Mesurer, prédire et réduire les émissions de méthane entérique en Afrique subsaharienne
Chapeau
L’élevage de ruminants en Afrique subsaharienne est singulier par les milieux et ressources qu’il exploite et par des systèmes d’élevage aux effectifs parfois élevés mais souvent peu productifs. L’évaluation de son impact environnemental est toutefois complexe car les modèles classiquement utilisés ne sont pas adaptés aux animaux et aux modes d’élevage de cette région. Il est important d’apporter des connaissances objectives sur la production du méthane entérique, principal gaz à effet de serre de ces élevages.
Introduction
L'élevage de ruminants en Afrique subsaharienne (ASS) est pratiqué dans divers systèmes de production : systèmes mixtes agriculture-élevage, pastoraux, agropastoraux, intensifs des petits exploitants, et commerciaux intensifs de production de lait ou de viande (Vall et al., 2014). Les races locales de ruminants sont favorisées dans ces systèmes en raison de leur capacité à s'adapter aux conditions climatiques, alimentaires et sanitaires en contexte tropical. L'alimentation des ruminants en ASS se base principalement sur une diversité de ressources fourragères : les fourrages naturels herbacés et ligneux (Zornia glochidiata, Pennisetum pedicellatum, Combretum glutinosum, Sclerocarya birrea), les fourrages cultivés d'espèces herbacées et ligneuses (Panicum maximum, Brachiaria ruziziensis, Leucaena leucocephala, Gliricidia sepium) et les coproduits agricoles (pailles, tourteaux, sons). Les gaz à effet de serre (GES) émis pendant la production de ressources alimentaires sont essentiellement le CO2 et le N2O (Gerber et al., 2013) tandis que l'utilisation de ces ressources par l'animal est à l'origine d'émissions de méthane entérique (eCH4) essentiellement, de CO2, de CH4 et de N2O issus de la dégradation des déjections. Le secteur agricole (agriculture et élevage) de l'ASS contribue à 12 % des émissions mondiales de méthane (CH4) dont 71 % de eCH4 (Climatewatch, 2020). Selon la FAO (2023), l'élevage de ruminants dans cette région engendre une émission de eCH4 élevée lorsqu'elle est rapportée à la quantité de produits, due à la faible efficience alimentaire des animaux. Les intensités d'émissions de eCH4 sont par exemple de 58 g/kg lait en Afrique contre 24 g/kg lait en Asie et 17 g/kg lait en Europe de l'Ouest (GIEC, 2019).
Les facteurs de variation de eCH4 sont l'aliment (composition chimique, digestibilité), l'animal (niveau d'ingestion, espèce animale ou race, stade physiologique) et les conditions environnementales (Goopy et al., 2016). Mais il y a peu d'informations sur la situation spécifique de l'élevage de l'ASS. En effet, les études sur les émissions de eCH4 dans cette région sont peu nombreuses, fragmentaires et imprécises. Pour élaborer les inventaires nationaux de eCH4, les pays de l'Afrique de l'Ouest, à l'instar de nombreux pays au monde, ont utilisé les équations du niveau 2 du GIEC qui ne prennent pas en compte les spécificités des systèmes d'élevage que sont la saisonnalité de la qualité et de la quantité des ressources fourragères et les pratiques d'alimentation des éleveurs (Ndao et al., 2020 ; Tongwane & Moeletsi, 2020). Les données obtenues doivent donc être améliorées par des mesures in vivo sur les animaux et des prédictions. Pour cela, il est nécessaire d'inventorier les méthodes adaptées et applicables aux systèmes d'élevage de l'ASS. Par ailleurs, il convient d'analyser les stratégies possibles de réduction des émissions dans les contextes d'ASS.
Dans cette synthèse nous avons distingué les systèmes d’élevage de ruminants en ASS en trois groupes selon les conditions d’élevage et donc des modalités possibles de mesure des GES. Il s’agit des systèmes d’élevage avec les animaux au pâturage (PAT), avec les animaux en bâtiment d’élevage chez l’éleveur (ELE) et le cas spécifique des animaux en station expérimentale (STA). Nous passerons en revue successivement 1) les techniques de mesure individuelle in vivo de eCH4 et discuterons leur application à ces conditions d’élevage, 2) les possibilités de prédire ces émissions et 3) les stratégies potentielles de leur atténuation.
1. Techniques de mesure in vivo du méthane entérique
Les techniques de mesure in vivo du eCH4 chez les ruminants sont nombreuses et ont fait l’objet d’un grand nombre de synthèses bibliographiques (Broucek, 2014). Dans cette partie, nous présenterons brièvement les techniques de mesure directe des flux de gaz à l’échelle individuelle pour discuter de leur application dans les conditions bien spécifiques (PAT, ELE et STA) des systèmes d’élevage de l’ASS.
1.1. La chambre respiratoire
La chambre respiratoire (CR) est une enceinte dont toutes les entrées et sorties de gaz (flux et concentration) sont analysées. Son principe est de collecter tous les gaz émis par voies orale et rectale chez l'animal (Broucek, 2014). Elle est considérée comme la méthode de référence pour la mesure du eCH4. Elle implique des compétences techniques élevées pour son utilisation, installation ou déplacement. Un contrôle de certains facteurs tels que le taux de récupération des gaz, les conditions environnementales (température, humidité relative), et le taux de ventilation est impératif (Mathot et al., 2016). Son utilisation n'est absolument pas possible au PAT et en ELE excepté si les animaux sont déplacés en STA pour le temps des mesures. De plus, ce dispositif est très coûteux. Les facteurs cités peuvent plus facilement être contrôlés en STA. Cette technique est donc adaptée en STA pour des recherches aboutissant à des données d'une haute précision (Huhtanen et al., 2019). L'intérêt des CR est de pouvoir réaliser des mesures en cinétique sur la journée. En ASS le coût élevé de la CR et les contraintes de son fonctionnement la limitent à des centres de recherche très bien équipés. En outre, les résultats produits sont très éloignés des conditions réelles d'élevage des animaux, et leur représentativité peut être remise en cause. Pour cette raison, en ASS, la CR ne pourrait servir qu'à étudier l'effet de facteurs liés à l'ingéré (quantité, composition), à l'animal (race, stade physiologique, âge) ou aux conditions climatiques si le système le permet. Dans cette région, Ali et al. (2019) l'ont utilisé en STA au Kenya pour étudier l'effet de la supplémentation avec des blocs uréo-mélassés pour réduire les émissions de eCH4 de 93,1 à 85,3 g/jour chez les génisses holstein × boran. Dans ce même pays, Goopy et al. (2020) ont testé l'effet de la non-couverture des besoins d'entretien chez les taurillons boran et ont rapporté que les rations carencées augmentaient le eCH4 produit par kg de matière sèche ingérée (MSI).
Face au confinement de l'animal qu'exige la CR, une autre technique simplifiée utilisant un principe similaire a été développée pour contourner chacune de ces insuffisances. Il s'agit de la hotte ventilée (HV) (Suzuki et al., 2007). La HV ne couvre que la tête de l'animal au lieu de son corps entier. Les mesures de gaz peuvent être générées pendant que les animaux ont accès à l'aliment et à l'eau (Goopy et al., 2016). Contrairement à la CR, elle ne capture que les émissions de eCH4 éructé et exclut la quantité émise sous forme de flatulence, mais elle restreint moins le comportement et les mouvements de l'animal. Elle n'est pas adaptée au PAT et à un grand nombre d'animaux. De même que la CR, le contrôle impératif des constantes la disqualifie pour des mesures en ELE, mais elle pourrait être utilisée en STA pour des recherches.
1.2. Le système GreenFeed® (C-Lock)
Le principe du système GreenFeed® (GF, C-Lock Inc., Rapid City, SD, USA) est d'effectuer des mesures ponctuelles de eCH4 (concentration et flux d'air) d'un animal lorsqu'il visite un distributeur automatique de concentrés (DAC) intégré au système (Hristov et al., 2015). L'obtention d'une valeur quotidienne de eCH4 est possible en moyennant les valeurs ponctuelles d'une vingtaine de visites de trois à cinq minutes chacune, étalées sur plusieurs jours et bien réparties dans la journée avec une représentativité de la cinétique d'ingestion (Manafiazar et al., 2017). Le GF ne tient pas compte des émissions de eCH4 provenant de la fermentation dans le gros intestin, mais il permet d'analyser simultanément les émissions de plusieurs animaux (jusqu'à une vingtaine) ayant accès au DAC (Münger et al., 2018). Il est moins contraignant pour l'animal qu'une CR et demande moins d'équipements complexes et de technicité. Il est conçu pour pouvoir être utilisé aussi bien en ELE ou en STA qu'au PAT (Hristov et al., 2015). Pour limiter les biais liés aux conditions extérieures, le GF est équipé d'un système qui tient compte des changements de la direction et de la vitesse du vent. Dans les études de Denninger et al. (2017) et de Coppa et al. (2021), le GF a été testé respectivement au PAT et en ELE. Le besoin de surveillance de l'équipement et d'intrants limite toutefois l'utilisation au PAT à des situations proches de réseaux de communication et panneaux solaires pour l'autonomie électrique. Le GF est installé pour des mesures de eCH4 en STA (figure 1) par le Cirdes et le Cirad sur les bovins (Gbenou et al., 2022) et par l'Inera sur les petits ruminants (Ouermi et al., 2022) au Burkina Faso.
Figure 1. Taurillon zébu peulh soudanais au GreenFeed® pour la mesure du méthane entérique (Cirdes, Burkina Faso).
1.3. L’hexafluorure de soufre comme gaz traceur
La technique utilisant l'hexafluorure de soufre (SF6) comme gaz traceur consiste à administrer par voie orale un petit tube en laiton à libération contrôlée de gaz SF6 dans le rumen de l'animal (Johnson et al., 1994). La capsule génère un flux de SF6 constant et calibré in vitro, et un dispositif de collecte échantillonne en continu les gaz émis au niveau des naseaux sur une période donnée. Le ratio CH4/SF6 dans la boîte de collecte ainsi que la vitesse de diffusion du SF6 via le bolus permet d'estimer la quantité de eCH4 émise pendant la durée de la collecte, et donc le flux. Une caractéristique essentielle est que la mesure résulte d'un échantillonnage continu et pas seulement de mesures ponctuelles comme c'est le cas avec le GF. Les concentrations de CH4 et de SF6 sont ensuite mesurées par chromatographie en phase gazeuse. La technique SF6 a un effet restreint sur le comportement des animaux dans des conditions typiques de leur gestion (Johnson et al., 1994). Même si cette technique peut être utilisée sur un grand nombre d'animaux au pâturage ou en stabulation, il faut pouvoir approcher les animaux (et les attacher) régulièrement (tous les jours ou deux jours) pour collecter les gaz. Par ailleurs, il est rapporté que cette approche demande beaucoup de technicité pour gérer et calibrer les équipements, et qu'elle dépend de la qualité de l'échantillonnage des gaz collectés sur les animaux. Expérimentée plusieurs fois avec succès en Afrique du Sud au PAT (van Wyngaard et al., 2018a, 2018b), la technique SF6 peut également être utilisée en STA et en ELE pour minimiser le travail laborieux et augmenter la précision des mesures.
Le tableau 1 regroupe les informations sur les techniques de mesure in vivo individuelle du eCH4 dans les différents groupes (PAT, ELE et STA).
Tableau 1. Les techniques de mesure in vivo du méthane entérique et leur adaptation aux différentes conditions.
Techniques |
Présence |
PAT |
ELE |
STA |
Niveau de précision |
Mesure |
Références des |
---|---|---|---|---|---|---|---|
CR |
Oui |
- |
- |
+ |
- |
Continue |
- |
HV |
Non |
- |
- |
+ |
84 % |
Continue |
|
GF |
Oui |
+ |
+ |
+ |
92 % |
Discontinue |
|
SF6 |
Oui |
+ |
+ |
+ |
70 – 80 % |
Intégrative |
PAT : Pâturage, ELE : stabulation chez l’éleveur, STA : station expérimentale, CR : chambre respiratoire, HV : hotte ventilée, GF : système GreenFeed® (C-Lock), SF6 : traceur
+ : adapté, - : non adapté
2. Prédiction du méthane entérique en Afrique subsaharienne
Les techniques de prédiction de eCH4 via des biomarqueurs (proxys) sont une alternative intéressante pour la réalisation d'un grand nombre d'estimations dans des conditions pratiques (Martin, 2021 ; Negussie et al., 2022). Elles permettent également de limiter les contraintes sur les animaux en expérimentation si les matrices servant à mesurer les biomarqueurs ne nécessitent pas de prélèvement invasif, comme les aliments, le lait, et les fèces. Les proxys capables d'expliquer les émissions de eCH4 ont été résumés par Negussie et al. (2017). Dans cette partie, nous allons nous intéresser aux proxys applicables dans les différentes conditions d'élevage (PAT, ELE et STA). Plusieurs modèles basés sur ces proxys ont d'ailleurs été développés dans le monde pour estimer les émissions de eCH4 (Benaouda et al., 2020). Par ailleurs, le GIEC (2019) a élaboré des méthodes standardisées de prédiction de eCH4 qui sont généralement stratifiées en niveaux (1, 2 et 3) en fonction de leur complexité. Mais il n'existe pas de modèles de référence spécifiques pour les pays d'ASS. Ainsi, le niveau 2 du GIEC est le principal utilisé pour estimer les émissions de eCH4 dans cette région (Ndao et al., 2020 ; Tongwane & Moeletsi, 2020). Différents indicateurs, techniques et leurs combinaisons pouvant être utilisés pour développer des modèles sont examinés ci-dessous en fonction de leur faisabilité et de leur simplicité d'application dans le contexte de l'ASS.
2.1. À partir de l’ingestion
L'ingestion est caractérisée par la quantité de matière sèche ingérée (MSI) et sa composition. Elle est le premier facteur de variation des émissions de eCH4 (Congio et al., 2022). Des modèles de prédiction basés sur l'ingestion ont été synthétisés pour les pays du Nord (Benaouda et al., 2020 ; Congio et al., 2022). Les modèles utilisant la MSI sont assez précis mais n'existent pas encore pour l'ASS. La difficulté majeure est d'obtenir une mesure ou prédiction fiable de MSI. Pour estimer l'ingestion au PAT dans cette région, c'est la méthode de collecte du berger (« hand-plucking »), consistant à prélever à la main les ressources consommées en imitant l'animal, qui est utilisée (De Paula et al., 2019 ; Gbenou et al., 2020). Cependant la faible précision de l'imitation du comportement de préhension alimentaire (quantité et qualité) variant en fonction de l'animal et de l'opérateur entraîne une forte incertitude dans les valeurs d'ingestion mesurées.
En ELE et en STA, l'ingestion peut être plus facilement mesurée. Les quantités ingérées et les émissions de eCH4 dépendent également de la digestibilité du régime alimentaire et de l'énergie digestible (Tedeschi, 2019). Ainsi, Negussie et al. (2022) ont constaté une augmentation de la précision des prédictions à l'intérieur d'un troupeau (0,52 à 0,77 pour r2) et entre troupeaux (de 0,77 à 0,79 pour r2) après avoir ajouté des variables de la composition chimique de la ration dans les modèles. Ces variables peuvent être les fractions de fibres et d'extrait éthéré (Ribeiro et al., 2020), la digestibilité et l'énergie ingérée (GIEC, 2019). Des logiciels tels que INRAtion V5 Rumin'al (2020) sont mis en place pour le rationnement des animaux (https://www.inration-ruminal.fr/). Ils s’appuient sur les tables de valeurs et intègrent les aspects technique, économique, environnemental. Ces logiciels fournissent les teneurs des éléments nutritifs à intégrer dans les modèles de prédiction du eCH4. Si leurs principes sont universels, ils sont cependant calibrés pour des animaux et régimes différents de ceux rencontrés en ASS. En dehors de ces logiciels, la composition chimique des aliments peut être obtenue par l’analyse de laboratoire ou par des prédictions. L’ingestion est un proxy qui peut potentiellement prédire les émissions de eCH4 pour toutes les catégories de ruminants.
2.2. À partir des constituants du lait
La production laitière dépend de la composition des aliments ingérés et du métabolisme des microorganismes qui fermentent les aliments. Un lien existe entre la quantité de lait, sa composition (en acides gras, en protéines) et la production de eCH4. Les acides gras du lait (AGL) sont donc des marqueurs potentiels des émissions de eCH4 (Chilliard et al., 2009). Quelques modèles utilisant les AGL et la teneur en protéines pour prédire le eCH4 ont été rapportés par Bougouin et al. (2019) et Marumo et al. (2023). Cependant, jusqu'à présent, il n'existe pas d'équations développées sur le lait et sa composition pour prédire le eCH4 dans les pays d'ASS.
La complexité des analyses de laboratoire pour l'obtention des AGL mineurs par chromatographie gazeuse et le fait que ce proxy ne peut pas être utilisé pour les catégories d'animaux ne produisant pas de lait sont les principales limites de l'utilisation des AGL comme proxy. Néanmoins, la spectrométrie dans le moyen infrarouge (MIR) appliquée au lait qui permet d'analyser en routine et à faible coût la composition chimique globale et certains AG, pourrait être appliquée en ASS. Le lait et sa composition ont l'avantage de pouvoir être utilisés dans toutes les conditions (PAT, ELE et STA) pour prédire le eCH4. Vanlierde et al. (2021) ont développé des modèles de prédiction par la MIR. Le principe de la composition chimique globale du lait est intéressant, mais vu les différences considérables entre animaux en termes de production et de composition du lait, il faudra probablement, soit vérifier que ces conditions appartiennent au domaine de validité des modèles globaux – et sinon les intégrer – soit établir des modèles spécifiques aux conditions d'ASS.
2.3. À partir des constituants des fèces
Les archées méthanogènes du rumen sont responsables de la production de eCH4. Un lipide membranaire de ces archées (l'archéol, 2,3-diphytanyl-O-sn-glycérol) est détectable dans les fèces et constitue une molécule potentielle de prédiction des émissions de eCH4 (Gill et al., 2011). Les concentrations en archéol dans les fèces sont corrélées positivement (r2 = 0,53) avec les émissions de eCH4 dans le rumen (Cheng et al., 2021), mais les résultats dépendent du temps qui sépare l'ingestion de la collecte fécale (Görs et al., 2016). Il est possible d'évaluer la concentration de cette molécule dans les fèces des ruminants au laboratoire par chromatographie en phase gazeuse-spectrométrie de masse, après extraction par la méthode Soxhlet ou par sonication (Görs et al., 2016). L'analyse des archéols doit se faire sur des échantillons de fèces prélevés à différents moments de la journée sur tous les animaux. Mais cette analyse au laboratoire est techniquement complexe et limiterait l'utilisation de l'archéol en ASS comme proxy du eCH4 malgré la possibilité d'obtention des matières fécales dans les trois conditions d'élevage discutées (PAT, ELE et STA) et pour toutes catégories de ruminants.
La spectrométrie proche infrarouge (SPIR) appliquée aux fèces pourrait être développée comme une approche indirecte pour prédire le eCH4 au PAT, en ELE et en STA. Elle a déjà fait l’objet de travaux dans le projet SmartCow (2020) (https://www.smartcow.eu). Elle nécessite cependant un étalonnage consistant à bâtir une base de références associant des spectres de fèces aux mesures de eCH4 comme détaillé par Sun et al. (2022) pour la SPIR sur les rations. Pour réaliser l'étalonnage, les spectres SPIR devront être mesurés sur des échantillons de fèces collectés sur des animaux lors des mesures de eCH4 réalisées dans les expérimentations menées dans les structures expérimentales d'ASS. Avec les premiers résultats, il faudra évaluer si la meilleure stratégie d'étalonnage est de développer des bases spécifiques pour l'ASS, ou d'ajouter des échantillons provenant d'ASS à des bases plus générales.
2.4. Le « détecteur laser méthane »
Le « détecteur laser méthane » (LMD) mesure l'absorption de la lumière par le CH4 à une longueur d'onde spécifique (infrarouge à 1 653 nm) produite par un laser. Il s'agit d'une mesure de concentration de CH4 (ppm.mètre) et non du flux. Un étalonnage entre ces mesures est donc nécessaire. En pratique le faisceau laser est dirigé vers l'orifice nasal de l'animal pour évaluer la concentration de eCH4 et nécessite 240 s pour une bonne mesure (Boré et al., 2022). Le LMD a été testé au PAT par Gautier et al. (2022) qui ont rapporté que les mesures sont influencées par les conditions météorologiques et l'activité des animaux. De plus, elles nécessitent de la main-d'œuvre pour le suivi des animaux. Ces mesures peuvent également être effectuées en STA et en ELE pour réduire la pénibilité des mesures fréquentes. Cette technique a été appliquée sur des animaux au cours de différentes activités (alimentation, abreuvement, rumination, repos) (Jonker et al., 2020). Les mesures nécessitent une adaptation préalable des animaux aux opérateurs qui doivent pouvoir approcher des animaux pour faire les mesures dans des conditions standardisées. Le changement d'opérateur peut malgré tout influencer la mesure (Sorg et al., 2017). En ASS, grâce à sa portabilité, le LMD permet le suivi d'animaux en mobilité, et donc la mesure dans des conditions les plus proches possibles des comportements naturels des animaux. L'influence des conditions de mesures (température ambiante, rayonnement naturel) doit cependant être vérifiée.
2.5. À partir des gaz expirés
La prédiction de eCH4 chez les ruminants est possible à partir d'un gaz comme marqueur interne, le CO2 expiré. Elle a été proposée par Madsen et al. (2010). Elle consiste à mesurer la concentration expirée de CH4 en même temps que celle de CO2 en tant que gaz marqueur dans l'air contenant de faibles concentrations de gaz expirées par les animaux. Le volume de eCH4 émis est déterminé comme le produit du rapport CH4/CO2 et des émissions quotidiennes de CO2 prévues par l'unité de production de chaleur (UPC) et l'équivalent UPC en CO2. Cette méthode de prédiction a fait ses preuves selon Suzuki et al. (2021), mais elle exige aussi des équipements tels que le sniffer pour les mesures. Ces équipements pourraient être limités dans leur utilisation au PAT et ne permettraient pas d'avoir une prédiction précise dans ces conditions d'élevage. En revanche, en ELE et en STA, ces équipements pourraient facilement être contrôlés. La prédiction par le ratio CH4/CO2 est adaptée à toute catégorie de ruminants.
Les différents proxys décrivent des sources indépendantes de variation du eCH4. Leur combinaison est donc susceptible d'augmenter la précision des prédictions et constitue une meilleure solution (Ribeiro et al., 2020). L'hypothèse est qu'un proxy peut corriger les lacunes d'un autre (Negussie et al., 2017). Il est impératif d'avoir bien étudié, bien connaître la faisabilité, la simplicité d'application pour chaque proxy décrit avant d'étudier les différentes combinaisons entre eux. Dans cette synthèse, les différents proxys discutés et susceptibles d'être individuellement utilisés pour prédire le eCH4 dans une condition d'élevage donnée et pour une catégorie d'animaux donnée sont ceux dont les combinaisons pourraient être envisagées.
3. Stratégies d’atténuation du méthane entérique en Afrique subsaharienne
Un grand nombre de méthodes d'atténuation des émissions de eCH4 ont été proposées et synthétisées dans la littérature par de nombreux auteurs comme Martin (2021), Beauchemin et al. (2022), Fouts et al. (2022). Ces méthodes peuvent être classées en quatre catégories (tableau 2) :
Tableau 2. Stratégies d’atténuation des émissions de méthane entérique chez les ruminants et principaux leviers d’actions à l’étude pour chaque stratégie.
Stratégies d’atténuation |
Leviers d’action |
---|---|
Stratégies nutritionnelles |
Amélioration de la qualité des aliments et du niveau d’ingestion par les : |
Manipulation des fermentations du rumen |
Utilisation d’additifs : |
Atténuation précoce |
Utilisation en début de vie : |
Gestion du troupeau |
Limitation du nombre/proportion d’animaux improductifs, |
Afin d’évaluer la pertinence de ces stratégies dans les conditions de l’ASS, quatre critères ont été pris en compte :
i) la concurrence avec la sécurité alimentaire humaine : lorsque les stratégies entrent en concurrence avec l’homme pour l’utilisation de ressources alimentaires, elles ne sont pas recommandées ;
ii) la disponibilité ou accessibilité : les stratégies doivent être disponibles et accessibles aux éleveurs en tenant compte notamment de leur pouvoir d’achat et de leur technicité ;
iii) la satisfaction des besoins des éleveurs : les stratégies ne doivent pas seulement être conçues pour protéger l’environnement, mais doivent permettre l’amélioration des moyens de subsistance des éleveurs grâce à des pratiques respectueuses du climat (stratégies « gagnantes-gagnantes ») ;
iv) la bonne performance in vivo : plusieurs stratégies sont au stade d’étude in vitro et n’ont pas encore démontré leur efficacité sur le terrain. Elles devraient être testées et validées avant d’être proposées aux éleveurs.
Sur la base de la combinaison de ces critères, les stratégies applicables en ASS ont été sélectionnées et sont discutées dans cette partie. Les principales stratégies utilisables sont les stratégies nutritionnelles et celles portant sur la gestion des troupeaux.
3.1. Stratégies nutritionnelles
Parmi les stratégies nutritionnelles rapportées dans la littérature, celles applicables en ASS incluent l’utilisation des légumineuses arbustives, des sous-produits agricoles, des coproduits agricoles et des fourrages conservés ainsi que l’amélioration du pâturage ; sachant que les rations de base sont souvent déséquilibrées et ne permettent pas des apports nutritionnels suffisants.
a. Apport de légumineuses arbustives
Les feuilles de légumineuses arbustives sont riches en protéines, mais aussi en métabolites secondaires qui peuvent avoir des effets positifs sur le métabolisme ruminal. L'utilisation des légumineuses est déjà ancrée dans les habitudes des éleveurs en ASS pour alimenter leurs ruminants. Le choix des légumineuses arbustives dépend de l'espèce de ruminant et de ses besoins nutritionnels spécifiques (FAO, 2014). Au PAT, elles sont offertes aux animaux par émondage en saison sèche alors qu'en saison pluvieuse les animaux les consomment à volonté directement sur l'arbuste. En ELE, elles peuvent être apportées aux animaux en saison sèche pour relever la valeur nutritive d'aliments souvent très carencés en azote. Plusieurs espèces ligneuses ont en outre été testées sous forme de banque fourragère arbustive à forte densité et haute valeur protéique. Il s'agit du Leucaena leucocephala, Albizia lebbeck, Gliricidia sepium, Samanea saman et du Morus alba décrits par Sib et al. (2020) au Burkina Faso. Ces ressources possèdent une teneur élevée en protéines qui équilibre la ration. À la suite de plusieurs études in vitro et in vivo, Naumann et al. (2015) et Archimède et al. (2016) ont rapporté le potentiel de ces ressources à atténuer les émissions de eCH4 grâce à leurs teneurs élevées en tanins ou saponines. En Afrique du Sud, du Toit (2017) a rapporté des réductions significatives de eCH4 (g/kg MSI) de – 18 % et – 14 % dans des essais in vitro après avoir substitué Eragrostis curvula par Lespedeza cuneata à hauteur respectivement de 60 % et 90 % de l'ingéré chez les ovins. Cependant, la composition chimique du fourrage varie en fonction de son stade de développement, de la saison et de l'état de distribution (frais ou sec). Cet aspect n'a pas été considéré par ces auteurs dans leurs analyses. Leurs résultats nécessitent donc d'être complétés avec d'autres mesures in vivo pour évaluer le potentiel réel de réduction des émissions de eCH4 par les légumineuses arbustives.
b. Apport d’aliments concentrés à base de coproduits des industries agroalimentaires
Les concentrés peuvent être fabriqués à partir de coproduits disponibles localement : oléagineux (tourteaux), céréales (sons de mil, de sorgho, de maïs), brasserie (drêche) et sucreries (mélasse, bagasse). Les aliments concentrés sont aussi connus pour leur potentiel de réduction des émissions de eCH4 (van Wyngaard et al., 2018b). En premier lieu, ils permettent une complémentation de la ration qui assure un meilleur fonctionnement du rumen et un transit plus rapide. En second lieu, ils peuvent orienter les fermentations vers des voies métaboliques moins productrices de eCH4 (la propionogenèse rend l'hydrogène moins disponible pour les archées méthanogènes).
Selon leur formulation et la quantité ingérée, les aliments concentrés ne présentent pas le même potentiel réducteur (Muñoz et al., 2018). En ASS (Bénin), Laibi et al. (2015) ont mis en évidence in vitro la réduction de – 7 à – 23 % (µmol/mmol d'acide gras volatils) des émissions de eCH4 par un concentré (à base de son de blé, tourteau de coton). En Afrique du Sud, la complémentation au pâturage avec 4 ou 8 kg de concentré (à base de maïs, soja et mélasse) des vaches laitières jersey a réduit en moyenne les émissions de eCH4 de – 14 % en rendement (g/kg MSI) et de – 29 % en intensité (g/kg lait) (van Wyngaard et al., 2018a). Toutefois, la complémentation des rations par des aliments concentrés doit tenir compte du coût pour le producteur et veiller à maintenir un fonctionnement normal du rumen. En effet, l'alimentation des ruminants doit comporter de 300 à 500 g de NDF/kg MS pour garantir un fonctionnement normal (pH = 5,5 à 6,6) du rumen (INRA, 2018). Un excès de concentrés (jusqu'à 60 à 80 % de l'ingéré) peut entraîner une acidose ruminale qui va induire une baisse de la production et l'apparition de problèmes pathophysiologiques (Martin et al., 2006).
c. Apport de coproduits et résidus de culture
En ASS, les coproduits et résidus de culture sont utilisés par les éleveurs dans l'alimentation des ruminants en milieu réel (Savadogo et al., 1999) surtout en saison sèche dans la période post-récolte. Les principaux coproduits disponibles sont issus des cultures de légumineuses (fanes d'arachide, de niébé, de voandzou) et de céréales (pailles de maïs, de mil, de sorgho, de riz), des racines et des tubercules (épluchures de manioc, d'igname, de patate) (Savadogo et al., 1999 ; Montcho et al., 2016), ou encore du maraîchage (carottes, feuilles de chou, pommes de terre et haricots verts abîmés) (de Bon et al., 2019). Une augmentation de leur disponibilité, liée à l'augmentation de la production de céréales, est prévisible dans les années à venir en ASS (FAO, 2014) et l'optimisation de leur utilisation est un enjeu particulier (Zoungrana et al., 2023).
Ces ressources n'ont pas fait l'objet d'étude exploratoire pour leur potentiel de réduction de eCH4. La composition chimique des principaux coproduits agricoles analysés par Savadogo et al. (1999) et Gbenou et al. (2023) révèle que les pailles de céréales sont pauvres en protéines, mais elles permettent aux animaux de subsister surtout pendant les périodes de soudure. Les coproduits de légumineuses sont en général plus riches aussi bien en protéines qu'en énergie. Ils permettent une amélioration de l'ingestion par rapport aux animaux non complémentés. Pour améliorer la teneur en azote des coproduits de céréales, les éleveurs peuvent les traiter à l'urée (Aruwayo, 2018) ou aux nitrates (Chivandi et al., 2007). Si cette pratique est simple, facilement maîtrisable et techniquement efficace en théorie, son adoption est cependant très faible en raison du prix élevé de l'urée et de la faible disponibilité des nitrates en ASS. Enfin, elle comporte un risque d'intoxication des animaux en cas de mauvaise maîtrise technique conduisant à une grande consommation d'urée ou de nitrates (Abdelbagi et al., 2023 ; Gimelli et al., 2023). Rebelo et al. (2019) a rapporté au Brésil que l'apport d'urée réduit la production in vivo de eCH4. De la même manière, les nitrates sont connus pour leur capacité à réduire in vivo ces émissions (Guyader et al., 2015). Cependant, l'utilisation des coproduits et résidus de cultures et l'apport d'urée ou de nitrates dans l'alimentation restent des pistes non suffisamment documentées en ASS pour l'atténuation de eCH4 chez les ruminants.
d. Apport de fourrages conservés
Les fourrages conservés en ASS sont issus des cultures fourragères, de l'herbe de parcours naturels, et des coproduits et résidus de culture (Ajayi, 2011). Ces fourrages sont généralement conservés après séchage sous forme de pailles. Des essais d'introduction de la technique d'ensilage ont eu lieu mais ils ont rencontré très peu de succès. Pourtant l'ensilage se présente comme un meilleur candidat pour la réduction du rendement eCH4 (Dall-Orsoletta et al., 2019a). En effet, la méthanogenèse est plus faible chez l'animal alimenté avec de l'ensilage (car plus digestible) que chez celui nourri avec le foin (Beauchemin et al., 2008). L'ensilage augmente l'ingestion volontaire et réduit ainsi le temps de séjour des aliments dans le rumen. Le rendement de eCH4 est par conséquent réduit. De plus, la digestion post-ruminale est énergétiquement plus efficace (par rapport à la fermentation microbienne ruminale) et améliore les performances des animaux d'où la réduction de l'intensité de eCH4.
Le fort potentiel de réduction de eCH4 de l'ensilage a été mis en évidence in vivo au Brésil par Dall-Orsoletta et al. (2019a). Au Kenya, Ali et al. (2019) ont testé in vivo l'inclusion de 19 % d'ensilage de patate douce dans la ration pour augmenter l'apport azoté chez les génisses et ont rapporté une réduction de 9 % de eCH4 (g/kg MSI). Une forte réduction de eCH4 est probable avec un taux élevé d'inclusion de l'ensilage dans la ration. Cependant, fabriquer de l'ensilage demande des fourrages de base de bonne qualité, des investissements, du travail et un lieu sécurisé pour le stocker. L'alimentation des animaux avec de l'ensilage ne peut pas se faire au PAT, mais pourrait plus facilement être adoptée en ELE et en STA, en cas de disponibilité de ressources alimentaires pour des reports de stocks.
e. Amélioration du pâturage
Au pâturage, la réduction de eCH4 peut aussi être mise en place via une stratégie permettant d'améliorer la quantité et la qualité des herbacées. Cette amélioration peut se faire à travers l'introduction d'espèces appétentes et déclarées inductrices de faibles émissions de eCH4. En Afrique du Sud, du Toit et al. (2018) ont étudié in vitro le potentiel méthanogène de la plupart des fourrages consommés par les ruminants au pâturage. Selon ces auteurs, les espèces fourragères à faible potentiel méthanogène sont, entre autres, Andropogon gayanus, Bothriochloa bladhii, Panicum maximum, Eragrostis curvula, Trachypogon spicatus, Elionurus miticus. L'introduction de ces espèces dans les stratégies de restauration et d'amélioration des parcours naturels ou leur utilisation en culture fourragère peuvent être envisagées comme stratégies de réduction de eCH4 en ASS au PAT, en ELE et en STA. Toutefois la pérennisation de ces pâturages améliorés nécessite une gestion adéquate, notamment une répartition rationnelle du bétail et la mise en pâture de la catégorie d'animaux convenant le mieux aux différents types de pâturages.
3.2. Gestion des animaux et des troupeaux
a. Réduction du nombre d’animaux improductifs
En ASS, la présence d'animaux improductifs augmente l'intensité de eCH4 au niveau du troupeau. Ces animaux sont les vaches en fin de carrière et les taureaux âgés qui peuvent être remplacés par des animaux jeunes et performants ou efficients. Dall-Orsoletta et al. (2019b) ont rapporté une réduction de l'intensité de eCH4 du troupeau suite à un remplacement des vaches âgées par des génisses. Le remplacement des animaux improductifs dans le troupeau est une stratégie pour réduire l'intensité de eCH4. Cette stratégie peut être appliquée au PAT, en ELE et en STA.
b. Maintien du bon état sanitaire des animaux
La production de eCH4 chez les ruminants est également liée à leur état de santé (Grešáková et al., 2021). L'animal malade ingère peu et lorsque l'animal ingère en dessous de sa capacité d'ingestion, l'aliment passe plus de temps dans le rumen et induit un rendement et une intensité de eCH4 élevés. Aussi, Fox et al. (2018) ont rapporté que les animaux parasités émettent plus de eCH4. Assurer un bon état sanitaire (déparasitage, soins ponctuels, vaccination) des animaux leur permet de mieux ingérer, digérer et de produire moins de eCH4 par unité d'ingéré ou de produit. Que cela soit au PAT, en ELE ou en STA, une attention ponctuelle doit être accordée au comportement des animaux afin d'identifier tout dysfonctionnement sanitaire et traiter l'animal malade ou le sortir du troupeau s'il s'agit d'une maladie contagieuse. En ASS, cette stratégie peut s'appliquer à condition que les éleveurs soient rigoureux pour faire vacciner leurs animaux pendant les campagnes de vaccinations nationales organisées périodiquement par les États.
c. Réduction de l’âge au premier vêlage
En ASS, l'âge au premier vêlage est tardif, généralement 48 mois en moyenne (Tellah et al., 2015). Dall-Orsoletta et al. (2019b) ont rapporté que plus l'âge au premier vêlage des vaches était élevé plus l'intensité des émissions de eCH4 du troupeau était importante. L'âge tardif au premier vêlage réduit la productivité, les performances reproductives et économiques pour les éleveurs. Il est possible de ramener cet âge à 36 mois (N'Diaye et al., 2002), ce qui se traduirait par une augmentation de la production de lait par jour de vie productive de la vache et une réduction de la durée d'élevage des génisses. L'éleveur produit donc plus de lait sans augmenter l'effectif de son troupeau, ce qui a pour conséquence de réduire les émissions de eCH4 par unité de produit. Cette stratégie peut s'appliquer au PAT, en ELE et en STA.
d. Sélection des animaux faibles émetteurs
La sélection génétique des animaux faibles émetteurs permet de réduire les émissions de eCH4. Elle a fait ses preuves (Hegarty et al., 2007), et permet d'espérer des réductions de 10 % sur 10 ans (Fouts et al., 2022). Elle nécessite une mesure de eCH4 qui peut être effectuée directement ou indirectement pour chaque animal. Mais la précision et la mise en œuvre de la sélection directe nécessitent des données de eCH4 sur 12 000 à 25 000 animaux (de Haas et al., 2011). La mesure directe pour la sélection est peu pratique et coûteuse (Fouts et al., 2022) pour les États d'ASS. En plus, elle ne pourra être appliquée qu'en STA. Indirectement, la sélection des animaux pourrait être possible au PAT et en ELE. En tout état de cause, il n'y a actuellement pas de programme de sélection et de suivi de performances individuelles à grande échelle en ASS.
Dans tous les cas, il convient de faire attention aux compromis avec les autres phénotypes d'intérêt. Pour une même production, il existe des différences dans les émissions de eCH4 entre les races, les individus (Maciel et al., 2019) et le sexe (Washaya et al., 2018). Le phénotypage d'animaux sur leurs émissions de eCH4 est une approche qui nécessite de pouvoir mesurer un grand nombre d'animaux dans des environnements variés. La sélection d'animaux faibles émetteurs est devenue pertinente à partir du moment où il a été montré que le phénotype est répétable et héritable. Avec des rations riches en fibres ou en amidon chez les bovins viande, les émissions de eCH4 en g/jour et en g/kg MSI sont répétables aussi bien pour les régimes différents (Coppa et al., 2021) que contrastés (Bes et al., 2022). La faisabilité de la sélection en ELE et au PAT doit impliquer l'État qui peut subventionner les activités et encourager les éleveurs dans ce sens.
e. Diminution de la taille du cheptel
La réduction du cheptel national est une solution efficace pour réduire les émissions de eCH4 en g/j mais il est nécessaire d’avoir des animaux plus productifs pour à la fois réduire l’intensité de eCH4 et assurer la production de produits animaux afin de nourrir la population (Ulyatt & Lassey, 2001). En ASS, l'apport quotidien en protéines animales est de 11 g/j et par habitant alors que le minimum nécessaire est estimé à 20 g (Chatellier, 2020). Dans le même temps, la demande en produits animaux (viande et lait) augmente rapidement avec la croissance démographique. L’intensification de la production animale doit donc aller de pair avec la protection de l’environnement afin de garantir la disponibilité des ressources alimentaires aux animaux et le revenu des éleveurs. Au lieu d’augmenter le nombre de têtes animales pour nourrir la population, il serait plus judicieux d’élever des animaux plus efficients et plus productifs. La réduction du cheptel national par la sortie des animaux peu productifs pourrait alors s’effectuer aussi bien au PAT, en ELE et en STA.
3.3. Combinaison de stratégies
La combinaison de plusieurs stratégies pour réduire les émissions de eCH4 est susceptible d’augmenter ou de diminuer l'efficacité des stratégies considérées individuellement. Martin (2021) a rapporté un effet additif entre deux stratégies alimentaires (apport de lipides et de nitrates) sur les émissions de eCH4. Pour l’ASS, il convient d’abord de bien connaître les effets de chacune des stratégies avant d’étudier les interactions entre les stratégies et leurs conséquences non seulement sur les émissions de eCH4 mais aussi sur d’autres phénotypes d’intérêt (production, efficience, santé) et d’autres index environnementaux. Le tableau 3 récapitule, pour chaque groupe d’élevage en ASS, les stratégies potentielles de réduction des émissions de eCH4 qui peuvent être utilisées individuellement ou en combinaison.
Tableau 3. Stratégies d’atténuation du méthane entérique et leur adaptation aux différentes conditions d’élevage en Afrique subsaharienne.
MSI : matière sèche ingérée, PV : poids vif, GMQ : gain moyen quotidien.
Les pourcentages de réduction de eCH4 sont représentés par les flèches comme proposé par Beauchemin et al. (2022) : ↓ : diminution jusqu'à 15 % ; ↓↓ : diminution de 15 à 24 % ; ↓↓↓ : diminution à partir de 25 % ; 0 : pas d'effet ; - : non rapporté ; ↑ : augmentation jusqu'à 15 % ; ↑↑ : augmentation de 15 à 24 %.
Conclusion
L’élevage en Afrique subsaharienne est soumis à de multiples pressions : la réduction des espaces de parcours, le réchauffement climatique et ses effets sur les ressources, les attentes sociétales. Il doit produire plus pour faire face à l’insécurité alimentaire en termes de protéines animales parallèlement à une alimentation plus équilibrée, et répondre à des injonctions de réduction de son impact environnemental. Il existe de grandes marges de progrès sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et principalement de méthane entérique, si on les rapporte à la production car celle-ci est actuellement faible notamment en élevage pastoral. Les gains de potentiels sont très élevés en augmentant la productivité des animaux via une alimentation mieux adaptée et en améliorant les pratiques de gestion des troupeaux.
Mais pour progresser le plus efficacement possible dans la mise en place de systèmes d’élevage vertueux, l’effort doit porter sur la création de connaissances solides et objectives sur les principaux facteurs de variation de la production de méthane entérique en Afrique subsaharienne. Ceci implique tout d’abord la production de données de référence précises. Celles-ci permettront également de valider des prédicteurs (proxys) faciles d’accès à grande échelle et en conditions pratiques. La recherche a donc un grand rôle à jouer dans cet appui au développement durable de la filière animale dans cette région du monde.
Par ailleurs il est important d’élargir l’évaluation environnementale en considérant non seulement les émissions de GES (méthane et oxyde nitreux) des animaux, mais également les autres aspects de leur interaction avec l’environnement. En effet dans les conditions d’élevage extensif qui prévalent en ASS et notamment dans les zones sahéliennes, les animaux ont un rôle central dans le cycle du carbone, avec une capacité à restituer au sol de la matière organique qui serait autrement dégradée ou brûlée. Ils peuvent contribuer au stockage de carbone avec des valeurs faibles par hectare, mais sur des surfaces considérables.
Contribution des auteurs
GXG a défini les grandes lignes de l’article qui ont été validées par MHA, CM, DB et LHD. La première version de l'article a été rédigée par GXG. LB, OS, BB, NZ, TB et SS ont corrigé l'article. MHA, CM, DB et LHD ont visé les corrections et la version finale. Tous les auteurs ont approuvé la version soumise.
Remerciements
Cette revue est rendue possible par le projet CaSSECS « Carbon Sequestration and greenhouse gas emissions in (agro) Sylvopastoral Ecosystems in the sahelian CILSS States ». Ce projet régional a été financé par l'Union européenne (programme européen DeSIRA, au titre de la convention de subvention N°FOOD/2019/410-169).
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Résumé
Plusieurs méthodes ont été proposées pour la mesure in vivo, la prédiction et la réduction des émissions de méthane entérique (eCH4) des ruminants. La plupart de ces méthodes sont coûteuses, techniquement complexes et parfois non adaptées aux spécificités des systèmes d’élevage en Afrique subsaharienne (ASS). L’objectif de cette synthèse est d’analyser les différentes techniques de mesure individuelle selon les conditions d’élevage en ASS. Les techniques de mesure individuelle in vivo regroupent la chambre respiratoire, la hotte ventilée, le système GreenFeed® (C-Lock) et l’hexafluorure de soufre comme traceur. Elles sont discutées et classées selon le terrain d’utilisation. Les approches de mesure indirecte de eCH4 s’appuient sur des proxys (ou prédicteurs) issus de différentes matrices biologiques. En ASS, les proxys susceptibles d’être utilisés dans les différentes conditions d’élevage sont les caractéristiques de l’ingéré (quantité, composition), du lait (quantité, composition globale estimée par spectres MIR), des fèces (archéols, composition globale estimée par spectres SPIR) ou des gaz expirés. Par ailleurs, les stratégies potentielles de réduction de eCH4 adaptées en ASS sont 1) l’utilisation de légumineuses arbustives, d’aliments concentrés à base de sous-produits, de coproduits et résidus de cultures, et de fourrages conservés ; 2) l’amélioration du pâturage ; 3) le remplacement des animaux improductifs ; 4) le maintien du bon état sanitaire des animaux ; et 5) la réduction de l’âge au premier vêlage des femelles.
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