Quelles stratégies alimentaires pour couvrir les besoins nutritionnels des porcs mâles entiers et/ou immuno-castrés et pour réduire les risques d’odeurs de verrat dans la viande ?
Chapeau
L’arrêt de la castration chirurgicale des porcs mâles remet en question les recommandations alimentaires mises en œuvre depuis des décennies pour l’élevage des femelles et des mâles castrés. La formulation des aliments et le niveau d’alimentation doivent être revus pour valoriser au mieux le potentiel de croissance tout en répondant aux enjeux de bien-être animal et de qualité des produits.
Introduction
Les préoccupations sociétales croissantes sur le bien-être animal conduisent à remettre en question la castration chirurgicale précoce, sans gestion de la douleur, des porcs mâles dans les principaux pays européens producteurs de porcs (Bee et al., 2015). Ainsi, la Suisse a interdit la castration chirurgicale à vif (i.e., sans prise en charge de la douleur) depuis 2009, le Danemark depuis 2019, et l'Allemagne depuis le 1er janvier 2021. En France, la castration chirurgicale à vif est interdite depuis le 31 décembre 2021 par arrêté ministériel (24 février 2020) et les porcs mâles sont désormais des Mâles Entiers (ME, encadré 1) ou des mâles immunisés contre la gonadotrophine (également appelés Mâles Immuno-Castrés, MIC). La castration chirurgicale reste possible sous anesthésie et analgésie conformément aux conditions et dérogations établies par le ministère en charge de l'agriculture.
Jusqu'à récemment, la plupart des porcs charcutiers mâles était castrés afin de réduire le risque éventuel d'odeurs et de saveurs agressives, dites « odeurs de verrat », dans la viande (Parois et al., 2018). Celles-ci sont principalement causées par une augmentation des teneurs en androsténone, scatol et, dans une moindre mesure, en indole dans le tissu adipeux. Les odeurs de verrat se développent à des degrés divers chez les ME sexuellement matures et immatures et influencent considérablement l'acceptation de la viande de porc par le consommateur (Bonneau et al., 2000). Une alternative déjà éprouvée à la castration chirurgicale précoce des porcs mâles est l'immunisation contre le facteur de libération de la gonadotrophine, ou immuno-castration, qui réduit considérablement l'incidence de l'odeur de verrat chez les porcs mâles (Dunshea et al., 2001). Les stratégies alimentaires pertinentes pour l'élevage de bandes de porcs constituées de femelles et de mâles castrés doivent être revues pour tenir compte des conséquences de l'arrêt de la castration (encadré 2).
Encadré 1. Liste d’abréviations
AA : Acides Aminés
AG : Acides Gras
AGCC : Acides Gras à Chaîne Courte
DIS : Digestibilité Iléale Standardisée
DP : Protéines Déposées
EN : Énergie Nette
GMQ : Gain de poids Moyen Quotidien
IC : Indice de Consommation (quantité d’aliment / gain de poids)
LD : Lipides Déposés
LIM : Lipides Intra-Musculaires
LYSDIS : Lysine Digestible Iléale Standardisée
MCC : Mâles Castrés Chirurgicalement
ME : Mâles Entiers
MIC : Mâles Immuno-Castrés
N : Azote
PV : Poids Vif
TMP : Taux de Muscle des Pièces de la carcasse
V2 : seconde vaccination (rappel de vaccination) contre les risques d’odeurs de verrat
Encadré 2. Les trois défis majeurs à relever pour nourrir le porc mâle entier
1. Adapter la stratégie alimentaire afin de couvrir les besoins nutritionnels pour un dépôt protéique efficient
sans surcoût alimentaire et sans augmentation de l’utilisation des ressources et de l’impact environnemental ;
2. Formuler des aliments qui nourrissent le porc et orientent son microbiote pour réduire le risque d’odeurs de
verrat par des contraintes de formulation et l’incorporation de matières premières conduisant à une moindre
production de scatol et d’indole ;
3. Adapter l’alimentation pour atteindre des objectifs particuliers de qualités de viande et de gras pour les
productions sous cahier des charges.
1. Besoins nutritionnels des mâles entiers
1.1. Évaluation des besoins énergétiques
L'approche factorielle utilisée pour déterminer les besoins énergétiques permet d'identifier trois composantes qui conduisent à des écarts de besoins entre les ME et les femelles ou les Mâles Castrés Chirurgicalement (MCC) : (1) l'entretien, (2) le besoin pour le dépôt de protéines et enfin (3) le besoin pour le dépôt de lipides. Le besoin énergétique pour l'activité physique, dont la couverture peut intervenir aux dépens de l'énergie ingérée disponible pour la croissance, est le plus souvent intégré au compartiment d'entretien. Chez les ME, il peut être assez important en raison d'interactions sociales agonistiques plus nombreuses entre congénères (combats, morsures et tentatives de montes) (von Borell et al., 2020).
La quantité de protéines déposées augmente presque linéairement avec l'apport énergétique jusqu'à une valeur maximale (PDmax, figure 1) qui dépend de la quantité d'Acides Aminés (AA) essentiels disponibles ou du potentiel de croissance de l'animal (Bikker et al., 1995 ; van Milgen et al., 2000). Une fois le PDmax atteint, l'énergie supplémentaire ingérée est déposée sous forme de lipides, ce qui conduit à une diminution du rapport protéines/lipides dans le gain de poids marginal. La quantité d'énergie qui permet d'atteindre le PDmax est considérée comme l'apport énergétique optimal au regard du Gain de poids Moyen Quotidien (GMQ) et de l'Indice de Consommation (IC) associé. Au-delà, le GMQ augmente peu, tandis que l'IC se détériore fortement.
Figure 1. Modèle générique d’évolution de la quantité de protéines (PD) et de lipides (LD) déposés selon l’apport énergétique chez le porc en croissance.
1 PDmax : limite supérieure de PD, ×M : niveau d'apport énergétique pour atteindre PDmax (d'après van Milgen et al., 2000).
1.2. Concentration énergétique de l’aliment
Chez les jeunes MCC, l'augmentation de la concentration énergétique de l'aliment permet de contourner les limites de la capacité d'ingestion et d'accroître la quantité d'énergie ingérée journalière (Black et al., 1986) et le GMQ. Chez les ME, les résultats sont plus complexes à analyser, l'appétit étant limité notamment sous l'effet des hormones sexuelles (Squires et al., 1993, cités par Lawlor et al., 2005). Ainsi, d'après Quiniou et al. (2017), l'augmentation de 0,6 MJ/kg de la teneur en Énergie Nette (EN) des aliments croissance-finition (de 9,4 à 10,0 MJ/kg) a un effet limité sur les performances quand les animaux sont alimentés à volonté en lien avec les possibilités de modulation de l'appétit. En revanche, quand ils sont rationnés sur la base d'apports journaliers en EN, l'aliment le plus dilué favorise le GMQ, sans doute en relation avec le fait qu'avec une ration plus volumineuse la frustration alimentaire est moins intense, ce qui réduit l'activité physique et les dépenses énergétiques associées.
La formulation de l'aliment peut être réalisée avec une certaine flexibilité sur la teneur en EN. Celle-ci doit être choisie en tenant compte de la productivité attendue des ME (GMQ, IC) mais également des conséquences sur la production de scatol dans l'intestin. Une digestibilité très élevée de l'énergie implique qu'une plus faible quantité d'énergie parvient jusqu'au gros intestin, donc que moins d'énergie est disponible pour les microorganismes (Squires et al., 2020). Cela conduit à sélectionner un microbiote bactérien plus enclin à utiliser le tryptophane indigestible comme source d'énergie plutôt qu'à l'intégrer dans les protéines microbiennes (voir encadré 3). Au-dessus de 10,0 MJ EN/kg, il est plus difficile de formuler un aliment concentré avec suffisamment de composés indigestes, i.e. fibres fermentescibles, en vue de réduire la production de scatol.
Encadré 3. Relation entre alimentation et production intestinale du scatol et de l‘indole.
Le scatol et l'indole sont des métabolites issus de l'utilisation du tryptophane par certaines bactéries intestinales
(e.g. genres Clostridium et Olsenella ; Whitehead et al., 2008 ; Li et al., 2015). Le régime alimentaire peut agir à
différentes étapes impliquées dans leur production. Il peut diminuer le taux d'apoptose au niveau des muqueuses
intestinales et donc l'apport de tryptophane d'origine endogène dans le gros intestin (Wesoly et Weiler, 2012).
En diminuant la digestibilité de l'énergie, l'augmentation de la quantité d'énergie disponible pour les bactéries peut :
(1) stimuler la production de biomasse bactérienne et l'incorporation d'AA dans cette biomasse,
(2) orienter l'activité des bactéries de la voie protéolytique vers la voie saccharolytique,
(3) réduire l'activité de celles qui produisent le scatol et favoriser celles qui produisent de l'indole (Li et al., 2019).
Une réduction du temps de transit intestinal pourrait réduire l'absorption intestinale du scatol et de l'indole
(Wesoly et Weiler, 2012). Enfin la voie alimentaire peut influer sur les teneurs en scatol et indole dans le gras
par l'induction ou l'inhibition de leur métabolisme hépatique via les enzymes du cytochrome P450 (CYP450) ou
l'activation de récepteurs nucléaires (Sachar et Ma, 2013 ; Rasmussen et Zamaratskaia, 2014).
1.3. Niveau d’alimentation
Les MCC ont une propension à ingérer spontanément plus d'énergie que la quantité optimale pour atteindre leur PDmax (voir §1.1). Cela explique que dans la majorité des élevages en France, ainsi que dans certains autres pays européens tels que l'Allemagne ou la Suisse, les porcs en phase de finition sont depuis longtemps rationnés, avec à la clé des carcasses plus maigres et un meilleur IC. Au contraire, tout au long de l'engraissement même quand l'animal est alimenté à volonté, la rétention de protéines chez le ME est limitée par la quantité d'énergie ingérée quand les besoins en AA sont couverts (Quiniou et al., 1996 ; Ruiz-Ascacibar et al., 2019).
Un rationnement modéré appliqué aux MCC provoque une diminution du dépôt de lipides sans influencer le dépôt protéique, ce qui permet de réduire l'adiposité du gain de poids et d'améliorer l'efficacité alimentaire. Un rationnement plus sévère qui touche à la fois le dépôt de protéines et de lipides n'a plus le même intérêt. La réponse des ME est comparable à celle des MCC rationnés de façon intense : le dépôt de lipides et le dépôt de protéines (donc la vitesse de croissance) diminuent, sans amélioration de l'IC. Le rationnement dégrade même l'efficacité alimentaire (Quiniou et al., 2013) en raison des modifications de comportement qu'il provoque de façon importante chez les ME (Courboulay et al., 2013), associées à des dépenses d'énergie au détriment de la croissance. Par ailleurs, Quiniou et al. (2013) n'observent pas de différence dans la teneur en viande maigre des carcasses des types génétiques modernes lorsque les ME sont alimentés à volonté ou rationnés à sec ou en soupe. En conclusion, tout facteur qui affecte la consommation spontanée d'aliment des ME affecte à la fois le dépôt de protéines et de lipides, et par conséquent le gain musculaire et le GMQ, plutôt que le dépôt de gras comme chez les MCC ou les porcs de type gras (Quiniou et al., 2016). L'alimentation à volonté est donc recommandée pour exploiter le potentiel de croissance des ME (Dunshea et al., 2013), mais cette recommandation se heurte aux limites que posent les systèmes d'alimentation installés dans les élevages.
L'alimentation en soupe réalisée en auges longues permet habituellement de rationner les porcs femelles et MCC jusqu'à des poids d'abattage élevés, mais est difficile à utiliser en conditions d'alimentation à volonté. Cela peut s'envisager avec succès pour alimenter les ME avec des auges courtes équipées de capteurs pour une distribution de soupe plus fréquente (P. Lawlor, communication personnelle). La longueur d'auge interfère cependant sur l'activité des animaux. Le fractionnement des apports d'aliment est inhérent au système soupe, et entraîne des interactions sociales entre les porcs (Holinger et al., 2015), notamment au moment des repas. Elles restent limitées quand la soupe est distribuée en auge longue avec accès simultané à l'aliment pour tous les animaux de la case, et l'effet sur l'IC est peu marqué (Quiniou et al., 2013). Avec les auges courtes pilotées par capteurs, même s'il y a de l'aliment en permanence dans l'auge, la distribution du repas peut créer une ruée des porcs vers l'auge. Ce comportement est probablement conditionné par le bruit de l'ouverture de la vanne d'alimentation, et la multiplication des situations de compétition dans l'accès à l'aliment peut induire des dépenses d'activité supplémentaires.
1.4. Besoins en acides aminés des mâles entiers
Le besoin en AA essentiels par unité d'énergie est plus important chez les ME que chez les MCC et chez les femelles. Cela résulte d'une combinaison entre un gain pondéral plus maigre et un appétit moindre (Quiniou et al., 2010). L'écart de besoins est plus ou moins marqué entre les différents types sexuels présents dans la bande et selon le niveau de performance observé. Quiniou et al. (2010) ont modélisé l'évolution du besoin en lysine digestible iléale standardisée (LYSDIS) selon le sexe et considèrent que celui des ME est en moyenne plus élevé de 0,1 g/MJ EN comparativement à celui des MCC (figure 2). Cela conduit à recommander pour les ME une formulation à 0,94 g LYSDIS/MJ EN en période de croissance (soit + 16 %) et à 0,81 g LysDIS/MJ EN en période de finition (soit + 14 %). Aymerich et al. (2020) concluent à une augmentation proche du besoin, + 17 % pour les ME par rapport aux femelles (0,91 vs. 0,75 g LYSDIS/MJ EN).
Figure 2. Estimation des besoins en lysine digestible iléale standardisée (LYSDIS) par MJ d'énergie nette (EN, 9,7 MJ/kg) en fonction du poids et du type sexuel du porc (d'après Quiniou et al., 2010).
Ces dernières années, les préoccupations sociétales croissantes au sujet de l'impact environnemental de l'élevage ont renforcé l'intérêt porté depuis déjà longtemps, pour des raisons technico-économiques, à l'amélioration de l'efficience alimentaire. Elles ont conduit à concevoir des aliments à teneur réduite en protéines, pour une teneur en AA essentiels adaptée aux besoins des animaux, afin de réduire les rejets d'azote et les émissions d'ammoniac (Wilfart et al., 2016 ; Monteiro et al., 2017 ; de Quelen et al., 2021). De nombreux travaux ont permis de démontrer l'efficacité de ce type d'aliments lorsqu'ils sont formulés dans le système « énergie nette » en tenant compte de la digestibilité iléale standardisée des AA (Quiniou et Boutry, 2016). Toutefois, l'arrêt de la castration remet en question les niveaux nutritionnels retenus en routine pour alimenter les MCC et les femelles. En effet, quand la diminution de la teneur en protéines est associée à des teneurs en AA essentiels (lysine, méthionine, thréonine et tryptophane) raisonnées pour couvrir les besoins des MCC, Ruiz-Ascacibar et al. (2019) observent un moindre dépôt de protéines et une croissance dégradée chez les ME. Ce résultat est en accord avec ceux de Quiniou et Chevillon (2015) qui rapportent logiquement une réduction des performances de croissance (GMQ et IC) chez les ME quand la baisse de la teneur en protéines est associée à des apports en AA inférieurs à leurs besoins. Ces auteurs démontrent que les aliments croissance-finition conçus pour MCC, et donc limitants en AA pour les ME, détériorent la teneur en muscle des pièces de la carcasse (TMP) des ME (figure 2). L'effet négatif est aggravé si le profil en AA essentiels de l'aliment est déséquilibré. La baisse de la teneur en protéines doit donc être réalisée en veillant à ce que l'apport en LYSDIS reste compatible avec la couverture des besoins des ME, et en veillant au respect des équilibres entre AA.
1.5. Besoins spécifiques des mâles immuno-castrés
Avant la seconde vaccination contre le facteur de libération des gonadotrophines (V2, voir encadré 4), les recommandations nutritionnelles pour les ME s'appliquent aux MIC. Après V2, l'ingestion spontanée d'énergie augmente et n'est plus limitante pour le dépôt protéique. Le rapport protéines/lipides dans le gain de poids diminue (Huber et al., 2013 ; Poulsen Nautrup et al., 2018), ainsi que le besoin en LYSDIS par MJ d'EN dont l'évolution est progressive jusqu'à être 30 % en-deçà de celui des ME environ 14 jours après V2 (Dunshea et al., 2013 ; Huber et al., 2013 ; Moore et al., 2016).
Pendant la semaine qui suit V2, l'aliment de finition distribué aux ME pourrait continuer à être utilisé comme le métabolisme ne change pas instantanément. Puis, il pourrait être remplacé par un aliment de fin de finition moins riche en AA (figure 3). Lorsqu'il n'est pas possible d'alimenter les MIC avec un régime différent après V2, le rationnement est parfois envisagé pour réduire l'apport quotidien en AA. Dans ce cas les apports en énergie diminuent également et Quiniou et al. (2012) observent une baisse du GMQ sans modification de l'IC ni du TMP. L'accès restreint à l'aliment provoque une augmentation des interactions sociales, qui peut accentuer les comportements agressifs et le nombre de lésions cutanées (Batorek et al., 2012). L'ensemble de ces résultats conduisent à déconseiller de rationner les MIC après V2.
Encadré 4. Nourrir les mâles immuno-castrés en tenant compte de l’évolution de leur statut hormonal.
L'immuno-castration consiste à faire produire par l'animal des anticorps contre le facteur de libération des
gonadotrophines. Elle s'effectue en deux temps. La première vaccination avec l'analogue du GnRFest
généralement réalisée en début d'engraissement, vers 13-14 semaines d'âge. La seconde vaccination (appelé
V2) a normalement lieu dans le dernier tiers de la période d'engraissement (4 à 8 semaines avant l'abattage)
qui empêche le développement et le fonctionnement des testicules.
Entre l'entrée en engraissement et V2, la physiologie des mâles immuno-castrés est similaire à celle des
mâles entiers, d'où des performances de croissance et de composition du gain de poids comparables (Batorek
et al., 2012 ; Dunshea et al., 2013).
Dans les 2 semaines qui suivent V2, l'immunité se met en place par la production d'anticorps anti-GnRF. La
production de testostérone chute en réponse au manque d'hormone lutéinisante (Dunshea et al., 2001). Le
métabolisme des mâles immuno-castrés se rapproche progressivement de celui des mâles castrés
chirurgicalement, et les carcasses sont sans risque d'odeur désagréable tant que l'abattage est réalisé dans
les 4 à 8 semaines qui suivent V2. Après V2, l'appétit augmente et la vitesse de croissance diminue ce qui
conduit à une moins bonne valorisation des aliments (Lealiifano et al., 2011 ; Dunshea et al., 2013) que chez
les mâles entiers.
Figure 3. Écarts de teneur recommandée1 en lysine digestible iléale standardisée (LYSDIS) dans les aliments distribués aux porcs mâles entiers, castrés chirurgicalement ou immuno-castrés dans une séquence alimentaire en trois phases (d'après Dunshea et al., 2013)
1 Base 100 : teneurs recommandées pour les femelles ; la troisième phase débute 1 semaine après la deuxième vaccination des mâles immuno-castrés.
2. Moduler la qualité des carcasses et des viandes par l’alimentation
La production de carcasse ou de viande issue de porcs mâles entiers impose de maîtriser le risque de produits non conformes aux attentes des consommateurs ou de l’aval. L’alimentation est une des voies étudiées pour réduire les problèmes posés, d’une part, par le risque d’odeurs désagréables (voir encadré 2) et, d’autre part, par les modifications du profil en Acides Gras (AG) de la viande et de couverture en gras des pièces d’intérêt pour le séchage en salaison.
2.1. Des ingrédients alimentaires pour réduire le risque d’odeurs
De nombreux travaux ont été réalisés pour tester l'intérêt de différents ingrédients ou choix de formulations sur les niveaux de scatol et d'indole dans le lard dorsal, le sang, les digesta intestinaux et les fèces (Zamaratskaia et Squires, 2009 ; Wesoly et Weiler, 2012). Notre synthèse s'appuie sur les résultats publiés depuis 2010 qui sont également intégrés par les experts mobilisés dans le COST IPEMA, réseau européen sur la recherche d'alternatives à la castration des porcs mâles, dans la liste d'ingrédients ayant un effet positif, neutre ou négatif sur le risque d'odeurs (Zamaratskaia et al., 2018).
a. Fibres fermentescibles
L'inuline est un polymère de fructose de masse moléculaire élevée. C'est une fibre fermentescible présente en grandes quantités dans la racine de chicorée et dans le topinambour. L'incorporation de racine de chicorée dans l'aliment donne des résultats similaires à ceux obtenus avec ajout d'inuline purifiée, ce qui suggère que c'est ce composant qui est impliqué dans la réduction du scatol associée à l'incorporation de cet ingrédient dans l'aliment. En effet, une réduction des niveaux de scatol est observée dans le gros intestin quand l'aliment contient 15 % de racine de chicorée déshydratée (8 % d'inuline) et est distribué pendant les 14 jours qui précèdent l'abattage (Maribo et al., 2010). Une réduction de la teneur en scatol est également observée dans le gras du cou quand cet aliment est distribué pendant les 2 semaines ou seulement les 4 jours qui précèdent l'abattage (tableau 1). Avec des aliments contenant 8 à 12 % de topinambour déshydraté, riche en fructanes de type inuline, Vhile et al. (2012) observent une diminution croissante des niveaux en scatol dans le gros intestin et le gras, effets attribués à une diminution de Clostridium perfringens et à une augmentation de la production intestinale d'acides gras à chaîne courte (AGCC), qui conduit à une baisse de pH des digesta.
Tableau 1. Effet1 de l’incorporation de chicorée dans l’aliment distribué pendant les 14 ou 4 jours qui précèdent l’abattage sur la teneur (ppm) en composés odorants dans le gras du cou.
Source |
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Durée de distribution |
14 jours avant abattage |
4 jours avant abattage |
|||
Sexe |
Mâle |
Femelle |
Mâle |
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Aliment |
Témoin |
+Chicorée |
Témoin |
Témoin |
+Chicorée |
Scatol |
0,11a |
0,04b |
0,08a |
0,07a |
0,03b |
Indole |
0,03a |
0,04b |
0,02c |
- |
- |
Androsténone |
1,14a |
1,08a |
0,13b |
1,60a |
1,50a |
a, b Des lettres différentes en exposant indiquent que les résultats sont significativement différents intra-étude avec une probabilité de 6 et 5 %, respectivement pour l’étude de 2010 et celle de 2015.
Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer le mécanisme par lequel l'ajout de fibres fermentescibles permet de réduire le taux de scatol (figure 4). Uerlings et al. (2020) observent qu'in vitro des gènes liés à l'intégrité de la barrière intestinale sont activés après un traitement à l'inuline. Cela conduit à la première hypothèse, qui s'appuie sur un effet via les produits de leur fermentation par le microbiote intestinal, i.e. des AGCC. Le butyrate, en particulier, a des propriétés anti-inflammatoires (Bedford et Gong, 2018) et l'augmentation de sa concentration réduirait l'apoptose cellulaire au niveau intestinal et, par conséquent, la quantité de tryptophane endogène disponible pour la synthèse du scatol (Claus et al., 2003). Ses effets sur le microbiote seraient en revanche contrastés avec, d'une part, une réduction de l'abondance de certaines bactéries productrices de scatol (Clostridium, Vhile et al., 2012) mais pas toutes (Olsenella, Li et al., 2019) et, d'autre part, une stimulation de leur activité suite à un abaissement du pH intestinal observé d'abord in vitro par Jensen et al. (1995) et plus récemment in vivo par Li et al. (2019). Ainsi d'après ces auteurs, l'effet de l'inuline s'explique principalement par l'augmentation de l'activité microbienne : l'afflux d'une plus grande quantité d'énergie, non absorbée par le porc, stimule la croissance bactérienne et l'incorporation des AA dans la biomasse bactérienne. En parallèle, Rasmussen et al. (2011) suggèrent que l'effet de la chicorée pourrait être dû, au moins en partie, à l'augmentation de l'activité des enzymes hépatiques CYP1A2 et CYP2A19 qui métabolisent le scatol.
Parallèlement à la baisse de la teneur en scatol, la teneur en indole n'est généralement pas influencée par l'apport alimentaire d'inuline (Vhile et al., 2012) ce qui est potentiellement intéressant. En effet, l'indole contribue seulement de façon mineure au risque d'odeurs de verrat et, chez plusieurs espèces, elle a un effet positif sur la santé intestinale (Whitfield-Cargile et al., 2016). Cela n'a cependant pas encore été étudié chez le porc.
Figure 4. Influence de la composition de l'aliment sur la disponibilité du tryptophane et son utilisation par les bactéries impliquées dans la synthèse d'indole et/ou de scatol : exemple de l'apport en fibres (d'après Wesoly et Weiler, 2012 ; Vhile et al., 2012 ; Li et al., 2019).
b. Amidon résistant
Deux revues de la littérature indiquent que l'apport de fécule de pomme de terre crue réduit systématiquement les niveaux de scatol (Zamaratskaia et Squires, 2009 ; Wesoly et Weiler, 2012), probablement en relation avec sa concentration élevée en amidon résistant (Lösel et Claus, 2005). D'après Nofrarías et al. (2007) et Zhou et al. (2017), ce dernier influence la composition microbienne intestinale, augmente la production d'AGCC, améliore l'intégrité de la muqueuse intestinale, réduit les dommages causés aux colonocytes par les produits de fermentation des protéines, module le métabolisme des lipides et améliore l'intégrité de la muqueuse colique. Ces effets sont obtenus avec une supplémentation manuelle de la ration avec de la fécule (top feeding), ce qui n'est pas possible en pratique en élevage de porc commercial. L'incorporation peut être envisagée dans un aliment présenté sous forme de farine mais plus difficilement dans un aliment présenté sous forme de granulés. En effet, ce mode de présentation ne semble pas conduire aux mêmes avantages : avec 20 % de fécule dans l'aliment granulé, Pauly et al. (2008) n'observent pas de réduction du scatol dans l'intestin et suspectent une incidence des conditions de mise en œuvre du process (température, vapeur) sur les caractéristiques de l'amidon et sa digestibilité.
c. Tanins hydrolysables
Les tanins sont des métabolites secondaires présents dans de nombreuses plantes (Bee et al., 2016). Considérés en général comme des facteurs antinutritionnels, leurs effets dépendent du type de composés chimiques et donc de la source végétale (Seoni et al., 2021). Ainsi, ce sont les tanins condensés, non hydrolysables et de poids moléculaire élevé, qui interfèrent le plus sur la digestion en formant des complexes avec les minéraux et les protéines, dont les enzymes digestives (Rira, 2019). Au contraire, les tanins hydrolysables, de plus petit poids moléculaire, peuvent être absorbés. Bien que toxiques pour de nombreuses espèces, les porcs semblent relativement bien les tolérer, la consommation d'aliments riches en tanins hydrolysables pouvant être sans conséquence pour leur santé, bien que pouvant entrainer une baisse de l'efficacité alimentaire (Bee et al., 2016).
La production intestinale de scatol est plus faible chez les porcs recevant des compléments à base de tanins extraits de bois de châtaignier (Čandek-Potokar et al., 2015). Les tanins hydrolysables inhibent la prolifération cellulaire et l'apoptose dans le cæcum, ce qui réduit l'arrivée de tryptophane endogène dans l'intestin (Bilić-Šobot et al., 2016). En comparant les résultats obtenus chez des porcs recevant des aliments contenant de 0 à 3 % d'extrait de tanins, Čandek-Potokar et al. (2015) observent bien une diminution de la teneur en scatol dans l'intestin avec des taux d'incorporation de 1 à 2 %, mais rapportent une évolution différente de la teneur en scatol dans le gras qui est plus élevée avec l'aliment contenant 1 % de tanins que lorsque l'aliment n'en contient pas ou en contient 2 %. Les résultats d'une étude réalisée récemment, avec une plage de taux d'incorporation plus large (de 1 à 4 %), indiquent en revanche que la teneur en scatol dans le gras diminue régulièrement quand le taux d'incorporation de l'extrait de tanins augmente jusqu'à 2 % (Bahelka et al., 2021).
d. Autres ingrédients
L'incorporation de graines de lupin bleu doux dans l'aliment modifie l'activité microbienne dans le gros intestin des porcs. À un taux élevé dans l'aliment (30 vs. 15 %), Tuśnio et al. (2020) observent que la concentration en indole dans le côlon distal tend à diminuer. Malheureusement dans cette étude les concentrations en scatol n'ont pas été mesurées. La pulpe de betterave déshydratée incorporée à 15 % dans les aliments croissance-finition permet de diviser par 2 la teneur en scatol dans le gras (Wesoly et Weiler, 2012). À 12 %, la teneur en scatol intestinale ne diminue pas significativement (Pieper et al., 2014). Holinger et al. (2018) ont testé la distribution d'ensilage d'herbe, à volonté dans des mangeoires, aux grands porcs blancs suisses en supposant que l'apport accru de fibres fermentescibles favoriserait l'incorporation du tryptophane dans les protéines microbiennes. Mais aucune différence n'a été observée sur les niveaux de scatol, ni d'indole. Pieper et al. (2014) observent que la production de scatol dans le gros intestin diminue quand un mélange de lignine et de cellulose est incorporé à 8 %. Or la lignocellulose est peu soluble et donc peu fermentescible ; elle produit peu d'AGCC et son effet doit d'être mieux expliqué.
En nourrissant les animaux uniquement avec des céréales (orge, blé), et un complément en oligo-éléments/vitamines et sel, pendant les 3 à 4 jours qui précèdent l’abattage, Møller et Maribo (2013) ont observé une réduction du taux de scatol de 50 % dans le gras.
2.2. Formuler des aliments pour moduler la qualité de la matière grasse des carcasses et de la viande
En conditions d'élevage identiques, les ME présentent une épaisseur de lard dorsal plus faible, une teneur plus élevée en viande maigre de la carcasse, une plus grande surface de muscle Longissimus dorsi par rapport aux MCC (Pauly et al., 2012), et des quartiers avant plus développés. Leurs muscles présentent des teneurs en protéines et en lipides plus faibles, une teneur en eau plus élevée, et la viande est moins tendre (Pauly et al., 2012 ; Aaslyng et al., 2019). Le plus faible dépôt de lipides se traduit généralement par un plus grand degré d'insaturation des acides gras (Lebret, 2008 ; Wood et al., 2008 ; Mourot et Lebret, 2009). Si en nutrition humaine une plus grande quantité d'AG polyinsaturés est considérée comme bénéfique, ce n'est pas le cas pour le secteur aval de la salaison qui recherche un tissu gras ferme et peu oxydable, donc présentant un niveau faible d'AG mono- et poly-insaturés (Scheeder et al., 2000 ; Hadorn et al., 2008). Ces différences motivent la recherche d'adaptations de la conduite alimentaire ciblées sur la qualité de la viande ou des gras, notamment pour les ME. En effet, la qualité de la carcasse et de la viande des MIC semble proche de celle des MCC (Batorek et al., 2012), leur teneur en Lipides Intra-Musculaires (LIM) étant intermédiaire entre celle des MCC et des ME (Font-I-Furnols et al., 2019) et les niveaux d'AG polyinsaturés plus faibles que chez les ME (Pauly et al., 2012 ; Poklukar et al., 2021).
a. Vers une augmentation du dépôt de lipides intramusculaires
Selon la teneur moyenne en LIM de la lignée génétique utilisée, la diminution observée chez les ME par rapport aux MCC ou aux femelles peut avoir un impact sur les caractéristiques sensorielles de la viande de porc (texture et saveur, Fernandez et al., 1999). Une stratégie de formulation permettant d'augmenter la quantité de LIM déposée sans altérer la teneur de la carcasse en viande maigre (critère d'importance majeur pour la rémunération de l'éleveur) consiste à réduire l'apport d'AA en dessous des besoins, tout en rationnant les animaux (Lebret, 2008). Cela freine la croissance et augmente l'âge des porcs à l'abattage, or le développement des LIM est tardif. À notre connaissance, cette stratégie n'a pas encore été validée chez les ME, et est en porte-à-faux avec la recommandation de les alimenter à volonté.
b. Vers une modulation du profil en acides gras des tissus adipeux
Chez le porc, la quantité d'AG polyinsaturés déposée dans les lipides sous-cutanés et intramusculaires est étroitement liée à la quantité d'AG polyinsaturés ingérée (Bee et al., 2002 ; Wood et al., 2008). Pour augmenter le degré de saturation des gras, l'aliment pour les ME doit donc être formulé en intégrant des contraintes sur le profil en AG des lipides alimentaires, contraintes qui doivent sans doute être réactualisées dès lors qu'elles ont été développées pour des animaux plus gras.
3. Considérations pratiques sur l’élevage de mâles non castrés
Ce chapitre aborde quelques considérations pratiques relatives à l’élevage des ME en s’appuyant sur les résultats obtenus dans deux pays où les mâles ne sont plus castrés depuis longtemps (Irlande et Royaume-Uni) et en France où l’arrêt de la castration est récent.
3.1. Retour sur 50 ans de non-castration
L'Irlande et le Royaume-Uni produisent des ME depuis les années 1970 parce que ces derniers ont une croissance plus rapide (+ 6 %) et une meilleure efficience alimentaire (+ 8 %) que les MCC (Hanrahan, 1980, cité par Lawlor et al., 2005). La comparaison de ces résultats à ceux obtenus plus récemment indique que l'écart d'IC est resté stable (– 8,4 %), tandis que la croissance est désormais comparable chez les ME et MCC (entre 9 et 126 kg de Poids Vif (PV), Lawlor et al., 2005). De même, en France aucune différence significative de GMQ n'est observée entre 25 et 119 kg de PV, et l'écart d'IC atteint 14 % (Quiniou et al., 2010). Dans ces deux études, les animaux étaient alimentés à volonté. Compte tenu des écarts de consommation spontanée entre ME et MCC, les GMQ similaires sont obtenus pour différents niveaux d'ingestion. Au contraire, pour une même quantité d'aliment allouée (i.e., avec des ME alimentés à volonté et des MCC rationnés plus ou moins sévèrement), le GMQ des ME est plus élevé que celui des MCC (Quiniou et al., 1996).
Traditionnellement, les producteurs irlandais et britanniques abattaient à un poids de carcasse plus faible qu’ailleurs en Europe, avec un risque d’odeurs de verrat également plus faible. Cependant, le poids d’abattage a considérablement augmenté ces dernières années dans ces deux pays. Ainsi entre 2000 et 2019, le PV final moyen est passé de 90,1 kg (68,1 kg de carcasse) à 118,4 kg (90,3 kg de carcasse) en Irlande (Teagasc, 2020). Cela s’est opéré sans augmentation de l’âge à l’abattage, voire une diminution de 1,4 jour. En effet, le GMQ sevrage-vente a augmenté de 210 g/j (785 vs. 585 g/j) grâce aux progrès de la sélection génétique et de la conduite d’élevage. Ainsi, le risque de carcasses odorantes n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il y a 20 ans en Irlande et au Royaume-Uni.
3.2. Impact environnemental de la phase d’engraissement
L'arrêt de la castration permet d'envisager une réduction de l'impact environnemental de la production porcine, compte tenu de l'abaissement de l'IC qui conduit à moins de rejets pour un aliment donné. D'après Lawlor et al. (2005), l'excrétion de N par kg de carcasse des ME est inférieure de 12 % à celle des MCC. Une réduction supplémentaire des rejets azotés est attendue quand les besoins en AA des ME sont couverts. En effet, l'IC des ME est amélioré significativement de 0,1 point quand les ME reçoivent des aliments permettant de couvrir leurs besoins en AA et non ceux des MCC, pour 9 % de rejets azotés en moins (tableau 2).
Tableau 2. Performances des porcs mâles entiers alimentés à volonté selon la stratégie biphase mise en œuvre pendant l’engraissement (Quiniou et Chevillon, 2015).
Stratégie biphase1 |
Pour mâles castrés chirurgicalement |
Pour mâles entiers |
||
---|---|---|---|---|
Phase d’alimentation |
Croissance |
Finition |
Croissance |
Finition |
Lysine digestible, g/MJ EN |
0,84 |
0,71 |
0,94 |
0,81 |
Performances de croissance |
||||
Aliment ingéré, kg/j |
2,04 |
2,06 |
||
Vitesse de croissance, g/j |
886 |
898 |
||
Indice de consommation |
2,39 |
2,28 |
||
Bilan réel simplifié, kg/porc |
||||
N ingéré |
5,17 |
4,92 |
||
N retenu |
2,24 |
2,24 |
||
N excrété total |
2,94 |
2,68 |
1Phase de croissance : entre 24 et 65 kg de poids vif, phase de finition : entre 65 kg et l’abattage vers 112 kg de poids vif. Aliments formulés pour une teneur en énergie nette (EN) de 9,7 MJ/kg.
3.3. Conduite de l’alimentation
En Irlande et au Royaume-Uni, un aliment unique est utilisé entre 30 et 120 kg de PV, tandis qu’en France, sur la même gamme de poids, deux ou trois aliments sont utilisés le plus souvent : démarrage (aussi appelé nourrain), croissance, finition (distribué à partir de 65 kg de poids vif ou représentant 60 % de l’aliment total consommé pendant l’engraissement). Dans la majorité des cas, le même aliment est distribué à tous les porcs de la bande sans distinction de sexe, et la fréquence de distribution est également la même.
L’alimentation à la case avec des aliments différents est possible avec une distribution en soupe, le nombre de menus différents étant cependant fortement contraint par le nombre de cases concernées par chaque distribution. Le différentiel de croissance et d’efficience alimentaire entre les ME et les femelles implique que ces dernières pourraient être nourries avec des régimes moins riches en AA (figure 2) voire en énergie. La mise en œuvre d’une alimentation différente selon le sexe implique des coûts d’équipement supplémentaires pour le stockage d’aliment ou la distribution notamment si l’alimentation est réalisée à la case ou de façon individualisée, mais elle permet de réduire le coût alimentaire par kg de poids de carcasse sorti (Lawlor, 2020 ; outil Sim’Alter, https://gtdirect.ifip.asso.fr/).
3.4. Ajeunement avant l’abattage
La demi-vie du scatol est relativement courte. L'ajeunement (mise à jeun) avant le départ pour l'abattoir permet de limiter la production du scatol et d'envisager une diminution de sa teneur dans le gras à la toute fin de l'engraissement. D'après les résultats de l'enquête réalisée par van Wagenberg et al. (2013) à partir de lots de porcs tracés depuis leur élevage d'origine jusqu'à l'abattoir, l'ajeunement doit durer au moins 6 heures pour abaisser le niveau de risque d'odeur lié au scatol. Kjeldsen (1993, cité par Bee et al., 2015) porte cette durée à 12 heures. En France, une durée d'ajeunement de 12 heures avant la montée dans le camion est recommandée pour limiter la mortalité pendant le transport et elle ne doit pas dépasser 24 heures avant l'abattage conformément à la réglementation.
Conclusion
Cette revue décrit les différentes voies à explorer pour adapter l’alimentation aux différentes problématiques de l’élevage des ME et des MIC, à la place des MCC, en réponse aux préoccupations sociétales sur le bien-être animal ayant conduit à l’interdiction de la castration chirurgicale à vif. L’objectif de ces stratégies est d’exploiter les gains d’efficience de ces animaux à potentiel de croissance musculaire et rendement nutritionnel plus élevés que les MCC. Parallèlement, l’aliment doit permettre de limiter les risques d’odeurs de verrat, de produire une viande à teneur en LIM suffisante et un gras adapté à la transformation ou à la maturation de la viande. Avons-nous les solutions pour tout cela ? Nous avons les principales pièces du puzzle, mais il faut les exploiter davantage. Ainsi, les stratégies d'alimentation appliquées jusqu’alors pour élever des femelles et des MCC doivent être revues, avec en premier lieu la remise en question du rationnement afin de profiter, par une alimentation à volonté, de l'efficacité de la production sans perturber le comportement des animaux. Les aliments doivent être formulés spécifiquement pour nourrir l’animal en tenant compte de son microbiote digestif. Il est ainsi recommandé de ne pas formuler des aliments trop concentrés en énergie, l’incorporation de fibres alimentaires fermentescibles étant à privilégier pour orienter les fermentations bactériennes dans l’intestin et réduire le risque d'odeurs de verrat lié au scatol. Pour le choix de la teneur en acides aminés de l’aliment, tout dépend de l’objectif à atteindre : exploiter le potentiel de dépôt de protéines ou favoriser le dépôt de lipides. Dans ce dernier cas, le profil en acides gras des lipides alimentaires devant également être contrôlé. L’arrêt de la castration chirurgicale incite à adopter une approche globale qui tienne compte de l’impact du régime alimentaire sur toutes les composantes de la performance, à savoir le risque d’odeurs, la qualité des produits, le bien-être, l’environnement, la santé et, bien sûr, la rentabilité.
Contributions des auteurs
La rédaction et révision de l’article a été coordonnée par Nathalie QUINIOU et Giuseppe BEE. Giuseppe BEE, Peadar LAWLOR, Hanne MARIBO, Nathalie QUINIOU, et Galia ZAMARATSKAIA ont participé à la rédaction d’un ou plusieurs chapitres de la première version de l’article. Tous les auteurs ont approuvé la version soumise pour publication.
Remerciements
Les auteurs souhaitent témoigner leur reconnaissance à Ulrike Weiler (13/11/1956 - 26/07/2020) pour son implication sans relâche dans le pilotage du COST IPEMA (réseau européen sur la recherche d’alternatives à la castration des porcs mâles).
Notes
- Cet article est adapté de la communication présentée aux Journées de la Recherche Porcine en 2022 (Bee et Quiniou, 2022).
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Résumé
Cet article fait le point sur les connaissances relatives aux besoins nutritionnels des porcs mâles non castrés chirurgicalement, dans la perspective de mieux valoriser leur potentiel de croissance pour une meilleure efficience alimentaire, tout en veillant à maintenir un faible risque d’odeurs de verrat et à préserver les qualités de la carcasse et de la viande. Les raisons pour lesquelles une alimentation à volonté des mâles entiers doit être privilégiée, plutôt qu’un rationnement alimentaire, avec des aliments plus concentrés en acides aminés, sont présentées, notamment pour optimiser leur potentiel de développement de la masse protéique. Elles s’appliquent également aux porcs mâles immuno-castrés, qui peuvent être nourris comme les mâles entiers jusqu’à la deuxième vaccination contre les odeurs de verrat. Au-delà, leurs besoins en acides aminés essentiels sont nettement inférieurs à ceux des mâles entiers et les apports peuvent être diminués. Le risque d’odeurs de verrat de la viande est un problème crucial pour l’aval qui doit être maîtrisé en amont dans la production de mâles entiers. À cette fin, les impacts de l’incorporation de divers ingrédients alimentaires susceptibles de réduire les teneurs en scatol sont discutés, tant pour ce qui concerne leur efficacité que les mécanismes mis en œuvre. Avec une très faible adiposité de carcasse, les mâles entiers présentent une teneur en lipides intramusculaires inférieure à celle des femelles et des mâles castrés chirurgicalement, ce qui pénalise la qualité organoleptique de la viande. Par ailleurs, les acides gras du tissu adipeux des mâles entiers peuvent être fortement insaturés, ce qui modifie l’aptitude technologique au séchage des produits. La prise en compte de ces critères dans les cahiers des charges peut orienter les recommandations alimentaires.
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