Extension spatio-temporelle du modèle chèvre INRA 2018 : 2. L'évolution de la dynamique des réserves, du poids vif et de la NEC sur un cycle productif
Chapeau
Comme pour les autres espèces de ruminants, le modèle INRA 2018 a permis de mettre à jour les principes de l'alimentation pour les chèvres. L'utilisation en pratique de ce nouveau modèle a nécessité aussi de préciser la dynamique des réserves énergétiques et des caractéristiques corporelles des chèvres au cours du cycle de production. Cet article vient compléter l'article de Sauvant et al. (2021) sur l'application du modèle INRA 2018 à l'alimentation en lots des chèvres.
Introduction
Les chèvres, comme les autres femelles d'élevage, suivent des cycles biologiques reproductifs pendant lesquels de nombreuses caractéristiques et états physiologiques évoluent. Classiquement, le cycle biologique se déroule sur une année, entre deux mises-bas, avec en moyenne : la lactation qui dure 300 jours, la fécondation qui s'effectue au 220ème jour de lactation et la gestation qui dure 150 jours. Ces valeurs varient principalement en fonction de la parité (Contrôle laitier caprin, 2015) et de la réussite de la reproduction. Outre la dynamique de la production de lait et de la croissance des fœtus, un phénomène dynamique important chez les chèvres laitières est la mobilisation des réserves corporelles autour de la mise bas, en particulier en début de lactation, entrainant ainsi un bilan énergétique apparent négatif, cette mobilisation des réserves devant être reconstituée par la suite. Cette dynamique, en particulier la mobilisation du début de lactation a été étudiée depuis plusieurs décennies (Morand-Fehr et Sauvant, 1978). Ce phénomène a pu être objectivé pour les lipides au niveau des teneurs en acides gras non estérifiées (AGNE) du plasma, de la composition en acides gras du lait et de certaines activités enzymatiques tissulaires (Chilliard et al., 1977 ; Sauvant et al., 1979). Cette mobilisation concerne non seulement les lipides mais également les protéines (Sauvant et al., 1986), en outre elle présente des implications en matière de pathologie de la nutrition (Sauvant et al., 1991). Il a aussi été montré que ce phénomène était influencé par les apports alimentaires d'énergie avant et après mise bas, ainsi que par l'ascendance paternelle (Sauvant et al., 1979). Dans une phase ultérieure des recherches, pour mieux quantifier et associer les phénomènes biologiques et les mesures du terrain, des études ont été entreprises sur les variations de la composition corporelle en relation avec la NEC (Schmidely et al., 1995). Elles ont permis d'établir une relation entre ces deux critères (cf. figure 10), confirmée récemment par Lerch et al. (2021). Le développement de la modélisation a ensuite permis l'intégration de ces différentes connaissances, avec par exemple le modèle de Puillet et al. (2008). Ce modèle simplifié de la nutrition de la chèvre laitière simule l'évolution coordonnée des cinétiques de production, d'ingestion et de variations des réserves énergétiques sur plusieurs lactations grâce à un noyau régulateur d'homéorhèse, ce modèle a ensuite été adapté pour modéliser le phénomène de lactation longue (Douhard et al., 2013).
Pour l'ouvrage INRA 2018 issu du projet « Systali », des nouvelles données sur le cycle productif ont été collectées et ont permis d'élaborer des équations empiriques décrivant la dynamique des processus de croissance, de production et de composition du lait, de gestation ainsi que celle de la variation des réserves (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018). Elles intègrent les effets de la parité, des niveaux de performance laitière et de la prolificité. Ces différentes cinétiques ont été élaborées de façon indépendante les unes des autres ; en revanche, elles n'avaient pas été intégrées au sein d'un modèle global cohérent alors qu'elles concernent un même individu et les différentes facettes d'un même phénomène. De plus, certains critères liés à ces aspects et utilisés sur le terrain comme la NEC ou le PVF (PVF correspondant au PV minimal atteint pendant un cycle productif) n'avaient pas été assez considérés dans les modèles de Puillet et al. (2008) et celui de INRA 2018.
Le but de cet article est donc de mettre en cohérence ces différents aspects dynamiques au cours d'un cycle productif et en fonction des principaux facteurs de variation évoqués ci-dessus. L'objectif est de pouvoir tracer des cinétiques de PV et de NEC prenant en compte les effets liés à la lactation, à la gestation, à la croissance et à l'évolution des contenus digestifs entre deux mises bas. Chacun de ces effets sera considéré séparément avant d'être combinés. Cet article complète celui consacré à l'alimentation en lots (Sauvant et al., 2021).
L'ensemble des démarches proposées est résumé à la figure 1 à laquelle il convient de revenir régulièrement en cours de lecture. Les sigles de ce diagramme sont définis au fur et à mesure et l’ensemble des abréviations utilisées dans cet article sont explicitées dans un glossaire présenté à l’encadré 1.
Figure 1. Résumé de l'ensemble des articulations entre les différents états physiologiques et les principaux calculs et équations présentés dans le texte.
Encadré 1. Glossaire.
AGNE : Acides gras non estérifiés du plasma
BilUFLth : Bilan énergétique théorique en UFL/j
CD%PV : Contenus digestifs en % du PV
CD/PVPOT : Variations des proportions des contenus digestifs/PV
ΔLIPtcr : Gains du poids de lipides liées à la croissance seule (kg)
ΔLIPgest : Variations du poids de lipides liées à la gestation (kg)
ΔPVF : variation du PV entre PVo et PVF (kg)
ΔPVmat : variation du PV de l'organisme maternel seul en gestation (kg)
ΔPVtcr : Variation du PV lié à la croissance (kg)
IΔPVVVPRI : variation du PVV (kg) en valeur absolue
ΔPVVmob : variation du PVV de la mobilisation en gestation (kg)
ΔPVVmat : variation du PVV de l'organisme maternel seul en gestation (kg)
LIP%PV : Lipides en % du PV
LIP%PV(L+Cr+G) : Lipides en % du PV le long du cycle de production
LIP%PVVtcr : Lipides en % du PVV lié à la croissance
LIP(L+Cr+G) : poids de lipides le long du cycle en kg
LIP%PV(L+Cr+G) : proportions de lipides le long du cycle en %PV
NBchev : Nombre de chevreaux mis bas
NEC : Note d'état corporel
NEC_st : Note d'état corporel au niveau du sternum
NEC_st(L+Cr+G) : Évolution de la NEC sternale le long du cycle de production
NEC_lomb : Note d'état corporel au niveau lombaire
NEC_lomb(L+Cr+G) : Évolution de la NEC lombaire le long du cycle de production
PAR : Parité
PLIPtcr : Poids de la masse lipidique en croissance (kg)
PLPOT : Production laitière potentielle pour une lactation (kg)
PLPotMax : Production laitière potentielle au pic de production (kg)
PV : Poids Vif en kg
PV(L+Cr+G) : Poids Vif aux différents états en kg
PVF : Poids Vif format en kg
PVo : Poids Vif initial à la mise bas en kg
PVgest : Poids vif en gestation en kg
PVtcr : Poids vif en croissance en kg
PVVtcr : Poids vif vide en croissance en kg
PVV : Poids vif vide en kg
PVVO : Poids vif vide initial à la mise bas en kg
PVVF : Poids vif vide format en kg
PVVgest : Poids vif vide en gestation en kg
UFL : Unité Fourragère Lait
UFL_VPRpot : Variations Potentielles des Réserves corporelles en UFL/j
UFL_VPRgest : Mobilisation Potentielle des Réserves corporelles en gestation en UFL/j
1. Modélisation de la dynamique des réserves pour simuler l'évolution pondérale pendant la lactation
L'objectif de cette partie est de mettre en cohérence les flux énergétiques associés à la dynamique des réserves et les évolutions pondérales liées à la lactation (hors croissance et gestation).
1.1. Calcul des paramètres de base de la dynamique des réserves énergétiques
La démarche débute par la modélisation des flux de mobilisation/accrétion des réserves énergétiques qui expliquent l'essentiel des variations pondérales des chèvres pendant la lactation. Dans le chapitre 21 d’INRA 2018 (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018) nous avons proposé des équations paramétrables (Eq. 21.19) de l'évolution de ces flux avec le critère
UFL_VPRpot = Mobilisation – Accrétion (une valeur positive de ce critère traduit donc une mobilisation d'énergie plus importante que l'accrétion) exprimé en unités d'énergie nette, c'est à dire en UFL/j. L'acronyme VPRpot signifie « variation potentielle des réserves ». Les paramètres influençant sont, outre le stade, le potentiel de production laitière brute au pic (PLPotMax) et la valeur de la NEC sternale à la mise bas (NEC_stmb):
UFL_VPRpot = - [A + B × (1 – exp(–C × tl))] [1]
avec:
A = – 0,630 – 0,1794 × (PLPotMax – 4,0) - 0,208 × (NEC_stmb – 3,0) [1a]
B = [0,699 + 0,196 × (PLPotMax – 4,0) + 0,0050 × (PLPotMax – 4,0)2]
+ 0,234 × (NEC_stmb – 3,0) [1b]
C = 0,0378 – 0,0050 × (PLMaxPot – 4,0) – 0,00385 × (NEC_stmb – 3,0) [1c]
Les valeurs des paramètres de ces trois équations, actualisées depuis 2018, ont été déterminées à partir de nombreuses cinétiques de productions et de bilans UFL observées en expérimentation avec des lots d'animaux correctement nourris et en supposant i) que les niveaux de mobilisation et d'accrétion cumulées s'équilibrent à un stade du cycle biologique qui dépend du potentiel (plus le potentiel est élevé, plus l’équilibre est atteint tardivement) et ii) que l'essentiel de ce cycle des réserves s'effectue au cours du cycle lactation-gestation considéré, au plus tard un mois avant la mise bas suivante. La figure 2 illustre cette cinétique et montre bien l'allure décroissante de la mobilisation des premières semaines telle qu'elle a souvent été évoquée plus haut à travers les évolutions pondérales et la teneur en AGNE du plasma ou en AG long de la matière grasse du lait. Dans la première partie de ce texte, le rôle de la NEC n'est pas intégré dans les calculs, on a donc considéré NEC_stmb = 3.
Figure 2. Évolution du critère UFL_VPRpot (en UFL/j) de la différence entre mobilisation et accrétion, en fonction du stade du cycle et du potentiel de production (cf. Eq. [1]).
Pour mémoire, ces trajectoires permettent d'introduire une nouvelle notion de bilan énergétique, le "Bilan UFL théorique" qui tient compte de ce phénomène avec la variable
UFL_VPRpot : BilUFLth = ApportsUFL - Besoins UFL + UFL_VPRpot [2]
La valeur de l'équilibre de ce bilan, BilUFLth = 0, est utilisée comme valeur pivot pour i) le calcul des besoins nutritionnels au potentiel de production tel qu'il a été défini dans le projet Systali et ii) prédire les réponses productives aux variations des apports de concentré, ou bien d'UFL et PDI (Sauvant et al., 2021). Ainsi, dans les calculs des rations, on considère que la mobilisation des réserves complète l'apport nutritionnel de la ration en UFL et en PDI (à raison de 33 g PDI/UFL de bilan UFL) alors que l'accrétion correspond à des besoins obligatoires à satisfaire (figure 2).
Par rapport à cela, la présente publication ne concerne que des animaux alimentés à leur potentiel de production, c'est-à-dire des animaux qui ne subissent pas de contraintes de leur environnement nutritionnel et expriment uniquement des régulations d'homéorhèse, les réponses des productions et des réserves aux variations d'apports ont été abordées dans le texte précédent (Sauvant et al., 2021).
1.2. Calcul des cinétiques des bilans énergétiques cumulés
Dans cette étape, les cinétiques de flux d'UFL_VPRpot (Équations [1a, b, c] ci-dessus) ont été cumulées dans le temps. Elles sont illustrées à la figure 3, sur quatre lactations successives (cette évolution est calculée indépendamment de la croissance et de la gestation). Ces cinétiques illustrent la forte influence des potentiels laitiers sur les valeurs des bilans cumulés et sur le stade du retour à l'équilibre énergétique cumulé. Elles n'intègrent pas d'effet spécifique de la parité, en dehors de celui bien connu sur la production potentielle qui peut être suivi sur la figure 3 (exemple trajectoire pour un potentiel de 700 kg en première lactation et de 900 kg de lait en deuxième lactation...).
Figure 3. Étude de la sensibilité du Bilan UFL cumulé au potentiel de production sur 300 j pour des potentiels variant de 500 à 1 300 kg de la première à la quatrième lactation.
1.3. Calcul des cinétiques de poids vif vide (PVV) liées à la lactation
Dans cette troisième partie de l'approche, les cinétiques des bilans UFL cumulés d'animaux nourris au potentiel sont transformées en cinétiques de PVV en appliquant les 2 hypothèses suivantes :
i) Les valeurs d’efficience moyenne de l'énergie métabolisable en énergie nette sont considérées comme fixe pour le lait (kls = 0,65, Eq. 6.11, INRA, 2018) et les réserves (ktg = 0,80) (cf. chapitre 6, d’INRA, 2018).
Avec ces hypothèses, il est possible de calculer l'énergie corporelle mobilisée-accumulée (Σ EN_VPRpot) au cours du cycle, en kcal de réserves, en transformant les valeurs d'une énergie lait en une énergie de réserves :
Σ EN_VPRpot (kcal/j) = Σ (UFL_VPRpot × 1760/kls) × ktg [3]
ii) La chèvre présente, à stade égal, une teneur en lipides du Poids Vif Vide (PVV) d'environ 6 points en % du PVV plus faible que les vaches laitières (Sauvant et al., 2018). L'équivalent énergétique des variations du PVV correspond à la valeur proposée par Sauvant et al. (2018) de 2.2 UFL, sur la base de 5 expériences publiées :
1 kg de variation de PVV équivaut à 433 g lipides et 137 g protéines qui équivaut à 4,82 Mcal EN soit 2,2 UFL.
En effet on a (4,82/0,8) x 0,65/1760x1000 = 2,2. Ces hypothèses moyennes permettent de convertir les variations d’énergie liées aux réserves corporelles en évolution des bilans pondéraux des réserves (IΔPVVVPRI, en kg de PVV/j) pendant les phases de mobilisation/accrétion.
IΔPVVVPRI = Σ EN_VPRpot (kcal/j)/4,82 [4]
Il est ainsi possible, à partir des cinétiques de bilan énergétiques cumulés, de quantifier l’évolution dans le temps du PVV correspondant aux variations des réserves, aux différents potentiels. Pour réaliser un ajustement statistique non linéaire et déduire les paramètres de l’équation du PVV en fonction du temps, chaque cinétique de PVV générée selon les relations ci-dessus (considérée en valeur absolue) a été bruitée avec un écart type de 0,2. L’ajustement a été réalisé avec un modèle exponentiel simple à 3 paramètres (a, b et c) et passant par l'origine au stade initial de la mise bas :
|ΔPVVVPR| = a × [exp(-b × t) - exp(-c × t)] [5]
La figure 4 donne, en exemple, l'allure des ajustements des cinétiques de PVV (|ΔPVVVPR|) pour PLpot 700 et 1 100 kg de lait (en 300 j). Les mêmes allures d'évolution s'observent pour les autres potentiels de production. La figure 4 montre que les ajustements permettent notamment de « lisser » les cinétiques de PVVVPR pour les phases de retour à la cinétique de base et permettent ainsi d'obtenir des cinétiques d'évolutions pondérales plus réalistes (cf. comparaison des allures des figures 3 et 4).
Figure 4. Exemples d'ajustement des cinétiques des réserves corporelles, exprimées en valeurs absolues (|ΔPVVVPR|), pour deux potentiels de production (700 et 1 100 kg).
La ligne Y = 5 kg a été tracée pour comparer les 2 figures.
Ensuite, les valeurs obtenues pour les paramètres a, b et c de l'équation [5] ont été ajustées en fonction du potentiel de production de la lactation sur 300 j (PLPOT/1000) :
a = 100 + 100 × PLPOT/1000 [5a]
b = 0,0115 + 0,0037 × exp(– 3,465 × (PLPOT/1000 - 0,9)) [5b]
c = 0,0135 + 0,00308 × exp(– 3,764 × (PLPOT/1000 - 0,9)) [5c]
Ces équations [5a], [5b] et [5c], permettent de calculer à partir de l'Eq. [5] les valeurs de ΔPVVVPR en fonction de PLPOT. Avec ces valeurs il devient également possible de calculer simplement le stade (tpf en jour de lactation) auquel le poids minimum (PVF= poids vif format, voir plus loin) est atteint pendant la lactation, et qui correspond à la valeur maximum de |ΔPVVVPR|, en tenant compte du potentiel de production :
tpf = (Ln b - Ln c) / (b-c) [6a]
On peut aussi en déduire simplement la chute maximale de poids depuis la mise bas, observée à t = tpf (jour de lactation du poids format) en remplaçant t (équation [5]) par tpf (Eq. [6a]) dans l'équation [6b].
ΔPVVVPRf = a × [exp (-b × tpf) - exp(-c × tpf)] [6b]
Le tableau 1 indique, à titre d'exemple, les valeurs de tpf et de la chute de PVV maximale qui s'accroissent à mesure des 5 potentiels de production. On constate au passage que l'accroissement des potentiels décale effectivement dans le temps le stade du minimum de PVV et amplifie largement la chute pondérale.
Tableau 1. Variations de différents paramètres, en fonction du potentiel de production du poids et de la croissance.
Potentiel |
tpf (j) |
|ΔPVVVPR| |
CD/PV (1) |
PVVF (2) |
PVF |
Croissance (3) |
---|---|---|---|---|---|---|
500 |
37 |
2,1 |
0,206 |
62,7 |
79,9 |
0,50 |
700 |
52 |
3,9 |
0,215 |
61,3 |
78,1 |
0,68 |
900 |
63 |
5,7 |
0,222 |
58,8 |
75,6 |
0,81 |
1100 |
70 |
8,6 |
0,228 |
56,1 |
72,7 |
0,90 |
1300 |
77 |
11,7 |
0,233 |
53,6 |
69,9 |
0,98 |
(1) : Contenus digestifs/PV, voir la partie 3.1.
(2) : PVV format pour une chèvre en 3e lactation pesant environ 65 kg de PVV à la mise bas (voir partie 3.6.).
(3) : Prise en compte de la croissance (cf. § 3.3).
Au passage la connaissance du PVVF et de la chute (ΔPVVVPR à tpf) permettent de calculer le PVV initial (PVV0) mesuré juste après la mise bas (cf. § 3.6.) :
PVV0 = PVVF - |ΔPVVVPRf| [6c]
On peut alors en déduire l'évolution du PVV dans le temps par les Eq. [5] et [6c] :
PVV = PVV0 - |ΔPVVVPR| = PVVo – [a × exp (-b × t) - exp(-c × t)] [6d]
Par exemple, la figure 5 ci-dessous montre les cinétiques d'évolution ainsi obtenues pour le PVV de chèvres en troisième lactation ayant un PVV0 = 65 kg et en fonction de son potentiel (sans tenir compte de la croissance et de la gestation, voir plus loin). Les lignes verticales repèrent les valeurs de tpf citées au tableau 1. Ces cinétiques ont une allure assez comparable à celles que Puillet et al. (2008) ont publiées, en particulier pour les amplitudes, cependant le décalage dans le temps de tpf et le retour aux valeurs initiales en fonction des potentiels y sont plus marqués dans notre approche qui s'appuie sur de nombreuses données observées.
Figure 5. Évolution simulée du poids vif vide d'une chèvre de gabarit moyen en troisième lactation en fonction de son potentiel (lié à la dynamique des réserves corporelles pendant la lactation ; la croissance et la gestation ne sont pas prises en compte).
Ainsi, pour la pratique il est possible en enchaînant les équations [6] et [5] d’estimer le PVV lié à la lactation à n’importe quel stade de lactation et à partir des deux informations que sont le potentiel de production et le poids format.
2. Modélisation de la dynamique des constituants corporels pendant la gestation
Étant donné l’importance de la gestation pendant un cycle productif, la dynamique des constituants corporels pendant cette étape doit être modélisée le mieux possible pour pouvoir connaître les évolutions de l'ensemble des réserves sur un cycle productif. La démarche appliquée à la gestation est résumée dans le diagramme présenté en figure 1. Pour la mettre en œuvre il a été nécessaire de compléter le modèle INRA 2018 sur les évolutions tissulaires des différents composants pendant la gestation : le fœtus, l’utérus gravide et l’organisme maternel. Dans cette approche deux principaux facteurs de variation sont pris en compte : le stade de gestation (tgest, jours) et la prolificité. Celle-ci correspond au paramètre NbChev = 1, 2 ou ≥ 3 chevreaux, ce qui équivaut à des poids moyens de portée de 4,6, 8,1 et 11,1 kg (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018). Une équation de prévision précise du poids de la portée en fonction de la race, de la parité et de la prolificité est disponible et peut être appliquée (cf. Eq. 21.23, Sauvant et Giger-Reverdin, 2018).
2.1. Cinétiques d'évolution du poids vif et du poids vif vide pendant la gestation
Les cinétiques moyennes d'évolution du poids vif (PVgest) pendant la gestation (organisme maternel + utérus gravide) sont calculées en utilisant l'Eq. 21.24 (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018). Dans la mesure où il s'agit toujours de variations pondérales repérées par rapport au stade initial 0 de la fécondation, tout ce qui concerne la gestation est exprimé dans ce texte en variation par rapport à ce stade, donc en valeurs de « delta » (ΔPVgest en kg). Par ailleurs, les temps sont aussi exprimés par rapport à la fécondation (tgest) qui a lieu pour le modèle en moyenne à 220 jours du cycle biologique :
ΔPVgest = a × 3,6 × [exp(0,0139 × tgest) - 1] [6e]
Le paramètre "a" est lié à la prolificité : a = 0,75, 1,0 et 1,2 pour NbChev = 1, 2, 3 et plus. Cette équation correspond à un modèle d'accumulation simple à un compartiment, avec une valeur initiale nulle lorsque tgest=0. À partir de cette équation [6], et de la contribution des contenus digestifs aux variations de PV en fonction du potentiel (CD/PVpot, cf. Eq. [13 a,b,c,d] présentées plus loin), on déduit l'évolution du poids vif vide liée à la gestation (ΔPVVgest):
ΔPVVgest = ΔPVgest × (1-CD / PVpot) [7]
Pour faciliter la suite de l'approche, grâce à des études par simulation, on propose de calculer directement les valeurs du ΔPVVgest en combinant les Eq. [6] et [7] ci-dessus au sein de l'équation simplifiée suivante :
ΔPVVgestcal = a × [exp(0,0142 × tgest) - 1] [8]
avec les valeurs de a = 2,118, 2,824 et 3,389 pour 1,2 et 3 chevreaux ou plus.
2.2. Cinétique pondérale de l'utérus gravide
Dans le modèle INRA 2018, les dépenses de gestation qui sont utilisées pour calculer les besoins ne concernent que l'utérus gravide (Fœtus + Utérus = F + U). En effet l'évolution de la mamelle est supposée être incluse à celle l'organisme maternel, comme chez toutes les femelles des ruminants d'élevage. En réalité, i) compte tenu du fait que les différents ensembles tissulaires de la femelle gestante n'ont pas la même composition et ii) vu que la note de NEC ne concerne que l'organisme maternel, il est nécessaire de chercher à distinguer l'ensemble fœtal F + U du reste de l'organisme. En utilisant les données de Castagnino de Souza et al. (2015) et de Härter et al. (2017), il est possible de calculer la cinétique de la dépense énergétique nette quotidienne liée spécifiquement à l'ensemble F + U, exprimée en kcal/j (cf. Eq. 21.26 corrigée, Sauvant et Giger-Reverdin, 2018).
Δ ENf+u = a × [exp(0,034 × tgest)-1] [9]
avec a = 1,8, 3,0 et 4,1 pour NbChev = 1, 2, et 3 ou plus. Les cinétiques obtenues sont présentées dans la figure 21.6 (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018). Cette équation correspond encore à un modèle d'accumulation simple à un compartiment, avec une valeur initiale nulle lorsque tgest=0. La fonction correspondant à l'Eq. [9] a ensuite été intégrée dans le temps (Σ(ΔENf+u)) pour calculer l'énergie accumulée dans l'ensemble F+U, exprimée en Mcal/j:
Σ (Δ ENf+u) = 0,001 × (a / 0,034) × [exp(0,034 × tgest) - 1] [9']
Les valeurs du paramètre "a" sont les mêmes que pour l'Eq. [9]. Dans la phase suivante, pour estimer la masse pondérale accumulée dans ces compartiments F+U, nous avons utilisé les données publiées par Härter et al. (2017) montrant l'existence d'une relation allométrique étroite chez les chèvres gestantes entre l'énergie accumulée dans les F+U et leur masse tissulaire correspondante (figure 6). Donc l'évolution du PVV de l'ensemble F+U (kg) peut être calculée selon l'équation suivante à partir de l'Eq. [9'] :
ΔPVVf+u = 2,78 × [ΣENF+U]0,706 [10]
Figure 6. Relation entre le poids et l'accumulation d'énergie dans l’utérus gravide (fœtus + annexes).
2.3. Cinétique pondérale de l'organisme maternel hors utérus gravide pendant la gestation
Dans le modèle INRA 2018 seule la mobilisation énergétique (et protéique) de l'organisme maternel en fin de gestation a été prise en compte. Pour gagner en précision dans la quantification de la gestation il est nécessaire de compléter cette donnée en intégrant la phase d'anabolisme qui intervient en début de gestation chez toutes les femelles de mammifère. Cet aspect n'avait pas été pris en compte de façon explicite dans le modèle INRA 2018 pour les différentes espèces. Pour appréhender ce phénomène on précisera d'abord la perte pondérale liée à cette mobilisation (ΔPVVmob) pour en déduire l'évolution du PVV de l'organisme maternel seul (ΔPVVmat) en la soustrayant à l'évolution du PVVgest (Eq. [8]) lui-même corrigé du poids des fœtus (Eq. [10]).
a. Calcul de la perte de ΔPVV lié à la mobilisation des réserves en fin de gestation
La mobilisation corporelle quotidienne d'énergie en fin de gestation (Eq. 21.28 corrigée, INRA 2018), exprimée en UFL, est représentée par l’équation suivante :
UFL_VPRgest = b × [exp(0,034 × tgest) -1] [11]
avec b = 0,0015, 0,0025 et 0,0040 pour NbChev = 1, 2, 3 et plus, ces coefficients ayant été actualisés. Cette équation correspond ici encore à un modèle d'accumulation simple à un compartiment, avec une valeur initiale nulle lorsque tgest = 0. Cette mobilisation énergétique est d'abord cumulée dans le temps :
ΣUFL_VPRgest = (b/0,034) × [exp(0,034 × tgest) -1] [11']
puis cette accumulation d'énergie est transformé en poids vif vide mobilisé (ΔPVVmob, kg) avec les hypothèses de composition de l'organisme maternel présentées dans la partie 1.3., soit 2,2 UFL/kg PVV, on obtient ainsi la cinétique du poids vif vide mobilisé, considéré avec un signe positif:
ΔPVVmob = (ΣUFL_VPRgest ) / 2,2 [11"]
b. Calcul de l'évolution du PVV maternel en gestation
Pour calculer de la façon la plus simple possible l’évolution pondérale de l’organisme maternel hors utérus gravide (ΔPVVmat) nous l'estimons par différence à partir du gain de PVV lié à la gestation (Eq. [8]) dont on soustrait l'ensemble F+U (Eq. [10]) et la partie mobilisée calculée ci-dessus (Eq. [11"]) :
ΔPVVmat = ΔPVVgestcal - ΔPVVF+U - ΔPVVmob [12a]
A partir de cette équation il est possible de calculer l'évolution du PV maternel en tenant compte des contenus digestifs (cf. Eq. [13c] ci-dessous).
ΔPVmat = ΔPVVmat / (1-CD / PVPOT) [12b]
Notons au passage que les besoins UFL et PDI associés à l'évolution pondérale ΔPVVmat n'ont pas été pris en compte dans les besoins de gestation INRA 2018 qui était donc un peu sous-estimés dans la première phase de la gestation.
A partir des équations [8], [10], [11"] et [12] ci-dessus il est possible de tracer les évolutions pondérales des différents compartiments corporels de la chèvre en gestation. Les figures 7a et 7b montrent les résultats obtenus pour les prolificités de 1 et 3 chevreaux. On constate par exemple qu'avec trois chevreaux le PVV de l'organisme maternel est plus faible à la mise bas qu'à la fécondation, ce qui n'est pas le cas pour un seul chevreau mis bas. Cette différence est la conséquence des niveaux différents de mobilisation liés à la prolificité.
Figure 7. Évolution pendant la gestation des poids des principaux compartiments corporels pour des prolificités de 1 chevreau (a) et 3 chevreaux (b). On suppose que la fécondation intervient à 220 jours du cycle.
3. Calcul des cinétiques de poids vif (PV) sur un cycle productif
Le principe de ce calcul est d'additionner les évolutions pondérales, calculées en PVV, liées à la croissance, la lactation et la gestation. Ensuite pour passer aux évolutions de PV il convient de prendre en compte l'évolution des contenus digestifs selon l'approche présentée ci-dessous.
3.1. La prise en compte des contenus digestifs
Compte tenu du faible nombre de données disponibles, cette question n'est pas simple à traiter et est toujours objet de débat, sachant que la période la plus difficile à cerner est celle de la fin de gestation et du début de lactation. Dans INRA (2018), il est proposé au chapitre 6 une équation commune aux vaches et chèvres d'évolution moyenne du PVV en %PV au cours des cycles (cf. Eq. 6.13.). Dans ce même chapitre 6 une autre Équation (Eq. 6.14.) statique a été proposée pour prédire les contenus digestifs à partir de leur facteur de variation le plus important qui est le niveau d'ingestion de parois végétales (NDF). Il n'est pas possible de tenir compte de cette dernière approche compte tenu du fait que la teneur en NDF des rations est un critère très variable d'un contexte à l'autre.
Pour tenter de mieux cerner la question de l'évolution des contenus digestifs en phase descendante de la lactation, nous sommes retournés dans la littérature en rassemblant des données de contenus digestifs en % du poids vif (CD%PV). Nous avons ajusté un ensemble de 79 données de CD%PV issues de 15 expériences sur vaches et chèvres. Il n'y a pas de différence entre les deux espèces et l'équation moyenne intra-expérience obtenue est :
CD%PV = 23,83 × exp(-0,00096 × t) - 5,58 × exp(-0,02316 × t) [13a]
(n = 79, nexp = 15, RMSE = 1,24)
Cette approche actualise le calcul avec l'Eq. 6.13. (INRA, 2018). Avec cette équation [13a], lorsqu'on est au stade initial (t=0) on a CD%PVt0 = 18,25 %, valeur très proche du 17,3 % de l'équation 6.13 (INRA, 2018). La figure 8 montre l'allure de l’évolution non linéaire du critère CD%PV au cours de cycle ; cette évolution suit globalement et de façon logique celle de l'ingestion.
Figure 8. Évolution au cours d'un cycle (X=0 est le jour de la mise bas) de la proportion moyenne des contenus digestifs.
Cette relation [13a] permet de calculer la proportion moyenne des CD à tous les stades du cycle biologique. Pour pouvoir tenir compte en plus de l'influence des niveaux d'ingestion (et de production) sur la capacité d'encombrement du tube digestif, et sachant que les données de base ont été obtenues sur des animaux peu productifs, il a été décidé, sur la base des quelques données disponibles chez des vaches laitières, de multiplier l'équation [13a] par le paramètre suivant α = 1/1,025/1,05/1,075 et 1,1 pour les PLpot de 500/700/900/1 100 et 1 300 kg respectivement. On a donc :
α = 1,05 + 0,125 (PLpot / 1000 - 0,9) [13b]
à appliquer dans l'équation :
CD/PVPOT = α × CD%PV / 100 [13c]
Cette équation [13c] permet d'obtenir des estimations plus précises des CD dès lors que l'on connaît le stade dans le cycle et le potentiel de production. Par exemple, le tableau 1 indique les valeurs calculées de CD/PVPOT correspondantes aux différents temps du minimum tpf et les potentiels indiqués. La figure 9 montre les valeurs simulées de la proportion des contenus digestifs en fonction du stade et des cinq potentiels de production (500, 700, 900, 1100 et 1300 kg).
Figure 9. Simulation de l'évolution au cours d'un cycle de la proportion des contenus digestifs en fonction du stade et du potentiel de production.
3.2. L'évolution du poids vif liée à la lactation
Avec l'équation [13c], il est possible de calculer des cinétiques de PV uniquement lié à la lactation (sans indice de temps pour simplifier) à partir de celles du PVV calculées plus haut (cf Équations [6a à 6d]) et des contenus digestifs :
PV = PVV / (1-CD / PVPOT) [14]
Cette équation [14] peut être appliquée dans les deux sens (voir plus loin), elle s'applique également aux valeurs initiales (PV0 et PVV0) ainsi qu'aux valeurs de PVF et PVVF (tableau 1). Par exemple, si on considère des animaux en 3e lactation on a PVV0 = 65 kg et PV0 = 80 kg environ. Le tableau 1 indique les valeurs de PVVF et PVF au stade du poids format, indépendamment de la croissance. On dispose donc ainsi de tous les éléments pour calculer une cinétique de PV en connaissant le potentiel de production et le poids format d'un animal moyen.
3.3. La prise en compte de la croissance
Il est nécessaire de tenir compte de la croissance, non seulement pour les primipares mais également pour les animaux en deuxième et troisième lactation au moins, pour pouvoir être assez précis. Les cinétiques d'évolution du PV liées à la croissance (PVtcr) ont été calculées selon le modèle INRA 2018 en considérant une moyenne des chèvres Alpines et Saanen pour l'Eq. 21.33 (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018) impliquant le PV adulte arrondi (PVad = 75 kg et 95 kg respectivement, moyenne 85 kg), un taux fractionnaire de croissance (A=0,00259, S=0,00213, moyenne=0,00235), et l'âge depuis la naissance (Âge, jours) :
PVtcr = 4 + PVad × (1 - exp(-0,00235 × Agej)) [15a]
La constante 4 de cette équation est une estimation moyenne entre races du PV à la naissance, elle peut également être modulée. Cette équation [15a] correspond à un modèle simple à deux compartiments. Elle permet de calculer les PV0 théorique (PV0th) en début de lactation à partir de la parité (ex. 365 j en première mise bas, 730 j en deuxième mise bas…) et du PVad (85 kg par exemple). On en déduit le « delta » de croissance pondérale au cours du cycle de production de 365 j considéré :
ΔPVtcr = [4 + PVad x (1 - exp(-0,00235 × Agej))] - PV0th [15b]
Les cinétiques obtenues avec cette Eq. [15b] au sein des différents cycles biologiques doivent être ajoutées à celle du PV liée à la lactation (Eq. 14). Cette addition suppose au passage qu'il n'y a pas d'interaction explicite entre la fonction de croissance et la lactation et la gestation respectivement.
PV(L+Cr) = PV + ΔPVtcr [16]
Le tableau 1 indique à titre d'exemple le gain de poids à intégrer entre les stades de la mise bas et de tpf. Avec ces calculs on obtient les cinétiques suivantes, par exemple pour les chèvres en 2e lactation (figure 10a) selon 4 potentiels (700, 900, 1 100 et 1 300 kg en 300 j), sachant que pour cette figure 10a la gestation a aussi été considérée (voir ci-dessous).
3.4. La prise en compte de la gestation
L'ensemble de l'approche liée à la gestation est présenté dans la partie 2 de ce texte. La variation pondérale maternelle est indiquée en Eq. [6], elle s'ajoute donc à l'Eq. [16] ci-dessus :
PV (L+Cr+G) = PV + ΔPVtcr + ΔPVgest [17]
Par ailleurs, pour évaluer la cinétique pondérale de l'organisme maternel seul, il convient de ne pas prendre en compte l'ensemble fœtal comme dans l'Eq. [17], mais l'évolution de l'organisme maternel seul (cf. Eq. [12b]) selon l'équation suivante :
PV (L+Cr+G)mat = PV + ΔPVtcr + ΔPVmat [18]
3.5. Calcul des dynamiques pondérales globales
Les différentes relations présentées permettent de calculer, en intégrant l’ensemble des fonctions (lactation, croissance et gestation), la cinétique du poids de l'animal entier par l'Eq. [17] ainsi que de l'organisme maternel seul (Eq. 18) comme cela apparait dans les figures 10a et 10b. Ces figures concernent l'évolution comparée du PV entre des chèvres en première et en deuxième lactation, on y voit nettement la différence liée à la croissance.
Figure 10. Évolution du poids vif de la chèvre moyenne en première (a) et en deuxième (b) lactation, portant deux chevreaux en fonction de son potentiel de production, de sa croissance et de sa gestation.
Pour la gestation figurent le poids total (pointillé) et le poids de l'organisme maternel.
3.6. Application au modèle de prévision du poids à la mise bas à partir du « poids vif format »
Dans le chapitre 21 consacré aux caprins (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018), le modèle générique suivant, à trois composantes, a été proposé pour calculer PV à tous les stades :
PV = PVF + (PV0 – PVF) × exp(– a × t) + exp(b × (t – t0)) [19]
Dans cette équation t, le stade de lactation, est en jours, le PV à un stade donné dépend du poids format (PVF) ainsi que du PV0 initial (aussitôt après mise bas). Les paramètres PVF, PV0, a, b et t0 varient selon la race (Alpine ou Saanen) et deux niveaux de parité (cf. tableau 21.4 du chapitre 21 d’INRA, 2018). Avec ces propositions, la connaissance de PVF permet d'estimer simplement PV à n'importe quel stade en appliquant à l'Eq. [19] les valeurs de ΔPVF = PV0 - PVF de 3,3 et 4,6 kg pour des chèvres en première lactation (Alpine et Saanen respectivement) ou 6,2 et 8,4 kg en deuxième lactation ou plus (Alpine et Saanen respectivement). Les principales limites de cette approche étaient liées au fait qu'elles n'intègrent pas les variations du potentiel de production qui jouent sur la cinétique de PV.
Pour être plus précis nous avons donc cherché à tirer profit des parties 1, 2 et 3 ci-dessus qui permettent de calculer [PVF = f(PV0)] à travers une approche de type « ingénierie reverse » pour prédire le poids initial à la mise bas PV0 à partir du PVF. Le but est donc, à partir d'un ensemble de simulations, d'avoir une prédiction [PV0=f(PVF)] simple, directe et assez précise pour pouvoir être appliquée en élevage puisque le PVF est un critère d'entrée et que PV0 est difficile à mesurer ou estimer en pratique.
Pour cela nous avons simulé, à travers la démarche décrite aux parties 1, 2 et 3, un ensemble de 20 valeurs de PV0 et PVF pour 4 parités (1/2/3/4) et 5 potentiels de production (500/700/900/1100/1300 kg lait). La figure 11a montre les variations observées de la différences ΔPVF=PV0-PVF en fonction du potentiel de production et de la parité. La relation n'est pas linéaire et logiquement la chute de poids s'accroit avec le potentiel et la parité. Ces données ont été ajustées par une fonction exponentielle pour tenir compte de l'influence non linéaire du potentiel (POT1000, exprimé en 1000kg) :
ΔPVF = a × exp(0,216 × (POT1000 - 4)) - 1 [20]
Dans cette équation [20] le coefficient "a" dépend de la parité selon une fonction décroissante à l'allure logique compte tenu du fait que la croissance diminue d'une lactation à l'autre (figure 11b).
a = 0,767 + 1,221 × (1 - exp(-0,619 × PAR)) [21]
Figure 11. Influences du potentiel de production sur la chute de poids après mise bas (a) et de la parité sur la variation du coefficient "a" (b) (Eq. 21).
Cette modélisation en deux étapes a été appliquée au jeu des données initiales pour avoir une idée de sa précision potentielle, il apparait que le biais maximum observé est de 0,5 kg de PV. La méthode proposée permet donc de prédire de façon simple à partir des deux équations [20] et [21] le PV aussitôt après la mise bas en fonction du poids format en tenant compte des principaux facteurs de variation : le potentiel et la parité. Une fois le PV0 à la mise bas ainsi connu il est possible de dérouler l'ensemble des calculs sur l'évolution des poids, des réserves de la NEC etc. Il convient de rappeler que ces données concernent des animaux nourris de façon à exprimer leur potentiel de production.
4. Calcul et prise en compte de l'évolution de la note d’état corporel (NEC)
4.1. Rappel des relations de base entre la NEC et les lipides corporels
La NEC est utilisée pour piloter l'alimentation des chèvres laitières et également des chèvres à viande (Ghosh et al., 2019). Dans le projet Systali nous avons utilisé une relation générale obtenue à l'UMR MoSAR, suite à des abattages et dissections (Morand-Fehr et al., 1991), entre la NEC sternale (NEC_st) et la teneur en lipides de l'organisme (LIP%PV, Eq. 21.18 d'INRA, 2018).
(LIP%PV - 12.5) = 6.21 × (NEC_st - 3) [22]
Le bien-fondé de cette équation, en particulier sa pente a été confirmé récemment par Lerch et al. (2021), les deux ensembles de données sont présentées dans la figure 12. La pente n'est pas différente entre les deux approches et nous avons donc conservé l'Eq. [22] pour les calculs qui suivent.
Figure 12. Relations entre la note de NEC sternale et le pourcentage de lipides corporels chez la chèvre, comparaison entre les résultats intégrés dans INRA (2018) et de Lerch et al. (2021).
4.2. Relations entre les notes de NEC sternales et lombaires.
Comme c'est la note lombaire qui est la plus utilisée sur le terrain, nous avions suggéré dans INRA (2018) d'appliquer une relation générale moyenne souvent admise :
NEC_lomb = NEC_st – 0,5
Cette relation a pu être précisée grâce à un ensemble de 553 mesures effectuées sur le site du Pradel (Lefrileux et al., non publié) avec des données de mesures simultanées de NEC st (3,24±0,01), de NEC_lomb (2,64±0,01), de PV (68,6±0,5 kg), de la parité (PAR=0,777±0,017), des nombres de foetus mis bas (NBchev=1,86±0,03) et de poids de chevreaux mis bas (Pchev=8,3±0,011 kg):
NEC_lomb = 1,363 + 0,465 × NEC_st - 0,079 × NBchev - 0,098 × PAR [23a]
(n = 553, R² = 0,43, ETR = 0,20)
Sur ces mêmes données on obtient la relation globale suivante :
(NEC_lomb - 2,5) = 0,55 × (NEC_st - 3) [23b]
(n = 553, R = 0,5, ETR = 0,22)
Les coefficients de NEC_st ne sont pas significativement différents entre les équations [23a] et [23b]. Les valeurs des NEC_lomb sont moins étendues que celles des NEC_st (figure 13a). En conséquence le « poids énergétique » des NEC_lomb est presque deux fois plus important que celui des NEC_st, (voir ci-dessous) ce qui nécessite d'être le plus précis possible sur l'évaluation des NEC_lomb et l'intérêt de l'équation [23a]. Sur un nombre bien plus important de données de la ferme expérimentale caprine du Pradel (Mirabel, France) (n = 21 668), Puillet et al. (non publié) ont obtenu un coefficient de pente très proche (0,568) et un ETR comparable. Par ailleurs, lorsque l'on considère un ensemble de 2399 données de NEC_st (3,58 ± 0,01) et NEC_lomb (2,51 ± 0,01) de l'élevage de Grignon de l'Unité MoSAR, il y a un écart systématique de 0,215 en faveur du Pradel pour les NEC_lomb, à NEC_st égale (figure 13b). Cependant les régressions NEC_lomb = f(NEC_st) sont parallèles entre les données du Pradel et de Grignon.
Figure 13. Relation moyenne entre les NEC_lomb et NEC_st au Pradel (a) et comparaison des relations établies à partir des données du Pradel et de Grignon (b).
Des équations [22] et [23b] on peut déduire la prédiction moyenne de la teneur en lipides du corps en fonction de NEC_lomb :
(LIP%PV - 12,5) = 11,29 × (NEC_lomb - 2,5) [24a]
Le coefficient de 11,29 (Eq. 24a) par rapport à 6,21 (Eq. 22) confirme le poids énergétique plus important des variations de NEC_lomb que de celles de NEC_st. Si 1 point de NEC_st équivaut à 22,5 UFL (soit 4,43 kg de réserves lipidiques), on en déduit que 1 point de NEC_lomb <=> 40,9 UFL (soit 8,05 kg de réserves lipidiques). La relation inverse de prévision de la NEC_lomb autour du pivot [(LIP%PV - 12,5), (NEC_lomb - 2,5)] est :
(NEC_lomb - 2,5) = 0,0886 × (LIP%PV - 12,5) [24b]
4.3. Calculs de la cinétique de la NEC pour la phase de lactation seule
Avec ces différentes équations de base, il est possible de simuler les évolutions de la NEC lombaire en fonction du stade de la lactation et du potentiel de production, en supposant, comme ci-dessus, que les animaux sont nourris à leur potentiel.
4.4. Prise en compte de la croissance pour le calcul de la NEC
La prise en compte de la croissance se fait à partir de la fonction de croissance présentée plus haut à l’équation 16 [Eq. 16].
Pour évaluer l'évolution de la NEC on doit aussi calculer la croissance moyenne de la masse lipidique au cours du cycle considéré en fonction de la parité à partir de l'Eq. (21.35b) (INRA, 2018) pour prévoir le % Lipides au cours de la croissance, indépendamment de la lactation et de la gestation :
LIP%PVVtcr = 1,45 × [15,7 - 14,7 × (exp (-0,0599 × PVVtcr)] [25]
Sachant qu'on a selon l'Eq. 21.34 (INRA, 2018) une relation étroite entre PVV et PV :
PVVtcr = -1,94 + 0,907 × PVtcr [26]
On déduit des Eq. 25 et 26 la croissance pondérale de la fraction lipidique (en kg) :
PLIPtcr = 0,01 × LIP%PVVtcr × PVVtcr [27]
Au stade initial de la mise bas on calcule PLipcr0 à partir du du PVV0 théorique de la courbe de croissance (PVV0th), lui-même calculé à partir de PV0th et de l'Eq. [15b]. Pour un cycle donné on peut donc calculer le gain lipidique lié à la croissance seule (en kg) à partir de la mise bas :
ΔLIPtcr = PLIPtcr - PLIPtcr0 [28]
Cette expression est à ajouter à la variation corporelle des lipides liée aux phases de mobilisation/anabolisme de la lactation (Eq.11c). Pour les lipides corporels en kg on ajoute ceux de la croissance (Eq.8f) à ceux de la lactation (Eq.11c)
LIP(L+Cr) = LIPL + ΔLIPtcr [29]
4.5. Prise en compte de la gestation pour le calcul de la NEC
La prise en compte de la gestation s'effectue à l'aide de la démarche présentée plus haut en en intégrant l'évolution du PVV et des lipides de l'organisme maternel :
LIP(L+Cr+G) = LIP(L+Cr) + ΔLIPgest [30]
Rappelons que pour les calculs de NEC on ne tient pas compte de l'évolution de l'utérus gravide sinon on aurait un accroissement de la NEC en fin de gestation ce qui ne s'observe pas dans la réalité (voir ci-dessous). En effet, la NEC décroît au cours des dernières semaines de la gestation, de façon proportionnelle à l'évolution du PVV maternel présenté partie 2 (figures 6a et b). Cette baisse de la NEC en seconde partie de gestation a été notamment observée en pratique dans les travaux de l'UMR MoSAR grâce à une succession de mesures fréquentes dans le cadre du travail Laporte-Broux et al. (2011).
4.6. Calcul de la cinétique globale de la NEC
Comme on dispose des évolutions du PV et des lipides corporels cumulées sur les 3 processus de lactation, croissance et gestation il est possible d'en déduire d'abord l'évolution de la proportion de lipides en % du PV (en excluant l'ensemble fœtal)
LIP%PV(L+Cr+G) = 100 × LIP(L+Cr+G) / PVt(L+Cr+Gmat) [31]
puis l'évolution des NEC
NEC_st(L+Cr+G) = 3 + 0,161 × (LIP%PV(L+Cr+G) - 12,5) [32]
NEC_lomb(L+Cr+G) = 2,5 + 0,55 × (NEC_st - 3) [33]
La figure 14 montre les évolutions moyennes de NEC_lomb pour une chèvre en troisième lactation de 80 kg PV juste après la mise bas (soit environ 65 kg de PVV) possédant 10 kg de réserves lipidiques une NEC_lomb=2,5 et une NEC_st = 3. Cette figure 14 permet de comparer les cinétiques simulées aux valeurs indicatives proposées dans les fiches Casdar-Syscare, on constate logiquement que les animaux à fort potentiel ont tendance à présenter des NEC plus faibles que les références, en particulier à 100 jours.
Figure 14. Évolution simulée de la NEC_lomb en fonction du stade du cycle et du potentiel de production (500, 700, 900, 1 100, 1 300 kg en 300 j) en tenant compte de croissance et de la gestation et en supposant NEC_lombmb = 2,6.
Les barres verticales indiquent les zones « plausibles » de variations de NEC selon les fiches Casdar-Syscare.
Comme autre exemple la figure 15 montre les évolutions de la NEC_sternale chez des chèvres alpines en première lactation présentant une NEC = 3 aussitôt après la mise bas.
Figure 15. Évolution simulée de la NEC_sternale chez des chèvres en première lactation en fonction du stade et du potentiel de production (du haut en bas : 500, 700, 900, 1 100, 1 300 kg/300 j en tenant compte de croissance et de la gestation et en supposant NEC_st_mb = 3,0).
Par ailleurs, la figure 16 montre, qu'à potentiel égal, les variations en amplitude de NEC_sternale sont plus importantes que celles des NEC_lomb. Ce phénomène est logique compte tenu de ce qui a été indiqué plus haut.
Figure 16. Comparaison des évolutions simulées des NEC_sternale et NEC_lomb pour des chèvres de 900 kg de potentiel de production en deuxième lactation.
Pour servir de repère pratique ces évolutions peuvent être résumées sur une base mensuelle en fonction du potentiel. Le tableau 2 permet de connaître les évolutions normales de NEC_st en fonction du mois de lactation et du potentiel de production. Par exemple, une chèvre de potentiel 1 100 kg lait en 300 j aura une chute de NEC_st de 0,2 point environ au cours du second mois de lactation, sur les 3 premiers mois elle perdra normalement 0,86 point de NEC.
Confrontées à la réalité ces données peuvent servir de repère et peut être aider à un diagnostic d'élevage. Ultérieurement, ces données pourront servir de base de grilles d'évaluation de la NEC par imagerie 3D (Huau et al., 2020).
Tableau 2. Evolution mensuelle moyenne normale des NEC sternales (prises en exemple) en fonction du potentiel laitier.
Mois/Potentiel |
500 |
700 |
900 |
1100 |
1300 |
---|---|---|---|---|---|
1 |
– 0,223 |
– 0,334 |
– 0,502 |
– 0,677 |
– 0,834 |
2 |
0,027 |
– 0,034 |
– 0,116 |
– 0,203 |
– 0,278 |
3 |
0,068 |
0,064 |
0,048 |
0,023 |
0,001 |
4 |
0,054 |
0,081 |
0,103 |
0,115 |
0,124 |
5 |
0,035 |
0,070 |
0,109 |
0,140 |
0,166 |
6 |
0,020 |
0,053 |
0,095 |
0,134 |
0,166 |
7 |
0,011 |
0,037 |
0,076 |
0,114 |
0,147 |
8 |
0,006 |
0,025 |
0,057 |
0,092 |
0,123 |
9 |
0,003 |
0,016 |
0,042 |
0,072 |
0,099 |
10 |
0,002 |
0,010 |
0,031 |
0,055 |
0,078 |
Discussion et conclusion
La démarche présentée dans cet article montre qu’il est possible d’utiliser des équations (énergétiques principalement) du modèle INRA 2018 pour prédire les cinétiques de production, de poids vif et de NEC d’une chèvre laitière à l’échelle d’un cycle productif, en prenant en compte les effets liés à la lactation, à la gestation, à la croissance et à l’évolution des contenus digestifs entre deux misesbas. Cette démarche originale s’appuie au maximum sur des données expérimentales et intègre des variables faisant sens sur le terrain (poids format et NEC) pour permettre de se rapprocher au mieux de la réalité, dans l’état actuel des connaissances. Cette démarche a permis d’évaluer la cohérence satisfaisante des différentes équations dynamiques du modèle INRA 2018 (Sauvant et Giger-Reverdin, 2018) et a également montré qu’il était nécessaire de le compléter sur deux principaux points :
i) la cinétique des contenus digestifs en fonction du stade et du potentiel de production,
ii) l'anabolisme de gestation qui se met en place dans la première phase de cet état avant que la mobilisation des réserves maternelles ne devienne dominante. Cet anabolisme dépend de la prolificité et ce point amène à revisiter le calcul des besoins de gestation qui est un peu plus élevé qu'initialement prévu au cours des trois premiers mois de gestation.
Par ailleurs, les cinétiques de poids vif et de NEC sont modulées par le potentiel de production laitière (via la variation de l’utilisation des réserves pendant la lactation), par la parité (via l’impact de la croissance) et la prolificité (via l’impact de la gestation). Il est ainsi possible de représenter de façon dynamique une bonne partie de la variabilité entre les animaux, avec des facteurs de variation accessibles sur le terrain (production laitière, prolificité). Le faisceau de trajectoires moyennes proposé dans ce travail constitue un support intéressant pour l’élaboration du rationnement en lot, où l’éleveur choisit un animal cible, qui évolue selon son potentiel comme c'est le cas dans ce travail. Les cinétiques présentées ici ont ainsi été choisies pour le développement de l’outil INRAtion®V5 - Rumin’Al afin de fournir à l’utilisateur une tendance pour apprécier l’évolution moyenne de son lot d’animaux, sur la base de son animal cible. Il convient de garder à l'esprit que, les cinétiques proposées supposent de connaître de façon assez précise sur le terrain certains paramètres comme le « poids format » et la NEC à la mise bas etc. Or ces données ne sont que très partiellement connues, ou connues avec assez peu de précision. Donc même si le modèle est cohérent il devra être validé par les éleveurs et techniciens utilisateurs. Ils seront alors à même de juger de la cohérence entre ces données observées et leurs hypothèses sur les données non connues nécessaires aux calculs des bilans nutritionnels. Une autre piste pour valider les bases conceptuelles du modèle proposé ici serait de tester la démarche de calcul pour la brebis laitière. En effet, l’intérêt de cette espèce est de présenter un potentiel laitier moindre et une prolificité plus élevée avec par conséquent des profils de mobilisation et de reconstitution des réserves différents de ceux de la chèvre laitière.
Les simplifications nécessaires pour aboutir à un modèle « moyen », facilement utilisable pour le terrain impliquent nécessairement un certain nombre de limites, principalement autour de l’intégration des facteurs à l’origine de la variabilité individuelle des chèvres, ainsi :
i) Les cinétiques sont prédites pour un cycle productif, entre deux mises-bas, avec des stades bien définis (fécondation à 220 jours de lactation par exemple). La démarche n’a pas pris en compte la variabilité des durées des états physiologiques, liée aux performances de reproduction (par exemple échec à l’insémination artificielle et fécondation sur les retours) et à leur gestion (conduite en lactation longue par exemple). Cette prise en compte ne pourra se faire que lorsque les conséquences de ces variations de durées sur les critères considérés (production, évolution des réserves...) auront été quantifiées et modélisées.
ii) L’intégration de la croissance, et des possibilités de son paramétrage, permet, dans une certaine mesure, la prise en compte de l’effet de la parité sur les cinétiques de poids vif et de NEC. Cependant, cet effet demeure isolé dans le sens où les cycles de production successifs restent dans la trajectoire des potentiels et n’interagissent pas entre eux. Par exemple, la trajectoire de poids vif d’une primipare mal nourrie n'est pas prévisible avec ce modèle ainsi que son arrière-effet sur sa trajectoire en deuxième lactation.
iii) Plus globalement, la représentation centrée sur un cycle productif adoptée dans la démarche conduit à négliger un certain nombre d’interactions entre les stades physiologiques. Par exemple, dans ce modèle, les variations de la prolificité influencent effectivement les phases d'anabolisme et de mobilisation énergétique de la gestation, en revanche elles n’affectent pas la croissance pendant cette même gestation, ni la production laitière pendant la lactation suivante, or on sait que ce facteur existe. Toutefois, par le biais de la NEC à la mise bas, le modèle reflète bien que la prolificité puisse affecter concrètement la dynamique des réserves au cours de la lactation suivante.
iv) Dans le présent modèle, comme dans celui de Puillet et al. (2008), la forme de courbe de lactation prise en compte correspond à la forme « classique » la plus fréquemment observée. Or Arnal et al. (2018) ont montré en traitant des milliers de données de courbes de production du contrôle laitier caprin que des formes non « classiques » représentaient une part non négligeable des courbes de lactation. Il importe donc de pouvoir préciser les types de trajectoires de l'ingestion et des réserves à associer à ces courbes de lactation. Par ailleurs, le nombre de chèvres conduites en lactation longue est de plus en plus important en France. Un premier travail a permis d'avoir une bonne idée des trajectoires des chèvres en lactation longue (Douhard et al., 2013) et il conviendrait de pouvoir préciser les choses en intégrant en particulier les lactations longues observées lors du contrôle laitier caprin comme cela a été déjà initié (De Crémoux et al., 2020).
v) Enfin, le présent modèle, comme celui de Puillet et al. (2018), n'intègre pas les phénomènes d'adaptation autour de la réalisation du potentiel comme ça a été réalisé à travers les réponses aux pratiques alimentaires (niveaux d'apports de concentré, d'UFL et de PDI autour du pivot, chapitre 6, INRA, 2018). La prise en compte de ces réponses qui sont mesurées à court et moyen terme (3 à 10 semaines en général) devra chercher à prendre en compte des phénomènes d'habituation, ou de rétroaction, ou d'interactions encore non connues entre les pratiques alimentaires et les différents statuts physiologiques. Par exemple, la prédiction de la Capacité d'Ingestion (CI) actuelle (cf. Eq. 21.46 du chapitre 21, INRA, 2018) ne tient pas compte d'une relation négative entre la CI et l'état des réserves, évaluée par la NEC comme cela existe déjà pour les vaches laitières (Faverdin et al., 2018), or on sait depuis longtemps que les chèvres les plus grasses ingèrent moins et réciproquement (Chilliard, 1985). Sur ces aspects, un modèle mécaniste intégrant les relations NEC-engraissement corporel (cf. Eq. 22) et apte à simuler plusieurs lactations successives devrait permettre d'établir une relation négative entre la CI et la NEC qui soit utilisable en pratique. Cet aspect est essentiel si on a l'ambition de mettre en place des stratégies alimentaires réalistes à long terme. Par ailleurs, le modèle proposé n'intègre pas d'autres perturbations environnementales que celles évoquées ci-dessus, par exemple les situations de stress thermique ne sont pas prises en compte, il en est de même pour l'influence de la photopériode, qui a été démontrée (Chilliard et Bocquier, 2000), et de la saison de mise bas dont on connaît les effets sur la courbe de lactation.
Les limites évoquées ci-dessus ouvrent des perspectives intéressantes pour faire progresser les connaissances sur l'évolution des trajectoires individuelles des chèvres laitières. Une première perspective de ce travail est l'intégration des équations proposées dans des modèles mécanistes existants, à l'échelle de l'animal entier (Puillet et al., 2008 ; Martin et Sauvant, 2010 ; Daniel et al., 2017). Ce type de modèles intègre la partition de l'énergie entre les fonctions biologiques et la coordination de cette partition en fonction des stades physiologiques. Ainsi, il serait possible de mieux simuler les interactions entre stades, au cours des cycles de production successifs. En retour, la démarche proposée ici permettra d'actualiser ces modèles sur les bases biologiques spécifiques à la nutrition de la chèvre laitière.
Une deuxième perspective de ce travail est la valorisation des données issues du phénotypage. Les progrès réalisés dans l'automatisation de la collecte de données en élevage permettent d'accéder à des données plus fréquentes et sur un plus grand nombre d'individus. Des travaux en cours (Huau et al., 2020) ouvrent également la voie à une estimation de la NEC de façon automatique. Ces séries temporelles phénotypiques peuvent être utilisées dans des modèles d'interprétation (par exemple, PV : (Puillet et al., 2010a ; Puillet et Martin, 2017 ; NEC : Macé et al., 2020) pour produire des indicateurs synthétiques, résumant la trajectoire productive à long terme de la chèvre. Ces indicateurs, issues de dynamiques réelles observées en élevage, peuvent être combinés avec les dynamiques de PV et de NEC prédites par les approches nutritionnelles, pour mieux comprendre le déroulement de la carrière d'une chèvre laitière au cours des cycles productifs, en fonction de son environnement alimentaire et des facteurs de variation individuels comme le potentiel laitier ou la prolificité. Ce type d'approche, combinant nutrition et phénotypage, contribuera à une meilleure connaissance de l'efficacité alimentaire chez la chèvre laitière, en intégrant mieux le rôle clé des réserves corporelles et l'aspect temps long, via la prise en compte des cycles successifs de production (Puillet et al., 2010a). Elle contribuera également à une meilleure compréhension de la variabilité individuelle, élément essentiel à l'élaboration du rationnement en lot (Puillet et al., 2010b).
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Résumé
L'objectif de ce travail était de simuler les évolutions du Poids Vif (PV), de ses composantes (ex. les réserves corporelles) et de la Note d'État Corporel (NEC) des chèvres sur un cycle de production en s'appuyant sur les relations dynamiques du modèle nutritionnel caprin INRA 2018. Dans un premier temps, l'approche a considéré de façon distincte les phénomènes de changement de poids vif liés à la lactation, la gestation et la croissance. En effet, la nature des informations disponibles a priori et les démarches calculatoires n'étaient pas les mêmes pour ces trois états physiologiques. Pour les situations considérées, un modèle original d'évolution des contenus digestifs au cours d'un cycle productif a été développé pour aboutir à des évolutions du PV et du PV vide (PVV), défini comme le poids maternel hors contenus digestifs et utérus gravide. Pour la lactation, la démarche a consisté à utiliser les équations de la dynamique des réserves énergétiques pour déterminer les bilans énergétiques cumulés puis les cinétiques de PVV, en intégrant l’effet du potentiel de production laitière. Pour la gestation, l’approche a consisté à utiliser les cinétiques de PV puis de PVV, pour distinguer la cinétique pondérale de l'utérus gravide, fonction de la prolificité, et la cinétique pondérale de l'organisme maternel seul. Pour ce dernier, une approche originale a permis d’estimer l'anabolisme maternel en début de gestation et le catabolisme en seconde partie de gestation en intégrant l’effet de la prolificité. Les cinétiques de PV et PVV au cours des trois états physiologiques ont été combinées pour prédire la cinétique globale sur un cycle productif. Il a ainsi été possible de proposer une méthode d'estimation des cinétiques de PV à partir de la donnée du « poids vif format » (PVF correspondant au PV minimal atteint pendant un cycle productif). Enfin, la prédiction des cinétiques des NEC a été possible grâce aux relations disponibles entre la NEC sternale et la teneur en lipides corporels, ainsi qu’entre les NEC sternales et lombaires. Les évolutions de la NEC ont été calculées en séparant les phases de lactation, croissance et gestation, en particulier pour s'appuyer sur l'évolution de l'organisme maternel indépendamment de celle de l'utérus gravide. Ce modèle a été intégré dans le module « chèvres laitières » du logiciel de rationnement INRAtion®V5 – Rumin’Al afin de pouvoir tracer les dynamiques d'évolution du PV et de la NEC correspondant au potentiel des animaux afin de les comparer aux valeurs réelles.
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