Les productions d’élevage en AB en France : structures des fermes, répartition spatiale et évolution récente
Chapeau
Cet article présente une analyse des huit principales filières d’élevage biologique françaises sur l’année 2021 ainsi que l’évolution depuis 2010. Réalisée grâce à la base de données gérée par l’Agence Bio, elle montre la grande diversité des fermes en termes de distribution géographique, de dimension et de combinaison de productions, avec un effet a priori structurant des modes de commercialisation et surtout des filières historiques conventionnelles.
Introduction
L'agriculture biologique (AB) est un mode de production qui a connu un fort développement en France depuis plus de 20 ans. Sur la période couverte par cette étude (2010-2021), le nombre de fermes (entièrement en AB ou mixtes) a été multiplié par près de trois, passant de 20 676 en 2010 à 58 342 en 2021. Ce mode de production, qui représente 10,3 % de la surface agricole utilisée (SAU) française et 13,4 % des fermes en 2021 (Agence Bio, 2022), fait appel aux principes de l'agroécologie avec une place particulière pour l'élevage, notamment en prônant son intégration avec les productions végétales, en particulier les grandes cultures (Benoit et al., 2020). En effet, la présence d'animaux permet par exemple de détruire des cultures intermédiaires tout en les valorisant sous la forme de protéines animales de qualité et en restituant directement au sol des éléments fertilisants. Ces cultures intermédiaires, ainsi que les cultures fourragères implantées pour deux ou trois ans, visent à rompre les cycles des maladies et adventices en évitant l'utilisation de molécules de synthèse. Basées sur des légumineuses fourragères, elles concourent en outre à une fixation importante d'azote atmosphérique qui se substitue à l'azote de synthèse, interdit en AB. Ce couplage élevage-cultures pose cependant la question de la distribution géographique des productions correspondantes. En agriculture conventionnelle, élevage et cultures sont fréquemment dissociés, dans des régions spécifiques (grandes cultures ou élevage), ce qui a pu être favorisé par la disponibilité d'intrants de synthèse et le transport de matières premières sur de longues distances (aliment du bétail en particulier), particulièrement depuis le continent sud-américain pour les protéagineux. Ceci a conduit à la forte spécialisation de la majorité des territoires agricoles français (Chatellier, 2021) et à des impasses environnementales, tant dans le secteur de l'élevage avec par exemple des phénomènes d'eutrophisation liés à des excédents de minéraux issus des élevages hors sol, que dans le secteur des grandes cultures avec une utilisation systématique de pesticides et d'engrais de synthèse, une pollution de la ressource en eau et une chute de la biodiversité. Le recouplage de l'élevage et des cultures, selon les principes de l'agroécologie, peut conduire à la construction de systèmes de production plus vertueux (Bonaudo et al., 2014) et constitue en cela un horizon souhaitable.
La question de la spécialisation peut aussi se décliner, au-delà de l'association culture-élevage, en termes de combinaison d'ateliers d'élevages au sein d'une même ferme, avec potentiellement : i) un gain de productivité, par exemple pour les ovins dans l'association ovins-bovins (d'Alexis et al., 2014 ; Dumont et al., 2023 ; Prache et al., 2023) ; ii) l'utilisation de coproduits issus d'un atelier vers un second atelier, comme le petit-lait issu de la transformation fromagère utilisé par les porcs à l'engraissement (Benoit et al., 2023) ; iii) des économies de gamme, au niveau de la production mais aussi de la commercialisation en circuits courts, en élargissant la gamme de produits proposés (Benoit et al., 2023). Sur ce dernier point, il faut noter que la vente directe est particulièrement développée en AB, où les principes fondateurs favorisent le rapprochement du producteur, du consommateur et du citoyen. La vente directe est l'un des modes de commercialisation en circuit court, cette dernière étant définie par la DGCCRF (2022) comme « la vente d'un produit présentant un intermédiaire au plus ». La vente directe concerne près d'une ferme sur deux en AB, contre une sur quatre en agriculture conventionnelle (Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, 2021 ; Agence Bio, 2022).
La base de données de l’Agence Bio, annuelle et exhaustive (dans la mesure où elle recense toutes les fermes certifiées bio françaises) permet d’éclairer ces questions : i) quelle est la dimension des fermes en termes de taille des troupeaux ? ii) quelle est la distribution spatiale de l’élevage bio, en particulier dans les zones d’agriculture conventionnelle très peu pourvues en élevage et dans lesquelles les grandes filières de transformation des produits animaux (lait et viande en particulier) sont absentes ? et iii) peut-on observer, et avec quelle importance relative, l’association de plusieurs productions d’élevage au sein des fermes biologiques françaises ? En outre, la continuité de la base de données au fil des ans rend possible l’étude de ces questions sur 12 années (2010-2021), avec un point d’attention particulier sur la distribution spatiale des fermes et leur niveau et type de diversification.
L’analyse présentée, axée sur les principales productions françaises d’élevage (bovins et ovins lait et viande, caprins, poulets de chair, poules pondeuses, porcs), vise donc à dresser une photographie de l’élevage biologique en France en 2021 au travers de sa répartition spatiale et de la structure de ses ateliers (effectifs d’animaux, combinaison d’espèces et/ou de productions), tout en considérant les évolutions sur la dernière décennie.
1. Matériel et méthode
1.1. Une base de données des opérateurs en AB gérée par l’Agence Bio
L’Agence Bio, créée en 2001, est un groupement d’intérêt public en charge du développement, de la promotion et de la structuration de l’agriculture biologique française. L’une de ses quatre missions est de gérer les notifications des producteurs et autres opérateurs économiques certifiés en AB à l’échelle nationale, à partir de données transférées par les organismes de certification agréés par les pouvoirs publics au travers de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Ces données sont collectées sur les exploitations lors du contrôle nécessaire à la certification AB. Elles sont mises à jour annuellement par l’Agence Bio, pour chaque opérateur certifié en AB (exploitation agricole ou opérateur économique de la filière), et consolidées au sein du système d’information centralisé de l’Observatoire national de l’agriculture biologique (ONAB).
1.2. Quelles sont les données disponibles ?
Les données relatives aux fermes certifiées en AB concernent plus particulièrement leurs moyens de production : surfaces mises en œuvre (par culture) et types et nombres d’animaux présents. Pour les ruminants, seul le nombre de reproducteurs est systématiquement renseigné ; c’est donc cet indicateur qui est retenu dans cette étude. Nous considérons 12 catégories de productions animales en regroupant certaines productions marginales dans la catégorie « autres » (équins, camélidés…) (tableau 1). La base de données source compte plus de 300 productions végétales que nous regroupons en sept grands types (tableau 1). Ne sont retenues dans l’étude que les fermes étant engagées en AB pour l’intégralité de leur surface (exclusion des fermes mixtes AB et agriculture conventionnelle), soit, pour 2021, environ 75 % de l’ensemble mais 86 % des fermes AB ayant de l’élevage.
Sur la période 2010-2021, la base de données compte 399 998 couples ferme × année, dont 306 806 sont totalement certifiées en AB. Les fermes en cours de conversion vers l’AB sont exclues de l’analyse de même que les fermes sortant de la certification en cours d’année. Au final, 75 % de la base initiale est retenue dans l’analyse, soit 303 006 couples ferme × année. Compte tenu du développement continu et important de la production en AB, les dernières années étudiées ont une forte contribution, avec 41 819 fermes entièrement engagées en AB en 2021.
Tableau 1. Regroupement des productions agricoles retenues dans l’étude.
Productions animales |
Productions végétales |
---|---|
Vaches allaitantes |
Grandes cultures |
Vaches laitières |
Légumes (maraîchage et plein champ) |
Brebis viande |
Fruits |
Brebis laitières |
Vignes |
Chèvres |
Plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) |
Poules pondeuses |
Prairies, parcours |
Poulets de chair |
Cultures fourragères |
Porcs |
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Autres productions : |
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Autres volailles de chair (canard, oie, pintade…) |
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Apiculture |
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Lapins, lapines reproductrices |
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Équins, camélidés… |
1.3. Traitement des données
a. Troupeaux avec de très petits effectifs de vaches laitières
En présence simultanée d’un atelier de vaches laitières comptant cinq têtes ou moins et d’un atelier de vaches allaitantes, seul l’atelier de vaches allaitantes est pris en compte, en y intégrant les quelques vaches laitières. En effet, nous considérons que, dans ce type de situation, les vaches laitières jouent le rôle de vaches nourrices, la base de données ne permettant pas de vérifier l’existence d’une production laitière commercialisée. Ce choix concerne 1 912 observations (fermes × années) représentant 3 802 têtes dans l’ensemble de la base de données (soit 0,2 % des effectifs de vaches laitières).
b. Les classes d’effectifs
Pour chaque type de production animale, les fermes ont été classées selon leurs effectifs d’animaux. Pour ce faire, des classes de taille ont été définies selon des intervalles fixés à dire d’experts pour mieux intégrer les réalités de terrain et d’éventuels seuils réglementaires (par exemple, il n’est pas nécessaire de disposer d’un centre de conditionnement des œufs sur la ferme lorsque l’effectif de poules pondeuses est inférieur à 250), et avec l’objectif de catégoriser une production donnée en trois à cinq classes d’effectifs d’animaux.
c. Typologie synthétique de l’élevage biologique français
Un premier objectif a consisté à visualiser de façon synthétique la structure de la ferme bio française en termes d’associations de production grâce à la construction d’une arborescence typologique (figure 1). Pour typer une exploitation, huit productions d’élevage principales sont prises en compte auxquelles s’ajoute une catégorie « autres productions », dont « autres volailles de chair » (tableau 1) ; en parallèle, la production végétale de l’exploitation est typée au travers de trois grands types : monoculture fourragère, polyculture avec grandes cultures, polyculture sans grandes cultures. La catégorie « polyculture » désigne la combinaison de plusieurs types de productions végétales, pérennes (arboriculture et viticulture) ou non (grandes cultures, légumes et plantes à parfum, aromatiques et médicinales).
L’arbre typologique a été construit de telle sorte qu’à chaque embranchement l’ensemble des branches décrites représente au moins 80 % du nœud et que chacune des branches représente au moins 5 % du nœud ; les autres situations n’apparaissent donc pas dans les figures.
Dans les cartes de répartition géographique à l’échelle métropolitaine réalisées pour chaque filière, nous avons parfois procédé à certains regroupements pour une meilleure lisibilité, en combinant par exemple les monogastriques en une seule catégorie, les petits ruminants avec les grands ruminants, ou encore en réunissant les différentes productions laitières.
Figure 1. Structure globale de l’arbre de représentation des fermes françaises en AB, selon le(s) type(s) d’atelier d’élevage et les types de productions végétales associées.
La classe « polyélevage – avec d’autres productions » renvoie aux fermes en polyélevage intégrant, en plus des productions dominantes classiques, au moins une production parmi les productions apicole, cunicole ou équine. L’arbre complet est présenté en figures 2, 3 et 4.
2. Résultats
2.1. L’arbre de représentation des fermes françaises en AB
Les figures 2, 3 et 4 représentent l’ensemble des fermes françaises totalement en AB en 2021, en segmentant la population selon la typologie définie à la figure 1. Globalement, 37 % des fermes ont au moins un atelier d’élevage, ce qui correspond exactement à la moyenne des fermes françaises tous modes de production confondus (Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 2022). Parmi cette sous-population, la figure 2 montre que 73 % des fermes d’élevage en AB n’ont qu’un seul type d’atelier d’élevage (« monoélevage ») et 27 % en ont plusieurs (« polyélevage »). La figure 3 montre quant à elle que parmi les fermes monoélevage, près des trois quarts ne comptent que des ruminants avec, à parts égales, les vaches laitières et les vaches allaitantes (40 % pour chaque catégorie), suivies par les brebis viande (10 %). La présence de grandes cultures est largement majoritaire dans l’ensemble des types d’élevage, sauf pour les chèvres. Les fermes détenant des vaches laitières et/ou allaitantes et ayant des grandes cultures représentent ainsi 11,3 % des fermes françaises en AB. Les poules pondeuses représentent 52 % des fermes en monoélevage sans ruminants (figure 3), et les grandes cultures ne sont alors présentes que dans 26 % des cas. Porcs et poulets de chair ne représentent que 9 et 7 % respectivement des fermes en monoélevage de non ruminants mais la présence de grandes cultures y est plus fréquente (67 et 47 % des fermes, respectivement).
Concernant les fermes en polyélevage ayant au moins un atelier de ruminants (figure 4), ce sont les vaches allaitantes qui sont le plus souvent associées à une autre production animale. Cette dernière est le plus fréquemment constituée de vaches laitières (1,1 % de la population globale), puis de brebis viande (0,9 %), de porcs (0,4 %) et enfin de poules pondeuses (0,3 %). Les autres types de combinaison d’élevages consistent en l’association de vaches laitières avec des porcs et de vaches laitières avec des poules pondeuses (0,2 % dans chaque cas). Dans les fermes en polyélevage de monogastriques uniquement, on observe quasi exclusivement l’association de divers types de volailles.
Figure 2. Typologie des fermes françaises totalement en AB en 2021 selon les combinaisons de productions. Décomposition globale de la population.
Les chiffres en grisé représentent la part de chaque catégorie dans la population générale des 41 819 fermes totalement en AB (avec ou sans élevage) ; les chiffres en noir représentent la part de chaque catégorie au niveau du nœud correspondant. Sauf exception, les catégories qui contribuent pour moins de 5 % à un nœud ne sont pas figurées.
Figure 3. Typologie des fermes françaises totalement en AB en 2021 selon les combinaisons de productions. Décomposition de la sous-population des fermes n’ayant qu’un seul type de production animale (monoélevage).
Les chiffres en grisé représentent la part de chaque catégorie dans la population générale des 41 819 fermes totalement en AB ; les chiffres en noir représentent la part de chaque catégorie au niveau du nœud correspondant. Sauf exception, les catégories qui contribuent pour moins de 5 % à un nœud ne sont pas figurées.
Figure 4. Typologie des fermes françaises totalement en AB en 2021 selon les combinaisons de productions. Décomposition de la sous-population des fermes ayant plusieurs ateliers de production animale (polyélevage).
Les chiffres en grisé représentent la part de chaque catégorie dans la population générale des 41 819 fermes totalement en AB ; les chiffres en noir représentent la part de chaque catégorie au niveau du nœud correspondant. Sauf exception, les catégories qui contribuent pour moins de 5 % à un nœud ne sont pas figurées.
2.2. Étude par filière
Pour chacune des huit principales filières d’élevage françaises, la distribution spatiale en 2021 des exploitations et des cheptels dans le territoire national, par département, a été étudiée, en tenant compte des associations avec les autres productions d’élevage. Nous complétons cette description par des éléments concernant l’évolution de ces productions, tant du point de vue de la dimension des ateliers que de la combinaison à d’autres productions d’élevage. Pour une filière donnée, toutes les fermes ayant au moins un animal producteur sont prises en compte.
a. Bovins lait (figure 5A)
La figure 5A montre une concentration particulière de l’élevage laitier en Bretagne, mais aussi une présence significative dans le Massif central, en particulier sur sa frange orientale, et dans l’est de la France. L’analyse sur les 12 dernières années montre qu’il n’y a pas eu d’évolution majeure de cette répartition géographique, même si la Bretagne s’affirme comme région dominante pour cette production, avec la spécificité de gros troupeaux. La très grande majorité des fermes y sont en effet détentrices de plus de 80 vaches, avec fréquemment des troupeaux de 120 vaches et plus. En comparaison, le Massif central est caractérisé par des troupeaux de moins de 40 vaches.
Globalement, la taille moyenne des troupeaux augmente régulièrement depuis 12 ans, parallèlement à l’augmentation du nombre de fermes, multiplié par 2,7 (de 1 634 en 2010 à 4 414 en 2021). Alors que la proportion des fermes de 41 à 80 vaches progresse peu, celle des fermes de 6 à 40 vaches est en nette régression (de 43,8 à 26,9 % des fermes) et celle des troupeaux de plus de 80 vaches passe de 8,1 à 21,2 %. Dans le même temps, la part des fermes de plus de 120 vaches est multipliée par près de quatre (de 1,4 à 5,3 %), le cheptel détenu dans des troupeaux de plus de 120 vaches représentant aujourd’hui 13 % du troupeau national de vaches laitières en AB.
Au fil des 12 dernières années, on peut constater que près de 70 % des fermes sont spécialisées sans autre production d’élevage (monoélevage). Parmi les fermes en polyélevage, la principale association concerne les bovins viande, suivis par les monogastriques et les petits ruminants. Cet aspect a peu évolué.
b. Bovins viande (figure 5B)
Les fermes détentrices de cheptel bovin viande sont davantage réparties sur l’ensemble du territoire que les bovins lait, excepté dans certains départements du Sud-Est et surtout dans le nord de l’Île-de-France où l’élevage est en général peu présent. La zone Bretagne-Normandie-Pays de la Loire reste la première région, suivie par le Massif central. Cette répartition est similaire quelle que soit la taille des cheptels. Les plus petits troupeaux (moins de 10 vaches) sont observés dans des fermes dont les élevages sont les plus diversifiés. Le taux de diversification est supérieur à celui observé pour les fermes de vaches laitières (figure 5B et 5A), et ce, depuis 2010. La principale diversification concerne la présence de vaches laitières, suivie par celle de monogastriques (porcs) puis de petits ruminants (brebis viande).
Le type de diversification est stable dans le temps, de même que la répartition des fermes selon l’effectif de vaches, qui évolue peu sur les 12 dernières années, alors que le nombre de fermes bovines viande AB a été multiplié par 2,6 (de 2 090 en 2010 à 5 394 en 2021).
Figure 5. Nombre de fermes détenant (A) des vaches laitières et (B) des vaches allaitantes, par département (2021).
Secret statistique : Information non disponible en raison du secret statistique.
c. Ovins lait (figure 6A)
Si le bassin de Roquefort et, dans une moindre mesure, le Pays basque restent les régions dominantes dans la production de lait de brebis en AB, on assiste au développement récent de la production d’ovins laitiers en AB dans près de la moitié du territoire national, en particulier dans l’Est et le Sud-Est mais aussi en Bretagne. Fait marquant cependant, ces nouveaux développements de la production se font avec des troupeaux d’effectifs inférieurs à 150 brebis. La majorité des très petits cheptels se situe ainsi en dehors des bassins historiques, en régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Bretagne et Auvergne-Rhône-Alpes, souvent en association avec des caprins. Les quelques troupeaux d’ovins lait en AB de Corse présents en 2010 (en association avec des bovins viande et parfois des vaches laitières) ont quasiment disparu en 2021.
Le développement d’ateliers ovins lait de taille modeste est concomitant de la réduction de la part des cheptels spécialisés (63 % en 2010 contre 54 % en 2021), la principale association étant historiquement observée avec les chèvres, puis avec les vaches allaitantes. Alors que le nombre total de fermes a été multiplié par 3,7 en 12 ans (de 177 en 2010 à 650 en 2023), la part des fermes avec de petits effectifs de brebis laitières (moins de 25 brebis) double sur la période étudiée, passant de 8 à 16 % de l’ensemble des troupeaux. Un lien peut être fait avec la diffusion de cette production hors de la zone de production traditionnelle de lait de brebis. Néanmoins, cette catégorie à petits effectifs représente moins de 1 % des brebis laitières en AB en 2021. La classe de taille la plus importante est celle comptant de 26 à 150 brebis (39 % des fermes) mais les fermes de plus de 300 brebis (26,5 % des fermes) représentent 64 % de l’effectif total des animaux, et certainement une part plus importante encore du volume national de lait de brebis.
Le niveau et le type de diversification varient selon les régions, avec des fermes en général spécialisées dans le bassin de Roquefort (les associations se faisant le cas échéant avec des bovins viande), une forte diversification dans le Pays basque (bovins viande, monogastriques, équins) et une diversification en général très forte dans les autres zones, en particulier avec les caprins dans le grand sud-est de la France.
d. Ovins viande (figure 6B)
À l’instar des bovins viande, les ovins viande sont distribués de façon relativement homogène sur l’ensemble du territoire, avec néanmoins peu de fermes dans les zones dédiées aux grandes cultures du nord de la France. On note cependant, dans les années récentes, un certain développement des fermes ovines dans ces zones, avec la possibilité de couplage de l’élevage aux cultures.
Si les troupeaux de moins de 150 brebis, voire ceux comptant entre 150 et 300 brebis, sont répartis sur une large partie du territoire national, les plus grands troupeaux (au-delà de 300 têtes) sont surtout positionnés dans le quart Sud-Est et dans le nord de la région Nouvelle-Aquitaine, là où se situe la production ovine historique basée sur de grandes troupes.
Globalement, malgré le doublement du nombre de fermes en 12 ans (de 944 fermes en 2010 à 1 959 en 2021), la taille moyenne des cheptels par ferme ne progresse pas. En 2021, les fermes détenant moins de 50 brebis représentent près de 45 % de l’ensemble, avec un total de 7,4 % de l’effectif total de brebis viande.
Sur les 12 dernières années, moins de la moitié des fermes possédant des ovins viande sont spécialisées, mais cette part tend à progresser légèrement. La principale association est celle avec les bovins viande, dans près de 20 % des fermes, ce qui est par ailleurs relativement classique en élevage conventionnel.
Figure 6. Nombre de fermes détenant (A) des brebis laitières et (B) des brebis viande, par département (2021).
e. Chèvres (figures 7A et 7B)
En 2010, la majeure partie des élevages de chèvres en AB était positionnée dans le large sud-est de la France. Au fil des années, alors que le nombre de fermes est multiplié par 2,4 (de 497 en 2010 à 1 174 en 2021), nous assistons à un déploiement de ce type d’élevage dans les trois quarts de la France (à l’exception du Nord et Nord-Est), en particulier dans l’Ouest et le Sud-Ouest (figure 7A). L’analyse des effectifs de chèvres par ferme montre que l’extension spatiale s’est faite, dans l’Ouest, avec de gros troupeaux comptant plus de 100, voire 300 reproductrices (figure 7B). Les petits troupeaux (50 à 100 chèvres, voire moins de 50) restent une spécificité du grand Sud-Est mais c’est la forme d’élevage dominante dans une partie des nouvelles zones d’élevage, par exemple en bordure pyrénéenne. Ces petits troupeaux représentent environ 40 % du cheptel caprin national en AB contre 65 % en 2010, ce recul correspondant à l’apparition de quelques gros troupeaux (plus de 100 voire 300 têtes). Les effectifs de chèvres présents dans les fermes de plus de 300 têtes, négligeables en 2010, représentent près du quart des effectifs en 2021.
La part des fermes caprines diversifiées avec d’autres activités d’élevage est élevée (57,4 %) et cela concerne toutes les régions (figure 7A). Seulement 42,6 % des fermes sont spécialisées. La principale association concerne les autres petits ruminants (ovins lait et viande) mais aussi les bovins et les monogastriques. Cette stratégie de diversification apparaît stable sur les 12 dernières années.
Figure 7. Nombre de fermes détenant des chèvres (A) et nombre de chèvres (B), par département (2021).
f. Poules pondeuses (figures 8A et 8B)
De 2010 à 2021, le nombre d’élevages en AB a été multiplié par 3,2 (de 703 fermes en 2010 à 2 240 en 2021). En 2021, les fermes détenant des poules pondeuses étaient distribuées dans la quasi-totalité du territoire national, avec une plus forte représentation dans l’Ouest et dans une moindre mesure le Sud-Est (figure 8A). Comme pour d’autres productions d’élevage biologique, on observe une extension géographique au fil des années. En 2010, environ un tiers des départements détenaient moins de trois élevages de poules pondeuses ; aucun n’est dans ce cas en 2021, à l’exception des départements de l’Île-de-France et du Territoire de Belfort. Cette très large répartition géographique concerne essentiellement les petits élevages (moins de 250 poules) car les gros ateliers (plus de 4 000 voire 12 000 têtes) restent très concentrés, en particulier dans l’Ouest (Bretagne et Pays de la Loire) et dans une moindre mesure dans le Sud-Est et le Nord (figure 8B). Même si la part des ateliers de moins de 250 poules reste proche de 50 % de l’ensemble des élevages, l'effectif des poules présentes dans ces ateliers se réduit au fil des ans et représente seulement environ 1 % de l’ensemble des effectifs en 2021. À l’inverse, la part des poules présentes dans les gros ateliers (plus de 12 000 têtes) passe de 8 à 33 % des effectifs totaux entre 2010 et 2021.
Les fermes ont tendance à se spécialiser, avec une proportion des monoélevages de poules pondeuses passant de 44,5 % en 2010 à de 62 % en 2021. En dehors de l’association à la production de volailles de chair, majoritaire (9 %), la principale association concerne les bovins viande, stable depuis 12 ans.
Figure 8. Nombre de fermes avec des poules pondeuses (A) et nombre de poules pondeuses (B), par département (2021).
g. Poulets de chair (figures 9A et 9B)
Avec un doublement du nombre de fermes en AB en 12 ans (de 419 en 2010 à 849 en 2021), la progression est la moins importante des huit filières étudiées, mais il faut rappeler la part importante des autres signes officiels de qualité pour ce type de produit. Même si l’on observe une certaine extension territoriale, la production de poulets de chair reste spécifique de l’ouest de la France (Pays de la Loire), devant Auvergne-Rhône-Alpes et le Sud-Ouest (figure 9A). Les ateliers de moins de 4 800 têtes se répartissent dans l’ensemble des départements de ces régions mais les gros ateliers (plus de 4 800 têtes) sont surtout présents dans l’Ouest (figure 9B). En outre, la part des ateliers détenant plus de 4 800 têtes est en constante augmentation, atteignant 62 % des fermes en 2021, avec plus de 94 % des poulets produits.
Les poulets de chair sont très généralement associés à d’autres volailles (dans un tiers des fermes), mais aussi, très fréquemment, à des ruminants viande (bovins essentiellement), dans un quart des cas. Ces associations apparaissent relativement stables dans le temps.
Figure 9. Nombre de fermes détenant des poulets de chair (A) et nombre de poulets de chair (B), par département (2021).
h. Porcs (figures 10A et 10B)
En 2021, sur un total de 974 fermes françaises détenant des porcs en AB, 50 % ont un profil « naisseur-engraisseur », 39 % sont seulement « engraisseurs » et 11 % seulement « naisseurs ». La figure 10A montre que la production porcine concerne la grande majorité des départements français, hormis ceux très spécialisés en grandes cultures (région parisienne et nord de Paris). La distribution des ateliers est relativement homogène, même s’ils sont plus représentés dans l’Ouest, Auvergne-Rhône-Alpes et le Sud-Ouest, dont l’Aveyron. Le nombre de fermes a été multiplié par 2,06 en 12 ans (de 448 en 2010 à 914 en 2021), évolution proche de celle des poulets de chair. Le nombre de départements concernés est en augmentation entre 2010 et 2021, avec un développement notable dans le pourtour méditerranéen. Cela étant, comme nous l’avons identifié pour les volailles mais de façon encore plus prononcée, cette distribution assez homogène cache une répartition polarisée en termes de types de structures d’élevage, avec la totalité des plus gros ateliers (plus de 100 porcs, fermes spécialisées) située en Bretagne et la quasi-totalité des ateliers de 31 à 100 porcs dans l’Ouest (figure 10B). Les plus petits ateliers (moins de 10 porcs) sont très présents dans la moitié sud de la France. Il n’y a pas d’évolution significative de la taille des ateliers de porcs charcutiers sur la période étudiée. Les cheptels de moins de 30 porcs représentent 55 % des ateliers (engraisseurs) et 29 % de la production totale ; les ateliers de plus de 500 têtes représentent 12 % des ateliers et 22 % de la production totale.
En ce qui concerne les truies, la taille des ateliers progresse légèrement au fil des ans, même si les fermes comptant moins de 10 truies restent majoritaires, tant dans les systèmes naisseurs que naisseurs engraisseurs ; les fermes détentrices de plus de 100 truies restent marginales (moins de 4 %) mais représentent une partie importante du cheptel (40 %).
La figure 10A montre que les fermes détentrices de porcs sont très diversifiées, avec une association à des ruminants pour la viande dans 27 % des cas, à des ruminants pour le lait dans près de 18 % des cas et aux deux, lait et viande, dans 4 % des cas. Seulement 27 % des fermes sont spécialisées, sans autre production animale (monoélevage).
Figure 10. Nombre de fermes détenant des porcs (A) et nombre de porcs (B), par département (2021).
3. Discussion
3.1. Quels éléments de synthèse retenir ?
La figure 11A montre que le nombre de fermes d’élevage en AB a globalement très fortement augmenté de 2010 à 2021. En termes relatifs, il s’agit en premier lieu des fermes de brebis laitières et de poules pondeuses, près de trois voire quatre fois plus nombreuses en fin de période, le nombre des fermes de poulets de chair et de brebis allaitantes ayant été multiplié par deux « seulement » dans le même temps. La production d’élevage la plus représentée en AB concerne les vaches allaitantes, présentes dans 5 394 fermes, suivies par les vaches laitières, avec 4 414 fermes. Viennent ensuite les fermes avec des poules pondeuses et les brebis allaitantes, avec un nombre de fermes moitié moins important (2 240 et 1 959, respectivement). Concernant l’évolution de la taille des ateliers, le constat est assez contrasté (figure 11B). Alors que la taille des ateliers de poules pondeuses a progressé de 80 % pour atteindre en moyenne près de 3 700 poules par ferme en 2021, certaines productions (ruminants) sont restées stables : brebis lait ou viande, vaches allaitantes. Nous avons vu précédemment que ces valeurs moyennes peuvent cacher des disparités régionales importantes, sachant également que les troupeaux de différentes espèces ou productions sont fréquemment associés au sein de fermes diversifiées, avec des tailles alors plus réduites. La figure 11B rappelle également la dimension moyenne des troupeaux en 2021, en nombre de têtes, avec par exemple 60 vaches laitières par ferme et 35 vaches allaitantes par ferme.
Concernant la spécialisation (monoélevage) ou la diversification des fermes (polyélevage), les situations sont très contrastées entre filières, avec, globalement, une très faible évolution en 12 ans. La figure 12 montre que la production la plus spécialisée est la production bovine laitière, avec près de 75 % des fermes sans autre atelier de production animale. Viennent ensuite les bovins viande, avec 62 % de fermes en monoélevage. Les ovins laitiers présentent une évolution assez atypique, avec une augmentation des fermes de type polyélevage, les élevages spécialisés représentant à peine plus de la moitié des fermes en 2021 ; l’extension de l’élevage ovin laitier au-delà de son aire de production historique pourrait expliquer une telle spécificité. Les fermes possédant des ovins viande restent très diversifiées, avec moins de 50 % de fermes spécialisées, de même que les fermes en production caprine. Les fermes produisant des poulets de chair apparaissent très peu spécialisées (25 %), même si on leur associe les autres types de volailles produites : 50 % des fermes peuvent être alors considérées en monoélevage de volailles de chair. Seulement 25 % des fermes ayant des porcs sont spécialisées dans cette production. La seule production voyant son taux de spécialisation significativement augmenter au fil de la période (de 50 % en 2010 à 60 % en 2021) est celle des poules pondeuses. Cela étant, il paraît essentiel, sur ce sujet de la diversification ou de la spécialisation dans un type d’élevage, d’aborder simultanément la question de la taille des cheptels, de la situation géographique et des modes de commercialisation.
Figure 11. Évolution du nombre de fermes et d’animaux de 2010 (indice 100) à 2021, pour chacune des huit productions étudiées.
(A) Nombre de fermes (les effectifs sont donnés pour l’année 2021) et (B) Nombre de têtes de bétail (les effectifs sont donnés pour l’année 2021 ; nombre de têtes vendues pour les porcs et poulets de chair).
Figure 12. Évolution de 2010 à 2021 de la part des fermes spécialisées dans un seul type d’élevage, pour chacune des huit productions étudiées (les poulets de chair sont repris dans deux catégories).
Par exemple, 75 % des fermes avec des vaches laitières en AB n’ont pas d’autre type d’élevage.
3.2. Quelle structure de l’élevage dans les fermes biologiques en France ?
Nous pourrions être tentés d’étudier les figures 2, 3 et 4 au regard des principes et de la réglementation de l’AB concernant le lien au sol des productions d’élevage et la recherche d’autonomie alimentaire des fermes. Même si les figures 3 et 4 montrent que, dans la très grande majorité des cas, les fermes d’élevage intègrent des grandes cultures, force est de constater que la part des fermes d’élevage associées à de la monoculture fourragère reste très importante et, surtout, qu’une activité d’élevage n’est présente que dans 37 % des fermes en AB. Ceci pose la question de l’origine des ressources fertilisantes mobilisées par les fermes en AB ne pratiquant aucune activité d’élevage, mais aussi de l’origine des concentrés utilisés dans les fermes d’élevage sans grandes cultures. L’analyse que nous pouvons mener à partir des données utilisées ici n’est cependant que partielle dans la mesure où nous ne pouvons en tirer qu’une photo de la structure des fermes et, en aucune façon, en déduire leurs stratégies agronomiques. En particulier, nous ignorons les flux inter-fermes ou via des filières locales, au sein des petites régions agricoles, en termes d’échanges de matières premières entre fermes spécialisées en grandes cultures et en élevage.
L'absence d'élevage dans 63 % des fermes françaises en AB interroge néanmoins quant aux possibilités d'extension de l'AB à grande échelle et aux contraintes associées. En effet, avec une part très minoritaire de l'AB en France, l'approvisionnement des fermes biologiques de grandes cultures ou de maraîchage en éléments fertilisants est en partie issu de fermes d'élevage conventionnelles (Nowak et al., 2013), sachant que sont exclus de cette possibilité les élevages conventionnels dits « industriels ». Par ailleurs, dans un contexte d'inflation importante du prix des engrais de synthèse, la concurrence pour l'accès à ces ressources fertilisantes issues de l'élevage de la part des fermes conventionnelles de grandes cultures pourrait s'exacerber. Aussi, des tensions sur l'approvisionnement en fertilisants pourraient apparaître pour les fermes de cultures en AB, qui pourraient être amenées soit à intégrer une activité d'élevage, soit à contractualiser avec des éleveurs locaux, avec ou sans terre (c.-à-d. pouvant ne pas disposer de surface agricole en leur nom propre).
Concernant les stratégies d'association d'espèces ou de productions animales au sein d'une même ferme, différents enjeux sous-jacents peuvent être relevés : i) la recherche de synergies et de complémentarités biologiques possibles, selon les principes de l'agroécologie ; ii) la complémentarité d'utilisation de la diversité des ressources et des types de surfaces de la ferme ; iii) l'optimisation de la main-d'œuvre présente en termes de compétences et d'attractivité pour certaines productions et iv) le développement de stratégies de commercialisation particulières, en particulier le recours aux circuits courts (Martin et al., 2020). Ceci a pu être mis en évidence dans un large échantillon de fermes en AB diversifiées en élevage à l'échelle de l'Europe (Benoit et al., 2023). De fait, nous observons qu'en France 27 % des fermes d'élevage en AB associent au moins deux types de production d'élevage (figure 2), la part la plus importante (40 %) associant différents types de ruminants et, presque au même niveau (36 %), des fermes associent ruminants et monogastriques.
3.3. Quelle contribution de chaque espèce animale dans les fermes polyélevage biologiques françaises ?
Une analyse plus fine de la base de données permet d’étudier l’évolution et la dispersion de l’association de divers types d’espèces ou de productions. Nous observons par exemple que certaines associations parmi les plus classiques présentent une certaine stabilité dans le temps. C’est le cas de l’association ovins-bovins avec une proportion médiane d’environ 20 % d’ovins par rapport aux bovins (en comptabilisant six brebis en équivalence d’une vache), les ovins restant donc minoritaires dans ce type d’associations. Dans l’association de ruminants et de monogastriques, ces derniers représentent 15 à 20 % des UGB des femelles reproductrices de ruminants. Là aussi, la proportion moyenne reste très stable dans le temps (2010-2021). Même si la base de données utilisée ne compte que les effectifs reproducteurs (pour les ruminants), elle est bien adaptée à l’étude de cette question de l’association des productions, en termes d’ateliers d’élevage ou de productions végétales.
3.4. Taille des ateliers, filières existantes et positionnement géographique
Les représentations cartographiques montrent une distribution variée des fermes sur l’ensemble du territoire, selon les productions. Certaines sont distribuées de façon relativement homogène sur tout le territoire (à l’exception en général des grandes régions très spécialisées en grandes cultures comme le Bassin parisien et sa partie nord). La filière poules pondeuses illustre cette large distribution, ce qui paraît surprenant au premier abord, compte tenu de la spécialisation historique de certains territoires dans cette production. Une étude plus fine montre que cette répartition correspond à des tailles d’ateliers très variables selon les régions et questionne alors le mode de commercialisation. La principale hypothèse est que les régions qui sont le siège d’importantes filières de commercialisation de produits conventionnels (voire de transformation, pour le lait en particulier ainsi que la production porcine) permettent le développement d’ateliers de taille importante (production bovine laitière en Bretagne ou dans l’Est, production ovine laitière dans l’Aveyron, production porcine en Bretagne). Dans les régions qui ne détiennent pas ce type de filières historiques importantes et très structurées, les stratégies de vente sont différentes, avec l’intérêt du développement des circuits de proximité. Ceux-ci peuvent être fondés sur la vente en circuit court mais aussi sur la délégation de l’acte de vente à des tiers, avec plusieurs intermédiaires, pour une distribution à l’échelle locale. Une analyse complémentaire montre que, dans les régions de faible représentation d’une filière donnée (porcs dans le Massif central par exemple), les ateliers sont de faible dimension et sont très majoritairement associés à d’autres productions. Une analyse plus poussée permettrait de tester l’hypothèse selon laquelle on a alors souvent affaire à des fermes multiproductions, bien adaptées à la commercialisation en circuits courts et/ou de proximité. Les productions de ruminants pour la viande sont moins sujettes à la concentration territoriale du fait d’une logistique de commercialisation plus souple (non quotidienne ; lots importants d’animaux transportés sur de plus longues distances).
La dynamique temporelle de développement de certaines filières (le lait par exemple) est fondée tant sur la conversion à l'AB de fermes spécialisées de grande taille dans les zones historiques, en présence de filières longues et structurées, que sur l'installation de nouveaux troupeaux en AB, de plus faible dimension, dans une large partie du territoire national, certainement en lien avec une commercialisation des produits en circuits courts et la création de nouvelles filières. Cela pourrait être le cas en proximité des gros pôles de consommation. En effet, Rover et al. (2020) montrent, certes sur un échantillon limité, que la proximité d'une zone à forte densité de population est une condition préalable au développement de circuits courts de distribution et que les systèmes agricoles correspondants, avec une production diversifiée, vont à l'encontre d'un schéma de spécialisation des systèmes de production.
Au final, l’encadré 1 propose une représentation synthétique des principales logiques identifiées d’articulation entre dimensions des fermes, types de circuits de commercialisation et localisation géographique.
Encadré 1. Proposition de typologie simplifiée de l’élevage biologique français.
L’existence de filières historiques conventionnelles (collecte et transformation des produits) a structuré un élevage biologique avec de gros ateliers (par exemple ovins lait dans le bassin de Roquefort, monogastriques en Bretagne et dans l’Ouest). En complémentarité, et en particulier en l’absence de filières de ce type, les éleveurs peuvent être amenés à développer des circuits de proximité, courts en particulier, ce qui peut conduire à une certaine diversification de leur activité, avec de petits ateliers (caprins, poules pondeuses par exemple). La proximité avec de gros pôles de consommation peut favoriser ces types de circuits de commercialisation. Dans une stratégie de développement de synergies, en particulier de type agronomique, de petits ateliers ont été développés dans certains systèmes de production, largement distribués sur le territoire national : ovins viande en association aux cultures (annuelles ou pérennes) voire aux autres ruminants, porcs dans des fermes disposant d’ateliers laitiers (consommation du petit-lait). Les bovins viande sont distribués sur une large partie du territoire national, a priori en recouvrement aux zones d’élevage conventionnel.
Le développement des filières biologiques d'élevage sur une large partie du territoire national semble avoir pour partie misé sur l'opportunité de commercialisation de proximité, particulièrement dans les situations d'absence de filière longue établie. Il faut cependant noter que le développement significatif de circuits de proximité relève aussi d'initiatives collectives locales, lesquelles dépendent en partie de « l'ambiance territoriale » (Corade et al., 2019) et des dynamiques insufflées par les acteurs locaux.
Dans un contexte futur de reprise de la consommation des produits AB, avec un marché qui pourrait par exemple être porté par la restauration hors domicile, les filières longues classiques pourraient a priori prendre en charge de nouveaux volumes de production. Par contre, quelles sont les possibilités d'extension de certaines productions actuellement axées sur la vente de proximité, dans les régions où ce type de débouché est limité ? Une extension de l'AB conduira-t-elle au même phénomène de concentration des filières que celle déjà connue en élevage conventionnel ? Cela pourrait accentuer le phénomène de « bifurcation », selon la théorie de Guthman (2004) selon laquelle on peut aboutir à la coexistence de deux formes d'AB : i) des fermes familiales de dimension modeste, mettant en œuvre les principes de l'AB, avec des pratiques exigeantes et une valorisation fréquente en circuits courts ; et ii) des grandes exploitations se limitant au respect du cahier des charges, avec des systèmes de production spécialisés largement utilisateurs d'intrants autorisés par le cahier des charges. Le terme de « conventionnalisation » de l'AB est ainsi souvent utilisé pour désigner ce rapprochement des normes du conventionnel (Darnhofer et al., 2010). Néanmoins, la conventionnalisation pourrait trouver certaines limites dans les systèmes spécialisés en grandes cultures lesquels, comme nous l'avons vu précédemment, pourraient être amenés à reconsidérer l'intérêt de l'élevage, en lien avec l'introduction assez incontournable de légumineuses fourragères dans les rotations. À ce titre, une perspective réside dans l'essor d'autres niveaux organisationnels, avec par exemple le développement de formes de coordination territoriale visant à organiser des synergies entre des exploitations individuelles spécialisées dans des territoires diversifiés sur une large gamme de types de production (Ryschawy et al., 2017).
3.5. Une base de données prometteuse pour éclairer les enjeux de l’AB en France
Dans la suite des éléments descriptifs et généraux présentés ci-dessus, la base de données des fermes en AB gérée par l'Agence Bio pourrait apporter d'autres éclairages précieux concernant le développement de l'AB en France. Il s'agirait par exemple d'analyser l'incidence de la proximité des pôles de transformation et/ou de consommation vis-à-vis de la présence et de la structure (dimension) des élevages des fermes en AB (Allaire et al., 2015).
En outre, nous n’avons abordé ici que les productions animales au sein des fermes en AB. Des questions importantes portent aussi sur la façon dont ces ateliers sont associés aux productions végétales. Cependant, cette base de données ne permet pas d’identifier les flux issus de ces dernières (autoconsommation ou ventes), ce qui ne permet pas de traiter correctement la question du niveau d’autonomie alimentaire des ateliers d’élevage.
La richesse de cette base réside en particulier dans sa profondeur historique. Nous avons présenté ici une analyse globale (pour l'ensemble des fermes ou par type de production) en étudiant l'évolution du niveau de diversification au fil du temps. Cependant cette dernière pourrait tout aussi bien refléter l'évolution de la composition de la base de données, avec de nouveaux producteurs mettant en œuvre des systèmes de production plus ou moins diversifiés. Des analyses sur des échantillons constants de fermes sur le long terme permettraient d'identifier des diversifications éventuelles des systèmes de production au fil du temps, avec des objectifs d'optimisation agronomique et des rendements (Ponisio et al., 2015) ou en lien avec une possible évolution des modes de commercialisation, par exemple pour des fermes proches de gros pôles de consommation. Une analyse diachronique permettrait également de mettre en évidence l'évolution possible du profil (typologie) des fermes faisant l'objet d'un nouvel engagement en AB mais aussi d'étudier la différence de profil éventuel entre des fermes issues de conversion à l'AB et celles issues d'installation en AB.
Enfin, compte tenu de la limitation des informations disponibles à des données structurelles, le couplage avec d’autres bases de données permettrait de développer d’autres types d’analyses, par exemple la question de la main-d’œuvre présente dans les fermes pourrait être abordée grâce à un rapprochement avec les données du recensement agricole.
Conclusion
La base de données gérée par l’Agence Bio, exhaustive des opérateurs de l’agriculture biologique française, est unique. Certes, elle ne permet de connaître que les différents types de production des fermes et de les quantifier dans une certaine mesure (surface des cultures et nombre de têtes d’animaux), mais elle offre un grand potentiel d’analyse, tant au travers de sa dimension historique que par les possibles rapprochements avec d’autres bases de données. En outre, sa mise à jour est annuelle, avec des délais relativement courts, ce qui permet de disposer régulièrement de données récentes et à jour.
Les premiers éléments d’analyse proposés ici montrent un élevage AB fortement structuré, en termes de taille des ateliers et de situation géographique, par la présence de gros opérateurs sur les territoires. La présence historique de ces derniers structure fortement la production de certaines filières, comme le lait ou les monogastriques. En dehors de ces zones de production établies de longue date, le développement des productions d’élevage en AB semble se réaliser au travers d’ateliers de plus faible dimension, souvent dans le cadre d’une diversification des activités, ce qui questionne sur leur mode de commercialisation, possiblement basé sur des circuits de proximité.
Cette première étude apporte des éclairages originaux quant aux types de production d’élevage biologique en France, à leurs localisations géographiques dans l’espace métropolitain et leurs évolutions. Néanmoins, des pans importants de la problématique restent à explorer, en particulier du point de vue zootechnique et agronomique, en termes d’itinéraires techniques, de niveaux de productivité, de types de produits mis en marché. Enfin, une étude comparative avec la production conventionnelle, sur la base des éléments décrits dans cet article, permettrait de mettre en relief les spécificités de l’élevage biologique français.
Remerciements
Nous remercions INRAE et son métaprogramme METABIO pour le financement du projet TYPOBIO (2021-2022) dont est issue cette analyse.
Références
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Résumé
L’agriculture biologique (AB) représentait 10,3 % de la surface agricole française en 2021. Ce mode de production est régi par un cahier des charges européen et des principes qui, combinés à une relation privilégiée aux consommateurs, conduisent à développer des systèmes de production se distinguant généralement de ceux de l’agriculture conventionnelle. L’Agence Bio, structure de coordination nationale en charge du développement, de la promotion et de la structuration de l’AB française, gère une base de données recensant tous les opérateurs français certifiés en AB et qui alimente l’observatoire national de l’agriculture biologique (ONAB). Grâce à cette base, nous avons pu affiner la connaissance des fermes françaises entièrement engagées en AB et ayant une activité d’élevage. Après une présentation globale permettant d’identifier des grands types de fermes en fonction de leur degré de spécialisation animale et du type de production végétale associée, nous analysons huit filières de production majeures : bovins et ovins lait et viande, caprins, poules pondeuses, poulets de chair et porcs. Pour chacune, nous précisons la localisation géographique des fermes tout en tenant compte de leur dimension et de leur gradient de diversification en élevage. Cette première analyse met en évidence la forte incidence de la présence locale de filières d’élevage conventionnelles historiques ayant développé un segment AB, avec a priori des répercussions sur la dimension des ateliers et sur le niveau et le type de diversification des élevages. Ces derniers éléments semblent ainsi être en interaction avec les modes de commercialisation, en particulier de type circuit court ou circuit long.
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