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Compétitivité et emplois à la production dans les secteurs bovins français

Chapeau

Les secteurs bovins français font l’objet de débats sur ses fragilités. Les craintes exprimées sont-elles fondées ? Où en sommes-nous en termes de compétitivité sur les marchés extérieur et intérieur ? Comment ont évolué, à long terme, les performances économiques des exploitations ? Quel diagnostic porté sur les emplois et le renouvellement des actifs ?1

Introduction

En France, comme dans d'autres pays européens, l'élevage de bovins fait actuellement l'objet de nombreux débats. Ces derniers sont souvent de nature différente selon qu'ils sont portés par la société civile (consommateurs et citoyens), les pouvoirs publics ou les différents acteurs des filières (agriculteurs, transformateurs, distributeurs). Dans les débats sociétaux (Magdelaine et al., 2018 ; Dumont et al., 2019 ; Roguet et al., 2020), les questions relatives à l'élevage bovin concernent souvent leurs impacts environnementaux (rejet de gaz à effet de serre, pollutions des eaux, etc.), le bien-être des animaux (Garreta et Orain, 2019), ou les effets potentiels sur la santé d'une consommation excessive de produits carnés (Guillot, 2012 ; FranceAgriMer, 2020a). Ceux portés par les pouvoirs publics s'intéressent quant à eux souvent aux instruments de politique agricole à privilégier dans ce secteur (Guyomard et al., 2020), aux effets territoriaux et sociaux (emplois) de ces activités et à la compétitivité extérieure (FranceAgriMer, 2018 ; Turolla, 2018 ; Chatellier, 2019 ; Duplomb, 2019). Au sein des acteurs des filières, ceux-ci portent régulièrement sur les voies d'innovation possibles, le partage de la valeur ajoutée entre les différents maillons (Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, 2019), la faiblesse des revenus dans les exploitations au regard de l'importance des capitaux mobilisés (Piet et al., 2020), la forte dépendance des exploitations aux aides directes, la trop grande volatilité des prix, la difficulté parfois d'installer des jeunes dans la continuité des structures en place. Nombreux sont les débats, rapports et publications qui insistent aujourd'hui sur la fragilité des secteurs bovins français tant au niveau de leurs performances économiques qu'au niveau des emplois agricoles.

Les craintes exprimées à l’égard de l’avenir de l’élevage bovin sont-elles clairement fondées ? Faut-il, au contraire, se rassurer par certaines tendances à l’œuvre ou par l’existence de signaux faibles laissant présager des jours meilleurs ? L’objectif de cette communication est d’apporter des éléments factuels et quantitatifs permettant de mieux comprendre les principales dynamiques économiques et sociales du secteur français de l’élevage bovin (lait et viande). Elle est, pour ce faire, structurée autour des quatre parties complémentaires suivantes : la première discute des échanges extérieurs de la France en produits laitiers et en produits bovins (viande bovine et animaux vivants) sur la période 2000-2019 en distinguant la relation de la France aux États membres de l’Union européenne (UE) de celle relative aux pays tiers. Il s’agit de s’interroger sur la capacité des filières françaises à résister aux importations et, parallèlement, à conquérir de nouveaux marchés d’exportation. La deuxième partie est spécifique au marché intérieur pour les produits bovins. Elle s’intéresse, dans un premier temps, à la question des débouchés intérieurs (quantités consommées, importance des différents types de débouchés), puis présente la place de plusieurs démarches de différenciation de l’offre (l’agriculture biologique, les autres signes officiels de qualité, les circuits courts et les nouvelles formes d’organisations commerciales et territoriales). La troisième partie aborde la compétitivité des exploitations bovines françaises, en rappelant les principales trajectoires de long terme (1990-2018), puis en comparant la situation des exploitations laitières françaises à celle de plusieurs États membres. La quatrième partie traite des emplois dans le secteur de l’élevage bovin, des formes d’installation et du renouvellement des actifs.

1. Le commerce extérieur et la compétitivité aux frontières

1.1. Le secteur laitier

Avec 23,8 milliards de litres de lait de vache collectés en 2019, la France assure 3,3  % de la collecte mondiale (7ème rang) et 15,5 % de la collecte européenne (CNIEL, 2020). Elle occupe ainsi le deuxième rang européen des pays producteurs derrière l’Allemagne (20,5 %), mais devant le Royaume-Uni (9,7 %), les Pays-Bas (8,7 %) et la Pologne (7,7 %). La collecte française de lait de vache est finalement assez proche de celle qui prévalait en 1984, date de la mise en œuvre des quotas laitiers. Compte tenu de l’amélioration des performances zootechniques, le cheptel de vaches laitières a, de son côté, été divisé par deux au cours de cette même période. Depuis l’abolition des quotas en 2015, la production de lait a peu évolué contrairement à d’autres États membres qui ont enregistré des hausses substantielles, tels que l’Irlande (+ 41 % entre 2014 et 2019), la Pologne (+ 15 %), les Pays-Bas (+ 11 %).

Les exportations de la France en produits laitiers, toutes espèces confondues (97 % du lait collecté provient des vaches) représentent 9,2 millions de Teql (tonnes équivalent lait) en 2019, soit 37 % de la collecte nationale. La France occupe ainsi le troisième rang européen des pays exportateurs derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. Exprimées en valeur, les exportations de produits laitiers atteignent 7,1 milliards d’euros en 2019, contre 6,8 milliards d’euros entre 2015-18 et 6,4 milliards d’euros en moyenne annuelle sur la période 2010-14. En 2019, les principaux produits exportés sont les fromages (44 % de la valeur totale des exportations), loin devant le lait infantile (13 %), la poudre de lait écrémé (8 %), le beurre (7 %), les yaourts et laits fermentés (6 %), la poudre de lactosérum (4 %), la crème (4 %) et les laits liquides (4 %). Les deux tiers des exportations sont destinées aux États membres de l’UE. Les dix premiers clients, qui cumulent 70 % des exportations, sont, par ordre décroissant, l’Allemagne, la Belgique, la Chine, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, les États-Unis, l’Algérie et le Luxembourg.

La demande internationale en produits laitiers français très différenciés est faible et peine à se développer. L'exemple du Comté, premier fromage AOP français en volume, illustre bien ce fait. Les exportations, qui ont représenté seulement 8,8 % des ventes globales en 2018, ont été destinées d'abord aux pays européens voisins (Allemagne, Belgique et Royaume-Uni) et ensuite modestement à quelques pays tiers, dont les États-Unis et le Japon. De même, il ne semble pas que les poudres de lait françaises bénéficient d'une image de qualité supérieure à celle de pays européens concurrents. Il en résulte que l'essentiel du mouvement d'insertion dans les échanges repose sur la compétitivité «  prix  » (Perrot et al., 2018a ; Chatellier et Dupraz, 2019).

Les importations françaises de produits laitiers poursuivent une tendance haussière. Elles sont passées de 4,6 millions de Teql en moyenne annuelle au cours de la période 2000-09 à 6,7 millions de Teql en 2019, soit 29 % de la consommation nationale. Exprimées en valeur, les importations de la France en produits laitiers atteignent 3,9 milliards d’euros en 2019 contre 2,9 milliards d’euros en moyenne annuelle sur la période 2010-14. Les importations concernent d’abord des fromages (43 % des importations en 2019), puis du beurre (24 %) et de la crème (9 %). Les pays partenaires à l’import sont quasi-exclusivement européens. En 2019, les dix premiers fournisseurs (94 % des importations), sont les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, le Royaume-Uni, le Danemark, la Pologne et la Suisse.

Ainsi, le solde commercial de la France en produits laitiers est, en 2019, de 2,49 millions de Teql pour 3,1 milliards d’euros. Le taux d’autosuffisance moyen est de 111 % : il est beaucoup plus fort pour les protéines laitières que pour la matière grasse pour laquelle il est proche de 100 %(You, 2019). Même si ce solde est toujours positif avec les États membres de l’UE (441 millions d’euros en 2019), une forte détérioration est observée depuis 2010-14 (1,6 milliard d’euros en moyenne annuelle). Celle-ci se retrouve avec la plupart des principaux partenaires européens, notamment les Pays-Bas et l’Irlande (creusement des déficits), l’Italie et l’Espagne (réduction ou disparition de l’excédent) (tableau 1).

Tableau 1. Le solde commercial de la France en produits laitiers avec plusieurs pays partenaires (en millions d’euros courants) (Source : Douanes françaises/Traitement INRAE SMART-LERECO).


2000-09

2010-14

2015-18

2019

UE-28

1 290

1 611

853

441

Royaume-Uni

338

474

463

420

Espagne

306

435

252

222

Allemagne

300

267

261

210

Pologne

– 4

21

-7

4

Italie

253

246

86

-39

Irlande

– 69

– 88

– 135

– 201

Pays-Bas

– 158

– 306

– 454

– 509

Pays tiers

988

1 836

2 392

2 731

Chine

71

285

535

700

Algérie

137

196

220

197

États-Unis

105

138

182

196

Arabie saoudite

64

89

122

112

Japon

48

73

71

90

Corée du Sud

11

42

64

83

Nouvelle-Zélande

– 30

– 25

– 8

– 5

Monde

2 278

3 447

3 245

3 172

Ce recul de la position française au sein de l’UE tient à plusieurs facteurs (Chatellier, 2016) :

i) la stratégie d'augmentation de la production laitière adoptée depuis la fin des quotas laitiers dans plusieurs pays (dont l'Irlande et les Pays-Bas), notamment ceux où les coopératives jouent un rôle important, accroît la pression commerciale au sein de l'UE (Perrot et al., 2018a) ;

ii) la réduction des excédents avec l’Italie et l’Espagne s’explique par une hausse de leur production intérieure qui leur a permis de se rapprocher de l’autosuffisance (leurs propres déficits commerciaux en produits laitiers ont été divisés respectivement par 3 et par 2, en valeur) ;

iii) le poids de la France dans les importations de certains pays a baissé au profit d’autres fournisseurs (exemples : la France représente 12 % des importations de l’Allemagne en produits laitiers en 2019 contre 17 % en 2010 ; ces chiffres sont de 16 % contre 19 % dans le cas du Royaume-Uni).

Le recul du solde avec les pays européens a été, en partie, contrebalancé par une amélioration de la position française sur les marchés tiers, principalement en Chine (le solde français est passé de 285 millions d’euros en moyenne annuelle 2010-2014 à 700 millions d’euros en 2019), pays où la production progresse peu et de façon nettement insuffisante pour satisfaire leurs besoins intérieurs (IDELE, 2018).

La capacité de résistance aux importations de produits laitiers en provenance des pays européens voisins est donc un enjeu important pour les années à venir (FranceAgriMer, 2020c). La recherche de nouveaux clients à l’international est aussi une voie stratégique à privilégier (BusinessFrance, 2020).

1.2. Le secteur bovin-viande

Avec un cheptel de 7,47 millions de vaches en 2019 (FranceAgriMer, 2020b), dont 3,90 millions de vaches allaitantes et 3,57 millions de vaches laitières, la France est le premier pays européen en abattages de gros bovins (18 % du total de l’UE) devant l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Irlande. Les abattages dans le secteur bovin (gros bovins et veaux) baissent au fil des décennies en passant de 1,83 million de tec en 1980, à 1,52 million de tec en 2000 et 1,43 million de tec en 2019, soit un recul de l’ordre de 22 % en 40 ans. Cela s’explique d’abord par la diminution du cheptel de vaches laitières (division par deux des effectifs en trente-cinq ans). Pour le cheptel de vaches allaitantes, les mouvements d’effectifs ont été différents : après une croissance entre 1970 et 1995, un certain plafonnement aux alentours de 4 à 4,2 millions de têtes a été constaté. Entre 2016 et début 2020, un recul de l’ordre de 6 % a cependant été enregistré.

Le secteur bovin français s’est orienté, et depuis longtemps, vers la commercialisation de bovins vivants, surtout des animaux maigres issus du cheptel allaitant âgés entre 8 et 14 mois (Chatellier, 2017). Cette orientation s’accompagne de flux croisés importants avec des pays voisins (exportation d’animaux vifs et importation de viande bovine), dont l’Italie.

Le solde commercial de la France dans le secteur bovin viande (tableau 2) s’élève à 943 millions d’euros en 2019 (soit environ trois fois moins que dans le secteur laitier), avec d’une part un excédent commercial pour les bovins vivants (1,39 milliard d’euros) et, d’autre part, un déficit croissant en viande bovine (– 452 millions d’euros).

Tableau 2. Les échanges de la France dans le secteur bovin entre 2000 et 2019 (en millions d’euros courants) (Sources : Douanes françaises/Traitement INRAE SMART-LERECO).


2000-09

2010-14

2015-18

2019

Bovins vivants (millions d’euros)

Exportations

1 211

1 273

1 324

1 449

Importations

71

51

32

54

Solde

1 140

1 221

1 292

1 395

Viande bovine (millions d’euros)

Exportations

833

1 064

999

988

Importations

1 031

1 446

1 355

1 440

Solde

– 198

– 381

– 355

– 452

Secteur bovin (millions d’euros)

Exportations

2 044

2 337

2 323

2 437

Importations

1 102

1 497

1 387

1 494

Solde

942

840

936

943

Pour les bovins vivants, les importations de la France ont toujours été très faibles en valeur. Au niveau des exportations, la dépendance à l’égard de l’Italie est un fait historique et structurant, ce pays captant à lui seul 69 % des exportations (en valeur) en 2019 (et 75 % sur l’ensemble de la période 2000-19). La France peut également compter sur l’Espagne (14 % des achats en 2019), et l’Algérie (10 %). Les autres pays clients (Belgique, Pays-Bas, Tunisie, Maroc, Turquie, Liban et Israël) contribuent plus faiblement aux achats de bovins vivants et, souvent, de façon plus épisodique. Dans l’hypothèse d’un repli des débouchés, les bovins mâles pourraient être engraissés de nouveau en France avec une évolution à rebours de celle connue depuis vingt ans. Une telle stratégie se heurterait aux préférences des consommateurs français, lesquels semblent préférer la viande issue de vaches de réforme que celle issue de jeunes bovins (IDELE, 2019b).

En viande bovine, les exportations françaises s’élèvent à 988 millions d’euros en 2019 pour un volume de 227 900 tec, soit l’équivalent de 16 % des abattages du secteur, en particulier des jeunes bovins. Les cinq premiers clients sont l’Italie (30 %), la Grèce (20 %), l’Allemagne (19 %), la Belgique (10 %) et les Pays-Bas (4 %). Les performances de la filière bovine française sur les marchés internationaux hors Europe sont très faibles, y compris vers les pays asiatiques ; ces derniers préférant s’approvisionner à bas prix en provenance de leaders internationaux (dont l’Inde).

Les importations de la France en viande bovine s’élèvent, en 2019, à 1,45 milliard d’euros pour un volume de 336 700 tec, soit 22 % de la consommation intérieure. Ces volumes sont en recul de 15 % par rapport au pic de la période 2007-10. Les cinq premiers clients sont l’Italie (30 %), la Grèce (20 %), l’Allemagne (19 %), la Belgique (10 %) et les Pays-Bas (4 %). En dépit des craintes souvent exprimées sur les accords bilatéraux mis en œuvre ou en cours de négociations, les approvisionnements en provenance des grands acteurs du marché international demeurent modestes.

Au final, le déficit de la France en viande bovine s’élève à 65 000 tec en 2019, ce qui est comparable à la moyenne des vingt dernières années. La valeur par tec des produits importés (4 306 euros/tec) n’étant que légèrement inférieure à celle des produits exportés (4 335 euros/tec), l’effet de la différenciation des produits français ne semble pas être très flagrant.

2. Le marché intérieur, les débouchés et la différenciation de l’offre

2.1. La structuration du marché intérieur et la place des produits importés

Dans le secteur laitier, la consommation intérieure représentait en 2017 un marché de 20,9 milliards de litres en équivalent lait (soit environ 310 kg par habitant et par an). Si ce marché permet de valoriser une part importante du lait produit en France (63 % des volumes), les importations jouent également un rôle conséquent (29 % de la consommation intérieure) mais très variable selon les débouchés (You, 2019). Les achats directs des ménages représentent 10,9 milliards de litres en équivalent lait, soit la moitié de la consommation nationale de produits laitiers ; ces achats sont constitués à 91 % (en volume) de produits laitiers français. Les produits importés et achetés par les ménages sont surtout des produits démarqués (les fromages italiens notamment) ou des produits concurrents sur les segments premiers prix (laits conditionnés, fromages râpés…). Les industries agroalimentaires (IAA) occupent le second rang, avec 39 % de la consommation nationale. Ces dernières se distinguent par un recours plus intense aux importations (55 % des produits laitiers achetés par ces IAA). Ce marché concerne surtout des ingrédients issus du lait, tels que de la crème fraîche, du beurre, de la poudre de lait, de la poudre de lactosérum, des caséines et des protéines sériques. Ils sont utilisés sous des formes très variées dans la biscuiterie, la chocolaterie, la production de glaces, la pâtisserie, l’alimentation animale, l’alimentation infantile, etc. Les ingrédients laitiers fabriqués en France ne couvrent que 45 % des besoins du marché, faute de disponibilité pour de nombreux produits comme le beurre, mais aussi de compétitivité pour certains ingrédients secs (caséines, poudre de lactosérum pour l’alimentation animale). Pour ces produits, dits de « commodités  », le prix prime sur d’autres facteurs, dont celui de l’origine (indication qui n’est pas ou peu transparente pour le consommateur final). La restauration hors-domicile (RHD) représente, quant à elle, 10 % de la consommation nationale. En RHD, où le facteur prix est souvent placé en première place dans les critères de choix, les produits importés représentent 27 % des produits laitiers consommés.

Avec 23 kg d'équivalent carcasse (kgec) de viande bovine (gros bovins et veaux) par habitant et par an en 2019 (FranceAgriMer, 2020a), les consommateurs français se positionnent certes à mi-chemin par rapport aux argentins mais ils devancent toujours nettement les allemands (14 kgec), les espagnols (9 kgec) ou les polonais (5 kgec). En 25 ans, le recul de la consommation en viande bovine a été, en France, de 3,8 kgec par habitant. Compte tenu de l'augmentation en parallèle de la population nationale, le marché global a reculé au final de l'ordre de 5 % au cours de cette période pour s'établir à 1,54 million de tonnes en 2019. Cette tendance baissière devrait se poursuivre dans les années à venir, compte tenu notamment du choix opéré par un nombre croissant de citoyens de modérer leur consommation de viandes (au sens large), voire pour certains de s'en détourner (Cavaillet et al., 2019 ; Magdelaine et al., 2018 ; Rémond, 2019). Cela dépendra beaucoup du comportement à venir des jeunes consommateurs qui soutiennent aujourd'hui la filière via une consommation importante de viande hachée, y compris au travers de la restauration hors domicile. Les consommateurs français expriment une préférence pour la viande rouge issue de bovins adultes, aujourd'hui femelles, en raison du déclin du bœuf, ce qui implique des importations en provenance surtout des pays de l'Europe du nord. Ainsi, en 2019, les bovins mâles produits en France (taurillons et taureaux) sont destinés à l'exportation à hauteur de 53 % (IDELE, 2020a) ; ce taux s'inscrit cependant à la baisse (il était de 60 % au début de la décennie), les jeunes bovins laitiers se substituant aux vaches laitières dans le marché de l'entrée de gamme et pour le steak haché.

En valorisant différentes sources d'informations disponibles (douanes françaises, données sur les abattages, panel Kantar, données de ventes des opérateurs...), une étude conduite par l'IDELE pour Interbev a permis de faire la lumière sur les différents débouchés de la viande bovine consommée en France en 2017 (IDELE, 2019b). Avec 49 % des volumes totaux (hors intégration des plats préparés), les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) occupent le premier rang, devant la RHD, dont la progression est cependant particulièrement notable (24 % en 2017 contre 19 % en 2014). Les autres débouchés sont les plats préparés industriels (12 %, dont une part importante est vendue en GMS), les boucheries (11 %), les circuits de vente directe (3 % au total mais 8 % des vaches allaitantes de réforme). La RHD utilise une part nettement plus importante de viande bovine importée (57 % des volumes totaux), devant les plats préparés (19 %), la GMS (15 %) et les boucheries (9 %). Cette étude met également bien en évidence la transformation qui s'opère dans les formes de consommation de la viande bovine, en lien avec certaines évolutions sociétales profondes (Caillavet et al., 2019) : baisse du temps consacré à la cuisine, développement des Fast-food et de la consommation de burgers, etc. Ainsi, près de 45 % des volumes de viande bovine sont désormais achetés sous une forme hachée et 12 % sous la forme de plats préparés industriels ; les volumes résiduels (viande brute piécée) ne représentant plus que 43 % du total. Cette évolution a de fortes implications pour les différents acteurs de la filière qui doivent jongler de plus en plus pour valoriser au mieux tous les morceaux d'une carcasse. Cela n'est pas neutre non plus pour la rémunération des éleveurs (le prix de vente de la viande hachée est beaucoup moins élevé).

2.2. La différenciation de l’offre

Dans le secteur laitier, l'offre française se caractérise par une diversité exceptionnelle de produits finis, sûrement l'une des plus importantes parmi les grands pays producteurs. Cette diversité, qui se conjugue parfois avec une typicité affirmée et des qualités spécifiques reconnues, est un atout indéniable pour stimuler la demande intérieure. Deux grands types de différenciation peuvent être distingués (Perrot et al., 2018a). La première forme, de loin la plus importante en volume, a lieu uniquement au stade des industries de la transformation ; il s'agit d'une différenciation dite « retardée » dans le sens où elle consiste à repousser la différenciation des produits en aval du cycle de production. Les produits issus d'un lait indifférencié (au moins pour le consommateur) sont valorisés grâce à des marques à forte notoriété soutenues par de puissantes politiques de marketing. La deuxième forme de différenciation est basée sur l'origine de la matière première (le lait) utilisée pour fabriquer les produits laitiers. En France, comme en Italie, la différenciation du secteur laitier par les Appellations d'Origine Protégée (AOP), qui utilisent depuis de nombreuses années entre 9 et 10 % des volumes de lait produits, est une caractéristique forte et historique.

En viande bovine, l’offre française se caractérise également par une grande diversité de produits. Cette diversité résulte d’abord de facteurs liés aux types de bovins (sexe ; âge ; poids à l’abattage…) et à leur race (à viande, laitière, mixte). Cette diversité tient également aux systèmes de production adoptés (mode d’alimentation, systèmes intensifs ou extensifs…), à l’ancrage régional plus ou moins fort de ceux-ci et à la manière dont la viande bovine est transformée (processus d’abattage, maturation du produit, conservation…) et valorisée par les acteurs de l’aval. Ces spécificités de l’offre sont un atout pour soutenir la consommation de viande bovine française au détriment des importations, lesquelles représentent une part décroissante des approvisionnements totaux (22 % en 2018 contre 26 % entre 2006 et 2013 et plus de 30 % avant 1996). La communication croissante faite en faveur des produits nationaux (adoption du label « viande bovine française » suite aux crises de l’ESB) et les débats sociétaux souvent critiques à l’encontre de la qualité des viandes importées (notamment en provenance des grands acteurs internationaux) jouent également dans le sens d’une limitation des importations.

Orienter l’offre des filières bovines françaises vers des produits de qualité, relocaliser la production et les circuits de commercialisation, constituent des axes stratégiques souvent mis en avant face aux problématiques de la concurrence européenne et mondiale. Dans quelle mesure ces axes stratégiques jouent-ils un rôle aujourd’hui ? Peut-on imaginer qu’ils joueront un rôle encore plus important demain ? Pour en discuter, quatre points sont abordés successivement de façon synthétique : le développement de l’agriculture biologique dans les filières bovines ; la place des autres Signes officiels d’Identification de la Qualité et de l’Origine (SIQO) ; l’enjeu des circuits courts ; les nouvelles formes de démarcations commerciales ou territoriales entre des producteurs et d’autres acteurs.

a. L’agriculture biologique

Le mode de production et de transformation biologique fait partie des SIQO. Encadré par une réglementation européenne depuis 1991, l’Agriculture Biologique (AB) a pour objectif le respect de l’environnement, de la biodiversité et du bien-être animal. Ce secteur connait en France un développement soutenu depuis plusieurs années (AgenceBio, 2020).

Dans le secteur laitier français, l'AB concerne, fin 2019, 7 % des vaches laitières pour 4 560 exploitations (certifiées ou en conversion). En juin 2020, et sur les 12 derniers mois glissants, la collecte nationale dépasse le milliard de litres de lait, soit environ 4 % de la production nationale de lait de vache (contre seulement 1 % en 2008). La production de lait de vache en AB a doublé entre 2014 et 2020 (IDELE, 2020b) ; cela fait de la France le second producteur européen de lait bio derrière l'Allemagne (1,2 milliards de litres) et devant l'Autriche et le Danemark. Cette augmentation rapide de la production est liée à la dynamique de la demande intérieure (le lait et les produits laitiers représentent 12 % des achats de produits biologiques des ménages en 2018), au positionnement stratégique de certaines entreprises de la transformation et à une mobilisation des acteurs de la grande distribution (Nozières-Petit et al., 2018). Contrairement à d'autres produits alimentaires (dont les fruits et légumes), les produits laitiers bios consommés en France proviennent quasi-exclusivement de la production nationale (98 %) ; ils sont surtout diffusés en Grande et Moyenne Surface (GMS) : 82 % du lait liquide et 62 % des autres produits laitiers. Si la part du bio augmente pour le lait liquide à destination des ménages (près de 10 % en France en 2020, soit le double de 2015), elle reste faible pour les fromages (moins de 1 %).

En viande bovine, l’AB concerne, fin 2019, 5,3 % des vaches allaitantes pour 5 820 exploitations. La disponibilité croissante en bovins AB a permis un développement régulier des volumes abattus tout au long de la dernière décennie. Pour les gros bovins allaitants, les tonnages abattus sont passés de 6,1 à 17,1 milliers de tec entre 2010 et 2018 ; pour les gros bovins laitiers, ils sont passés, dans le même temps, de 4,2 à 9,5 milliers de tec ; pour les veaux, ils sont passés de 0,7 à 3 milliers de tec. Au total, en cumulant ces trois catégories, les volumes abattus de bovins en AB ont représenté 29 500 tec en 2018, soit 2 % du total national des bovins abattus (Interbev, 2019). Les bovins AB sont commercialisés à 59 % en GMS, 13 % en boucherie, 11 % en magasin spécialisé, 7 % en RHD et 10 % en vente directe.

Suite aux plans stratégiques développés dans le cadre des États Généraux de l'Alimentation (Interbev, 2017 ; CNIEL, 2017), la place de l'AB devrait se renforcer à l'avenir dans les filières bovines. Plusieurs défis sont cependant à relever pour y parvenir (Stassart et Jamar, 2009 ; Allaire, 2016 ; Bellon, 2016 ; Benoit et al., 2017) :

i) développer la production en volume tout en préservant la création de valeur et une rémunération suffisante des producteurs ;

ii) soutenir davantage ce secteur par une réorientation plus volontariste des aides directes de la PAC vers le soutien à l’AB ;

iii) faciliter l’intégration du bio français dans la RHD, dont dans les cantines scolaires ;

iv) trouver le juste équilibre entre les différentes manières de produire en AB et la satisfaction à long terme des attentes des consommateurs. Entre des produits AB issus de grandes exploitations, parfois étrangères, et aux pratiques sociales discutables et des produits AB issus de petites exploitations ancrées dans un territoire et pratiquant la vente directe, l’hétérogénéité des pratiques est grande et fait peser le risque de perdre les consommateurs quant aux objectifs poursuivis (ambition économique versus environnementale/sociétale) ;

v) l'organisation locale des exploitations en agriculture biologique est également à encourager (Allaire et al., 2016), de façon à renforcer leur développement, comme par exemple via des initiatives d'échanges entre céréaliers et éleveurs au sein d'associations (Moraine et al., 2016) ou de réseaux d'échange pour réintégrer de l'élevage dans les fermes bio (Bio Hauts-de-France, 2019).

b. Les autres SIQO

Dans le secteur laitier français, les AOP/IGP occupent, et depuis longtemps, une place singulière en comparaison des pays du nord de l’UE où ces démarches sont peu ou pas développées. En 2018, les AOP laitières valorisent 10,3 % de la collecte nationale de lait de vache, contre 13,4 % pour le lait de chèvre et 39,6 % pour le lait de brebis. Les AOP laitières regroupent 45 fromages (dont 28 au lait de vache), 3 beurres et 2 crèmes (CNAOL, 2019). De leur côté, les 10 Indications Géographiques Protégées (IGP) laitières, comptent pour 1 % de la collecte laitière nationale. En 2018, les volumes commercialisés sous indication géographique ont atteint 268  000 tonnes pour un chiffre d’affaires estimé à 2,3 milliards d’euros, soit 13,6 % du chiffre d’affaires en produits de grande consommation des entreprises laitières françaises. Si les ventes de fromages AOP au lait de vache ont progressé de 6 % en dix ans pour atteindre 173 900 tonnes en 2018, les perspectives restent difficiles à entrevoir : la consommation intérieure de fromages plafonne à un niveau déjà élevé ce qui limite les marges de manœuvre (ce d’autant que les produits laitiers AB se développent) ; les pays étrangers achètent peu ces produits ; la restauration commerciale de masse donne une préférence aux produits laitiers peu chers.

En viande bovine, le Label Rouge concerne 17 cahiers des charges en gros bovins (+ 2 produits transformés) et 8 cahiers des charges en viande de veaux (+ 1 produit transformé). Les volumes de bovins et de veaux commercialisés en Label Rouge représentent 26 300 tec en 2018, soit 1,8 % du total national des bovins abattus. Les indications géographiques comptent 4 AOP et 8 IGP en gros bovins, ainsi que 3 IGP en viande de veau. Elles rassemblent 12 100 tec (0,8 % du total national des abattages), dont 6 200 tec au titre des gros bovins et 5 900 tec au titre des veaux. La diversité des systèmes d'élevage français qui permet cette différenciation de l'offre, notamment quand elle est liée aux territoires (Lasseur et al., 2019), peut être vue comme un gage de capacité d'adaptation et de garantie de la typicité de certains produits (Perrot et al., 2005).

Les espoirs fondés par les acteurs de la filière viande bovine sur les SIQO semblent ambitieux (Interbev, 2017). L’objectif affiché dans le plan de filière réalisé à la suite des Etats Généraux de l’Alimentation est de modifier en profondeur la manière dont la communication est faite autour de la viande bovine, de façon à proposer aux consommateurs (ménages et RHD) un choix qui soit plus clair autour de deux notions clés : une offre dite « standard », avec aucune mention valorisante, si ce n’est l’utilisation éventuelle du logo « viande de France » ; une offre dite « supérieure » qui assurerait une qualité organoleptique supplémentaire et le respect de considérations sociétales en termes de bien-être animal, d’environnement voire de rémunération des producteurs. L’objectif serait alors de faire converger les produits issus de l’offre « supérieure » avec la démarche « Label Rouge », moyennant une adaptation, tant des conditions de production dans les élevages que des modalités de fonctionnement du Label Rouge. Dans une telle hypothèse, l’objectif serait que la viande bovine soit commercialisée à 40 % en « Label Rouge » dans un horizon de 5 ans et que la production de viande bio soit doublée sur la même période.

c. Les circuits courts

La place des « circuits courts » dans l'agriculture et l'alimentation fait l'objet de débats (Allain, 2015 ; Mundler et Rouchier, 2016 ; Chiffoleau, 2017 ; Brives et al., 2020) et d'un regain d'intérêt de la part de certains consommateurs, y compris d'ailleurs pendant la période de confinement liée au Covid-19. En France, un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire. La distance géographique de commercialisation ne constitue pas un critère déterminant dans cette définition, mais certains consommateurs attribuent de l'importance à ce que les produits dits de « circuits courts » correspondent aussi à des produits « de proximité » ou « locaux » (Requier-Desjardins et Roudart, 2019). Les circuits courts traditionnels ont toujours existé, sous la forme de marchés, de vente directe chez le producteur, etc. Cependant, plus récemment, de nouvelles formes de commercialisation se sont développées, notamment en zone périurbaine, pour répondre aux attentes renouvelées des consommateurs (Aubry et Chiffoleau, 2009).

D'après le recensement agricole de 2010, 4,7 % des producteurs de bovins-lait commercialisaient, tout ou partie du lait produit sur leur exploitation, en circuit court ; cette proportion est nettement inférieure à celle des ovins-lait (16 %) ou des caprins (42 %). Le lait est commercialisé sous forme liquide ou, le plus souvent, après transformation en différents produits : fromages, yaourts, beurre, etc. (Nozières-Petit et al., 2018). D'après la Statistique Agricole Annuelle (production de lait et utilisation à la ferme), les volumes de lait de vache commercialisés par ce biais restent néanmoins très faibles à l'échelle nationale (1,9 % en 2018 contre 2,4 % en 2000) avec notamment une baisse de la vente directe de lait liquide et une hausse de fromages « en blanc » vendus à des affineurs.

De même, 10,5 % des éleveurs de bovins-viande étaient concernés par les circuits courts en 2010 (Nozières-Petit et al., 2018). Sachant que certaines de ces exploitations ne peuvent commercialiser par ce canal qu'une faible part des bovins, la contribution des circuits courts (y compris l'autoconsommation et la vente directe à la ferme) à l'approvisionnement global du marché français est estimée à 3 % en 2018. Si ce taux est plus faible pour les bovins mâles, il atteint 6 % pour les génisses, 8 % pour les vaches allaitantes de réforme et 17 % pour les bœufs (IDELE, 2019b). Dans les circuits courts de ce type, la provenance locale et la relation directe entre le producteur et le consommateur constituent souvent des facteurs importants de l'acte d'achat (Fournié, 2016).

d. De nouvelles démarcations commerciales en référence à un territoire

Outre les SIQO et les circuits courts, la valorisation commerciale des produits issus des filières bovines peut passer par d’autres voies cherchant à valoriser les attentes de certains consommateurs pour des produits locaux qui aient, du moins dans leur conception, du sens (en termes de relocalisation des productions, de rémunération des producteurs…). Sans qu’il soit possible d’en tirer un bilan quantitatif précis à l’échelle nationale, de nombreuses expériences existent ou émergent. Elles constituent des signaux faibles à ne pas sous-estimer pour bien comprendre les transformations à l’œuvre du secteur.

Dans le cas du secteur laitier, des acteurs de l’aval s’emparent de ces attentes : « J’aime le lait d’ici » (Orlait) ; « Les éleveurs de Hauts de France » (Leclerc) ; « Les éleveurs des Monts du Forez, du Lot, du Val de Loire, des Pyrénées Atlantique » (Casino) ; « Saveur de nos régions » (Lidl) ; « Le lait de ma région » (Sodiaal) ; « le bon lait de ma Bretagne » (Agrial), « Frais d’ici » (In Vivo). Des groupes d’éleveurs s’organisent aussi : « En direct des éleveurs » (lait UHT, 18 producteurs) ; « L’éleveur occitan » (fromages AOP, 70 producteurs…). Une marque créée par les consommateurs (« C’est qui le patron ? ») a également été mise au point pour leur permettre de redevenir acteur dans la conception d’un produit, de sa production à sa commercialisation.

Enfin, des collectivités territoriales se mobilisent pour renforcer l'approvisionnement local, avec des incitations dans le cadre de la loi Egalim (objectif de 50 % de produits durables et de qualité, sans mention spéciale sur la provenance locale mais laissant cours à des initiatives d'approvisionnement local), des plans alimentaires territoriaux (Darrot et al., 2019) mais aussi des initiatives plus anciennes, comme la démarche Terres de Sources portée par le syndicat mixte « Eau du Bassin rennais ». Ces démarches impliquent de maitriser les coûts d'approvisionnements, les difficultés logistiques et d'acquérir les compétences nécessaires au changement de pratiques dans les différents métiers, et doivent donc être accompagnées (Moraine et al., 2020).

La différenciation par la qualité des produits et l’ancrage territorial ne fera pas tout dans une économie ouverte où la « guerre des prix » entre les enseignes de la distribution est une constante (Ritzenthaler, 2019). La recherche de bas prix est une réalité pour de nombreux consommateurs français et ce phénomène pourrait s’amplifier avec la crise sanitaire du Covid-19 qui aura des répercussions importantes à court et moyen terme sur l’économie et les emplois (Futuribles International, 2020 ; Laisney, 2020). Pour autant, ce sont des voies complémentaires à mieux utiliser et organiser car elles sont potentiellement prometteuses pour accompagner l’avenir de nombreux éleveurs de bovins. Le développement de ces formes de différenciation est conditionné à la construction d’un cadre garanti par les pouvoirs publics mais surtout aux choix stratégiques de plusieurs catégories d’acteurs (consommateurs, distributeurs, transformateurs, producteurs, collectivités locales).

3. La compétitivité des exploitations bovines françaises

Face aux différentes évolutions observées (dynamique des marchés, variation des prix, changement dans les règles de la politique agricole…), les éleveurs français de bovins ont constamment restructuré leurs exploitations, adapté leurs pratiques et amélioré leur productivité du travail afin de préserver leurs revenus (Charroin et al., 2012 ; Veysset et al., 2014). Les gains de productivité réalisés par l'agriculture française au cours des six dernières décennies, qui sont parmi les plus élevés de tous les secteurs de l'économie nationale, ont permis de réduire les coûts de production et les prix des produits agricoles. Pourtant, depuis la fin des années 90, et malgré une productivité du travail en augmentation, le revenu des éleveurs se maintient difficilement et un essoufflement de la productivité des autres facteurs tels que les consommations intermédiaires, le capital et la terre, est constaté (Butault, 2006).

Partant des données du Réseau d’Information Comptable Agricole (RICA), qui est un outil statistique représentatif des exploitations agricoles « professionnelles » (Agreste, 2020), une analyse sur longue période (1988 à 2018 en échantillon glissant) a été conduite pour les exploitations laitières spécialisées de l’orientation technico-économique (OTEX) n°45 (noté « BL ») et les exploitations bovins-viande (naisseurs, naisseurs-engraisseurs et engraisseurs) de l’OTEX n°46 (noté « BV »). Cette analyse a été conduite à l’échelle de la France, mais également au niveau de plusieurs régions impliquées en élevage et contrastées au plan territorial. Pour le secteur laitier, cinq régions, qui comptabilisent 76 % des exploitations laitières françaises en 2018, ont été retenues : Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, Pays de la Loire et Normandie. En bovins-viande, les quatre régions retenues comptabilisent 67 % des exploitations : Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle Aquitaine et Pays de la Loire.

3.1. L’évolution des structures

Au cours des 30 années de 1988 à 2018, la Surface Agricole Utile (SAU) des exploitations a augmenté en moyenne au niveau national de 3 % par an pour les BL et de 2 % par an pour les BV (tableaux 3 et 4). Cette dynamique s'est accompagnée d'une augmentation de la taille du troupeau (en UGB) à un rythme presque identique. Le nombre d’emplois (UTA) par exploitation a diminué pour les BV (– 0,10 % par an), alors qu'il a augmenté pour les BL (+ 0,76 % par an). Avec la réduction du nombre d'exploitations (– 3,9 % par an en BL et – 0,3 % par an en BV) et l’augmentation de la taille des structures, la production agricole par exploitation (valeur de l’ensemble des produits à prix unitaire constant) a cru au rythme de 3,66 % par an pour les BL et de 1,82 % par an pour les BV. En BL, les dynamiques d’agrandissement, en valeur relative, ont été proches entre les régions (mais un peu plus faibles en montagne, la SAU des exploitations de Bourgogne-Franche Comté et d’Auvergne-Rhône Alpes a augmenté de 2,6 % par an contre + 3,6 % par an pour les trois régions de plaine) ; le volume de production agricole par exploitation augmente ainsi plus rapidement en plaine (+ 4 % par an) qu’en montagne (+ 3,5 % par an). En BV, ce sont les régions où les surfaces étaient initialement les plus petites (Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine avec des SAU de 43 et 54 ha respectivement en 1988) qui ont connu les taux de croissance de leur taille (+ 3,1 % par an et + 2,3 % par an respectivement) et de leur volume de production agricole (+ 2,5 % par an et + 2,0 % par an respectivement) les plus élevés.

3.2. L’évolution des productivités partielles et l’efficience technique

La productivité des facteurs de production est calculée en divisant le volume de la production agricole par le volume du facteur considéré. Il convient donc d'agréger des volumes de produits (lait, viande, céréales…) et d'intrants (engrais, aliments, fuel, services…) de natures différentes. Les gains de productivité mesurent les variations de volumes produits et consommés entre deux années. Ces variations de volumes sont évaluées en euros constants, c'est-à-dire en corrigeant chaque produit et chaque poste de charge de leur indice de prix respectif (IPPAP - indice des prix des produits agricoles à la production et IPAMPA - indice des prix des moyens de productions agricoles) ; les variations de valeurs ainsi déflatées dépendent alors uniquement des variations de volumes (Veysset et al., 2015).

- En bovins-lait, le volume de la production agricole totale des exploitations (en cumulant le lait, la viande, les cultures et les autres produits) ayant augmenté beaucoup plus rapidement que le nombre de travailleurs, la productivité du travail s'est accrue de manière significative, avec un taux de croissance moyen annuel de + 2,9 % sur 30 ans (tableau 3) ; ce taux variant peu d'une région à l'autre. Le volume de production par travailleur a ainsi été multiplié par 2,5 en 30 ans. L'augmentation continue de la productivité du travail a été possible grâce à des investissements dans des matériels et bâtiments, à l'automatisation (notamment pour la traite) et à l'externalisation de certaines tâches (travaux par tiers). Les volumes d'équipements nécessaires à la bonne gestion des troupeaux en croissance ont augmenté plus rapidement que la production agricole, ce qui a entraîné une légère baisse de la productivité des équipements, ce dans toutes les régions ; la mise aux normes environnementales des équipements dans le cadre des Programmes de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA) a contribué à l'accélération de ces investissements. Le volume de la production agricole a augmenté un peu plus vite que la taille des exploitations, ce qui a entraîné une augmentation de la productivité des terres de + 0,66 % par an, soit + 20 % sur 30 ans. Ce sont dans les zones de montagne, à plus faible niveau de chargement, que la productivité du foncier a le plus augmenté (+ 32 % en Auvergne-Rhône Alpes et + 37 % en Bourgogne-Franche Comté) ; pourtant, dans ces régions, le chargement exprimé en nombre d'UGB par ha de surface fourragère a baissé (de 1,15 en 1988-90 à 1,05 en 2016-18) alors qu'il a peu évolué dans d'autres régions (1,70 en Bretagne) et à l'échelle nationale (1,50). La hausse de la productivité du foncier est donc surtout liée à une augmentation de la productivité animale (litres de lait produits par vache) : + 1,73 % par an en Auvergne-Rhône Alpes et + 2,05 % par an en Bourgogne-Franche Comté (ce taux étant proche de 1,2 % par an dans les régions de l'Ouest). Les gains de productivité animale ont été réalisés, en partie, grâce à un recours accru à des aliments achetés, l'efficience de ces derniers se dégradant au fil du temps (– 0,43 % par an). En dépit de cela, la productivité des consommations intermédiaires (biens et services acquis auprès d'un tiers) a légèrement augmenté, sauf en Auvergne-Rhône Alpes (baisse très légère). L'efficience technique, défini comme étant la productivité des consommations intermédiaires et des équipements (Veysset et al., 2015), a augmenté de seulement 0,11 % par an entre 1988 et 2018 ; ce taux est supérieur à cette moyenne nationale dans trois régions (0,25 % en Pays de la Loire, 0,24 % en Bretagne et 0,21 % en Bourgogne-Franche Comté) mais inférieur en Normandie (– 0,07 %) et en Auvergne-Rhône Alpes (– 0,16 %). Ainsi, la main-d'œuvre a été remplacée par du capital et des intrants, sans que la gestion des systèmes laitiers n'ait connu de gains d'efficience technique significatifs.

Tableau 3. SAU, UTA et UGB par exploitation en 1988 et 2018, et taux de croissance annuel moyen d’indicateurs (% par an de 1988 à 2018) pour les exploitations spécialisées en bovins-lait (Sources : RICA 1988-2018/Traitement INRAE UMR Herbivores).


France

Bretagne

Pays de la
Loire

Normandie

Bourgogne
Franche-
Comté

Auvergne
Rhône-
Alpes

SAU 1988

39

28

38

37

53

38

SAU 2018

93

83

102

97

120

83

Taux de croissance annuel

+ 3,00

+ 3,65

+ 3,49

+ 3,60

+ 2,58

+ 2,63

UTA 1988

1,60

1,50

1,63

1,59

1,56

1,60

UTA 2018

1,85

1,81

2,00

1,91

1,94

1,72

Taux de croissance annuel

+ 0,76

+ 1,15

+ 1,06

+ 0,89

+ 0,83

+ 0,35

UGB 1988

47

42

49

53

48

37

UGB 2018

106

109

119

130

100

77

Taux de croissance annuel

+ 2,83

+ 3,55

+ 2,93

+ 3,29

+ 2,46

+ 2,45

Production agricole (vol.)

+ 3,66

+ 4,13

+ 3,84

+ 4,06

+ 3,73

+ 3,43

Productivité du travail

+ 2,90

+ 2,97

+ 2,78

+ 3,16

+ 2,90

+ 3,09

Productivité du foncier

+ 0,66

+ 0,48

+ 0,35

+ 0,46

+ 1,15

+ 0,80

Productivité des CI

+ 0,21

+ 0,41

+ 0,40

+ 0,12

+ 0,39

– 0,13

Productivité des équipements

– 0,31

– 0,46

– 0,44

– 0,84

– 0,36

– 0,35

Productivité animale

+ 1,36

+ 0,99

+ 1,23

+ 1,20

+ 2,05

+ 1,73

Efficience technique

+ 0,11

+ 0,24

+ 0,25

– 0,07

+ 0,21

– 0,16

- En bovins-viande, la taille et le volume de production agricole totale des exploitations ont aussi fortement augmenté au cours des 30 dernières années. La main-d'œuvre a légèrement régressé et la productivité du travail gagne en moyenne 1,92 % par an (tableau 4). Ce taux s'échelonne de +1,62 % par an en Bourgogne-Franche Comté (région où les structures ont les plus grandes tailles) à +2,23 % par an en Pays de la Loire (région où les structures ont les plus petites tailles en moyenne sur 30 ans). L'évolution des productivités du travail et du foncier n'a pas été continue et constante sur la période en raison des incitations issues des réformes de la PAC qui se sont succédées (Veysset et al., 2014), et notamment de l'incitation à l'extensification des systèmes. La productivité des terres a diminué jusqu'en 1996 ; elle a légèrement augmenté de 1996 à 2006, avec une légère tendance à la baisse par la suite. Au final, la productivité des terres a perdu 17 % sur la période (– 27 % en Pays de la Loire, – 13 % en Auvergne-Rhône Alpes), de sorte que les incitations à l'extensification ont été fructueuses. Pour les mêmes raisons que pour les producteurs de lait (main-d'œuvre et mise aux normes environnementales), les investissements en équipements et en bâtiments ont été élevés dans les années 1990, avec une baisse de leur productivité de 14 % sur la période, soit une perte de productivité des équipements de près de 1 % par an dans les quatre régions étudiées. La productivité des consommations intermédiaires perd 0,55 % par an, une baisse lente et constante sur la période. Cette baisse est très forte dans le bassin allaitant (– 0,96 % par an en Auvergne-Rhône Alpes, – 0,79 % par an en Bourgogne-Franche Comté), alors que la productivité des consommations intermédiaires gagne 0,41 % par an en Pays de la Loire du fait d'une utilisation plus efficiente des aliments achetés dans cette région plus tournée vers des systèmes naisseurs-engraisseurs que le Massif central où les systèmes naisseurs dominent. Globalement, les éleveurs ont eu de plus en plus recours à des aliments achetés, tandis que la productivité animale a diminué de 0,28 % par an, sauf en Nouvelle-Aquitaine où elle stagne.

Tableau 4. SAU, UTA et UGB par exploitation en 1988 et 2018, et taux de croissance annuel moyen d’indicateurs (% par an de 1988 à 2018) pour les exploitations spécialisées en bovins-viande (Sources : RICA 1988-2018 / Traitement INRAE UMR Herbivores).


France

Auvergne
Rhône-Alpes

Bourgogne
Franche-
Comté

Nouvelle
Aquitaine

Pays de la
Loire

SAU 1988

58

71

73

54

43

SAU 2018

111

112

131

109

114

Taux annuel

+ 2,04

+ 1,42

+ 1,88

+ 2,31

+ 3,05

UTA 1988

1,46

1,51

1,41

1,50

1,47

UTA 2018

1,38

1,33

1,32

1,47

1,43

Taux annuel

– 0,10

– 0,46

+ 0,07

– 0,01

+ 0,28

UGB 1988

66

67

77

61

67

UGB 2018

121

113

140

121

149

Taux annuel

+ 1,94

+ 1,53

+ 2,01

+ 2,21

+ 2,59

Production agricole (vol.)

+ 1,82

+ 1,39

+ 1,69

+ 2,04

+ 2,51

Productivité du travail

+ 1,92

+ 1,85

+ 1,62

+ 2,05

+ 2,23

Productivité du foncier

– 0,22

– 0,03

– 0,19

– 0,26

– 0,54

Productivité des CI

– 0,55

– 0,96

– 0,79

– 0,59

+ 0,41

Productivité des équipements.

– 0,86

– 0,92

– 1,22

– 0,37

– 1,14

Productivité animale

– 0,28

– 0,23

– 0,36

+ 0,04

– 0,58

Efficience technique

– 0,62

– 0,95

– 0,89

– 1,59

– 0,67

En conséquence, la productivité des aliments concentrés achetés, c’est-à-dire le gain de poids vif obtenu par kg d’aliments achetés distribué, a fortement diminué (– 1,51 % par an), notamment en Auvergne-Rhône Alpes (– 2,27 %) et en Bourgogne-Franche Comté (– 2,39 %), mais gagne 0,28 % par an en Pays de la Loire. L'efficience technique des systèmes bovins-viande a donc baissé sur la période (– 0,62 % par an), principalement en Auvergne-Rhône Alpes (– 0,95 %) et en Bourgogne-Franche Comté (– 0,89 %), alors qu’elle s’est légèrement améliorée en Pays de la Loire (+ 0,11 % par an). La meilleure productivité des aliments achetés en Pays de la Loire est également liée à une réduction du niveau d’intensification fourragère, la productivité du foncier a baissé plus fortement en Pays de la Loire que dans les autres régions. À partir de 2003, l'efficience technique est inférieure à 1 (0,90 en 2018), c’est-à-dire que la valeur des volumes de consommations intermédiaires et équipements consommés est supérieure à celle des produits agricoles ; la création de richesse (valeur ajoutée) dans le secteur bovin viande en France est négative ; le revenu des éleveurs dépend pour beaucoup des aides directes.

3.3. L’évolution des revenus et des capitaux

En BL, le RCAI par UTA non salariée a été en moyenne sur la période de 22,4  k€ en France, avec quelques écarts régionaux (de 18,9 k€ en Auvergne-Rhône Alpes à 24,8 k€ en Pays de la Loire). De 1992 à 2006, le prix du lait a peu varié et le RCAI/UTA non salariée est resté relativement stable (figure 1). À partir de 2006, la sortie progressive des quotas laitiers, accompagnée de la libéralisation de la politique laitière et du contrôle de l’offre, ont provoqué une forte variabilité des prix du lait qui s’est propagée au revenu. Le revenu annuel des éleveurs laitiers fluctue alors fortement, avec une forte dépression en 2009, aucune région n’est épargnée par cette volatilité. Sur toute la période, le RCAI/UTA non salariée des éleveurs laitiers s’est très légèrement amélioré (+ 0,47 % par an). Cette évolution intervient parallèlement à des gains de productivité important au niveau du facteur travail et à une baisse du prix du lait de 25 % en monnaie constante sur la période. De 1988 à 1992 le revenu des éleveurs laitiers était constitué de seulement 10 % d’aides directes ; cette la part dépasse les 50 % à partir de 2001 et passe à 100 % sur 2014-2018.

Figure 1. Résultat courant avant impôt et subventions d’exploitation par UTA non salariée dans les exploitations françaises spécialisées en BL et BV (en k€ constant sur la période 1988-2018) (Sources : RICA 1988-2018/Traitement INRAE UMR Herbivores).

En moyenne sur 30 ans et en euros constants, le résultat courant avant impôts (RCAI) par UTA non salariée des exploitations BV françaises s’est élevé à 20,6 k€ ; les écarts régionaux sont globalement très faibles. De 1992 à 2002, sous l’effet de la première réforme de la PAC, avec la revalorisation des primes aux bovins et l’instauration des aides directes aux surfaces en cultures, y compris pour les cultures intra-consommées, le RCAI/UTA non salariée se maintient à un niveau supérieur à celui de la fin des années 1980. De 2002 à 2006, la réforme dite Agenda 2000 avait renforcé les aides directes à la production et les aides agro-environnementales pour les éleveurs de bovins allaitants : le RCAI/UTA non salariée atteint alors son plus haut niveau des 30 années étudiées. À partir de 2006, les aides directes sont en grande partie découplées (c’est-à-dire qu’elles ne sont plus totalement liées à l’animal ou à l’hectare de cultures, mais versées de manière indépendante des productions mises en œuvre) et subissent une modulation graduelle de leur montant. À partir de 2007, l’envolée du prix des céréales, suivie d’une forte volatilité, a pesé sur le prix de l’aliment du bétail : le RCAI/UTA non salariée a alors chuté relativement aux années 1990-2005.

Alors que sur l’ensemble de la période étudiée le prix de la viande a baissé de 30 % en monnaie constante, depuis 2012, celui-ci se maintient à un niveau supérieur à celui des cinq années précédentes et assure une certaine stabilité du revenu. Sur l’ensemble de la période, le RCAI/UTA non salariée a baissé en moyenne de 0,21 % par an. Les aides directes prennent une place prépondérante dans la constitution du revenu des éleveurs de BV ; la part des aides dans le revenu est en effet passée de 50 % sur la période 1988-1992 à 190 % sur 2014-2018 (hors aides directes, le revenu est négatif depuis 1996).

En dépit d’une forte augmentation de la productivité du travail, le revenu des éleveurs a donc globalement peu évolué (en monnaie constante). Les investissements réalisés ont entrainé une capitalisation importante au fil du temps. Le montant du capital (actif du bilan hors foncier) par UTA non salariée a augmenté de 49 % en BV et de 104 % en BL. En 2018, on peut considérer qu’un éleveur de bovins se doit d’engager, selon les deux types, entre 50 à 100 % de capital de plus qu'en 1988, pour une espérance de revenu pratiquement identique. Sous certaines conditions qui ne sont pas toujours remplies, cette capitalisation peut cependant être considérée, au moins en partie (cheptel, matériel-équipements, plus difficilement pour les bâtiments), comme un revenu différé dans la mesure où l'agriculteur réalisera son capital au moment de la cessation d’activité (Jeanneaux, 2019). La production de viande bovine est très intensive en capital : le montant de l’actif du bilan (hors foncier) par UTA non salariée se situant à 290 k€ en 2018 contre 195 k€ en 1988. La rentabilité de ce capital, estimée au travers de l’indicateur « Excédent Brut d’Exploitation/Actif du bilan hors foncier » se situe aux environs de 15 % sur l'ensemble de la période étudiée (contre 22 % en moyenne toutes OTEX). Les éleveurs laitiers ont investi encore davantage (l’actif hors foncier par UTA non salariée est passé de 130 k€ en 1988 à 260 k€ en 2018) et ils dégagent une meilleure rentabilité du capital (18 % en 2018), malgré une baisse de celle-ci (23 % en début de période).

L'augmentation continue de la taille des exploitations et la recherche constante d'une plus grande productivité du travail ont donc conduit à un recours accru aux ressources externes (intrants et capitaux) au détriment d'une meilleure valorisation des ressources internes (potentiel génétique des animaux et des plantes). Les gains de productivité animale en élevage laitier ont permis une stabilité de l’efficience technique. L’ensemble des performances productives de l’élevage bovin viande se dégrade, même si une forte hétérogénéité demeure entre exploitations. Les forts gains de productivité du travail réalisés par les éleveurs, ainsi que l’ensemble des aides directes perçues (lesquelles représentent en moyenne française 46 600 euros par an par exploitation en BV en 2018 ; et 33 500 euros par exploitation en BL) ont été en grande partie captés par l’amont et l’aval des filières (Boukhriss et Veysset, 2019).

3.4. Compétitivité et rentabilité comparées des exploitations laitières d’Europe du Nord

a. Les exploitations laitières françaises n’ont pas profité de la suppression des quotas laitiers

Contrairement aux pays concurrents du Nord de l’UE, non seulement la France n’a pas participé à l’expansion des volumes de production après la fin des quotas laitiers en 2015 et a vu son excédent commercial en produits laitiers avec l’UE fondre, mais, de plus, elle rémunère moins bien ses producteurs laitiers (IDELE, 2019a).

Même si l’intérêt de la croissance en volumes semble désormais remis en cause dans la plupart des pays européens au profit de la recherche d’une montée en gamme porteuse de valeur ajoutée, le rattrapage en volume de pays qui s’estimaient injustement bridés par le niveau de leurs quotas laitiers leur a permis d’afficher des revenus élevés en moyenne à la production, malgré la crise laitière de 2015/16, tout en diluant de fait le poids relatif de la France laitière dans la production européenne et les échanges. L’efficacité de cette production supplémentaire, sa valorisation commerciale, ses impacts environnementaux et socio-économiques font néanmoins l’objet de plus en plus de débats dans la plupart des pays (Pays-Bas, Allemagne, Danemark, et même Irlande; ibid.).

Combinée à une réorientation du commerce de l’UE vers les pays tiers (dont la Chine), cette forme de repli sur le marché intérieur français des Produits de Grande Consommation (PGC) consommés en l’état, très important en valeur (équivalent au marché allemand pour un nombre d’habitants bien moindre), ne s’est pas avérée être un choix très profitable pour les éleveurs français. La France est le seul grand pays laitier européen dans lequel les revenus des producteurs de lait ont pratiquement stagné (en euros courants) entre 2007-12, 2013-17 et 2018. Pire, les revenus des éleveurs spécialisés y sont devenus faibles par rapport à ceux de leurs concurrents (figure 2). Ils se situent à mi-chemin entre ceux constatés en Allemagne et en Pologne (petites exploitations incluses), bien loin des niveaux dégagés aux Pays-Bas, en Irlande et Danemark (pays où la variabilité est cependant nettement plus élevée, entre années en fonction du prix du lait, mais aussi entre exploitations une année donnée ; ibid.).

Figure 2. RCAI par UTA non salariée dans les exploitations laitières spécialisées (OTEX 45) de plusieurs États membres de l’UE (en milliers d’euros courants par an) (Sources : DG AGRI –RICA UE 2007-2018/Traitement IDELE).

D’après une estimation basée sur le RICA pour la période 2007 à 2018 (en euros courants), estimation qui intègre le prix de base mais aussi tous les compléments de primes/ristournes accordés par les laiteries (coopératives), le paiement à la qualité, le prix du lait perçu par les éleveurs français (338 €/t) est nettement inférieur à celui obtenu par les éleveurs Danois (361 €/t) ou Néerlandais (373 €/t). Il est, en revanche, identique à celui des éleveurs allemands et supérieur à celui des éleveurs irlandais (314 €/t) où l’augmentation importante des volumes de lait produits n’a pas toujours donné lieu à une bonne valorisation commerciale. Ce niveau plus élevé des prix aux Pays-Bas et au Danemark tient à plusieurs facteurs : un taux de matières utiles plus important (y compris à l’aide de rations enrichies en huile de palme) ; l’octroi d’un prix supérieur pour la production de lait biologique (plus fréquente au Danemark avec 12 % des volumes) ou de primes pour la production de lait de pâturage (pour l’essentiel de la production aux Pays-Bas) ; l’existence d’économies d’agglomération maximales aux Pays-Bas ; un savoir-faire commercial et une grande efficacité des coopératives FrieslandCampina et Arla en position de force respectivement aux Pays-Bas et au Danemark, etc.

Pour apporter des éléments de réflexion sur la compétitivité à la production ou la rentabilité des exploitations laitières européennes, une focalisation a été faite sur cinq zones géographiques plus homogènes (pour la France et l’Allemagne) engagées dans des dynamiques de hausse de la production laitière dans le cadre du régime de concurrence qui a remplacé le régime administré des quotas laitiers, à savoir l’Irlande, l’Allemagne du Nord, le Danemark, les Pays-Bas et l’Ouest de la France (Bretagne et Pays de la Loire). Quatre indicateurs ont été considérés dans l’analyse à partir des données du RICA ; les calculs ont été réalisés en moyenne sur les quatre années de la période 2013-2016 sur des exploitations plus spécialisées que l’OTEX45 (IDELE, 2019a) :

i) l’indicateur dit du « point mort » (couleur orange de la figure 3). Celui-ci résulte d’un calcul permettant d’estimer le prix du lait qu’il est nécessaire d’avoir pour payer/couvrir l’intégralité des charges prises en compte dans le calcul du RCAI, et qui n’intègrent donc pas celles liées à la rémunération de la main-d’œuvre non salariée (des exploitants et coexploitants) ;

ii) l’indicateur dit des « charges supplétives liées au travail » (couleur grise). Il s’agit d’une estimation des charges correspondant à la rémunération de la main-d’œuvre non salariée. Ainsi, dans ce calcul, il est considéré que chaque unité de main-d’œuvre est rémunérée à hauteur de deux salaires minimum de croissance français (2 SMIC nets + calcul forfaitaire des charges sociales, règle retenue pour l’indicateur Prix de revient interprofessionnel suite à la loi Egalim) ; le montant unitaire étant identique ici pour toutes les zones étudiées (sachant que seul le Danemark présente des niveaux de salaires significativement supérieurs aux autres pays) ;

iii) le « prix de revient » (chiffre indiqué en noir) correspond au cumul des deux indicateurs précédents, à savoir le « point mort » et les « charges supplétives liées au travail non salarié » ;

iv) le prix du lait réellement payé au producteur, toutes primes confondues.

Figure 3. Le prix du lait et le prix de revient du lait pour deux SMIC français dans plusieurs pays européens (en euros/tonne) (Sources : DG AGRI - RICA UE 2013-2016 Exploitations laitières spécialisées/Traitement IDELE).

Ainsi, selon cette approche, l’Irlande est de loin la zone européenne la plus compétitive sur les prix (le prix de revient complet est le plus bas), mais aussi la plus rentable (le prix du lait payé dépasse nettement la rémunération calculée pour 2 SMIC français), malgré un prix du lait plus faible. L’Allemagne du Nord est également compétitive sur les prix, tant à la production (prix de revient à 324 €/t) qu’à la transformation (massification et productivité du travail). Moyennant un prix du lait payé à peine supérieur à celui observé en Irlande, la rentabilité des exploitations de cette région est jugée (d’après les enquêtes de terrain réalisées - IDELE, 2019a) décevante par de nombreux producteurs, ceci d’autant plus que la taille moyenne de leurs élevages est assez conséquente (104 vaches contre, par exemple, 60 en Bretagne-Pays de Loire). Au Danemark, les équilibres économiques sont, pour de nombreuses exploitations, précaires ; la rentabilité moyenne cache de profondes inégalités et une forte variabilité interannuelle des résultats économiques est constatée (en raison d’un point mort très élevé). De nombreuses faillites n’ont pu être évitées lors de la baisse du prix du lait en 2015-16 et un tiers des exploitations n’ont toujours pas retrouvé d’autonomie financière et décisionnelle depuis la crise de 2009. Les exploitations laitières néerlandaises, dont le revenu moyen est flatteur, doivent leur rentabilité surtout au prix du lait élevé versé par les opérateurs, dont la grande coopérative Friesland Campina ; elles sont, en revanche, mal positionnées au niveau de leur compétitivité-prix, la plus faible parmi les zones étudiées. Enfin, les exploitations de l’Ouest de la France ne sont pas très rentables en moyenne : le prix du lait payé permettant une rémunération moyenne de la main-d’œuvre à hauteur de 1,3 SMIC. Si elles bénéficient d’un point mort plutôt bas, la plus faible productivité du travail pèse, in fine, sur le prix de revient complet.

b. Une autonomie alimentaire qui coûte cher ou qui n’est pas (encore ?) rémunérée par le marché pour les exploitations laitières françaises

Pour compléter ce diagnostic, une analyse comparative portant sur la composition des coûts alimentaires totaux a également été conduite pour les exploitations laitières spécialisées de ces mêmes zones géographiques. Les coûts sont rapportés ici à la tonne de lait produite (figure 4). Trois types de coûts sont distingués : le premier considère les achats en aliments (concentrés et grossiers) pour les herbivores présents dans l’exploitation ; le second prend en compte les charges en semences, en engrais et en produits phytosanitaires relatives aux surfaces ; le troisième fait état des frais liés à la mécanisation (carburants, dotations aux amortissements, entretien et intérêts liés au matériel, travaux par tiers).

Figure 4. Le coût alimentaire et sa composition dans les exploitations laitières spécialisées (en euros par tonne de lait en moyenne 2013-2016) (Sources : DG AGRI - RICA UE 2013-2016/Traitement IDELE).

Au-delà des exploitations dites « mixtes », qui associent cultures de vente et élevage, les éleveurs français sont presque tous des polyculteurs-éleveurs ; ils cultivent, récoltent, et distribuent mécaniquement des fourrages, lesquels assurent une plus forte proportion de l'alimentation des animaux que ce qui prévaut aux Pays-Bas, au Danemark ou en Allemagne. C'est particulièrement vrai dans l'Ouest de la France où les exploitations sont économes en concentrés et ne produisent, en moyenne, que 7 500 kg de lait par ha SFP contre plus de 11 000 kg en Allemagne du Nord, 14 000 kg au Danemark, 15 000 kg aux Pays-Bas. Comme il s'agit d'abord de fourrages stockés plus que pâturés (contrairement à l'Irlande avec ses 8 500 kg de lait produit par ha), le coût alimentaire des systèmes de production français est le plus élevé par tonne de lait. Les achats d'aliments sont plus faibles, mais les charges de mécanisation (par tonne de lait) sont nettement plus élevées : 2,5 fois plus qu'en Irlande et 40 à 50 % de plus qu'ailleurs, là où ce coût est dilué par des volumes obtenus par des aliments achetés. Concernant le coût alimentaire total, et si l'on écarte la valeur irlandaise (difficilement accessible sauf dans contexte très favorable au pâturage, 80 €/t d'écart), le différentiel en défaveur des systèmes français n'est que de + 5 €/t de lait par rapport au Danemark, mais de + 30 €/t environ par rapport aux systèmes néerlandais ou allemands, pourtant gourmands en concentrés. Ce chiffre de 30 €/t est moins important que le différentiel de prix du lait en défaveur de la France par rapport aux Pays-Bas sur 2007-18. Ce différentiel de coût pourrait être compensé par une plus-value à rechercher sur le marché pour un lait réalisé de façon plus autonome, plus locale et presque toujours avec du pâturage (92 % des vaches laitières sortent, 80 % sur au moins 10 ares par vache ; Perrot et al., 2018a).

Cette manière de produire du lait en France, n’est pas le seul atout de la France laitière pour se différencier de filières concurrentes européennes qui cherchent à monter en gamme pour mieux valoriser des volumes aujourd’hui contraints par une politique environnementale qui joue désormais dans des zones de plus en plus nombreuses un rôle de contrôle de l’offre ou de frein à la croissance par son renchérissement. La gamme des différenciations pratiquées en France est déjà très large et repose depuis longtemps pour partie sur une typicité des produits et un ancrage territorial qui ont peu d’équivalents en Europe du Nord. La mise en avant de lait produit localement avec des ressources locales et un fonctionnement agronomique équilibré peut compléter ces différenciations historiques. Si la France laitière a perdu la première manche (2013-2017 car anticipée par des dépassements dans certains pays) de l'après quotas, sur les volumes, elle dispose d'atouts clés pour la deuxième manche, sur la valeur.

4. L’emploi dans les exploitations françaises d’élevage de bovins

4.1. Une importance majeure dans l’emploi agricole non salarié

La contribution de l'élevage bovin à l'emploi agricole français est majeure. D'après des travaux basés sur le recensement agricole de 2010 (Lang et al., 2015), l'élevage bovin regroupait, en France, 219 000 emplois directs (en équivalents temps plein à la production pour toutes les exploitations spécialisées ou non). Moyennant différentes hypothèses, cette étude considérait que ce secteur était, par ailleurs, à l'origine de 202 000 emplois indirects situés en amont et en aval (fournisseurs d'intrants et de services, collecte et transformation des produits, logistique et distribution) ou autour des exploitations (R&D, administration). Ces emplois sont particulièrement importants pour la vitalité socio-économique de certains territoires ruraux. La contribution relative de l'élevage bovin est plus forte encore pour l'emploi agricole non salarié. Les exploitations bovins-lait, encore nombreuses et particulièrement intensives en travail, sont le premier secteur pourvoyeur d'emplois non salarié en agriculture devant celles de grandes cultures (Depeyrot et Perrot, 2019). C'est toujours le cas en 2018 (Perrot, 2020) mais cette hiérarchie devrait cependant s'inverser compte tenu de la réduction plus rapide des emplois non-salariés dans le secteur laitier. En effet, au cours de la période 2010 à 2018, d'après les statistiques de la MSA, cette dernière était de – 2,8 % par an, contre – 1,3 % en moyenne sur l'ensemble des exploitations et – 1,5 % pour les exploitations bovins-viande. Cette baisse des effectifs combinée avec de forts gains de productivité du travail (Piet, 2019) a pour l'instant conduit à une production globale de lait à peu près stable (cf. supra).

Ce poids particulier du secteur laitier dans l'emploi agricole non salarié de l'agriculture dans son ensemble peut être relié à l'organisation familiale du travail dans les exploitations laitières françaises. Le poids du travail salarié y est limité (17 % des UTA totales aussi bien en 2013 qu'en 2016 d'après les enquêtes structures), y compris dans les grandes exploitations où les formes associatives dominent. Toutefois, la forme usuelle ailleurs en Europe dans les grandes exploitations laitières (1 patron + des salariés) progresse (13 % en 2016 ; Depeyrot et Perrot ; 2019) ainsi que l'automatisation qui permet à certains éleveurs individuels ou en couple d'obtenir une forte productivité du travail (Béguin et al., 2020). En 2017-18, les GAEC (groupements agricoles d'exploitation en commun) regroupent 39 % des exploitations (pour 54 % de la production laitière) contre 26 % dix ans plus tôt (FranceAgriMer, 2019). Dans le cas des GAEC, près de huit associés sur dix sont apparentés. En 2016, dans la moitié des exploitations, la main-d'œuvre permanente est cependant encore constituée par un seul individu ou un couple (Perrot et al., 2018b).

En exploitations bovins viande (spécialisées ou non, typologie Institut de l’Élevage appliquée aux enquêtes structures), le poids du salariat (14 % des UTA en 2016) et des formes associatives (20 %) est moins important.

4.2. Le vieillissement semble terminé mais l’âge des producteurs est élevé

Depuis le début des années 2000, on constate un fort vieillissement des chefs d’exploitations bovines. Ce phénomène est quasi général en agriculture, même si certains secteurs (caprin et maraichage) font figure d’exceptions. Ce vieillissement des chefs d’exploitation tient à de multiples causes qui varient selon les orientations (Perrot, 2020). Le cas des exploitations laitières bovines est particulièrement instructif. Elles avaient beaucoup bénéficié des mesures de préretraite-installation instaurées dans le cadre de la PAC en 1992. Cette politique publique a soutenu le flux d’installations à hauteur d’environ 3 400 jeunes de moins de 40 ans par an jusqu’à la fin des années 1990. Critiquée pour ses effets d’aubaine par le ministère de l’économie, son arrêt a contribué à diviser par deux ce flux d’installations en créant une première inflexion au début des années 2000 (la deuxième datant de 2008/2009 suite au changement des modalités de départ à la retraite et à la crise laitière avec effondrement du prix du lait). En synchronisant le cycle de vie d’un grand nombre d’exploitations, cette politique publique efficace a créé une vague démographique de grande ampleur. Le pourcentage d’éleveurs laitiers (chefs et co-exploitants) de plus de 50 ans qui était descendu rapidement de 49 % à 31 % entre 1988 et 1995 est remonté progressivement à 48 % en 2017 (figure 5) et semble en voie de stabilisation (Perrot, 2020).

Figure 5. Pourcentage de chefs d’exploitation et de co-exploitants de plus de 50 ans dans les exploitations bovines en France (Source : Agreste enquêtes structures et Recensements agricoles, MSA et SPIE-BDNI à partir de 2010 - traitement Institut de l’Elevage).

Le déroulement inéluctable de cette vague crée un déséquilibre entre le nombre des départs issus de « classes pleines » et les entrées dont le nombre est pourtant élevé (au regard du nombre total actuel d’installations) et stable depuis 10 ans. Ce phénomène est d’autant plus marqué que les carrières dans ce secteur étaient assez normées (installation à 27 ans pour 27 ans en moyenne en tant que chef d’exploitation identifié comme référent au sein des co-exploitants éventuels avec les règles de la statistique publique), ce qui entraine une certaine inertie. Ce déséquilibre, qui devrait durer jusqu’en 2030, constitue le moteur de la restructuration rapide du secteur. Durant la sortie progressive des quotas, près des trois quarts des exploitations résiduelles étaient en forte croissance (FranceAgriMer, 2015), même si cela n’a conduit qu’à une évolution globale de la production française très mesurée et à une captation de l’essentiel des gains de productivité par l’amont et surtout l’aval.

Le secteur bovins-viande (ici l’élevage de vaches allaitantes) a longtemps bénéficié de la reconversion lait/viande durant la période des quotas laitiers. Si ces reconversions ont soutenu l’effectif des chefs d’exploitation dans ce secteur productif, elles ont aussi participé à son vieillissement, de nombreuses reconversions ayant lieu à l’approche de la fin de carrière. Le flux d’installations de jeunes agriculteurs dans le secteur bovins-viande se maintient depuis 2010, malgré un ratio revenu/capital peu favorable. Enfin de nombreux éleveurs de bovins-viande (environ 10 % des actifs) sont encore en activité au-delà de 62 ans. C’est notamment le cas dans les zones défavorisées où l’Indemnité Compensatoire de Handicap Naturels(ICHN) cumulée aux autres aides PAC conduit à un montant plus intéressant qu’une faible retraite agricole. C’est une autre cause du vieillissement des chefs d’exploitation en place.

4.3. 3 700 jeunes et moins jeunes actifs s’installent chaque année en élevage bovin

Les filières bovines françaises sont donc confrontées à un défi démographique de renouvellement des générations de producteurs, inédit depuis la fin des années 1980. Ce défi n’est pas propre à ces filières (Coly, 2020). Les projections réalisées par la MSA indiquent que 45 % des exploitants actifs à la fin 2016 auront atteint l’âge légal de départ à la retraite avant la fin 2026 (MAAF, 2020). Ce constat est souvent transformé à tort en « partiront dans les 10 ans » compte tenu du maintien en activité d’éleveurs âgés, surtout en bovins-viande (c’est aussi le cas de céréaliers qui peuvent faire réaliser tous les travaux culturaux à façon).

Malgré l'existence de freins à l'installation souvent signalés (accès au foncier et au crédit notamment), l'analyse de la situation fait apparaître quelques constats encourageants. Le phénomène de vieillissement des chefs d'exploitation, très marqué depuis le début des années 2010 semble ralentir ces dernières années. En 2018, et pour la première fois depuis la fin des années 1990, l'âge moyen des agriculteurs français (tous secteurs confondus) a légèrement baissé. L'agriculture ne manque pas d'attractivité ou plutôt de pouvoir de séduction, du moins si l'on en juge par le nombre (21 000) de candidats à une installation (notamment hors cadre familial) ayant contacté un Point Accueil Installation régional (Coly, 2020). Ces candidatures ne seront évidemment pas toutes couronnées de succès (moins d'une sur deux) : les compétences techniques, économiques, financières et managériales d'une partie de ces candidats sont parfois mises en doute ou jugées insuffisantes pour poursuivre une carrière agricole dans de bonnes conditions compte tenu de l'évolution du contexte socio-économique et sociétal (Forget et al., 2019 ; MAAF, 2020). Il existe par ailleurs une certaine inadéquation entre les souhaits de ces candidats (qui cherchent à développer un projet de vie avec une grande autonomie en particulier en agriculture biologique et circuits courts) et l'offre de fermes ou souvent de places à reprendre dans une forme sociétaire à base familiale (GAEC) qui gère une exploitation de grande dimension au fonctionnement parfois difficilement modifiable (Chambres d'Agriculture de Bretagne, 2019 et entretiens avec des responsables régionaux des Points Accueil Installation).

Après avoir fortement baissé depuis la fin des années 1990, les flux d’entrées dans les secteurs bovins-lait sont devenus relativement stables après 2008-2009. Ils s’élèvent à 2 070 par an sur 2010-2018, dont 18 % de plus de 40 ans ; avec 19 % des installations à moins de 40 ans. Ces flux sont de 1 630 par an en bovins-viande, dont 25 % de plus de 40 ans, hors transferts entre époux (figure 6). Ces dénombrements ont été réalisés par l’IDELE à partir de la base de données de la MSA appariée à la BDNI afin de comptabiliser les exploitations non spécialisées.

Figure 6. Nombre annuel d’installations dans les exploitations bovines en France par secteur et classe d’âge (Source : MSA et SPIE/BDNI – Traitement Institut de l’Elevage).

En 2015, des modifications réglementaires concernant les GAEC ont stimulé les installations, notamment à plus de 40 ans. Sur l’ensemble de la période, ces flux relativement stables fournissent une mesure de l’attractivité des métiers d’éleveurs bovins qui ne s’est donc pas dégradée sur la période récente. Cette attractivité objective (contrairement à l’attractivité subjective qui renvoie à l’univers des représentations sociales) est définie comme une force mesurable par analogie avec le modèle des sciences physiques (Cusin et Damon, 2010). Transposée aux territoires ou ici aux secteurs productifs, cette force permet de faire converger toute sorte de ressources–populations, revenus, capitaux, main-d’œuvre, entreprises, emplois, biens, services, événements professionnels, informations, etc. - et d’y fixer durablement celles qui sont susceptibles de l’être. Cette force d’attraction s’identifie donc à sa capacité à capter des ressources humaines ou non, matérielles ou immatérielles. Elle est à l’origine de mouvements. L’analyse des flux démographiques est un indicateur clé de cette attractivité aussi bien pour les territoires (ibid.) que pour les secteurs productifs.

Ces entrées dans les secteurs bovins, quoique stables, sont cependant nettement insuffisantes pour compenser les départs actuels. En effet, elles remplacent un départ de chef d’exploitation sur deux en bovins-lait et deux départs sur trois en bovins-viande. Au niveau des exploitations, la restructuration est encore plus forte. Une exploitation laitière sur trois est reprise par un jeune de moins de 40 ans, qui va la relancer dans son cycle de vie. Les deux autres sont reconverties (sans production laitière) ou absorbées par une exploitation plus importante.

La réduction du nombre d’exploitations bovines, qui est plus rapide que la moyenne générale, est donc davantage liée à des départs massifs hérités du passé qu’à une baisse récente et significative des installations. Dans le contexte économique actuel, il est difficile d’imaginer un scénario de rupture qui serait de nature à rétablir le flux d’entrées dans le secteur tel qu’il était dans les années 1990. Dans le secteur bovins-lait, la vague démographique des départs devrait s’éteindre d’ici 2030, date à laquelle la structure démographique des chefs deviendra plus équilibrée, mais avec des effectifs bien moindres.

4.4. Diversité de projets et adéquation avec les attentes des filières longues

Le nombre d’installations ne fait pas tout. Les projets mis en œuvre par les jeunes ou moins jeunes actifs qui se lancent dans le ou plutôt dans les métiers d’éleveur bovin résultent de choix extrêmement variés en matière de système d’exploitation (taille d’atelier, forme d’organisation du travail, niveau d’intensification…), d’insertion dans des filières (adhésion à une coopérative ou livraison à l’industrie, transformation fermière et circuits courts, agriculture biologique…) ou de combinaison d’activités agricoles et non agricoles. Cette diversité, qui est particulièrement forte en France, est à relier pour partie à un territoire national contrasté, à la fois porteur d’opportunités (naturelles ou socio-économiques, bassins de consommation par exemple), mais aussi de contraintes (zones rurales particulièrement vastes à l’échelle européenne, en partie isolées ou avec des contraintes pédoclimatiques marquées).

Pour qualifier les installations en production laitière, une typologie a été réalisée à partir de la forme d'organisation du travail de l'exploitation reprise ou d'accueil (Perrot et al., 2018). Elle dresse un éventail très large de situations toutes pratiquées de façon significative avec des moyennes par type qui varient de 0,7 UTA et 25 vaches laitières par exploitation à 5,4 UTA et 106 vaches. L'âge des installés est moins élevé (25-30 ans) quand ils s'insèrent dans un GAEC que quand ils reprennent une structure individuelle (30 ans et plus), plus souvent après une première expérience professionnelle.

En bovins-viande, il est possible de discriminer les installations en fonction du système d’activités. D’après la valorisation des données de la MSA (hors cotisants solidaires) pour 2017-18, deux pôles émergent ainsi de l’analyse des installations des jeunes de moins de 40 ans revendiquant une activité bovins-viande (Perrot, 2020). Dans 41 % des cas, il s’agit d’une insertion dans un GAEC avec un troupeau conséquent (102 vaches de moyenne) et presque toujours avec une activité agricole exclusive. Dans 40 % des cas, il s’agit d’une installation en individuel, avec un recours fréquent (près d’un cas sur deux) à la pluriactivité (deux fois sur trois, l’activité extérieure l’emportant sur l’activité agricole). Le troupeau moyen varie entre 42, 35 ou 26 vaches en fonction de la place décroissante de l’activité agricole (exclusive, principale, secondaire). L’analyse de la distribution des cheptels à l’installation suggère une situation désormais presque duale entre une insertion en activité agricole exclusive dans un GAEC de grande taille, fréquente seulement dans certains départements, et une installation individuelle souvent avec pluriactivité beaucoup mieux répartie géographiquement.

Cette diversité de choix à l’installation génère une diversité d’offre importante par exploitation (volumes faibles et/ou irréguliers de produits hétérogènes) qui est parfois vue comme une coûteuse dispersion. Elle pose la question de l’évolution de l’offre nationale en termes de quantité et de positionnement en gamme des productions bovines. L’équation n’est pas toujours simple. Comment répondre à la fois aux nouvelles attentes de certains consommateurs pour davantage de démarcation et de proximité et assurer l’alimentation de masse sans laisser plus de place encore aux importations qui ont déjà de fortes parts de marché en particulier dans la Restauration Hors Domicile et les produits transformés qui transitent par les industries agroalimentaires ? Tous les « plans de filière » réalisés dans le cadre des États Généraux de l’Alimentation (EGA) font allusion au nécessaire renouvellement des générations de producteurs pour assurer le maintien de l’offre à partir de la transformation de la production nationale, de la modernisation et d’un taux d’utilisation suffisant des outils industriels. Les débats lancés sur la création et le partage de la valeur dans ces mêmes EGA pourraient permettre d’améliorer l’adéquation entre les projets de ces nouveaux éleveurs (qui ne se voient pas tous comme des fournisseurs de matière première dans des volumes toujours croissants à l’industrie d’aval) et les attentes des filières (longues).

Depuis 2017, le pourcentage d'exploitations laitières ou allaitantes qui sont en croissance a baissé, respectivement, aux alentours de 60 et 50 % contre les 3/4 et les 2/3 auparavant (Base de Données Nationale d'Identification, traitement Institut de l'Elevage). Compte tenu de l'inertie des phénomènes démographiques précédemment décrits, cette inflexion des trajectoires, cette désaffection pour la croissance, cette diversité de projets pourraient prolonger la baisse des cheptels de vaches laitières et allaitantes en France qui semble engagée depuis 2016 (respectivement – 4 et – 6 % ; ibid.).

Conclusion

Pour conclure ces développements sur la trajectoire du secteur bovin français, et sans chercher à être exhaustif, une focalisation est faite sur quelques grandes menaces et opportunités qui se dessinent.

Quatre menaces sont ainsi distinguées en reprenant la logique du plan précédent. Au niveau du commerce extérieur, c’est la forte augmentation des importations en produits laitiers (dont les fromages ingrédients) en provenance des États membres de l’UE et la difficulté à exporter les produits bovins de qualité (AOP fromagères, viandes issues du troupeau allaitant) à l’étranger qui interrogent. Au niveau du marché intérieur, les attentes des consommateurs sont tellement contrastées qu’elles finissent par paraître contradictoires entre la recherche de bas prix ou de praticité issus d’une production de masse parfois ultra transformée (augmentation de la consommation de viande hachée et des plats préparés) et l’affichage d’un intérêt pour des produits issus d’une agriculture exigeante au plan environnemental (agriculture biologique) ou sociétal (équitable et circuits courts). À l’échelle des exploitations, la faible rentabilité du capital, la dépendance aux aides directes et la variabilité des revenus sèment le doute chez de nombreux agriculteurs quant à la reproductibilité des exploitations actuelles et des stratégies à mettre en place, en particulier en termes de croissance de cheptel ou volumique. Ceci est d’autant plus le cas que, parmi les jeunes qui s’installent, nombreux sont ceux qui aspirent à des modèles productifs différents du passé, c’est-à-dire moins risqués au plan capitalistique et plus équilibrés socialement (conditions de vie et de travail). Ces orientations pourraient, demain, peser négativement sur les volumes globaux de production, le commerce extérieur et la compétitivité aux frontières.

De façon parallèle, et par souci d'équilibre, quatre opportunités peuvent également être identifiées. Au niveau extérieur, l'augmentation des exportations de produits laitiers à forte valeur ajoutée vers l'Asie et la baisse de la part des importations de viande bovine au prorata de la consommation intérieure est de nature à offrir des débouchés aux productions bovines nationales. Le niveau plutôt élevé de consommation de viande bovine par les jeunes générations (grâce principalement à la viande hachée) et l'appétence historique et non réellement remise en cause des français pour les produits laitiers (les fromages et le beurre) offrent des espoirs aux acteurs de la filière, d'autant plus que les achats en direct des ménages préfèrent toujours massivement l'origine nationale. Au niveau des exploitations bovines, les disponibilités importantes en terre et le niveau des rendements fourragers permettent une autonomie fourragère et alimentaire plus forte et un fonctionnement agronomique plus équilibré (polyculture-élevage) que chez nos concurrents européens. La diversité exploitations insérées dans des environnements naturels et socio-économiques contrastés est une force, de même que la capacité des nouvelles générations à imaginer des voies d'avenir.

Remerciements

Cette réflexion a été conduite dans le cadre du RMT Filarmoni portant sur l’économie des filières alimentaires. Les auteurs tiennent à remercier les fournisseurs de données statistiques, dont la MSA (sur la question des formes d’installations). L’accès aux données de la MSA utilisées dans le cadre de ce travail (COTNS et INSTANS) a été réalisé au sein d’environnements sécurisés du Centre d’accès sécurisé aux données – CASD (Réf. ANR-10-EQPX-17). Ils remercient également Cécile Le Roy (UMR SMART-LERECO) pour son appui efficace dans le traitement des données des douanes.

Notes

  • Cet article a fait l’objet d’une présentation aux 25èmes Rencontres Recherches Ruminants (Chatellier et al., 2020a).

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Résumé

Dans un contexte caractérisé par l’existence de difficultés d’ordre économique, social et environnemental, cette communication a pour ambition de présenter, de façon synthétique, un état des lieux chiffré des secteurs bovins (lait et viande) français. Elle s’appuie pour ce faire sur l’utilisation de différentes sources d’informations disponibles, dont les données des douanes, du Réseau d’Information Comptable Agricole et de la Mutualité Sociale Agricole. Les deux premières parties abordent la question de la dynamique des marchés en produits laitiers et en viande bovine (production, consommation et échanges) en distinguant successivement le marché extérieur (compétitivité externe au cours de la période 2000-2019) puis le marché intérieur (adéquation entre l’offre et la demande, utilisateurs finaux des produits) ; une analyse portant sur la différenciation de l’offre permet également d’aborder la place des différents signes de qualité et de nouvelles formes de démarcations commerciales s’appuyant sur une référence au territoire. Les deux dernières parties traitent de l’évolution de l’organisation de la production, en s’intéressant d’abord à la compétitivité des exploitations françaises sur longue période (1990-2018), puis aux emplois dans les exploitations (renouvellement des générations ou plutôt des actifs, transformation des formes d’installation).

Auteurs


Vincent CHATELLIER

vincent.chatellier@inrae.fr

Affiliation : INRAE, UMR SMART-LERECO, 44300, Nantes, France

Pays : France


Christophe PERROT

Affiliation : IDELE, Département Économie, 75012, Paris, France

Pays : France


Emmanuel BEGUIN

Affiliation : IDELE, Service approches sociales et travail en élevage, 80096, Amiens, France

Pays : France


Marc MORAINE

Affiliation : INRAE, UMR Innovation, 34060, Montpellier, France

Pays : France


Patrick VEYSSET

Affiliation : INRAE, Université Clermont Auvergne, Vetagro Sup, UMRH, 63122, Saint-Genès-Champanelle, France

Pays : France

Pièces jointes

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