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Avant-propos au numéro spécial « L’élevage biologique : conditions et potentiel de développement »

L’élevage bio et la consommation des produits qui en sont issus ont connu un fort développement en France durant la dernière décennie mais, depuis le début des années 2020, la consommation a été ralentie par le choc d’inflation. Quels sont aujourd’hui les défis scientifiques, techniques, économiques et organisationnels et les pistes de solutions que la recherche peut proposer pour que l’élevage bio poursuive son essor ?

Avant-propos

Le dernier numéro spécial de la revue INRAE Productions Animales traitant de l'élevage bio date de 2009. Depuis 15 ans, de nombreuses évolutions ont eu lieu dans le domaine de l'agriculture biologique (AB) : réglementation, objectifs des politiques publiques nationale et européenne, production et consommation de produits bio, mais aussi dynamique de recherches sur l’AB et son développement, notamment à INRAE en collaboration avec ses partenaires.

Un nouveau règlement européen, qui encadre l'AB dans l'ensemble des États membres, est entré en vigueur en janvier 2022, remplaçant celui qui avait été mis en application en 2009. L'objectif de la législation européenne est d'harmoniser la mise en œuvre des règles pour une production agricole qui allie la préservation de l'environnement et des ressources naturelles et le respect de la biodiversité et du bien-être animal. La nouvelle réglementation vise à renforcer ces exigences. Pour l'élevage bio, le principe est de placer l'animal en équilibre avec son milieu pour lui offrir des conditions de vie correspondant à ses besoins physiologiques et comportementaux et lui assurer un haut niveau de bien-être. Ainsi, les animaux sont de préférence des races locales ayant de fortes capacités d'adaptation au milieu d'élevage, issus de méthodes de reproduction naturelles et élevés selon les règles de l'élevage bio tout au long de leur vie. Ils doivent avoir accès au plein air dès que les conditions climatiques et sanitaires le permettent, et être nourris avec des ressources issues de l'AB, essentiellement locales. Les organismes génétiquement modifiés et les additifs sont interdits dans les rations alimentaires de même que les traitements hormonaux pour la reproduction et l'élevage hors sol. La gestion de la santé repose sur une approche préventive basée sur la qualité de l'hébergement, de l'alimentation et des soins aux animaux qui doivent permettre de stimuler leurs défenses immunitaires. Si une maladie survient quand même, les traitements à base de substances naturelles doivent être préférés aux thérapies allopathiques.

En parallèle de ce nouveau règlement, la commission européenne a fixé, dans le volet agricole de son Pacte vert « farm to fork », un objectif ambitieux pour le développement de l'AB en Europe : au moins 25 % de la superficie agricole utile (SAU) de l'Union européenne devra être consacrée à l'AB d'ici 2030, sans précision de chiffres pour les différentes productions animales. En France, des programmes d'actions pour le développement de l'AB se sont succédé depuis 2010 fixant des objectifs de 15 % de la SAU en AB en 2022 et 20 % de produits bio dans la restauration collective publique. Comme souligné dans le rapport de la Cour des comptes de juin 2022 consacré au soutien à l'AB en France (Cour des comptes, 2022), les moyens alloués au développement de l'AB n'ont pas été à la hauteur des ambitions avec notamment la suppression, en 2017, des aides au maintien en AB.

Cependant, même si les objectifs affichés pour 2022 n'ont pas été atteints, l'AB a connu un développement remarquable en France, le plus élevé de toute l'Union européenne (European commission, 2023). Entre 2010 et 2022, le nombre de fermes certifiées AB a été multiplié par trois, dépassant maintenant le cap des 60 000 ce qui représente 14,2 % du total des fermes et 10,7 % de la SAU (Agence Bio, 2023). Le nouveau plan « Ambition bio » fixe un objectif de 18 % de la SAU en AB pour 2027 et 21 % pour 2030. De grandes disparités sont toutefois observées selon les productions ; la croissance a concerné principalement le végétal avec 39 % de la production totale de légumes secs en AB, 21 % des vignes et 17 % de l'arboriculture fruitière en 2022, mais seulement 9 % des productions animales. Parmi les plus de 60 000 fermes conduites en AB, 37 % ont au moins un atelier d'élevage (comme en conventionnel). Là encore, de fortes disparités existent entre filières animales comme le montre la figure 1. En 2022 les poules pondeuses représentaient 20 % de la production nationale et les œufs bio 15,4 % mais les produits laitiers 5,2 %, et les poulets de chair moins de 2 %.

Figure 1. Part de la production certifiée AB en France pour les différentes filières animales.
D'après les données des productions en 2022 (Agence Bio, 2023), sauf pour les produits de l'aquaculture dont le pourcentage moyen a été calculé à partir des données de la production en 2020 (EUMOFA, 2022), dernières données publiées.

La consommation de produits bio a, elle aussi, connu une forte croissance, passant d'une valeur de 3,7 milliards d'euros en 2010 à 13 milliards d'euros en 2022 avec 83 % des produits consommés produits en France. Depuis 2021, cette croissance marque le pas. Dans un contexte de recul général de la consommation alimentaire des ménages (-5,1 % en valeur entre 2021 et 2022), en grande partie liée à l’inflation qui a conduit les consommateurs à changer leurs arbitrages de dépenses, les achats de produits alimentaires bio ont baissé de 4,6 % en 2022 (Agence Bio, 2023). Ce sont les viandes qui accusent la baisse la plus importante (–13 %) alors que la consommation globale de viande s'est légèrement accrue (+0,8 %) en France en 2022 (Agreste, 2023). La hausse de la consommation globale de viande est imputée à la restauration hors domicile alors que la consommation de produits alimentaires bio est portée essentiellement par la restauration à domicile des ménages. La diminution des ventes de produits alimentaires bio s'observe surtout dans les magasins spécialisés en bio (–8,6 %). En revanche les achats de produits AB ont augmenté sur les marchés et en vente directe à la ferme (+3,9 %), confirmant l'attrait croissant des consommateurs pour des produits issus d'une production locale, et un mode de distribution qui renforce leurs liens avec les producteurs. D'ailleurs, près de la moitié des exploitations bio pratiquent aujourd'hui la vente directe, comme encouragé par la réglementation européenne, contre seulement une sur quatre en production conventionnelle.

Pour promouvoir les recherches sur l’AB, l'INRA a mis en place, dès l'année 2000, un programme transversal de recherche dédié à l'AB dont le développement était alors à ses prémices (1 % de la SAU). Ce programme, intitulé AgriBio, qui s'est poursuivi jusqu'en 2019, a permis à INRAE de mobiliser toute une communauté de chercheurs, de tisser des liens solides avec les acteurs du développement de l'AB et de participer activement au programme de recherche européen sur l'AB « CoreOrganic ». Depuis 2015, INRAE est devenu le premier publiant mondial de résultats de recherches sur l'AB (figure 2).

Figure 2. Place des publications scientifiques d'INRAE et de la France dans la production mondiale sur l'AB (Conception G. Ollivier INRAE, communication personnelle).
WoS : Web of Science

Au moment de sa transformation en INRAE, l'institut a élaboré un plan stratégique de recherches à l'horizon 2030 résolument orienté vers la transition agroécologique des systèmes agricoles et alimentaires. Dans ce cadre, la direction générale a souhaité impulser une nouvelle génération de travaux sur l'AB avec des ambitions renouvelées, considérant l'AB comme un modèle de système agroécologique, source d'innovations potentiellement applicables à d'autres modes de productions agricoles. Ainsi, un nouveau programme transversal consacré au changement d'échelle de l'AB a été lancé en 2020 sous la forme du métaprogramme METABIO, dans un contexte de croissance continue de la production bio et de la consommation de produits issus de l'AB. Sa vocation est de servir de « pépinière » pour des projets interdisciplinaires en mobilisant de nouvelles communautés dans les différentes disciplines afin d'aborder les enjeux environnementaux, sanitaires, sociaux, et économiques ainsi que les politiques et actions publiques relatives à l'expansion de l'AB. Son objectif scientifique est d'identifier les moyens à mettre en œuvre pour le développement à grande échelle de l'AB, les freins à lever, et les conséquences potentielles d'un tel changement. Pour cela, les travaux explorent l'hypothèse où l'AB serait majoritaire en France en considérant l'ensemble du système agri-alimentaire (de la fourche à la fourchette). Depuis 2020, ce programme a cofinancé 11 allocations doctorales et soutenu 36 actions de recherche dont 15 dans le domaine des productions animales. Il peut s'agir :

i) de consortia réunissant des experts de différentes disciplines pour explorer ensemble une question et dégager des pistes de recherches, par exemple les critères de sélection génétique pour favoriser l'adaptation et la bonne santé des animaux, les aptitudes des races locales, les freins au développement de l'élevage porcin bio, la gestion intégrée des santés des sols, des plantes et des animaux, la gestion des effluents AB... ;

ii) de la mise à disposition d'outils collectifs comme des bases de données à l'exemple de celle de l'Agence Bio qui a été utilisée pour établir la typologie des fermes AB décrite dans ce numéro ;

iii) de projets exploratoires pour tester une hypothèse ou établir des preuves de concepts.

Les projets concernant l'élevage abordent les principaux défis posés par la mise en application de la réglementation qui constituent des priorités scientifiques du métaprogramme : les critères de sélection génétique des abeilles, l'évaluation d'extraits de plantes comme alternatives aux hormones de synthèse pour la gestion du cycle de reproduction des animaux, des scénarios de développement de systèmes polyculture-élevage, l'évaluation de ressources alimentaires innovantes pour nourrir les animaux et préserver leur santé en considérant aussi les conséquences sur l'environnement, le rôle des vétérinaires dans le pilotage de la santé des animaux en AB. La qualité des produits AB est aussi abordée via l'étude de l'aptitude des laits bio à la transformation en fromages ou encore les relations entre alimentation des porcs et qualités de produits.

Pour répondre aux besoins des recherches sur l'AB, INRAE a développé des infrastructures expérimentales dédiées à l'élevage AB pour les bovins, ovins, volailles et porcs. Plus récemment, un verger conduit en AB accueille des lapins et des poules pour étudier les inconvénients et bénéfices réciproques de cette situation particulière de culture-élevage. La localisation et les spécificités de ces infrastructures sont montrées sur la figure 3.

Figure 3. Les élevages bio dans les infrastructures expérimentales d’INRAE.

Dans un contexte de ralentissement de la consommation des produits issus de l'élevage bio, de mise en œuvre d'une réglementation plus exigeante, et de développement des recherches sur l'AB à INRAE, le comité éditorial de la revue INRAE Productions animales et les membres du comité de pilotage du métaprogramme METABIO ont souhaité faire un bilan de l'état des connaissances scientifiques sur l'élevage biologique, son potentiel et les conditions de son développement, 15 ans après le premier numéro spécial traitant de ce sujet. Ils tiennent à remercier sincèrement tous les auteurs et les nombreux relecteurs qui les ont aidés dans cette réalisation.

Ce numéro spécial débute par trois articles généraux :

i) une synthèse de la réglementation européenne relative à l'élevage biologique entrée en application depuis janvier 2022, par F. Médale et S. Penvern ;

ii) une typologie des productions animales bio en France et son évolution depuis 2010 réalisée par M. Benoit et al. à partir de la base de données de l'Agence bio ;

iii) un panorama, par V. Chatellier, du marché et de la consommation des produits issus de l'élevage biologique.

Le numéro se poursuit avec trois autres articles consacrés aux principaux défis que doivent relever des filières bio spécifiques :

i) les équilibres et la place de l'élevage biologique de bovins laitiers dans une filière globalisée, par G. Martin et al. ;

ii) les freins et les leviers pour le développement d’une production porcine biologique, par L. Montagne et al. ;

iii) les verrous et les opportunités de l'élevage des poulets en plein air, par K. Germain et al.

Les six articles suivants traitent de thématiques génériques communes aux différentes espèces en lien avec les exigences de la réglementation et des propositions pour lever les freins au développement des productions bio :

i) les leviers génétiques pour des animaux adaptés aux élevages bio, par L. Canario et al. ;

ii) la gestion de la reproduction sans hormones en AB, par M.T. Pellicier et al. ;

iii) l'agroforesterie pour l'alimentation et le bien-être des animaux, par M. Trouillard et al. ;

iv) les relations entre vétérinaires et éleveurs dans la gestion de la santé des animaux en AB, par J. Duval et F. Bonnet-Beaugrand, qui complète l'article de Bareille et al. (2022) sur la gestion de la santé des animaux en élevage biologique ;

v) les qualités et l’authentification des produits animaux certifiés AB, par S. Prache et al. ;

vi) les questions relatives à la mise en marché des produits issus de l’élevage bio, par M.O. Nozières et al.

Ce numéro spécial se conclut avec un article de M. Benoit et al. qui proposent une vision prospective de la place de l'élevage dans le développement de l'AB.

En souhaitant que la lecture de ce numéro, au-delà de l'apport d'informations, soit une source d'inspiration pour de futurs projets.

Références

  • Agence Bio (2023). Les chiffres du Bio, Panorama 2022. https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2023/06/DOSSIER-DE-PRESSE-CHIFFRES-BIO.pdf
  • Agreste (2023). La consommation de viande en France en 2022. Synthèses Conjoncturelles – Consommation, 412. https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/SynCsm23412/consyn412202307-ConsoViande.pdf
  • Bareille, N., Duval, J., Experton, C., Ferchaud, S., Hellec, F., & Manoli, C. (2022). Conceptions et pratiques de gestion de la santé des animaux en productions animales sous cahier des charges de l'agriculture biologique. INRAE Productions Animales, 35(4), 357-368. doi:10.20870/productions-animales.2022.35.4.7368
  • Cour des comptes (2022). Le soutien à l'agriculture biologique, juin 2022. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20220630-rapport-soutien-agriculture-bio.pdf
  • EUMOFA (2022). Organic aquaculture in the EU: current situation, drivers, barriers, potential for growth. Luxembourg : Publications Office of the European Union. https://eumofa.eu/documents/20178/432372/Organic+aquaculture+in+the+EU_final+report_ONLINE.pdf
  • European commission (2023). Organic farming in the EU. A decade of organic growth. Agricultural markets briefs no 20. Brussels : European Commission, DG Agriculture and Rural Development. https://agriculture.ec.europa.eu/document/download/df01a3c7-c0fb-48f1-8eca-ce452ea4b8c2_en?filename=agri-market-brief-20-organic-farming-eu_en.pdf

Résumé

Après une synthèse des évolutions majeures qui se sont produites depuis 15 ans en termes de réglementation, de politiques publiques, de production, de consommation et de recherches dans le domaine de l'agriculture biologique (AB), cet avant-propos présente le sommaire de ce numéro spécial consacré à l'élevage biologique. Les articles issus, en majorité, de travaux conduits par INRAE et ses collaborateurs dans le cadre de programmes dédiés à l’AB, analysent les conditions et le potentiel de développement de l’élevage bio avec des regards techniques, économiques et organisationnels.

Auteurs


Françoise MÉDALE

françoise.medale@inrae.fr

Affiliation : INRAE, Univ. Pau & Pays Adour, NUMEA, 64310, Saint-Pée-sur-Nivelle

Pays : France


Nathalie BAREILLE

Affiliation : Oniris, INRAE, BIOEPAR, 44300, Nantes

Pays : France


Servane PENVERN

Affiliation : INRAE, UMR INNOVATION, 34060, Montpellier

Pays : France

Pièces jointes

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