La pandémie de Covid-19, l’économie agricole internationale et les filières animales : le cas de la Chine, des États-Unis et de l’UE
Chapeau
Les filières animales qui connaissent, à l’échelle mondiale, un développement productif et commercial rapide depuis de nombreuses années, n’ont finalement été que modestement impactées par la crise de la Covid-19, du moins en termes de volumes. Les difficultés sanitaires liées à la peste porcine africaine en Chine ont, par contre, joué un rôle majeur dans les trajectoires commerciales internationales. La crise sanitaire de la Covid-19 et la flambée récente du prix des denrées alimentaires ajoutent cependant d’importantes difficultés aux populations les plus pauvres souffrant de sous-alimentation.
Introduction
Depuis fin 2019, le monde traverse une période inédite liée à une crise sanitaire de très grande ampleur, dont les effets (humains, sociaux, économiques, environnementaux, culturels…) demeurent aussi innombrables que difficilement quantifiables. Une fois que la pandémie de Covid-19 sera passée, il appartiendra aux historiens, mais aussi aux économistes qui conservent un intérêt pour les faits historiques (ils sont en réalité de plus en plus rares), de montrer en quoi celle-ci a constitué une entorse à la dynamique vertueuse que les bâtisseurs, et autres thuriféraires de la mondialisation, avaient espérée. Avant même que le temps ne fasse son œuvre pour nous permettre de prendre du recul sur cette crise, accumuler des connaissances et obtenir des informations statistiques robustes, nombreux sont les ouvrages déjà parus, tant en France que partout sur la planète, pour décortiquer et analyser les premiers enseignements à tirer de cette période, notamment dans les disciplines de l’économie (Artus et Pastré, 2020 ; Attali, 2020 ; CEPII, 2020 ; Estival, 2020) ou de la sociologie (Kaufmann, 2021 ; Viard, 2021).
Pour limiter la propagation de la pandémie de Covid-19, apparue en décembre 2019 en Chine, tous les pays ont été amenés à adopter des règles contraignantes : confinement plus ou moins strict des personnes à leur domicile, avec un recours au télétravail quand cela est possible ; arrêt imposé de très nombreux secteurs d’activité (dont les restaurants, les hôtels, les établissements scolaires…) ; fermeture des frontières aux voyageurs ; obligation de respecter des règles de conduite pour les sorties à l’extérieur (port du masque, maintien des distances entre les personnes), etc. Les modalités d’application de ces règles ont varié selon les périodes, mais aussi selon les pays en fonction de la plus ou moins grande clairvoyance des pouvoirs politiques en place, de la richesse des États, des modes d’organisation de l’appareil sanitaire, de la vitesse de propagation du virus, de la densité de population, de la répartition de l’habitat, des habitudes sociales, etc. En dépit de ces efforts considérables, le bilan de la Covid-19 est lourd. Début Janvier 2022, d’après les statistiques de l'Université Johns Hopkins, l'épidémie de coronavirus a tué 5,4 millions de personnes à l’échelle mondiale pour 298 millions de cas de contaminations. Les trois pays qui ont payé le plus lourd tribut sont les États-Unis (832 000 morts à cette date), le Brésil (620 000) et l’Inde (482 000). En Europe, la situation est également difficile avec, par exemple, 150 000 morts au Royaume-Uni, 138 000 en Italie et 126 000 en France.
Deux ans après le début de cette crise, l’objectif de cet article est d’apporter des premiers éléments de réflexion sur les implications de la Covid-19 pour l’agriculture et le secteur des productions animales, pris à l’échelle internationale. Derrière ce titre volontairement englobant, les ambitions sont en réalité un peu plus ciblées et modestes. En effet, il ne s’agit pas de dresser un bilan consolidé de cette crise car celle-ci n’est pas encore achevée et ses répercussions devraient se faire ressentir encore longtemps. De même, le but n’est pas d’instruire tous les impacts de la crise (ils sont si nombreux), mais de mettre l’accent en priorité sur les aspects économiques, c’est-à-dire de s’intéresser surtout aux évolutions récentes de la production, de la consommation, des échanges et des prix. Enfin, cet article ne saurait aborder la situation spécifique de tous les pays et zones géographiques. Il se focalise donc sur trois d’entre elles, à savoir la Chine, les États-Unis et l’Union européenne (UE). Le choix de ces trois zones est justifié de plusieurs façons : il permet d’entrer plus en profondeur dans l’analyse que le choix alternatif qui aurait consisté à n’aborder que des aspects internationaux agrégés ; ces zones jouent un rôle majeur dans la production mondiale et les échanges internationaux de produits animaux (Chatellier, 2019 ; FAPRI, 2021a) ; les filières animales de ces trois zones répondent à des caractéristiques très différentes en termes de structures productives, de réseaux commerciaux et d’intégration dans le modèle alimentaire.
Cet article est structuré en quatre parties. La première propose une analyse transversale portant sur les principales implications économiques de cette crise pour l’économie agricole mondiale, ce pour mieux cerner le cadre général dans lequel évolue les productions animales. Les trois parties suivantes cherchent à rendre compte, de façon synthétique, de l’impact de la crise sanitaire sur la dynamique récente des productions animales dans les trois zones étudiées, respectivement la Chine (partie 2), les États-Unis (partie 3) et l’UE (partie 4).
1. La Covid-19 et l’économie agricole mondiale
Cette première partie distingue quatre sous-sections. La première traite des principaux impacts de la crise sanitaire pour l’économie mondiale. La seconde aborde la question de la sécurité alimentaire mondiale en insistant sur la forte variation des prix internationaux des denrées alimentaires. La troisième discute des implications de cette crise sur le commerce international de biens agroalimentaires. La quatrième présente la situation des productions animales à l’échelle mondiale en rappelant le poids relatif des trois zones étudiées.
1.1. Après un choc majeur pour l’économie mondiale, une reprise rapide
L’originalité de la période actuelle réside dans le fait que les bouleversements du monde ne découlent ni d’une crise économique et financière, comme cela fut le cas en 2008 (Jorion, 2008 ; Boyer, 2020), ni d’un choc politique, comme durant la phase de dislocation du bloc soviétique à la fin de la décennie 1980, mais d’un virus, dont les effets sur les activités économiques constituent une épreuve inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’économie mondiale a donc traversé, en 2020, de graves turbulences (Heyer et Timbeau, 2020). Selon la Banque mondiale, il s’agirait de la quatrième plus grave récession des 150 dernières années, après les deux Guerres Mondiales et la « Grande dépression » des années trente.
Dans ses projections établies en janvier 2020, la Banque mondiale tablait sur une croissance économique mondiale de 2,5 % en 2020 et de 2,6 % en 2021. Or, il apparaît que la contraction de l’activité économique mondiale a été de l’ordre de 3,5 % en 2020 (World Bank, 2021). Cet impact moyen ne doit pas masquer l’existence de chocs régionaux hétérogènes. Ainsi, le PIB a augmenté de 2,3 % en Chine en 2020, un taux certes toujours positif mais en fort recul par rapport aux deux années antérieures où il oscillait entre 6 et 7 %. Il a en revanche baissé dans de nombreux pays, avec par exemple, – 3,5 % aux États-Unis, – 4,4 % au Brésil, – 6,6 % dans la zone Euro, – 7,3 % en Inde et – 9,9 % en Argentine, l’un des pays les plus affectés (figure 1).
Figure 1. Le taux de croissance annuel du Produit Intérieur Brut (PIB) pour une sélection de pays - Classement par ordre décroissant de l’ampleur du choc de 2020 - (Source : Banque mondiale).
e = estimations ; f = prévisions
Les prévisions de la Banque mondiale suggèrent une reprise rapide de la croissance : + 5,6 % à l’échelle mondiale en 2021. Convergentes avec les travaux publiés en juin 2021 par l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE, 2021), ces perspectives sont supérieures à celles formulées fin 2020 en raison surtout de la dynamique vaccinale observée dans la plupart des économies avancées et des plans massifs de relance budgétaire mis en œuvre, notamment aux États-Unis et dans l’UE. Si le PIB mondial devait croître de 4,3 % en 2022, il devrait in fine atteindre un montant inférieur de 3 000 milliards d’USD aux anticipations qui avaient été faites juste avant l’arrivée de la crise pour l’année 2022. La reprise sera inégale selon les pays, en fonction notamment de l’efficacité des programmes de vaccination et des politiques de santé publique mises en œuvre. En 2021, elle devrait atteindre, par exemple, 8,5 % en Chine, 6,8 % aux États-Unis et 4,2 % dans la zone Euro. Pour les économies émergentes et les pays à faible revenu, la reprise est plus incertaine dans la mesure où les vaccins ne sont pas disponibles en quantité suffisante.
1.2. Une insécurité alimentaire mondiale et des prix agricoles sous tension
La pandémie de Covid-19 accentue la menace qui pèse sur la sécurité alimentaire et la nutrition de millions de personnes dans le monde, ce d’autant qu’elle intervient de façon concomitante à une remontée des prix internationaux des denrées alimentaires. En dépit des nombreux efforts déployés dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD), l’insécurité alimentaire persiste. Cette situation tient à de nombreux facteurs (FAO, 2019 ; FAO, 2020a), dont les difficultés climatiques (sécheresses, pluviométries abondantes…) et la multiplication des conflits militaires qui fragilisent les chaînes de production et d’approvisionnement (destruction des outils de production agricole, exode rural, dysfonctionnement dans les canaux de commercialisation…). D’autres facteurs, comme par exemple les invasions récentes de criquets pèlerins en Afrique de l’Est, y contribuent aussi.
Plusieurs institutions internationales confirment que l’insécurité alimentaire mondiale se renforce (World Bank, 2020). En 2019, la FAO estimait que la sous-alimentation concernait 690 millions d’habitants, soit près de 9 % de la population mondiale. Depuis 2014, 60 millions de personnes supplémentaires ont été touchées par la faim (FAO, 2020b). Les estimations indiquent que la pandémie de Covid-19 a ajouté entre 85 et 130 millions de personnes supplémentaires en 2020, en raison de la baisse des disponibilités alimentaires dans plusieurs zones (Comité de la sécurité alimentaire mondiale, 2020).
La flambée des prix internationaux des produits alimentaires accentue les difficultés des populations les plus pauvres (Blanc et Pouch, 2019 ; Abis et Brun, 2021). D’après l’indice FAO des prix des produits alimentaires
Figure 2. L’indice FAO des prix alimentaires entre 2007 et juin 2021 (indice 100 = FAO 2014-2016) (Source : FAO).
Dans un contexte géopolitique délicat (Boniface, 2020), le second Objectif de Développement Durable (ODD), à savoir l'éradication de la faim, ne sera donc probablement pas atteint en 2030 (ONU, 2020). Il le sera d'autant moins que l'esprit et la pratique du multilatéralisme sont endommagés (Abbas et al., 2020 ; Courleux et Carles, 2020). Un commerce international encadré par des dispositifs partagés, car collectivement construits, serait une première étape utile pour relancer le processus multilatéral, renforcer les coopérations et proposer une réflexion commune de sortie de la crise (Ba Mohamed, 2020).
1.3. Les échanges mondiaux de produits agricoles et alimentaires n’ont été que très temporairement affectés
D’après l’OMC, le commerce mondial de marchandises a baissé de 5,3 % en 2020 par rapport à 2019. Ce chiffre tient pour partie à la baisse vertigineuse enregistrée par les produits énergétiques et miniers. Entre début mars et fin avril 2020, les barils de Brent et de Western Texas Intermediate ont perdu 70 % de leur valeur (Antonin, 2020) pour s’établir à des niveaux historiquement bas (entre 15 et 25 dollars). À l’exception de l’Asie qui a enregistré une hausse de 0,3 % de ses exportations en 2020 (contre 6,7 % en 2017), de nombreuses zones (Amérique du Nord, Europe, Afrique) ont connu un recul proche de 8 %. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED, 2021) prévoit une reprise du commerce de marchandises au premier trimestre 2021 (+ 10 % en cumul annuel mobile) sous l’influence des économies d'Asie de l'Est, en particulier la Chine.
Le recul des transactions commerciales de marchandises a été intense au cours du deuxième trimestre 2020 (– 21 % par rapport au même trimestre de 2019) ; le quatrième trimestre s'inscrivant déjà en positif (+ 2 %). Les produits agricoles et alimentaires ont enregistré une baisse plus faible que dans d'autres secteurs (figure 3). Après une baisse de 5 % au deuxième trimestre, les échanges de produits agricoles et alimentaires ont repris pour atteindre + 6 % au quatrième trimestre, sous l'influence notable de pays importateurs d'Asie, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Cela s'explique par le fait que les États ont dû préserver les chaînes alimentaires pour nourrir les populations, soit en puisant dans les stocks intérieurs, soit en important des biens agricoles sur le marché international. Ainsi, d'après les statistiques du Conseil International des Céréales (CIC) publiées en juin 2021, le commerce mondial des grains s'est par exemple bien tenu tout au long de la période récente. Il est, en effet, passé de 364 millions de tonnes durant la campagne 2018/2019 à 395 millions de tonnes en 2019/2020, et il devrait se situer aux alentours de 420 millions de tonnes en 2020/2021 (soit 17 % de la production mondiale). Entre 2018-19 et 2020-21, le commerce mondial devrait progresser d'environ 13 % tant pour le blé et le maïs que le soja.
Figure 3. Le commerce mondial de marchandises et de produits agricoles au cours des 4 trimestres de 2020 par rapport à l’année 2019 (variation en %) (Sources : OMC).
Les secteurs agricole et alimentaire ont donc mieux résisté à la contraction des échanges que d'autres secteurs. D'après nos estimations basées sur un traitement de la base de données BACI (Chatellier, 2019), les échanges agroalimentaires mondiaux (hors commerce intra-UE) ont fortement progressé au fil des deux dernières décennies, passant de 340 milliards d'euros en 2000 à 1 025 milliards d'euros en 2019. Le poids des productions animales dans les échanges agroalimentaires (17 % en 2019) est resté stable tout au long de cette période. La pandémie de Covid-19 devrait avoir des effets mineurs sur cette trajectoire de long terme.
1.4. Les productions animales dans le monde en 2020
La production mondiale de viandes, qui a doublé en 25 ans, s’est élevée à 338 millions de tonnes équivalent carcasse (tec) en 2019 (FAO, 2021a). Selon les estimations et prévisions de la FAO, et en dépit des difficultés rencontrées suite à la crise sanitaire, dont l’arrêt temporaire de certains abattoirs touchés par des clusters de Covid-19 et les difficultés pour trouver de la main-d’œuvre disponible (dont l’arrêt du mouvement des travailleurs migrants), elle devrait rester stable en 2020 et atteindre 345 millions de tec en 2021. La production de viande bovine (71,6 millions de tec en 2020) a baissé de 1,1 % entre 2019 et 2020. Parallèlement, la production porcine (109,8 millions de tec) a baissé de 0,2 % ; la production ovine (16,2 millions de tec) est restée stable ; la production de volailles (133,4 millions de tec) a poursuivi sa croissance (+ 1,3 %).
La FAO table sur une hausse du commerce international des viandes. Il devrait passer de 36,6 millions de tec en 2019 à 41,7 millions de tec en 2020 et 41,9 millions de tec en 2021 (FAO, 2021a). Si cette hausse se retrouve pour les différentes catégories de viandes (figure 4), elle est très forte en viande porcine (+ 34 %). En effet, les importations chinoises en viande porcine ont doublé entre 2019 et 2020 (USDA, 2021a ; IFIP, 2021). Avec près de 10 millions de tec de viande porcine exportées en 2020 (+ 20 % par rapport à 2019), les quatre grands exportateurs (UE, Canada, États-Unis, Brésil) ont donc été en mesure de répondre à la demande mondiale.
Figure 4. La production et le commerce de viandes en 2019, 2020 (estimation) et 2021 (prévisions) en millions de tec (Sources : FAO).
En 2020, les trois zones étudiées ci-après (Chine, États-Unis et UE) concentrent 51 % dans l’offre mondiale des viandes (tableau 1). Cette contribution est plus forte pour la viande porcine (71 %) que pour la viande de volailles (47 %), la viande bovine (37 %) et la viande ovine (36 %). La Chine (77,9 millions de tec) est le premier producteur de viandes au monde, loin devant les États-Unis (48,6 millions de tec), l’Amérique du Sud (45,9 millions de tec) et l’UE (44,6 millions de tec). D’autres zones arrivent ensuite dont le continent africain (21 millions de tec), la Russie (11,2 millions de tec) et l’Océanie (6,3 millions de tec).
Tableau 1. La répartition de la production mondiale (en volume) de viandes et de produits laitiers entre les zones géographiques et plusieurs pays en 2020 (Sources : FAO).
Viande |
Viande |
Viande de |
Viande |
Viandes |
Produits |
|
---|---|---|---|---|---|---|
Europe |
14,6 |
29,7 |
15,9 |
8,3 |
19,5 |
26,5 |
- UE-28 |
10,9 |
23,8 |
10,9 |
6,0 |
14,5 |
19,6 |
- Russie |
2,3 |
4,0 |
3,3 |
1,4 |
0,0 |
3,7 |
Amérique du Nord |
18,2 |
14,5 |
17,9 |
0,6 |
15,8 |
12,8 |
- États-Unis |
16,3 |
12,3 |
16,8 |
0,5 |
14,3 |
11,7 |
- Canada |
1,9 |
2,2 |
1,1 |
0,0 |
1,6 |
1,1 |
Amérique du sud |
23,1 |
6,6 |
17,5 |
2,1 |
14,3 |
7,1 |
- Brésil |
14,3 |
4,1 |
11,7 |
0,8 |
9,2 |
4,0 |
- Argentine |
4,4 |
0,6 |
1,6 |
0,0 |
1,8 |
1,2 |
Amérique Centrale |
3,9 |
2,2 |
3,9 |
0,8 |
3,2 |
2,2 |
Asie |
26,6 |
44,8 |
39,1 |
59,1 |
39,1 |
43,1 |
- Chine |
9,7 |
34,5 |
19,3 |
30,8 |
22,5 |
3,9 |
- Inde |
3,5 |
0,3 |
2,6 |
4,5 |
2,2 |
23,6 |
Océanie |
3,6 |
0,5 |
1,1 |
7,2 |
1,9 |
3,6 |
- Australie |
2,7 |
0,4 |
0,9 |
4,3 |
1,3 |
2,5 |
- Nouvelle-Zélande |
0,9 |
0,1 |
0,2 |
2,9 |
0,4 |
1,1 |
Afrique |
10,0 |
1,6 |
4,6 |
21,9 |
6,2 |
5,5 |
Monde |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
100,0 |
La production mondiale de lait, toutes espèces confondues s’élève à 888 milliards de litres en 2019. Selon les estimations de la FAO, elle a progressé de 2 % en 2020 pour atteindre 906 milliards de litres. Ce taux de croissance est proche de la moyenne décennale. Cette progression est surtout le fait de l’Inde (+ 9,7 milliards de litres), du Pakistan (+ 3,5 milliards de litres) et de la Chine (près de3 milliards de litres). Les trois zones étudiées ici comptent pour 35 % dans la production laitière mondiale en 2020, soit un niveau moindre que pour les viandes ; la Chine ayant une contribution très faible à l’offre mondiale de lait (4 %). Au niveau commercial, les exportations de produits laitiers ont augmenté entre 2019 (8,7 % de la production) et 2020 (soit 9,4 % de la production). En 2020, les exportations mondiales (85,7 milliards de litres) sont dominées par l’UE (24 %), première zone exportatrice (IDELE, 2021), la Nouvelle-Zélande (23 %), dont les volumes de production sont désormais plus stables après deux décennies marquées par un développement soutenu, et les États-Unis (14 %). Au niveau des importations, la Chine arrive largement en tête (20 %), devant l’Afrique (12 %) et la Russie (4 %).
2. La Covid-19 et les productions animales en Chine
La politique agricole chinoise repose sur deux grands objectifs : la sécurité alimentaire du pays, qui passe par l’autosuffisance en produits stratégiques et l’augmentation des revenus des ruraux, cette dernière étant cruciale pour maintenir la stabilité politique et sociale. L’écart grandissant entre la production et la consommation alimentaire place la Chine dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’extérieur et menace aussi bien sa stabilité intérieure que sa volonté de devenir la première puissance mondiale (Chaumet, 2015). Face à l’évolution récente de la consommation alimentaire et aux contraintes environnementales, les autorités chinoises ont progressivement adopté de nouvelles orientations politiques qui reposent sur la préservation du potentiel de production et des investissements à l’étranger pour sécuriser les achats sur le marché international et conserver le contrôle de l’offre (Chaumet et Pouch, 2017 ; Chaumet, 2020). En ce qui concerne plus spécifiquement les productions animales chinoises, celles-ci affichaient déjà avant la crise de la Covid-19, des trajectoires bien différentes, dans un contexte marqué par l’apparition de la Peste Porcine Africaine (PPA). La Chine est le premier importateur mondial de produits animaux, avec 22 % du total mondial (hors commerce intra-UE), devant les États-Unis (9 %) et le Japon (9%).
2.1. Les productions animales chinoises avant la crise de la Covid-19 : le choc de la PPA et la hausse importante des importations
Le 3 août 2018, soit bien avant la crise de la Covid-19, les autorités chinoises ont déclaré auprès de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) un foyer de PPA à Shenyang dans la province de Liaoning au Nord-Est de la Chine. La PPA, maladie spécifique des suidés domestiques et sauvages (sangliers, phacochères, potamochères) et qui n'est pas transmissible à l'Homme, s'est progressivement répandue dans toutes les provinces chinoises, mais également dans certains pays limitrophes de l'Asie de l'Est et du Sud-Est (FAO, 2020c ; Rose et Le Potier, 2020). Les conséquences productives et économiques de cette maladie sont considérables en Chine (Ma et al., 2021 ; De Ruyter et al., 2021), dépassant de très loin, du moins pour le secteur des productions animales, les effets de la crise de la Covid-19. En effet, d'après les données officielles chinoises, le cheptel national de truies a chuté de près de 40 % en une seule année (ceci entraînant un recul de la production porcine de l'ordre de 21 %). Cette réduction drastique de l'offre domestique, dans un pays qui représente près de la moitié de la production porcine du monde, a entraîné une augmentation soudaine et spectaculaire du prix de la viande porcine (triplement) sur les marchés à travers tout le pays entre février 2019 et février 2020. Pour tenter de juguler l'inflation et de satisfaire la demande des consommateurs, la Chine a procédé à des importations massives de viandes et de produits porcins. En 2019, les volumes importés ont atteint près de 4 millions de tec, soit une hausse de 86 % par rapport à 2018. La flambée des prix de la viande porcine et le manque d'offre ont été à l'origine d'une demande accentuée pour les autres viandes, ceci concourant également à une augmentation de leurs importations et des prix intérieurs.
Après le scandale sanitaire dit « de la mélamine » en 2008
2.2. L’impact de la Covid-19 sur les productions animales chinoises
La crise de la Covid-19 est donc intervenue dans un contexte déjà tendu pour les productions animales chinoises. Juste avant le Nouvel An Chinois du 25 janvier 2020, les autorités du pays ont mis en place des mesures de confinement particulièrement strictes pour tenter d’enrayer la propagation du virus. Ces mesures ont freiné le retour des employés partis dans leur famille passer les vacances du Nouvel An. Elles ont également eu pour conséquence de limiter fortement la consommation hors domicile.
Au niveau du secteur agroalimentaire, ces mesures se sont également traduites par un arrêt, pendant plus de deux semaines, des usines, ceci entraînant des interruptions dans les livraisons, par exemple en aliments du bétail et en médicaments vétérinaires. À la mi-février 2020, seulement les deux tiers des entreprises de l’alimentation animale avaient repris leurs activités. Par ailleurs, le transport des marchandises a été fortement perturbé par la mise en place de barrages à l’entrée des villages, interdisant leur traversée par peur de contamination. Les mesures sanitaires ont également entraîné une hausse des coûts de production dans les filières animales en raison des nombreuses mesures préventives adoptées face au Covid-19 tout au long des chaînes de fabrication. Les importations chinoises ont également été perturbées par les problèmes logistiques. Les blocages des ports et des moyens de transport ont fortement retardé les livraisons de conteneurs, qui se sont accumulés dans les ports. En outre, les grands armateurs maritimes internationaux ont décidé de réduire le nombre de rotations, pour faire face à la baisse de la demande internationale en fret, tous produits confondus. La capacité de transport international vers la Chine a ainsi été limitée et les coûts liés au transport ont augmenté, ce qui a déstabilisé le prix international de certaines commodités (dont le beurre et la poudre de lait).
Dans le secteur porcin, la pandémie de la Covid-19 a perturbé les approvisionnements. Déjà situés à des niveaux élevés en raison de la PPA, les prix du porc ont enregistré, début 2020, une hausse saisonnière qui a culminé lors des vacances du Nouvel An chinois. Toutefois, les cours ont ensuite reculé jusqu’à la fin du premier semestre. Tirée par une demande intérieure en croissance, la production porcine chinoise n’a pas été fortement affectée par la Covid-19, les volumes de 2020 étant en recul de seulement 3 % par rapport à 2019. Après une baisse de l’offre au premier semestre, imputable pour l’essentiel aux effets de la PPA, les abattages ont rebondi au second semestre. En raison des contraintes logistiques et de cas de Covid-19 déclarés dans les abattoirs de pays fournisseurs (dont l’Allemagne), les importations de la Chine en viande porcine ont certes été ralenties pendant quelques semaines, mais cela n’a été que temporaire ; l’Espagne a joué un rôle déterminant dans l’approvisionnement de la Chine compensant partiellement le repli des exportations allemandes. L’accord signé en janvier 2020 avec les États-Unis a facilité la reprise. Selon des conditions commerciales avantageuses (exonération de tarif douanier), cet accord autorise de nouveaux abattoirs américains à exporter vers la Chine. Les importations en provenance de l’UE ont également fortement progressé en 2020 au profit surtout de l’Espagne. Au total, les importations chinoises de produits porcins ont atteint 5,7 millions de tonnes, soit une hausse exceptionnelle de 47 % par rapport à 2019.
En 2020, selon les statistiques nationales officielles, la production chinoise de viande de poulet a progressé de 6 % (par rapport à 2019) et les importations ont augmenté de 75 %. Cette situation ne doit pas masquer l’existence de situations régionales parfois délicates comme, par exemple, dans la province du Hubei, dont Wuhan est la capitale. Dans cette province, qui compte pour 4 % dans la production avicole nationale, les élevages ont dû faire face à une chute vertigineuse de leurs marges et très souvent à la destruction immédiate de leurs animaux, en raison de l’absence de stocks d’aliments ou de possibilité d’enlèvement des lots mis en place. A moyen terme, la crise sanitaire de la Covid-19 pourrait avoir des conséquences importantes sur les modalités d’achat et de consommation de la viande de volaille en Chine. Si le poids des marchés traditionnels dans les achats d’aliments frais est en recul depuis le début des années 2000, ceux-ci demeurent un réseau de distribution incontournable dans le pays (près de la moitié des achats d’aliments frais avant la pandémie). Or, pour des raisons sanitaires, les autorités politiques envisagent de limiter voire d’interdire la vente de volailles vivantes sur les marchés.
Le secteur bovin n’a pas non plus été très affecté par la Covid-19. En 2020, la production de viande bovine a progressé de 0,7 % par rapport à 2019. Au cours du premier trimestre, la fermeture imposée des marchés aux bestiaux a cependant perturbé, du moins temporairement, les circuits de commercialisation. Le nombre de bovins mis à l’engraissement a reculé, limitant de fait la production future. La demande en viande bovine a poursuivi sa tendance haussière, à un niveau plus rapide que la dynamique de l’offre. Ceci a provoqué une nouvelle hausse des importations chinoises de viande bovine en 2020 (+ 27 % par rapport à 2019 en Chine continentale et + 22 % à Hong-Kong). La Chine a ainsi conforté sa position de premier importateur mondial de viande bovine.
Dans le secteur laitier, la production chinoise a augmenté de 7,5 % en 2020 par rapport à 2019 pour atteindre 34,4 millions de tonnes. La crise de la Covid n’a donc pas freiné la hausse de la production entamée en 2019, après une décennie de stabilité. Le prix du lait payé au producteur a reculé à partir de février 2020, avec des baisses parfois importantes dans certaines régions. Des laiteries ont refusé de collecter du lait et la plupart ont dû transformer l’excès de lait collecté en poudres grasses. Cette situation s’explique, d’une part, par la saturation des stocks de produits de grande consommation (lait liquide, produits fermentés) et, d’autre part, par l’absence d’une possibilité de report vers des produits à longue durée de conservation (poudre maigre, beurre ou fromages). De nombreux éleveurs ont également été dans l’obligation de jeter du lait. Afin d’encourager les transformateurs à collecter le lait, certaines provinces chinoises ont mis en place un système de subventions spécifiques. Au premier semestre, les ventes de produits laitiers ont été affectées par la baisse des achats au détail, notamment lors du Nouvel An, et par un recul des ventes en Restauration Hors Domicile (RHD). Certaines entreprises ont tenté de compenser ces baisses d’activité par le développement de ventes sur internet, de ventes à domicile et d’achats groupés dans les résidences (sans que les acheteurs ne sortent de l’enceinte). À partir du mois de juin 2020, et sous l’impulsion de demande soutenue, notamment en lait liquide et en poudre de lait haut de gamme, le prix du lait a de nouveau progressé jusqu’au début de 2021. Ainsi, malgré la baisse temporaire des prix et les ruptures de chaînes d’approvisionnement, les profits des principales entreprises laitières ont progressé en 2020. Ces bons résultats suggèrent la possibilité d’une poursuite des investissements dans ce secteur, via notamment la construction de nouveaux élevages.
Les importations de la Chine en produits laitiers ont augmenté, en volume (équivalent lait), de 8 % en 2020 (par rapport à 2019), pour atteindre un nouveau record. Ces évolutions sont cependant contrastées selon les types de produits : + 16 % pour les laits liquides conditionnés ; + 38 % pour la poudre de lactosérum, sous l’influence de l’accord commercial avec les États-Unis et de la reconstitution progressive du cheptel porcin chinois. Dans la mouvance de la transition du « lait à boire » vers le « lait à manger », les importations chinoises de fromages, de beurre et de crème, ont également progressé en 2020 pour atteindre de nouveaux records historiques. Les volumes importés de poudres (grasse et maigre) ont, quant à elles, légèrement reculé, mais un rebond est attendu en 2021.
Si la production chinoise de produits animaux n’a pas été mise en difficulté par la crise de la Covid-19 en termes de volumes produits, l’année 2020 a été caractérisée par une nouvelle forte augmentation des importations chinoises de produits animaux, sous l’influence d’une demande intérieure en croissance. Les autorités politiques prennent conscience de cette situation qui contribue à la dégradation rapide du solde commercial. D’après les informations issues de la base de données BACI, le solde agroalimentaire de la Chine qui était de – 8 milliards d’euros en moyenne annuelle entre 2006 et 2010 est passé à – 76 milliards d’euros en 2019 (tableau 2) ; il sera encore inférieur en 2020 selon les premières estimations. Entre ces deux mêmes périodes, le solde commercial en productions animales est passée de – 2,7 à – 33,1 milliards d’euros (dont – 11 milliards d’euros en produits laitiers et – 10,8 milliards d’euros en viande bovine).
Tableau 2. L’évolution des échanges de la Chine en productions animales et en produits agroalimentaires entre 2000 et 2019 (en milliards d’euros courants) (Sources : BACI/Traitement INRAE, SMART).
Produits |
Viande |
Viande |
Secteur |
Productions |
Agro-alimentaire |
|
---|---|---|---|---|---|---|
Exportations |
||||||
2000-05 |
0,1 |
0,0 |
0,3 |
0,8 |
2,2 |
18,0 |
2006-2010 |
0,2 |
0,2 |
0,4 |
0,8 |
2,8 |
27,4 |
2010-2015 |
0,1 |
0,3 |
0,5 |
1,5 |
4,4 |
45,9 |
2016-2018 |
0,2 |
0,3 |
1,0 |
1,9 |
5,7 |
57,5 |
2019 |
0,2 |
0,5 |
0,4 |
1,5 |
5,0 |
59,6 |
Importations |
||||||
2000-05 |
0,7 |
0,3 |
0,3 |
0,6 |
2,6 |
17,1 |
2006-2010 |
1,6 |
0,6 |
1,0 |
1,2 |
5,5 |
35,4 |
2010-2015 |
5,9 |
3,0 |
2,8 |
1,8 |
16,0 |
84,4 |
2016-2018 |
8,9 |
5,9 |
4,8 |
2,1 |
25,0 |
112,9 |
2019 |
11,1 |
11,3 |
8,0 |
2,9 |
38,0 |
135,7 |
Solde commercial |
||||||
2000-05 |
– 0,6 |
– 0,2 |
– 0,1 |
0,1 |
– 0,4 |
0,9 |
2006-2010 |
– 1,5 |
– 0,3 |
– 0,6 |
– 0,4 |
– 2,7 |
– 8,0 |
2010-2015 |
– 5,8 |
– 2,6 |
– 2,3 |
– 0,4 |
– 11,6 |
– 38,5 |
2016-2018 |
– 8,8 |
– 5,6 |
– 3,8 |
– 0,2 |
– 19,2 |
– 55,3 |
2019 |
– 11,0 |
– 10,8 |
– 7,7 |
– 1,4 |
– 33,1 |
– 76,1 |
Face aux difficultés que la Chine rencontre pour assurer elle-même sa propre alimentation et compte tenu des ambitions plus globales assignées au pays, les autorités chinoises ont lancé, pour le prochain plan quinquennal 2021-2025, un nouveau concept ou leitmotiv appelé la « double circulation » (Garcia Herrero, 2021 ; Le Corre, 2021). Ce concept vise à rendre le pays moins dépendant des importations (circulation internationale), plus autonome technologiquement et davantage porté par son marché domestique (circulation intérieure). Pour le secteur agricole et alimentaire, la déclinaison de ce concept supposerait de stimuler la production nationale. Le document d'orientation politique 2021, ainsi que le 14ème plan quinquennal, appellent à renforcer l'autosuffisance alimentaire pour garantir le plus haut niveau de sécurité possible en produisant et en stockant davantage. Au plan international, les orientations annoncées renforcent la politique en cours. Il s'agit d'abord d'accélérer la stratégie de diversification des origines des importations de produits agricoles, pour limiter les sources de vulnérabilité et éviter de donner prise à des stratégies agressives. L'objectif est également d'œuvrer à la constitution de grands traders internationaux et d'encourager les entreprises agroalimentaires chinoises à s'intégrer dans les chaînes d'approvisionnements internationales.
3. La Covid-19 et les productions animales aux États-Unis
Avant d’aborder l’influence de la crise sanitaire sur l’évolution des productions animales aux États-Unis en 2020, il est nécessaire de bien cerner le contexte général dans lequel l’agriculture américaine se déploie depuis plusieurs années. En effet, les impacts de la pandémie ne sauraient être dissociés des turbulences qui l’ont précédé.
3.1. Une amélioration de la conjoncture depuis 2019, après un fort déclin de l’excédent commercial et des revenus
La pandémie de Covid-19 n’a pas profondément affecté l’agriculture des États-Unis (FAPRI, 2021b), même si la dynamique de l’offre agricole a parfois été confrontée à une insuffisance de la demande. Pour bien comprendre la situation, il convient de replacer cette période dans la continuité d’une crise intervenue quelques années auparavant (Schnepf et Monke, 2021). Plusieurs indices montrent en effet que les agriculteurs américains furent durement malmenés à partir de 2014. Après un début de décennie porteur en termes de prix agricoles internationaux, le retournement de la tendance haussière constitue le premier indice. Le deuxième indice a trait à l’intensité croissante de la concurrence internationale sur les marchés agricoles, laquelle a exercé un impact négatif sur le solde agroalimentaire américain.
Après plus de trois ans de baisse, le revenu des agriculteurs américains s’est redressé à partir de 2019. Ainsi, d’après les statistiques du service de recherche économique (ERS) de l’USDA, le revenu agricole global (dit « Net Farm Income ») des États-Unis avait d’abord fortement régressé entre 2013 et 2016, se situant en moyenne annuelle aux environs de 80 milliards de dollars ; il avait même plongé à 62 milliards de dollars en 2016. Après une stabilisation en 2017, il a ensuite fortement progressé pour atteindre 121 milliards de dollars en 2020, consécutive à une hausse de 38 milliards de dollars entre 2019 et 2020 (CRS, 2021). Cette progression résulte principalement d’un double effet, à savoir la remontée des prix des produits agricoles et l’augmentation des aides directes, accordées le plus souvent sous une forme couplée. En effet, pour absorber le choc du conflit commercial avec la Chine notamment, et ses impacts sur les exportations, des dispositifs exceptionnels d’aides ont été mis en œuvre par l’État fédéral. Ainsi, ces paiements directs, qui étaient de 11,7 milliards de dollars en 2017, ont fortement augmenté depuis pour atteindre plus de 46 milliards de dollars en 2020, soit près de 40 % du revenu. Les prévisions pour le revenu 2021 des agriculteurs anticipent une baisse de 8 % (CRS, 2021), imputable surtout à la réduction des aides (– 45% par rapport à 2019).
L’excédent commercial agroalimentaire des États-Unis a connu une érosion significative au cours des dernières années. En effet, d’après les données statistiques issues de BACI, celui-ci est passé de 16,5 milliards d’euros en 2013 à – 11,5 milliards d’euros en 2019, soit un recul drastique de 28 milliards d’euros. Si les données de 2020 ne sont pas encore disponibles, les estimations de l’USDA laissent entendre que ce solde reculerait, en 2020, d’environ 2 milliards d’euros supplémentaires, conduisant ainsi au solde le plus faible observé depuis près de cinquante ans. Cette configuration est inédite pour une économie dont le secteur agricole a constitué l’un des leviers de la puissance américaine, souvent qualifié de Food Power.
La dégradation de la balance commerciale américaine tient à plusieurs facteurs dont la montée en puissance concurrente des exportations brésiliennes de soja sur le marché chinois (USDA, 2021b). De même, le déclenchement des hostilités commerciales avec la Chine à partir de mai 2018 a été pénalisant (Li et al., 2020 ; Duchesne et Zhang, 2020). L'alourdissement des tarifs douaniers instauré par Donald Trump sur les importations d'acier (+ 25%) et d'aluminium (+ 10%) en provenance de Chine a conduit Pékin à adopter en retour des mesures de rétorsion sur les filières agricoles. Ainsi, le solde agroalimentaire des États-Unis avec la Chine est passé de + 15,7 milliards d'euros en 2016 à 4,3 milliards d'euros en 2018, pour rebondir à 9,7 milliards d'euros en 2019. Entre 2013 et 2019, le solde agroalimentaire américain avec l'UE s'est, lui aussi, détérioré de 7,8 milliards d'euros pour s'établir à – 13,1 milliards d'euros en 2019. Enfin, la poursuite depuis août 2014 de l'embargo russe a également eu une influence négative sur le solde commercial des États-Unis (Chatellier et al., 2018).
3.2. Les productions animales aux États-Unis avant et pendant la crise
Aux États-Unis, les productions animales, toutes espèces confondues, ont une balance commerciale positive en 2019 (+ 10,2 milliards d’euros). Ce montant a peu évolué depuis 2012, alors qu’il avait connu de fortes hausses au cours de la période antérieure. Le secteur porcin occupe une position dominante (+ 5 milliards d’euros de solde en 2019) devant les secteurs avicole (+ 3,9 milliards d’euros), laitier (+ 2,1 milliards d’euros) et bovin (+ 0,3 milliard d’euros). Le ralentissement des performances à l’exportation est assez net du côté de la viande bovine et de la viande de volailles, tandis que les produits laitiers ont redressé une dynamique qui avait été interrompue lors de la crise laitière de 2015-2016.
En viande bovine, les États-Unis occupent le premier rang mondial des pays producteurs, avec 17 % volumes totaux en 2020 (selon les estimations de la FAO), devant le Brésil, la Chine et l’UE. Selon l’USDA, la production de viande bovine a atteint 12,4 millions de tec en 2020, son plus haut niveau historique (Peel, 2021). La production du second trimestre 2020 a cependant baissé de 11 % par rapport au même trimestre de 2019. Pour les trois autres trimestres, et notamment le premier (+ 8 %), la production de 2020 a toujours été supérieure à celle de l’année qui précédait (figure 5). Cette contraction de l’offre tient surtout aux répercussions de la crise sanitaire sur les abattoirs. En effet, ceux-ci ont été confrontés à une raréfaction de la main-d’œuvre, soit parce que celle-ci a été contaminée par le Covid-19, soit parce qu’elle devait respecter les mesures de confinement (avec parfois des fermetures temporaires des abattoirs entre avril et mai 2020). Il en a découlé une baisse de l’activité dans le secteur de la transformation, activité qui de surcroît a été heurtée par l’effondrement de la demande émanant établissements de la RHD. Le transfert des flux des produits destinés à la RHD vers la consommation des ménages a occasionné des surcoûts industriels qui ont été répercutés sur les prix de détail, expliquant une poussée inflationniste (Balagtas et Cooper, 2020). Les exportations des États-Unis en viande bovine se sont élevées à 1,33 million de tec en 2020, un niveau inférieur de 2 % à 2019. Ce léger recul traduit un double mouvement, avec d’un côté une baisse des expéditions vers le Mexique et, de l’autre, une augmentation de celles-ci vers la Chine. En 2020, les trois premiers clients des États-Unis en viande bovine sont le Japon (28 % du total), la Corée du Sud (22 %) et le Mexique (10 %). Comparativement à 2019, les importations des États-Unis en viande bovine ont augmenté de 9 % en 2020 pour atteindre 1,51 million de tec. Sur les quatre premiers mois de 2021, les exportations ont augmenté de 7 % par rapport aux quatre premiers mois de 2020 ; les importations ont, elles, baissé de 7 %.
Figure 5. L’évolution du solde commercial en agroalimentaire et pour différentes productions animales aux États-Unis entre 2000 et 2019 (en milliards d’euros courants) (Sources : BACI/Traitement INRAE, SMART).
* Pour les secteurs bovin, porcin et avicole, il s’agit du cumul de l’ensemble des produits issus de ces filières : viande, animaux vivants, préparations (et œufs pour le secteur avicole).
En viande porcine, les États-Unis occupent la troisième place mondiale des pays producteurs (12 % des volumes totaux en 2020), loin derrière la Chine (38 %) et l’UE (21 %). La production porcine nationale a augmenté de 2,4% en 2020 pour atteindre 12,8 millions de tec. Cette hausse tient là aussi surtout à la dynamique du premier trimestre (figure 6). Un décrochage a ensuite été constaté au deuxième trimestre (– 4,6 %). L’écoulement de l’offre de viande porcine sur le marché intérieur s’est heurté, là aussi, aux mesures de confinement et aux contraintes qui ont pesé sur les abattoirs entre avril et mai 2020. Entre le premier et le second trimestre de 2020, la consommation intérieure par tête a reculé de 7 %, avant de se reprendre à partir du troisième trimestre au point de dépasser le niveau antérieur à la pandémie. Au niveau du commerce extérieur, la filière porcine a bénéficié d’un surcroît de la demande mondiale. Les exportations américaines ont grimpé de 15 % en 2020 par rapport à 2019 pour atteindre 3,3 millions de tec. Avec + 480 000 tec d’exportations en 2020 par rapport à 2019, la Chine est devenue le premier client des États-Unis devant le Mexique, le Japon et le Canada. En 2020, plusieurs courants d’échanges ont cependant connu un recul, comme la Corée du Sud et la Colombie. Les importations des États-Unis en viande porcine (409 600 tec en 2020, soit environ 3 % de l’offre intérieure), qui proviennent pour les deux tiers du Canada, ont baissé de 4 % en 2020.
Figure 6. L’évolution de la production de viandes et de lait en 2020 comparativement à 2019 exprimée en % des volumes de 2019 selon les trimestres (Sources : USDA).
En viande de volailles, les États-Unis occupent la première position mondiale des pays producteurs (17 % des volumes totaux en 2020), devant la Chine (16 %), le Brésil (11 %) et l’UE (10 %). La production de volailles aux États-Unis a augmenté de 1,2 % en 2020 par rapport à 2019 pour atteindre 22,8 millions de tec. Toutefois, comme pour les autres viandes, la pandémie a occasionné un recul des abattages à partir du deuxième trimestre de l’année 2020. Grâce à la structuration du secteur et aux investissements importants réalisés par le passé (MacDonald, 2008), la production de volailles a considérablement augmenté sur une longue période aux États-Unis ; cette tendance devrait se poursuivre au cours de la décennie qui débute (USDA, 2021c). Les exportations des États-Unis en viande de volailles ont augmenté de 2,4 % en 2020 rapport à 2019 pour atteindre 3,6 millions de tec. La hiérarchie des pays clients des États-Unis a cependant connu des modifications. En effet, si le Mexique demeure le premier client des États-Unis en viande de poulet (avec 21 % des exportations américaines), la Chine s’est hissée de façon fulgurante au deuxième rang des clients (9 % des exportations américaines en 2020). Les importations américaines en viande de poulet sont, de leur côté, insignifiantes.
Dans le secteur laitier, la crise sanitaire n’a pas fondamentalement changé les dynamiques à l’œuvre au niveau de la production. Avec un cheptel de 9,3 millions de vaches laitières, celle-ci a progressé de 2,2 % par rapport à 2019. La production laitière des États-Unis a atteint son plus haut niveau historique en 2020 (101 millions de tonnes). Pour les quatre trimestres de 2020, l’offre de lait a été supérieure à celle de 2019, y compris au cours du deuxième trimestre. Le marché a été temporairement caractérisé par un excédent d’offre (+ 10 % en mars 2020), ce qui a conduit à jeter 7 % des volumes de lait (FranceAgriMer, 2021). Il en a résulté une chute de 15 à 20 % du prix du lait payé aux producteurs au cours des mois d’avril et de mai 2020. Troisième exportateur mondial de produits laitiers en 2020 derrière l’UE et la Nouvelle-Zélande, les États-Unis ont continué en 2020 à jouer un rôle central sur le marché mondial de la poudre de lait écrémé, principalement à destination des pays asiatiques.
Ce focus sur les productions animales aux États-Unis indique que ce secteur a traversé la crise sanitaire sans trop de difficultés, au moins au niveau des volumes produits et échangés. Sur le registre du commerce extérieur, l’année 2021 devrait d’ailleurs se terminer, selon l’USDA, par un net rétablissement de l’excédent agroalimentaire (USDA, 2021d). Il convient de ne pas sous-estimer, dans cette trajectoire, le rôle important joué par les soutiens budgétaires alloués aux agriculteurs, ainsi que les mesures arrêtées pour accompagner les citoyens les plus pauvres et relancer l’économie du pays. Le 21 décembre 2020, le congrès américain a en effet approuvé un plan de soutien aux ménages et aux entreprises d’une valeur de 729 milliards d’euros.
4. La Covid-19 et les productions animales dans l’Union européenne
À l’échelle européenne, la chaîne d'approvisionnement agroalimentaire a fait preuve d'un haut degré de résilience pendant la pandémie, favorisée en cela par des mesures prises tant par la Commission européenne (cf. encadré 1) que par les gouvernements nationaux. Après une analyse transversale succincte de la dynamique de l’agriculture européenne au cours de l’année 2020, une focalisation est faite sur les productions animales, en différenciant successivement la viande bovine, la viande porcine, la viande de volailles et le secteur laitier. La réflexion est conduite pour l’UE-27, c’est-à-dire en considérant le Royaume-Uni comme un pays tiers sur toute la période, afin d’assurer une continuité des séries.
Encadré 1. Une sélection de mesures prises par la Commission européenne pour soutenir le secteur agroalimentaire pendant la pandémie.
Des mesures au service d’un approvisionnement alimentaire efficace
La Commission européenne a assuré une coordination étroite avec les États membres de l’UE pour garantir le fonctionnement du marché unique des marchandises en créant des « voies réservées ». Les contrôles effectués aux points de passage frontaliers ont ainsi été plus rapides (pas plus de 15 minutes). Le passage est autorisé pour toutes les marchandises, y compris les produits agroalimentaires.
La Commission européenne a publié des orientations pour que, au sein de l’UE, les travailleurs mobiles considérés comme essentiels dans la lutte contre la pandémie puissent se rendre sur leur lieu de travail.
Des mesures de marché exceptionnelles
Pour stabiliser le marché en réduisant temporairement l’offre disponible, la Commission européenne a octroyé des aides au stockage privé pour les produits laitiers (lait écrémé en poudre, beurre et fromage) et les produits à base de viande (viande bovine, ovine et caprine). Elle a autorisé le retrait temporaire de produits du marché pendant une période minimale de 2 à 3 mois et une période maximale de 5 à 6 mois.
La Commission européenne a autorisé la dérogation à certaines règles de concurrence de l’UE conformément à l’article 222 du règlement relatif à l’organisation commune des marchés. Cette dérogation permet aux opérateurs d’auto-organiser et de mettre en œuvre des mesures de marché à leur niveau pendant une période maximale de 6 mois. Par exemple, le secteur du lait a été autorisé à planifier collectivement la production de lait. Le stockage par des opérateurs privés a également été autorisé.
Des mesures au service d’un assouplissement de la PAC
Le délai de présentation des demandes de paiement au titre de la PAC a été prolongé d’un mois, ce qui a laissé aux agriculteurs plus de temps pour remplir leur demande, tant pour l’aide au revenu que pour les paiements au titre du développement rural.
Les États membres de l’UE effectuent normalement des contrôles sur place, dans les exploitations, pour s’assurer que les bénéficiaires de la PAC satisfont aux critères d’admissibilité. La Commission européenne a instauré des règles permettant de remplacer temporairement les visites dans les exploitations par d’autres sources de preuves, telles que l’imagerie satellite ou les photos géolocalisées. Cette mesure garantit la fiabilité des contrôles tout en respectant les restrictions des déplacements et en réduisant au minimum les contacts physiques entre les agriculteurs et les inspecteurs.
Pour augmenter les flux de trésorerie des agriculteurs, la Commission européenne a augmenté les avances sur les aides au revenu au titre de la PAC (de 50 à 70 %) et certains paiements au titre du développement rural (de 75 à 85 %).
Les agriculteurs ont la possibilité d’obtenir des prêts ou des garanties pour couvrir leurs frais de fonctionnement. Ces prêts ou garanties, qui peuvent atteindre 200 000 euros, sont accordés à des conditions avantageuses, telles que des taux d’intérêt très bas ou des échéanciers de paiement favorables.
4.1. Une forte résilience de la chaîne européenne d’approvisionnement
D’après les statistiques publiées par Eurostat, la valeur de la production agricole finale de l’UE s’est élevée à 411 milliards d’euros en 2020, en recul de 1,4 % par rapport à 2019. Cette variation résulte d’une légère baisse du prix des biens et des services agricoles (– 0,7 %) et d’une diminution du volume de la production (– 0,7 %). Le coût des biens et des services intermédiaires utilisés par la branche agricole a, lui aussi, légèrement diminué (– 0,8 %). Il en résulte que la valeur ajoutée brute générée par la branche agricole européenne a baissé de 2,2 %. L’impact des mesures de soutien mises en place dans l’UE n’a pas été, du moins pour le moment, très apparent dans les comptes de 2020, contrairement à la situation décrite pour les États-Unis (cf. partie 3). Les actions entreprises par la Commission européenne au début de la crise ont cependant eu un impact positif pour favoriser les flux de marchandises au sein de l’UE et ainsi aider le secteur agroalimentaire à faire face à une évolution rapide de la structure de la demande. De même, parallèlement aux mesures prises dans la cadre de la Politique Agricole Commune (PAC) qui connait une nouvelle réforme (Guyomard et Détang-Dessendre, 2020), le plan de relance de l’UE (« NextGenerationEU ») aura des implications budgétaires positives pour le secteur (European Commission, 2021a).
En 2020, la valeur totale de la production agricole européenne provenait à 58 % de seulement quatre pays, à savoir la France (75,4 milliards d'euros), l’Allemagne (56,8 milliards d'euros), l’Italie (56,3 milliards d'euros) et l’Espagne (52,9 milliards d'euros). Arrivent ensuite les Pays-Bas (28,2 milliards d'euros), la Pologne (27,2 milliards d'euros) et la Roumanie (16,8 milliards d'euros). Une baisse de la valeur de la production est constatée dans cinq de ces sept États membres : la France (– 2,1 %), l’Italie (– 2,6 %), l’Allemagne (– 2,9 %), les Pays-Bas (– 3,1 %) et la Roumanie (– 11,2 %). En revanche, la valeur de la production a augmenté en Espagne (+ 2,4 %) et en Pologne (+ 3,1 %). En prenant en référence une moyenne sur cinq ans (2015-19), la valeur de la production agricole européenne de 2020 a augmenté de 3 %.
À l’échelle européenne, toujours selon Eurostat, le revenu des exploitations agricoles a baissé de 7,9 % entre 2019 et 2020 (Matthews, 2021). Le revenu a évolué de façon différente selon les pays en fonction des spécialisations agricoles et des niveaux initiaux de revenus. Ainsi, par exemple, le revenu des exploitations agricoles a fortement baissé en Roumanie (– 56 %), en Allemagne (– 28 %) et aux Pays-Bas (– 15 %) alors qu’il s’est amélioré en Irlande (+ 16 %), en Hongrie (+ 15 %) et en Espagne (+ 6 %). La baisse est assez proche de la moyenne européenne en France (– 11 %), en Italie (– 8 %) et en Pologne (– 8 %).
Etablir un lien entre la crise sanitaire et l'évolution des emplois agricoles est un exercice difficile, tant la restructuration relève d'un processus de long terme. Au sein de l'UE, la main-d'œuvre agricole représente 8,5 millions de travailleurs à temps plein en 2020, dont 6,2 millions de travailleurs non-salariés ; ces derniers ont continué à travailler quotidiennement malgré la crise. Entre 2005 et 2020, le taux de diminution de la main-d'œuvre agricole a été de l'ordre de 2,5 % par an. La tendance à la baisse s'est donc poursuivie en 2020 à rythme voisin (– 2,8 % par rapport à 2019). Au travers de la fermeture des frontières, la crise sanitaire a surtout entraîné des pénuries temporaires de travailleurs frontaliers et de saisonniers ; le déficit a été estimé à près d'un million de travailleurs agricoles saisonniers au cours des premiers mois de la pandémie (Montanari et al., 2021). Ces derniers jouant un rôle déterminant dans l'exécution de certaines activités agricoles à forte intensité de main d'œuvre (taille, récoltes…), plusieurs États membres ont pris des mesures spécifiques telles que la prolongation des permis des travailleurs étrangers ; le recrutement de travailleurs parmi les réfugiés, etc. (Mitaritonna et Ragot, 2020). En dépit des importantes difficultés liées à la gestion de la main-d'œuvre dans un contexte de rareté et de moindre mobilité, notamment dans les abattoirs où plusieurs clusters de Covid-19 sont apparus, les acteurs des entreprises du secteur agroalimentaire (291 000 à l'échelle de l'UE) ont fait preuve d'une forte réactivité tout au long de la pandémie. Dans des métiers où la main-d'œuvre est souvent rassemblée dans un même lieu clos et humide comme les abattoirs, l'application des règles de distanciation et le respect des protocoles sanitaires n'a pas toujours été simple. Par ailleurs, les entreprises ont été contraintes de modifier, dans des délais souvent rapides, leurs chaînes de fabrication pour s'adapter à une modification en profondeur de la structure de la demande (avec plus de produits dédiés à la consommation à domicile et moins de produits destinés à la RHD). Elles ont également été parfois confrontées à des pénuries temporaires de certaines matières premières, de certains équipements industriels et de matériaux d'emballage.
À l’échelle de l’UE-27, les productions animales ont représenté 39 % de la valeur de la production agricole finale en 2020, un taux voisin de la moyenne décennale. Entre 2019 et 2020, la valeur des productions animales a reculé de 1,6 %. La variation des prix a une influence directe sur la valeur annuelle des productions. Ainsi, par exemple, la valeur des productions animales en 2020 est supérieure de 9 % à la situation de 2016, année caractérisée par des prix bas, notamment dans le secteur laitier. Elle est également supérieure de 5 % à la moyenne de la période 2010-19 (figure 7).
Figure 7. L’évolution de la valeur des productions animales dans l’UE-27 entre 2010 et 2020 (en milliards d’euros courants) (Sources : Eurostat/Comptes économiques de l’agriculture).
4.2. La viande bovine dans l’Union Européenne avant et pendant la crise
En viande bovine, l’UE compte pour 9 % dans l’offre mondiale. Les abattages européens de gros bovins finis se sont élevés à 5,82 millions de tec en 2020, soit – 126 000 tec de moins qu’en 2019 (– 2,1 %). La production a légèrement augmenté aux Pays-Bas (+ 22 500 tec), en Irlande (+ 15 600 tec), en France (+ 14 600 tec) et en Pologne (+ 8 100 tec) alors qu’elle a reculé drastiquement en Italie (– 110 000 tec, soit – 16 %) et, dans une moindre mesure, en Allemagne (– 27 800 tec). En décembre 2020, le cheptel européen de vaches (allaitantes et laitières) était inférieur de 0,5 % à la situation qui prévalait à la même période de 2019. À long terme, la décroissance du cheptel est d’abord imputable à l’amélioration des performances zootechniques des vaches laitières, qui permet de produire plus de lait à effectif constant. Comme aux États-Unis, les abattages européens dans le secteur bovin ont varié au fil des mois de 2020. Ainsi, ceux de vaches ont, par exemple, fortement reculé en mars 2020 (– 4,7 % par rapport à 2019), en avril (– 11,5 %) et plus encore en mai (– 16,5 %) ; une reprise a été possible durant les mois d’été, mais un fléchissement a de nouveau freiné la dynamique dès l’automne. La Commission européenne a pris des mesures de stockage privé entre mai et juillet 2020, mais elles n’ont été que très peu utilisées par les opérateurs européens.
La consommation indigène brute de gros bovins et de veaux dans l’UE-27 a baissé de 3,9 % en 2020, soit – 247 000 tec. Ce recul a été particulièrement fort en Italie (– 16 %) en raison de la baisse du tourisme et d’un report partiel de la consommation en RHD sur la consommation à domicile. Ce recul a été plus intense dans les pays historiques de l’UE (– 4,5 % pour l’UE-14, c’est-à-dire l’UE-15 moins le Royaume-Uni) que dans les « nouveaux » États membres de l’Est (+ 2 %). Avec 22,4 kg de viande bovine consommée par habitant en 2020, la France occupe toujours une place singulière, nettement devant l’Allemagne (14,4 kg), l’Espagne (8,1 kg) ou la Pologne (4,4 kg). La baisse de la consommation dans la RHD a fortement pesé sur la capacité des pays exportateurs, dont l’Irlande et la Pologne, à trouver des débouchés. Il en a résulté une accumulation de stocks et une modification significative de la demande entraînant un déséquilibre de la valorisation de la carcasse. Ces évolutions ont pesé sur la dégradation du prix des gros bovins qui a été de 2,3 % en moyenne en 2020 par rapport à 2019 ; la chute des prix a été nette au cours du deuxième trimestre (– 5,8 %) avec un prix moyen (3,20 euros par kg net) situé au plus bas niveau des cinq dernières années.
Au niveau du commerce extérieur, la balance commerciale de l’UE-27 dans le secteur bovin (viande bovine et bovins vivants) s’est élevée à 1,51 milliard d’euros en 2020, soit 260 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019 (tableau 3). Cette évolution est due à une baisse des exportations (– 180 millions d’euros) moins importante que celle des importations (– 440 millions d’euros). En 2020, le solde commercial européen est positif tant pour les bovins vivants (+ 1,03 milliard d’euros en 2020, avec un recul de 12 % par rapport à 2019) que pour la viande bovine (+ 471 millions d’euros en 2020 contre 70 millions d’euros en 2019). En viande bovine, les importations de l’UE-27 se sont établies à 316 100 tec en 2020, le plus bas niveau de la décennie (– 22% par rapport à 2019). Les exportations de l’UE-27 en viande bovine ont atteint 633 100 tec en 2020, en baisse de 2 % par rapport à 2019.
Tableau 3. L’évolution du commerce extérieur de l’UE-27 pour les productions animales et le secteur agroalimentaire entre 2015 et 2020 (en milliards d’euros courants) (Sources : Comext/Traitement INRAE, SMART).
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Produits laitiers |
Exportations |
23,31 |
23,39 |
26,24 |
25,96 |
28,03 |
28,32 |
Importations |
3,03 |
2,95 |
3,44 |
3,70 |
3,90 |
3,44 |
|
Solde |
20,28 |
20,44 |
22,80 |
22,26 |
24,13 |
24,88 |
|
Secteur bovin |
Exportations |
3,16 |
3,38 |
3,72 |
3,71 |
3,45 |
3,27 |
Importations |
2,20 |
2,18 |
2,17 |
2,19 |
2,20 |
1,76 |
|
Solde |
0,97 |
1,20 |
1,54 |
1,52 |
1,25 |
1,51 |
|
Secteur porcin |
Exportations |
8,85 |
10,33 |
10,40 |
9,82 |
12,78 |
14,38 |
Importations |
0,67 |
0,65 |
0,74 |
0,74 |
0,77 |
0,43 |
|
Solde |
8,18 |
9,68 |
9,66 |
9,09 |
12,01 |
13,95 |
|
Secteur avicole |
Exportations |
4,62 |
4,25 |
4,28 |
4,51 |
4,77 |
4,11 |
Importations |
2,24 |
2,01 |
1,90 |
1,95 |
1,86 |
1,48 |
|
Solde |
2,38 |
2,24 |
2,38 |
2,56 |
2,90 |
2,63 |
|
Productions animales |
Exportations |
48,04 |
48,41 |
52,38 |
51,06 |
56,17 |
56,33 |
Importations |
13,99 |
13,42 |
14,21 |
14,70 |
14,66 |
12,36 |
|
Solde |
34,05 |
34,99 |
38,17 |
36,36 |
41,52 |
43,97 |
|
Agroalimentaire (total) |
Exportations |
160,84 |
163,33 |
172,27 |
171,97 |
185,12 |
181,47 |
Importations |
136,05 |
137,50 |
144,34 |
143,86 |
148,21 |
141,84 |
|
Solde |
24,79 |
25,83 |
27,94 |
28,11 |
36,92 |
39,63 |
4.3. La viande porcine dans l’Union Européenne avant et pendant la crise
En viande porcine, l’UE représente 21 % la production mondiale, loin derrière la Chine. Le cheptel de truies dans l’UE-27 est resté stable entre 2019 et 2020, après avoir reculé de 2,8 % entre 2018 et 2019. Les abattages de porcs de l’UE-27 sont estimés à 22,8 millions de tec en 2020, un niveau supérieur de 108 000 tec à la situation de 2019 (+ 0,5 %). Cette croissance de l’offre, à cheptel constant, s’explique par une légère augmentation du poids des porcs abattus. Cette faible variation de l’offre européenne de viande porcine traduit cependant des situations contrastées selon les États membres, en fonction certes de l’impact de la crise de la Covid-19, mais également en raison des impacts différenciés de la PPA qui sévissait sur la faune sauvage à l’Est de l’Europe, dont la Pologne. Deux pays, l’Allemagne et l’Italie, ont enregistré une baisse sensible de leurs abattages de porcs en 2020. Tout en restant au premier rang européen (5,04 millions de tec en 2020, soit 22 % du total de l’UE-27), l’Allemagne a fait face à une baisse de ses abattages de porcs de 3,5 % en 2020. Ce pays a perdu temporairement son agrément à l’exportation vers la Chine du fait de l’apparition de cluster dans certains abattoirs dont ceux des entreprises Westfleisch, Vion, Tönnies. En Italie, pays qui représente 5,4 % des abattages de l’UE-27, la baisse a été de 13 %. De façon contrastée, l’Espagne a enregistré une forte hausse de ses abattages (+ 7,7 %) sous l’impulsion notamment des flux croissants d’exportations vers le marché chinois ; elle est devenue le premier pays abatteur européen devant l’Allemagne. Une hausse significative des abattages a également été constatée en Belgique (+ 4,9 %) et au Danemark (+ 3,9 %), en dépit de la fermeture temporaire de l’abattoir de Ringsted en août 2020. Avec 9,6 % des abattages européens de porcs en 2020, la France a connu des évolutions moins importantes (+ 0,5 %).
La consommation européenne de viande porcine étant nettement inférieure à la production, le développement de l’offre intérieure est tiré par la croissance des exportations, à destination surtout du marché chinois. Elle s’élève depuis plusieurs années aux environs des 20 millions de tec par an (European Commission, 2021b). En 2020, la consommation européenne de viande porcine a baissé de 2 % par rapport à 2019, avec des niveaux de consommation par habitant et par an qui demeurent toujours variables d’un pays à l’autre. Après les niveaux très élevés atteints en 2019 (1,69 euro par kg de carcasse), les cours européens moyens du porc (classe E), toujours soutenus par la demande chinoise, ont progressivement baissé en 2020 pour représenter une moyenne annuelle de 1,59 euro par kg de carcasse (avec des écarts mensuels importants). La baisse des exportations allemandes vers la Chine a pesé dans cette évolution des prix.
La balance commerciale de l’UE-27 dans le secteur porcin (viande porcine et porcs vivants) s’est élevée à 13,95 milliards d’euros en 2020, soit 15 % de plus qu’en 2019 (+ 15 %). Cette nette amélioration (+ 1,93 milliard d’euros) tient surtout à la hausse exportations (+ 1,61 milliard d’euros) et, de façon plus marginale, au repli des importations (– 338 millions d’euros). En 2020, la Chine a acheté pour 7,20 milliards d’euros de produits porcins à l’UE-27, soit la moitié des exportations européennes. La Chine a assuré l’essentiel de la croissance des exportations européennes entre 2019 et 2020 (+ 2,25 milliards d’euros). Ce développement des exportations extra-UE a surtout bénéficié à l’Espagne : + 1,09 milliard d’euros en 2020, soit + 37 % par rapport à 2019. Avec 28 % des exportations européennes, ce pays devance le Danemark (18 %), dont les exportations ont augmenté de 15 % et l’Allemagne (16 %) dont les exportations ont reculé de 10 %. Ce recul des exportations allemandes doit être relié au fait que plusieurs pays asiatiques et d’Amérique du Sud ont temporairement suspendu leurs importations après la découverte d’une carcasse de sanglier affecté par la PPA dans la région du Brandebourg. Les importations de l’UE-27 dans le secteur porcin, qui sont historiquement marginales (428 millions d’euros en 2020, dont 83 % en provenance du Royaume-Uni), ont baissé de 44 % en 2020. Concernant les échanges intra-UE de viande porcine, une baisse de 6 % des volumes a été constatée en 2020, sans que cela ne remette en cause la hiérarchie des principaux fournisseurs, l’Allemagne occupant toujours la première place (avec 22,9 % du total européen) devant l’Espagne (18,3 %).
4.4. La viande de volailles dans l’Union Européenne avant et pendant la crise
En viande de volailles, l’UE-27 compte pour 10 % de l’offre mondiale, derrière les États-Unis, la Chine et le Brésil. Les abattages européens ont augmenté de 0,7 % entre 2019 et 2020 pour atteindre 13,5 millions de tec. Ce taux de croissance, qui est inférieur à celui des précédentes années, tient pour beaucoup à la hausse des abattages de poulets de chair (+ 1,1%). Ces derniers ont baissé dans plusieurs pays (– 3,7 % en Roumanie, – 2,5 % aux Pays-Bas, – 1,5 % en Espagne) en raison principalement du recul de la demande domestique induit par l’arrêt de la RHD, dont le poids varie d’un pays à l’autre. Les abattages ont augmenté dans de nombreux autres pays, dont la Pologne (+ 3,3 %) et l’Allemagne (+ 2,3 %). Après avoir connu un développement spectaculaire au fil des quinze dernières années, la Pologne occupe la première place des pays producteurs de volailles dans l’UE-27, avec 19,7 % du total en 2020. Elle devance l’Espagne (12,6 %), la France (12,1 %) et l’Allemagne (11,8 %).
Alors qu’elle s’inscrit sur une tendance haussière à long terme, la consommation européenne de volailles a globalement peu évolué entre 2019 et 2020, ceci marquant de facto une certaine rupture. La baisse drastique des ventes dans la RHD a été contrebalancée par une forte augmentation des achats par les ménages, ce d’autant que cette viande bénéficie, en période de crise économique, d’un atout en termes de prix de vente par rapport aux autres viandes. Les types de produits impliqués dans les différents réseaux de distribution n’étant pas identiques, il en a résulté d’importantes difficultés pour les acteurs de la transformation qui ont été confrontés à des situations de déséquilibre dans la valorisation des différentes pièces issues des carcasses. Ces tensions ont pesé sur les prix européens, qui ont baissé lors du premier confinement, avant de remonter légèrement à partir de la période estivale. À la fin de l’année 2020, ils n’avaient cependant pas retrouvé leurs niveaux d’avant la crise.
La balance commerciale de l’UE-27 dans le secteur avicole (cumul de la viande de volailles, des volailles vivantes et des œufs) s’est élevée à 2,62 milliards d’euros en 2020, en recul de 9 % par rapport à 2019. En 2020, ce solde est positif avec le Royaume-Uni (+ 1,32 milliard d’euros), la Suisse (211 millions d’euros) et la Russie (203 millions d’euros). Il est, en revanche, négatif avec le Brésil (– 341 millions d’euros) et la Thaïlande (– 307 millions d’euros), deux fournisseurs historiques du marché européen. Cette détérioration du solde commercial s’explique à la fois par un recul des exportations (– 14 %) et un recul des importations (– 21 %). En 2020, le solde de l’UE-27 est positif pour les œufs (+ 598 millions d’euros), pour les volailles vivantes (+ 181 millions d’euros) et pour la viande de volailles (+ 1,84 milliard d’euros). Les exportations de l’UE-27 en viande de volailles (en valeur) ont baissé de 16 % entre 2019 et 2020 (et – 20% avec le Royaume-Uni qui représente 54 % des exportations de l’UE). Les importations européennes de viande de volailles ont baissé avec les quatre premiers fournisseurs : – 24 % avec le Royaume-Uni, – 18 % avec le Brésil, – 25 % avec la Thaïlande et – 29 % avec l’Ukraine. Les échanges intra-UE de viande de volailles ont baissé d’environ 8 % en volume en 2020, avec des reculs plus forts pendant le confinement du printemps.
4.5. Le lait dans l’UE avant et pendant la crise
L’UE assure 16 % de la production laitière mondiale, en seconde position derrière l’Inde et devant les États-Unis. La collecte européenne (UE-27) de lait de vache, qui a augmenté de 15 % depuis 2011, est restée dynamique en 2020. Elle a atteint 144,2 millions de tonnes, soit une hausse de 1,8 million de tonnes par rapport à 2019 (+ 1,2 %). Cette croissance est liée à l’amélioration de la productivité des vaches car le cheptel de vaches laitières (20,7 millions de têtes en fin 2020) a poursuivi sa tendance baissière (– 1 % par an depuis plusieurs années). Après un premier trimestre dynamique (+ 2 % de lait par rapport au même trimestre de 2019), la collecte est devenue un peu moins tonique au deuxième trimestre (+ 1 %). Les quatre États membres qui ont enregistré la plus forte progression de leur collecte entre 2019 et 2020 sont l’Irlande (+ 3,7 %), la Pologne (+ 2,3 %), l’Espagne (+ 2,2 %) et les Pays-Bas (+ 1,1 %). La collecte a progressé dans pratiquement tous les États membres, y compris en France où les volumes ont cependant peu évolué depuis la suppression des quotas laitiers en 2015. Dans certains États membres, comme en France, en Allemagne et en Italie, les producteurs ont parfois été incités par leur laiterie à produire temporairement un peu moins de lait (notamment au printemps lorsque la collecte est élevée) pour faciliter la gestion des flux dans un contexte où l’écoulement des produits devenait plus difficile.
La consommation européenne (UE-27) de produits laitiers est estimée aux alentours de 290 kg en équivalent lait par habitant et par an. Si ce niveau est l’un des plus élevés au monde, il connaît une légère érosion depuis plusieurs années, dont – 0,5 kg entre 2019 et 2020. Compte tenu de la légère croissance démographique qui intervient en parallèle dans l’UE-27, la consommation globale de produits laitiers est restée pratiquement stable en 2020. Pour de nombreux produits dépendants de la RHD tels que les fromages et la crème ou dépendants de l’exportation tels que les poudres, le choc de demande subi au printemps 2020 a donné lieu ensuite à des rattrapages.
Le prix moyen du lait payé aux producteurs européens a peu varié entre 2019 et 2020 (– 2 %) pour s’établir en moyenne à 341 euros, un niveau supérieur (+ 15 %) à celui de la crise de 2016. Là aussi, des écarts de prix existent entre pays et la situation a été moins favorable au cours du deuxième trimestre, sans que ce prix ne tombe en deçà du seuil, peu favorable pour les éleveurs, des 300 € par tonne.
La balance commerciale de l’UE-27 en produits laitiers (toutes espèces animales et avec une définition du spectre des produits laitiers qui intègre les glaces et les préparations alimentaires à base de lait) s’est élevée à 24,88 milliards d’euros en 2020, en hausse de 3 % par rapport à 2019. En 2020, ce secteur occupe le premier rang en termes de solde commercial devant les boissons et la viande porcine. Ce solde est, fait exceptionnel, positif avec tous les pays du monde. Il l’est tout particulièrement avec la Chine (+ 5,07 milliards d’euros en 2020, en hausse de 4 % par rapport à 2019), l’Afrique (3,93 milliards d’euros en 2020 et + 9 %), le Royaume-Uni (+ 2,70 milliards d’euros et – 5 %) et les États-Unis (+ 1,34 milliard d’euros et – 2 %). La légère augmentation du solde européen en produits laitiers entre 2019 et 2020 (+ 752 millions d’euros), qui est intervenue malgré une chute du prix international de certains produits (beurre et poudres) entre avril et mai 2020, s’explique par une progression des exportations (+ 1 %) et un recul des importations (– 12 %). En 2020, les importations européennes de produits laitiers, qui proviennent à 52 % du Royaume-Uni et à 22 % de la Suisse, sont dix fois inférieures aux exportations. Les échanges intra-UE de produits laitiers ont baissé d’environ 10 % en valeur par rapport à 2019.
Conclusion
Au terme de cette analyse portant sur les implications de la crise sanitaire de la Covid-19 sur l’économie agricole internationale et, de façon plus spécifique, sur les productions animales, au moins cinq constats essentiels s’imposent.
i) Le premier est que cette crise accentue les difficultés déjà existantes d’accès à l’alimentation pour plusieurs centaines de millions de personnes, confrontées à une augmentation du prix des denrées alimentaires de base et à l’absence, dans leurs pays souvent très pauvres, de soutiens budgétaires ciblés vers les consommateurs.
ii) Le deuxième est que la production agricole mondiale a été globalement peu affectée, du moins en volumes globaux, par la crise. Les agriculteurs ayant continué à travailler quotidiennement en dépit des confinements qui s’appliquaient à la plupart des citoyens. Ce maintien de l’activité agricole, à un niveau global, ne doit cependant pas masquer que certains secteurs de l’agriculture ont été confrontés à des difficultés importantes qui se sont manifestées par : une absence de main-d’œuvre salariée pour procéder aux récoltes ; une perte momentanée de débouchés pour les produits très dépendants de la restauration hors domicile ; une baisse des prix de vente liée à l’engorgement des marchés, etc.
iii) Le troisième est que les industries agroalimentaires ont démontré une très forte capacité d’adaptation face à une situation pourtant complexe où se cumulaient une modification de la structure de la demande (plus de consommation des ménages et moins de RHD), une baisse des disponibilités en main-d’œuvre et une raréfaction momentanée de certains biens intermédiaires utilisés dans les processus productifs. Les entreprises ont été capables, pour la grande majorité d’entre elles, de s’adapter à des phases de décroissance, notamment lors du second semestre de 2020, et à des phases d’accélération. Cette adaptation des acteurs industriels a été permise grâce surtout aux technologies disponibles (pour adapter rapidement les lignes de fabrication aux besoins renouvelés de l’aval), à une gestion rigoureuse des flux (stockage versus expédition), à l’efficacité de la chaîne logistique d’aval (transport) et l’engagement des employés (qui ont accepté une modification de l’organisation du planning traditionnel de travail). À la lumière des mesures prises par la Commission européenne (encadré 1), les pouvoirs publics ont accompagné les entreprises sur ce chemin de la réussite.
iv) Le quatrième est que les échanges internationaux de marchandises ont plus reculé que les échanges de produits agricoles et alimentaires, lesquels sont indispensables à l'approvisionnement des pays les plus déficitaires tels que la Chine, le Japon, les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Ceci a été d'autant plus le cas en Chine où les importations agroalimentaires ont nettement progressé en 2020 sous l'effet de la PPA et d'une demande alimentaire en croissance, notamment en protéines animales. Si le second semestre de 2020 a donné lieu, un peu partout, à une baisse des flux agroalimentaires, un rattrapage est intervenu ensuite, faisant de 2020 une année dynamique au plan commercial pour l'UE et les États-Unis. Ces deux zones, fortement exportatrices de produits animaux, demeurent cependant très dépendantes des importations de la Chine ou plus largement des pays asiatiques.
v) Le cinquième et dernier constat est que la crise sanitaire était trop grave pour que les États ne réagissent pas en réorientant, au moins temporairement, les ambitions poursuivies par les politiques publiques. Dans les trois pays/zones étudiés (Chine, États-Unis et UE), des plans de relance ont été mis en œuvre pour accompagner les entreprises, soutenir les flux logistiques ou aider les citoyens à traverser au mieux la période. Sans ces soutiens budgétaires, qui ont souvent entraîné une accentuation de l’endettement des États, il est fort probable que les dynamiques productives et commerciales étudiées précédemment auraient été plus négativement impactées.
L'exercice conduit dans cet article comporte au moins quatre limites qu'il convient de ne pas oublier. La première est qu'il est sûrement trop tôt encore pour disposer d'un recul suffisant sur les implications d'une crise qui n'est pas encore achevée ; à l'heure de cette rédaction, 15 % seulement de la population mondiale a bénéficié des deux doses recommandées pour les vaccins. Il conviendra donc de poursuivre les investigations, à la lumière des futures données statistiques des années 2021 et 2022. La deuxième limite est que cet article ne cherche pas à analyser en quoi l'année 2020 aurait été différente en l'absence de la crise de la Covid-19. Dit autrement, l'objectif poursuivi ici n'était pas d'isoler l'impact spécifique de la crise de la Covid-19 sur les productions animales, mais de rendre compte de la situation de 2020 au regard des tendances passées et/ou des perspectives initiales faites pour la période considérée. La troisième limite est que les analyses précédentes concernent essentiellement des aspects quantitatifs. Si elles mettent utilement en avant des évolutions, exprimées en volume et en valeur, en termes de production, de consommation, d'échanges et de prix, de nombreuses autres considérations qualitatives ne sont pas abordées (impact sur la qualité des produits et des processus ; implications sur le comportement futur des consommateurs…). Enfin, la dernière limite a trait au fait que le traitement des répercussions de la pandémie sur les agricultures n'est pas exhaustif. Plusieurs régions, voire continents, n'ont pas fait l'objet d'une investigation particulière, dont l'Afrique (Dury et al., 2021), l'Argentine (Arelovich, 2021), le Brésil et l'Inde (Ramakumar, 2020), alors qu'il s'agit pourtant de zones ayant été particulièrement affectées par la maladie et dans lesquelles le secteur agricole et l'élevage demeurent actifs et importants.
La crise sanitaire de la Covid-19 n’est pas la première crise, ni probablement la dernière, que le secteur agroalimentaire mondial traverse. Ce secteur a, par exemple, déjà expérimenté la forte volatilité des prix des matières premières à l’occasion de la crise financière de 2008. Au fil des décennies, et outre la PPA qui a récemment fait des ravages sur le cheptel porcin chinois, il a été confronté à de nombreuses zoonoses (brucellose, tuberculose, salmonellose, influenza aviaire…), dont les impacts sur les productions animales ont été parfois colossaux. Il doit désormais faire face aux effets du changement climatique, dont les implications à long terme pourraient être majeures pour les équilibres entre les grandes zones économiques du monde (FAO, 2021b). Ces défis supposent de privilégier une organisation internationale solide où le multilatéralisme doit l’emporter sur les égoïsmes nationaux, qui ont souvent été contre-productifs par le passé. Les nombreuses organisations internationales existantes, dont la FAO, l’OMC, l’OMS, l’OIE, ne manqueront pas, dans les mois et les années à venir, de tirer des bilans précis de la période traversée, de suggérer des plans d’action et de proposer des formes nouvelles de coordination. Au-delà des nombreuses tensions économiques qui demeureront sûrement encore longtemps entre les grandes puissances économiques mondiales, force est aussi de considérer que certaines formes de coopération peuvent être, dans un contexte d’incertitudes croissantes, utiles à tous.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Cécile Le Roy (INRAE, UMR SMART) pour son appui efficace dans le traitement des bases de données relatives aux échanges commerciaux, tant à l’échelle mondiale (BACI) qu’européenne (Comext). Ils remercient également Elisabeth Bazea-Campone (INRAE) pour ses remarques sur une version préalable de ce texte. Ce travail s’inscrit dans le cadre du Réseau Mixte Technologique Filarmoni (économie des filières alimentaires).
Notes
- L’indice FAO des prix des produits alimentaires est une mesure de la variation mensuelle des cours internationaux d’un panier de produits alimentaires de base. Il s’agit de la moyenne des indices des cinq groupes de produits de base, pondérée selon la part respective moyenne des exportations de chacun des groupes pour 2014-2016.
- Certains lots de lait de consommation courante et de lait infantile produits en Chine ont contenu pendant plusieurs mois de la mélamine, produit toxique, afin de les faire apparaître plus riches en protéines.
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Résumé
La pandémie de Covid-19 est un évènement mondial majeur. Une réflexion sur les premières implications de cette crise sanitaire pour l’économie agricole mondiale et les filières animales est proposée dans le cadre de cet article. Les secteurs agricole et agroalimentaire ont été fortement concernés par cette crise dont les impacts économiques globaux (baisse de 3,5 % du produit intérieur brut mondial et de 5,3 % des échanges internationaux de marchandises entre 2019 et 2020) affectent le pouvoir d’achat des consommateurs finaux. Ils ont cependant bien résisté à la crise, tant au niveau de l’offre (stabilité ou légère croissance des volumes produits de viandes et de lait à l’échelle mondiale) que du commerce. En 2021, la forte hausse des prix internationaux des produits agricoles et la reprise rapide de la croissance économique, notamment dans les trois zones plus spécifiquement étudiées ici (Chine, États-Unis et Union européenne), suggèrent que l’agriculture devrait rester sous la pression d’une demande mondiale soutenue. Plus que la Covid-19, l’impact de la peste porcine africaine en Chine a eu, depuis plusieurs années, des répercussions majeures sur les courants d’échanges internationaux de viandes. De plus, l’appétit croissant des chinois pour les produits laitiers joue un rôle central dans le développement des marchés laitiers internationaux, au bénéfice des zones exportatrices dont l’Union européenne et les États-Unis.
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