires applicables en ferme qui ont déjà été étudiés, leur système d’évaluation et les conditions de mesure et d’applicabilité.
Tableau 3. Description, condition de mesure et validité des principaux indicateurs lésionnels mesurables en ferme recensés dans la bibliographie, en fonction des espèces : poulet de chair, poule pondeuse et canard.
Indicateur, espèce |
Références |
Description |
Condition de mesure, validité |
---|---|---|---|
Lésion corporelle
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Plusieurs systèmes de notation |
- Mesure en ferme |
Doigts, bec, griffes |
Welfare quality®, 2009 ; |
Évaluation et classification |
- Mesure en ferme par |
Démarche, boiterie
|
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Évaluation de la capacité de |
- Mesure en ferme |
Lésions aux pattes
|
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Évaluation et classification du |
- Mesure post |
Lésions aux tarses
|
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Comme les lésions aux pattes, |
- Mesure post mortem |
Lésion à l’œsophage |
Litt et al., 2015 ; |
Lésions liées à un problème de |
- Mesure post mortem |
Hématomes, |
RMT BEASE, 2012 ; |
Relevé des hématomes |
- Mesure post |
Ampoule,
|
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Poulet de chair : Relevé des |
- Mesure post mortem |
Fractures (hanches,
|
Mirabito et al., 2002 ; |
Les fractures osseuses |
- Mesure post |
Tableau 4. Description, condition de mesure et validité des principaux indicateurs sanitaires (hors lésions) et indicateurs de performance mesurables en ferme recensés dans la bibliographie, en fonction des espèces : poulet de chair, poule pondeuse et canard.
Indicateur, |
Références |
Description |
Condition de mesure, |
---|---|---|---|
Atteinte générale |
|||
Mortalité et causes
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Relevé quotidien du nombre |
- Calcul via |
Morbidité
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Relevé du nombre d’animaux |
- Mesure en ferme |
Animaux émaciés
|
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Si l’état d’engraissement est |
- Estimation par |
Maladie
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Poulet de chair : Relevé des cas |
- Mesure post |
Parasites de |
Welfare quality®, 2009 ; |
Relevé qualitatif (note de 0 à 1 ou de |
- Mesure en ferme |
État corporel |
|||
Emplumement |
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Poule pondeuse : Évaluation globale |
- Mesure en ferme |
Propreté
|
Forkman et Keeling, 2009 ; |
Poulet de chair : Pour l’abattage, une |
- Mesure post |
Performances |
|||
Performances
|
RMT BEASE, 2012 |
Relevé des performances de production |
- Mesure en ferme |
Tableau 5. Description, condition de mesure, applicabilité et validité des principaux indicateurs liés à l’environnement et aux paramètres d’élevage applicables en ferme recensés dans la bibliographie, en fonction des espèces : poulet de chair, poule pondeuse et canard.
Indicateur, espèce |
Références |
Description |
Condition de mesure, |
---|---|---|---|
Taille de groupe,
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Les données collectées peuvent |
- Documents d’élevage |
Équipements
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Les données collectées peuvent |
- Documents d’élevage |
Bâtiments,
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Les données peuvent concerner le |
- Mesure en ferme |
Conditions
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Les données collectées peuvent |
- Mesure en ferme |
Eau et aliment
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Les données collectées liées à l’eau et à |
- Documents d’’élevage |
Litière
|
Welfare quality®, 2009 ; |
Les données collectées peuvent concerner les matériaux utilisés et leur qualité (poussières, stockage…), l’épaisseur de litière, son |
- Enregistrements |
Qualité de l’air
|
RMT BEASE, 2012 |
Des indicateurs de qualité de l’air sont |
- Mesure en ferme via |
Poussière
|
Welfare quality®, 2009 |
Test consistant à évaluer, via une |
- Mesure en ferme |
Bruit |
RMT BEASE, 2012 |
Niveau du bruit lié aux systèmes |
- Mesure en ferme sans matériel |
Indicateurs liés à l’environnement et aux paramètres d’élevage
L'alimentation, l'abreuvement et l'environnement dans lequel évoluent les animaux conditionnent fortement leur bien-être. Le recensement de ces paramètres constitue, de fait, une approche indirecte du bien-être animal (Mounaix et al., 2013). Toutefois, il suppose que le paramètre mesuré ait un effet sur le bien-être de l'animal. Ces indicateurs sont généralement très signifiants pour les éleveurs (Dockes et al., 2007) et ils sont utilisés dans de nombreux outils d'évaluation car ils sont faciles à mesurer au sein de l'élevage (RMT Bien-être animal et systèmes d'élevage, 2012). Par ailleurs, certaines de ces informations sont disponibles directement sur les documents et les enregistrements d'élevage. Les tableaux 5 et 6 récapitulent les différents indicateurs de moyens qui ont déjà été utilisés.
Tableau 6. Description, condition de mesure, applicabilité et validité des principaux indicateurs liés aux interventions humaines applicables en ferme recensés dans la bibliographie, en fonction des espèces : poulet de chair, poule pondeuse et canard.
Indicateur, espèce |
Références |
Description |
Condition de mesure, validité |
---|---|---|---|
Formation
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Formation des personnes assurant |
- Documents d’élevage |
Surveillance,
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Les données collectées concernent |
- Documents |
Abattage
|
RMT BEASE, 2012 ; |
Procédure d’abattage d’urgence et/ou |
- Documents d’élevage |
Conclusion
Des attentes en matière de bien-être animal sont aujourd’hui clairement formulées par la société pour l’ensemble des filières animales, en lien avec l’évolution du regard porté sur les animaux et les conditions d’élevage. Celles-ci tendent à constituer de nouvelles normes sociales et commencent à être considérées sérieusement par le monde de l’élevage dans l’adaptation de ses pratiques, soumis aussi à l’impulsion des distributeurs. Dans ce paysage, la pratique du gavage apparaît comme une intervention sur les animaux particulièrement controversée, mais reste, en l’absence d’alternative viable, la seule façon de produire du foie gras, produit auquel restent attachés une majorité de français. Différentes études ont permis de faire la lumière sur l’impact du gavage au sens large (embucage, charge alimentaire, mode d’hébergement) sur les différentes dimensions du bien-être animal. Toutefois, aucune donnée n’est disponible concernant l’état des animaux dans les ateliers commerciaux et leur variabilité. Le développement d’une méthode d’évaluation adaptée aux animaux pendant la phase de gavage apparaît donc aujourd’hui nécessaire pour permettre une démarche de progrès. Celui-ci pourra bénéficier de ce qui a déjà été réalisé dans d’autres filières d’élevage : dans le choix du cadre conceptuel, mais également dans celui des indicateurs et de leurs conditions de mesure.
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Résumé
La pratique du gavage des palmipèdes consiste à introduire un tube (embuc) dans l’œsophage des animaux pour y déposer de l’aliment en quantité croissante afin de produire du foie gras. Cette pratique est remise en question et fortement contestée par des associations de protection animale et une partie de la société. En l’absence d’une alternative efficace, elle reste toutefois la seule façon de produire du foie gras à grande échelle, produit auquel reste attachée une majorité de français. Cette synthèse replace la production de foie gras au sein des questions sociétales autour du bien-être des animaux et fait le point sur les données scientifiques sur l’impact du gavage au sens large (introduction de l’embuc, charge alimentaire, mode d’hébergement) sur différents indicateurs de l’état de l’animal. Il apparaît ainsi notamment que i) le gavage et l’hypertrophie hépatique ne sont probablement pas nociceptifs en conditions normales de gavage ; ii) les animaux sont sensibles à la capture et à la contention ; iii) la fonction hépatique et la structure histologique sont préservées et l’hypertrophie hépatique est réversible ; iv) le gavage induit des modifications comportementales : augmentation de la fréquence d’abreuvement et de halètement sans apparition d’hypoxie ; diminution de la fréquence du toilettage ; v) ces comportements varient par ailleurs en fonction des conditions climatiques et de la configuration des logements ; vi) le gavage peut générer des blessures spécifiques (blessure de l’œsophage) lorsqu’il est mal réalisé et les conditions d’hébergement des animaux tendent à aggraver les lésions préexistantes (lésions des pattes) ; vii) la mortalité augmente pendant la période de gavage. Cet article synthétise aussi les connaissances et ressources disponibles pour mettre au point une méthode d’évaluation de l’état de l’animal, qui soit multicritère, adaptée aux palmipèdes pendant la phase de gavage et utilisable en ferme. Une telle évaluation permettrait d’objectiver l’état de confort ou d’inconfort des animaux et d’accompagner la filière de production de foie gras dans une démarche de progrès.
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