Élevage et territoires : quelles interactions et quelles questions ?
Chapeau
Les activités d’élevage sont régulièrement remises en question pour leurs impacts environnementaux mais la demande mondiale en augmentation régulière nécessiterait de poursuivre le développement des productions animales. En quoi mieux intégrer les dimensions territoriales des activités d’élevage contribuerait-il à redéfinir les formes futures d’un élevage durable ?
Introduction
Les activités d’élevage sont régulièrement remises en question en regard des grands équilibres écologiques de la planète (émissions de Gaz à Effet de Serre, dégradations des terres…) (Steinfeld et al., 2006). La production de biens animaux est ainsi associée au changement climatique, au changement d’usage des sols, à la perte de biodiversité et à la pollution de l’air et de l’eau (Alkemade et al., 2013 ; Garnett, 2017). Dans le même temps, il s’agit aussi de satisfaire une demande mondiale en augmentation régulière qui nécessiterait de poursuivre le développement des productions animales (HLPE, 2016). Quelles seront les formes à venir d’un élevage durable ?
Le débat est alimenté par des réflexions réalisées à l’échelle planétaire (HPLE, 2016) ou continentale (ATF, 2016), autour de modèles tels que celui de l’agroécologie ou de l’intensification durable (Gill et al., 2018). Certaines recherches construisent des argumentaires basés sur des critères d’efficience, sur la remise en cause des modalités d’usage de telle ou telle ressource ou via l’évaluation multicritères (Lairez et al., 2017). D’autres établissent des hiérarchies entre modèles de production (industriel, à l’herbe) ou espèces animales (Godfray et al., 2018). Les analyses et les explorations des leviers d’amélioration de l’efficience sont conduites en considérant des systèmes de production qui peuvent être rattachés à des espaces aux caractéristiques propres (potentialités ou handicaps, liens à l’amont et à l’aval ; part de l’herbe) et densité d’animaux (Hercule et al., 2017). Ainsi à l’échelle planétaire, on pourra étudier les voies d’amélioration des systèmes herbagers intensifs localisés dans des bassins tropicaux ou à l’échelle nationale questionner le devenir des systèmes herbagers du Massif central (Cerles et al., 2017) ou l’efficacité des politiques de soutien de l’élevage en zones défavorisées via les ICHN (Indemnités compensatoires de handicaps naturels) (Hanus et al., 2018).
Pour interroger ce futur de l’élevage, Godard et Hubert (2002) ainsi que Zahn et al. (2015) nous invitent à dépasser les questions de durabilité « interne » des modèles agricoles et à nous intéresser aussi à la durabilité « étendue » à l’échelle territoriale. Pour ces auteurs, ce qui est en jeu du point de vue de la durabilité interne concerne la capacité du système considéré à se maintenir en conservant ses capacités productives, en renouvelant les ressources dont il dépend et en répondant aux enjeux économiques et de filières. L’espace d’inscription de ces systèmes de production combine un ensemble d’éléments relatifs aux milieux et climats, à ces ressources, à ces filières et aux politiques s’appuyant sur des zonages (handicap, montagne, eau). La durabilité étendue porte, elle, sur la capacité de l’activité considérée à contribuer à « la durabilité territoriale » qui implique la relation à d’autres porteurs d’enjeux et la capacité de l’activité à intégrer les intérêts propres de l’ensemble des porteurs d’enjeux (y compris agricoles). Cet élargissement de point de vue suppose de considérer les diverses dimensions (sociales, écologiques, paysagères, identitaires…) impliquées dans les débats et projets collectifs locaux portant ou jouant sur la contribution de l’activité à la durabilité du territoire Ainsi, les perspectives de l’activité d’élevage seraient, au-delà des dynamiques propres au secteur et des spécificités de milieux, dépendantes de la capacité à organiser des interactions avec d’autres acteurs qui font « communauté » à l’échelle territoriale, interactions qui soient porteuses de nouvelles ressources pour son développement.
Sans négliger les recherches portant sur les conditions d’une durabilité « interne » des systèmes de production dans les espaces ruraux, recherches portées notamment par les zootechniciens et les économistes, c’est cette deuxième acception, de la durabilité « étendue », des interactions entre élevage et territoire mettant en jeu les acteurs hétérogènes concernés par l’élevage et son devenir, qui fait l’objet de cet article. Pour expliciter les façons dont ces interactions sont traitées par les chercheurs, nous nous appuyons sur différents projets financés notamment le projet MOUVE (Les interactions Élevage et Territoire dans la mise en mouvement de l’intensification écologique, Dedieu et al., 2010) et les dispositifs d’animation-formation inter-organismes tels que l’École Chercheur Élevage et Territoire (Étienne, 2014) et le séminaire permanent « Élevage et développement durable des territoires »
1. Interactions « Élevage et Territoire » : de quoi parle –t-on ?
Le territoire est une notion du langage commun. C’est aussi un concept et un objet de recherche pour plusieurs disciplines de sciences humaines et techniques. Nous précisons dans un premier temps de quelle définition du territoire nous nous rapprochons en tant que partie prenante de recherches pluridisciplinaires aux contours définis plus haut. Puis nous listerons les grandes questions qui jalonnent le domaine de recherche des « interactions élevage-territoire » tel que nous l’avons défini en relation avec la notion de durabilité « étendue ». Enfin, nous évoquerons la question plus spécifique de la contribution des acteurs de l’élevage à la gouvernance territoriale.
1.1. Le territoire : définition et positionnement
La notion de territoire fait l’objet d’une littérature très abondante dans différentes disciplines : c’est un objet central pour la géographie et essentiel pour l’économie et les sciences de gestion. L’agronomie des territoires est une déclinaison plus récente (Benoit et al., 2009). La zootechnie des systèmes d’élevage s’est emparée de l’objet, depuis les années 1990, avec les travaux sur les indications géographiques et ce qu’elles portent d’interactions avec des lieux, des pratiques et des savoirs faire d’un territoire de projet collectif dans les produits. Plus récemment, l’interaction élevage-territoire a donné lieu à d’autres développements considérant les impacts de l’activité d’élevage sur l’espace (Dedieu et al., 2010 ; Balent et al., 2015) ou introduisant les points de vue des acteurs du territoire sur cette activité (Dupré et al., 2015).
La définition que nous retenons de territoire identifie une « étendue terrestre utilisée et aménagée par des sociétés humaines » (Brunet et al., 1992). Il relie de façon centrale un milieu, des activités et des acteurs (Manoli et al., 2011). Le territoire est envisagé dans cet article à l’échelle locale, c'est-à-dire en lien i) avec des systèmes d’interconnexions et d’interconnaissances entre acteurs, avec des valeurs et des savoirs portés dans l’action collective, ii) avec des milieux supports de services écosystémiques, et iii) avec des acteurs concernés par la contribution de l’élevage au développement durable. Son contour peut être celui d’une entité administrative et politique (par exemple l’aire d’une communauté de communes, d’un Parc Naturel Régional) ou celui d’un ou de projets portés par des acteurs (l’aire d’une appellation d’origine, l’espace d’un projet de développement local, ou encore le bassin de collecte d’un opérateur coopératif).
Le concept de territoire est particulièrement mobilisé depuis plusieurs décennies, pour analyser les activités productives en regard des enjeux de développement local. Il l’est, dans un premier temps, en alternative aux instruments de marché comme moteur du développement lorsque le territoire est identifié comme « un milieu d’innovation » (Lamara, 2009). Les acteurs concernés au sein d’un espace donné peuvent impulser des dynamiques de développement spécifiques en valorisant des ressources territoriales latentes (Pecqueur, 2006). Ainsi, les paniers de biens et des services (Dissart et al., 2014) déconnectent les produits locaux de productions standard vis-à-vis desquels ces acteurs ne disposent pas d’avantages concurrentiels particuliers. Ces démarchent permettent de mettre en exergue certains services spécifiques (paysage ouvert, identité) liés aux modes de production. Plus récemment, les évolutions sociétales renforçant l’hétérogénéité des acteurs (en particulier en milieu rural), la volonté d’implication des populations mues par une aspiration à la « participation citoyenne » couplées à la multiplication des échelons de mise en œuvre des actions publiques renforcent l’enjeu d’analyser les activités et leurs transformations en lien aux dispositifs de gouvernance territoriale. Cette dernière se définit comme un processus impliquant les populations, et mouvements les représentant, à l’élaboration de décisions, prises dans une imbrication de niveaux du très local au global (Guiomar, 2011 ; Torre, 2011 ; Rey-Valette et al., 2014). Ces auteurs soulignent ainsi les enjeux de réappropriation locale des questions agricoles soit dans le cadre du développement des circuits courts de produits alimentaires soit en lien à des objectifs de réaffirmation de l’identité locale, souvent centrée sur l’activité agricole, mené par de nombreuses collectivités territoriales.
L’évaluation des dynamiques territoriales des activités en regard de leurs contributions à des processus de développement inclusif est un enjeu croissant pour l’analyse des actions publiques. Notamment pour l’UE dont les enjeux de cohésion sociale et territoriale ont été réaffirmés dans les accords de Lisbonne, en 2009. Dans le domaine scientifique, cinq dimensions sont proposées par Sanchez-Zamorra et al. (2014) pour évaluer ces dynamiques territoriales : économiques (accès aux ressources, compétitivité, emploi...), sociales (sentiment d’appartenance à un collectif, inclusion et gestion de la diversité), environnementale (gestion durable des écosystèmes et des ressources), institutionnelles (capacité à promouvoir l’agrément entre acteurs et la coopération,), enfin la capacité du territoire à promouvoir un développement équilibré. Caron et al (2018) soulignent le rôle crucial des approches territoriales pour redéfinir des politiques de développement permettant d’implémenter des systèmes alimentaires durables. La prise en compte des enjeux de territoire élargit ainsi considérablement, en référence à des approches sectorielles, les éléments à considérer pour tracer les futurs des activités d’élevage. Trois prérequis sont ainsi pointés par ces auteurs pour impulser ces politiques : l’adoption de nouvelles métriques d’observation des activités, une meilleure mise en relation du local et du global et enfin le développement d’approches territoriales pour conforter l’émergence d’innovation dans les pratiques.
1.2. Interactions élevage – territoire : quelles questions ?
Sur la base de ces trois domaines d’investigation pour penser le futur des activités agricoles qui impliquent des dimensions territoriales, pointés par Caron et al. (2018), nous avons décliné plusieurs axes de recherche nécessaires au meilleur traitement des relations élevage et territoire. Nous résumons ici leur expression générale.
a. Mobiliser de nouvelles métriques pour mesurer les impacts des activités d’élevage à l’échelle des paysages ou des espaces continus en vue d’alimenter le débat entre acteurs
Il s’agit là de mieux identifier et caractériser, sur un territoire considéré comme un espace support d’activités, les impacts des activités d’élevage, seules ou en association, pour rendre compte de fonctionnalités socio écologiques qui dépassent la seule production de biens alimentaires et associer ces évaluations à des dispositifs permettant d’organiser des interactions sociales et contribuer à l’émergence de projets collectifs (Barnaud et al., 2018). Les contributions positives restent difficiles à quantifier. Elles n’ont pas de valeur marchande et sont généralement négligées par les décideurs et mal appréhendées par les citoyens. La caractérisation des services et de bouquets de services rendus par l’élevage est alors une voie d’analyse des activités qui peut permettre un état des lieux plus fourni de ce à quoi contribue l’élevage mais aussi l’expression et la concrétisation de projets concertés visant à faire évoluer les bouquets.
L’évaluation du degré de couplage entre l’activité d’élevage et d’autres activités est un autre enjeu de la caractérisation des interactions auxquelles est associé l’élevage pour analyser sa contribution au bouclage des cycles bio-géo-chimiques. Nous proposerons deux illustrations des défis scientifiques actuels dans la partie suivante. D’une façon générale, les acteurs sont souvent peu présents dans la construction des métriques et la caractérisation des bouquets ou des flux. Mais les démarches d’accompagnement de projets de gestion concertées multi acteurs y ont de plus en plus recours. Les métriques peuvent être spatialement explicites, ce qui permet d’explorer des composantes écologiques spécifiques (biodiversité, dynamiques paysagère) (Shereen et al., 2015) ou plus distanciées du fait de la nature des données à l’échelle Petite Région Agricole (Ryschawy et al., 2017).
b. Analyser la diversité et la dynamique des activités d’élevage et les complémentarités entre modèles d’élevage et alimentaires pour relier local et global
Dès que l’on se situe à l’échelle territoriale, la diversité des systèmes d’élevage est patente. Entre globalisation et territorialisation, cette diversité est en partie imputable à la complexité des facteurs influençant les dynamiques d’élevage, depuis la demande des consommateurs jusqu’aux politiques publiques et lois du marché, en passant par les conditions naturelles de production, et enfin par les dynamiques foncières et l’effet des autres opportunités d’emploi de la main-d’œuvre familiale que la spécialisation vers l’agriculture. Mais ce qui fait diversité, ce que l’on va retenir comme critères de différenciation est variable selon les études. Il peut s’agir d’analyser les mécanismes de différenciation des systèmes de production sur des ensembles territoriaux permettant aux acteurs (agricoles et non agricoles) de disposer d’une vision élaborée de la diversité en lieu et place d’une approche par le système le plus fréquent ou celui qui domine (espace, poids économique brut). Ces analyses portent sur les dimensions structurelles (y compris la pluriactivité), productives, économiques et d’insertion dans des dynamiques locales et de filières. Elles permettent d’accéder à une mise en perspectives de ce qui a marqué les différenciations entre systèmes d’élevage dans les territoires en s’intéressant, dans le cadre de diagnostics agraires, à la transformation des systèmes de production sur le temps long, tout en s’appuyant sur une analyse fine des faits techniques (Cochet et al., 2007).
Une autre voie d’analyse vise à rendre compte des interactions entre local et global en analysant les dynamiques des systèmes agri alimentaires à l’échelle de bassins. Les questions portent alors sur ce que produisent la diversité et la coexistence de ces systèmes (ou des modèles qui en rendent compte), à l’échelle du territoire. L’analyse peut être conduite pour rendre compte de l’ensemble des interactions entre systèmes techniques et diversité des ressources mobilisées dans l’espace, notamment celles qui se révèlent socialement sensibles ou porteuses d’enjeux environnementaux. Elle peut également s’intéresser aux circuits de transformation – distribution et interroger ainsi les modèles de systèmes alimentaires et la façon dont ils contribuent à l’approvisionnement local. Un enjeu fort de ces travaux consiste en la mise en œuvre d’analyses comparatives de processus de développement permettant de dépasser le caractère éminemment situé des observations réalisées sur des études de cas locales. Nous proposerons une illustration de ces recherches dans la partie suivante.
c. S’appuyer sur les interactions entre acteurs des territoires pour favoriser l’émergence d’innovations dans les activités d’élevage renforçant la durabilité territoriale
Il s’agit d’analyser les activités d’élevage et leurs inscriptions dans les dynamiques locales pour renforcer les convergences aux attentes des acteurs. Celles-ci sont souvent exposées par des acteurs locaux par opposition à des dynamiques des activités mues par des déterminants économiques globaux qui s’imposeraient sous l’effet de la mondialisation des échanges. Face à une fragmentation de la profession agricole dans les sociétés occidentales et un affaiblissement général des communautés rurales vis-à-vis des décisions portant sur le devenir des espaces ruraux, la capacité des agriculteurs à nouer des alliances locales et à inscrire leurs pratiques, leurs produits animaux et les impacts de ces pratiques, dans une dynamique associant un large panel d’acteurs, est un gage de durabilité de l’activité. Le processus de mise en œuvre de ces politiques territoriales et les instances de gouvernance qu’il instaure apparaissent ainsi comme des lieux où s’inventent de nouvelles formes d’agricultures et les modalités d’interactions entre les acteurs agricoles et le reste de la société.
L’inscription du territoire dans l’élevage et dans ses produits a porté depuis plusieurs décennies des recherches contribuant à ces interactions avec les acteurs des territoires. Les plus anciennes renvoient à ce que les signes de qualité véhiculent de terroirs, savoirs faire et ressources spécifiques ou ce que les populations animales locales expriment d’aptitudes en lien très direct avec le milieu, les agroécosystèmes et les pratiques d’élevage, incluant la mobilité (Lauvie et al., 2015 ; Casabianca et Millet, 2018). Ces travaux se poursuivent aujourd’hui notamment sur le plan des tensions et enjeux d’adaptation des cahiers des charges des signes de qualité avec le changement global, les dynamiques (souvent d‘agrandissement) des exploitations et les innovations que souhaitent mobiliser les agriculteurs (robot, monotraite…). Ils se renouvellent avec le développement des systèmes alimentaires urbains et les spécifications que les acteurs des territoires urbains (collectivités territoriales, groupes de consommateurs) adressent aux agriculteurs et éleveurs sur ce qui fait « production locale », à proximité et en relation avec les centres urbains (Delfosse et al., 2017). En retour ces produits spécifiques, ces races ancrées dans les territoires sont de forts marqueurs identitaires au service du développement local. Ils contribuent aux paniers de biens et services qui supportent les dynamiques économiques notamment en lien avec le tourisme (Angeon et Vollet, 2008).
1.3. L’implication des acteurs de l’élevage dans des dispositifs de gouvernance territoriale
Au-delà de ces produits, les attentes des acteurs des territoires envers les activités qui s’y déroulent (l’élevage en ce qui concerne notre propos) sont de plus en plus invoquées dans l’action publique. Le territoire émerge ainsi depuis quelques décennies comme lieu de redéfinition de l’action publique, en lien à l’affaiblissement de modes de coordinations plus hiérarchiques. Il devient un espace de gestion concertée ou apparaissent de nouveaux acteurs. La gouvernance territoriale s’impose alors comme un vecteur de développement des territoires en alternative à des interventions publiques « top down » souvent délégitimées dans leur promotion de chemins du développement pour le futur (Torre, 2018). Elle repose sur un processus de confrontation de points de vue contrasté et de légitimation, conduisant à la définition de nouvelles formes d’activités (Caron, 2017). Analyser et modéliser ces dynamiques non prédéterminées de transition vers des formes de développement durable des territoires repose sur deux familles d’approches systémiques multi-échelles, l’une se référant au champ sociotechnique, analysant les modalités d’émergence des innovations en privilégiant l’analyse des interactions entre société et techniques, tandis que l’autre se réfère au champ socio écologique, privilégiant les interactions entre dynamique des activités humaine, des écosystèmes et des ressources (Ollivier et al., 2018).
L’identification i) de la diversité des perceptions des institutions et acteurs locaux vis-à-vis de l’activité, ii) des controverses et débats que suscitent ses évolutions devient alors un enjeu fort. Les cadres organisationnels et lieux d’échanges permettant aux agriculteurs de mener un travail de légitimation des pratiques pour peser dans ces débats, font souvent défaut (Compagnone et al., 2015). Des questions portent sur l’élaboration des cadres conceptuels et méthodologies permettant de favoriser l’explicitation des points de vue, la conception de dispositifs favorisant la gestion concertée entre acteurs hétérogènes. Cette gestion concertée peut aussi bien concerner i) les « trade offs » entre activités de production et enjeux environnementaux en associant des acteurs agriculteurs, des ONG ou des collectivités (Parcs Naturels) (Lasseur et al., 2010), ii) la gestion territoriale de la santé animale (Relun et al., 2015) en associant différents types d’acteurs (éleveurs, chasseurs, vétérinaires, médecins…) et de représentations spatiales ou la formulation de patrons paysagers pour rendre compte de la progression de maladies et progresser dans une épidémio-surveillance plus participative, iii) les conditions de mise en œuvre de politiques impliquant l’élevage à l’échelle territoriale (Lasseur et Dupré, 2017).
L’autre versant des questions traitées concerne le développement de méthodologies d’accompagnement des acteurs. La mise en œuvre de modélisations dédiées (Étienne, 2012) ou de jeux sérieux, par exemple le « jeu de territoire » (Lardon, 2013) ont permis de grandes avancées dans ce volet de recherches tout comme les renouvellements conceptuels (systèmes socio-écologiques, sociotechniques, socio-patho-systèmes) permettant de reconnecter, espace, diversité des modèles d’activités d’élevage et des acteurs dans la conception et la mise en œuvre de projets territoriaux.
2. Les défis scientifiques actuels
Nous proposons d’illustrer quelques défis actuels de recherches en référence à ces grandes familles de questions traitant des interactions entre élevage et territoire. Le premier défi a trait à la façon d’aborder les services produits par l’élevage. Le deuxième explore comment l’écologie territoriale est susceptible d’aider au raisonnement de territoires plus autonomes, en partant des modélisations de flux de matières à cette échelle et des leviers d’activités par les différents acteurs. Le troisième défi porte sur l’émergence d’une pensée de la complémentarité entre modèles agri-alimentaires et de ce qu’elle implique en termes d’action publique et d’organisation visant à la maintenir. Enfin le quatrième défi concerne les modalités de redéfinition des activités d’élevage qu’impose l’idée de coévolution entre les attentes des acteurs des territoires et les dynamiques des systèmes.
2.1. Caractériser les bouquets de services rendus par l’élevage
L’élevage européen est sous le feu des projecteurs tant dans la littérature scientifique que dans les médias. Les impacts de l’élevage sont en réalité plus complexes à appréhender. Une abondante littérature, notamment avec le rapport de la FAO « Livestock Long Shadow » (Gerber et al., 2013) et le développement des ACV (Analyse de Cycle de Vie), s’est intéressée aux impacts négatifs de l’élevage sur l’environnement et le changement climatique. Un corpus récent mais croissant de littérature scientifique, mais aussi issus des différentes filières d’élevage, cherche à mettre en lumière les nombreuses contributions positives que l’activité d’élevage fournit aux acteurs des territoires, et plus largement à la société de façon à accéder à une vision équilibrée des services (positifs) et impacts (négatifs) de l’élevage dans les territoires. Les propositions de synthèse se développent comme celles de la « grange » (Duru et al., 2017), cadre d’appréhension des bouquets de services et impacts utilisés dans le cadre de démarches d’accompagnement de transitions territoriales de l’élevage (Bergez et al., 2018).
Nous détaillerons ici plus spécifiquement ce qui a trait à l’estimation des contributions positives de l’élevage. Ces contributions vont bien au-delà de la simple production de biens alimentaires et recouvrent les trois piliers de la durabilité. Les ruminants conduits en système herbager convertissent des biomasses non utilisables pour l’alimentation humaine en produits à haute valeur nutritionnelle. Ils contribuent à la fourniture de services écosystémiques et de biens publics hautement appréciés par les citoyens. Ils jouent un rôle essentiel dans la préservation de paysages patrimoniaux, de la biodiversité des milieux agricoles, la prévention des inondations et des feux et aussi à la vitalité rurale (Rodríguez-Ortega et al., 2014). Ces nombreuses contributions positives restent difficiles à quantifier. Elles n’ont pas de valeur marchande et sont généralement négligées par les décideurs et mal appréhendées par les citoyens.
Appréhender ces contributions de l’élevage demande un travail interdisciplinaire articulant des connaissances en zootechnie, économie, écologie et sciences humaines et sociales. Rendre visible ces contributions pour in fine les quantifier nécessite d’articuler deux approches assez différentes : celle des services écosystémiques et celles des services environnementaux (Ryschawy et al., 2015). Les services écosystémiques sont définis comme « les avantages que les Hommes retirent, directement ou indirectement, du fonctionnement des écosystèmes » (Costanza et al., 1997). Plus récemment, de Groot et al. (2010), élargissent cette définition pour considérer les services écosystémiques comme « les contributions directes et indirectes des écosystèmes au bien-être humain ». Les services environnementaux recouvrent une réalité différente car ils sont rendus par des agents économiques ce qui implique une relation d’intentionnalité entre un commanditaire et un prestataire ou bien entre un fournisseur et un usager ou bénéficiaire (Aznar, 2014). Les services environnementaux se focalisent sur les composantes environnementales telles que l’eau, l’air et la biodiversité. Dans la mesure où les Hommes retirent aussi des biens alimentaires et symboliques des écosystèmes, les services écosystémiques relèvent d’un champ plus vaste qui embarque également des services d’approvisionnement, des services culturels, des services de régulation et de soutien. Il n’existe pas à ce jour de terminologie pour évoquer conjointement ces deux catégories de services ; la notion de biens et services socio-éco-environnementaux a été proposée dans Ryschawy et al. (2017). Le terme de « contributions positives » englobe ces deux types de services tout en étant suffisamment simple et compréhensible par des acteurs non académiques.
Appréhender le fonctionnement d’un territoire rural en cherchant à expliciter et mesurer les contributions positives rendues par les activités d’élevage c’est faire l’hypothèse que l’activité d’élevage est essentielle au bon fonctionnement des territoires ruraux. En mesurant la fourniture de contributions jusqu’alors peu visibles, on apporte des arguments pour le maintien de l’élevage et la reconnaissance de ses multiples fonctions au-delà de la production de biens alimentaires. Expliciter ces contributions demande en premier lieu de les définir (i.e. énoncer verbalement) car on ne peut mesurer que ce qui est clairement défini. Se pose alors la question de quels sont les acteurs qui définissent les contributions rendues par l’activité d’élevage aux acteurs du territoire et plus largement à la société. Deux approches prédominent actuellement dans la littérature : une approche « externe » ancrée sur l’expertise d’individus n’appartenant pas au territoire et une approche « interne » ancrée sur les perceptions, connaissances et croyances des acteurs des territoires.
L’approche externe est celle mise en œuvre lors de la première étude française sur les services rendus par l’élevage (Ryschawy et al., 2015 ; Ryschawy et al., 2017). L’explicitation verbale des services rendus par l’élevage au sein des territoires a été réalisée par une douzaine d’experts de l’élevage. L’originalité de ce groupe d’experts est son caractère interdisciplinaire et interprofessionnel. Ainsi chercheurs zootechniciens, agronomes, sociologues, économistes et représentants professionnels des filières d’élevage (CNIEL, Interbev, ITAVI, IDELE, IFIP) définissent une liste de services à quantifier en confrontant leur expertise. Cette liste, appliquée à l’échelle de chaque département du territoire métropolitain, guide le choix d’indicateurs et la disponibilité des données conditionne la possibilité de quantifier ou pas les indicateurs de services. Cette batterie d’indicateurs apporte une évaluation ex-post des bouquets de services qui montrent les similarités ou dis-similarités des départements en termes de type de service présent et de niveau de fourniture. Mais pour juger, comparer ces bouquets il faut un critère également externe. La multifonctionnalité du bouquet est souvent le critère privilégié. On considère alors qu’un territoire durable est un territoire qui fournit à haut niveau le plus grand nombre de services.
L’approche interne met l’accent sur la demande sociale des acteurs. Elle pose comme postulat que la demande sociale diffère en raison d’intérêts divergents des acteurs, de leur motivation, de leur expérience et de leur connaissance des systèmes d’élevage. Dans cette approche la liste des services émerge des choix des acteurs. Différentes études académiques ou de terrain utilisent des méthodes d’évaluation socio-culturelles (Martín-López et al., 2012) pour expliciter les services à partir des préférences des acteurs. Un premier type concerne les méthodes dites consultatives qui capturent les perceptions et les préférences individuelles (enquêtes individuelles, entretien approfondi). Au niveau du territoire, les méthodes délibératives sont particulièrement adaptées en raison de leur dimension collective : focus group, questionnaire Delphi, évaluation participative, etc. Une revue de ces méthodes est proposée par Christie et al. (2012). In fine ces méthodes rendent visibles les arbitrages et les compromis entre contributions liés à leur interdépendances. Cette mise en visibilité des interdépendances entre différents types de services écosystémiques par exemple peut aider les acteurs à développer leur réflexivité et à construire un point de vue « partagé » sur ce qu’un territoire d’élevage peut offrir comme services à la société.
2.2. L’écologie territoriale : analyser le bouclage des cycles et le couplage agriculture-élevage pour améliorer l’efficience des activités
L’Écologie Territoriale (ET) est un champ de recherche né d’une réflexion sur la nécessité du bouclage des cycles de matières et d’énergie pour améliorer les performances environnementales et économiques des systèmes anthropiques. L’ambition de l’ET est de mieux comprendre et piloter les interactions entre société et environnement dans la perspective d’une transition agroécologique abordée sous l’angle du bouclage des cycles biogéochimiques (Buclet, 2015). En quantifiant l’exploitation des ressources, la production de biens et de déchets, cette approche permet d’évaluer simultanément l’efficience productive et environnementale d’un territoire considéré comme un système composé d’acteurs et de flux de matières (figure 1).
Figure 1. Représentation des flux de matière mobilisés par l’élevage (Méthodologie GRAFS - Generic Representation of Agro-Food Systems, d’après Billen et al., 2014).
La finalité des approches d’ET est d’identifier des leviers d’action technique (de substitution, de réutilisation, de bouclage de cycle...) et les modes de partenariat entre acteurs territoriaux (Erkman, 2001) permettant une plus grande autonomie du système, l’autonomie étant considérée comme un gage de durabilité. L’ET recouvre deux volets, d’une part, l’analyse du métabolisme territorial, c’est à dire le recensement des flux et stocks de matières et d’énergie qui permettent à un territoire de fonctionner et, d’autre part, l’analyse de la gouvernance de ces flux, leur inscription spatiale et socioéconomique (normes, réseaux d’acteurs…). Les dimensions matérielles, sociales et économiques sont prises en charge par une approche interdisciplinaire qui combine sciences de la terre et de la vie (écologie, bio-géochimie, agronomie…) et sciences humaines et sociales (gestion, économie, géographie…).
Ainsi des premiers travaux sur les cycles d’azote, de phosphore et de potassium liés à l’élevage ont été réalisés à différentes échelles d’organisation (communes, petites régions agricoles, départements et pays) en France, en Europe mais aussi au Brésil (Mignolet et al., 2001 ; Bonaudo et al., 2017 ; Dourmad et al., 2017). La figure 1 montre les principaux flux calculés. Des analyses de flux de l’élevage français montrent une forte intensification de l’élevage combinée à une bonne autonomie en fourrage et un déficit en concentrés principalement en tourteaux (Dourmad et al., 2017 ; Domingues et al., 2018). À l’échelle des petites régions agricoles ces travaux montrent de fortes hétérogénéités des productions animales et des autonomies alimentaires suggérant des échanges nationaux et internationaux importants donc une ouverture des cycles de nutriments (Dourmad et al., 2017). Au Brésil, l’étude des flux de N, P, K de l’industrie de l’élevage entre 1993 et 2013, montre une production en hausse accompagnée d’une utilisation accrue d’intrants (près de 4 % par an). Une internationalisation des flux, avec une augmentation absolue et relative des importations et des exportations, a aussi été mise en évidence. Entre 1993 et 2013, les importations de N, P et K sont passées, respectivement de 6 à 16 %, de 25 à 45 % et de 25 à 37 % du total des intrants. Les exportations de N, P et K ont suivi la même évolution avec une augmentation respective de 12 à 22 %, de 6 à 17 % et de 6 à 11 % de la production nationale (Gameiro et al., 2018).
Des travaux sur l’analyse du couplage agriculture–élevage et la coexistence de différents modèles agricoles mobilisent aussi l’écologie territoriale au travers de l’analyse de flux de matières et de leur gouvernance (Moraine et al., 2014 ; Moraine et al., 2016 ; Madelrieux et al., 2017).
2.3 Les modèles de développement dans les territoires : de la spécialisation à la coexistence
Les systèmes techniques, les ressources mobilisées (races, aliments…), ou encore le fonctionnement de l’industrie et les stratégies de ses opérateurs sont autant de dimensions conditionnant la structuration des activités d’élevage dans un territoire (Delfosse, 2007 ; Ricard, 2010). Afin de rendre compte de la façon dont les processus territoriaux et les mécanismes liés à la globalisation affectent, conjointement, les bassins de production, nous utiliserons comme modèle la production laitière. En effet, les processus de développement du secteur laitier peuvent être orientés vers des enjeux agro-industriels puissants d’envergure internationale, ou à contrario être portés par des acteurs locaux inscrivant leurs activités dans une perspective de développement local. Ces dynamiques sectorielles et territoriales, globales et locales des activités laitières se côtoient à l’échelle d’un territoire. Le devenir de ces activités peut influencer celui du territoire. Pour étudier ces processus, nous avons mobilisé la notion de modèle de développement, vu comme l’ensemble des interrelations entre les systèmes d’élevage, le marché, le territoire et les normes de production. Après avoir comparé l’évolution, sur le temps long, d’une dizaine de bassins laitiers à travers le monde (Napoléone et al., 2015), nous avons mis en évidence trois situations archétypiques quant au modèle de développement (Napoléone et Boutonnet, 2015).
Une première situation archétypique correspond à la permanence d’une dynamique de globalisation tout au long de l’histoire du territoire laitier : un produit générique (poudre ou lait sans référence au territoire), élaboré dans le cadre de systèmes d’élevage intensifs inscrits dans un système agro-industriel, distribué à des échelles de plus en plus larges (région, puis pays, puis continent). Le modèle en place est issu d’une dynamique top-down où les pouvoirs publics et l’agro-industrie imposent les normes en place. Un cas particulièrement illustratif de cette situation est celui du bassin de Salto, en Uruguay, depuis le début du XXème siècle (Correa et al., 2015). Les conditions territoriales matérielles ont permis le développement du bassin laitier : vastes étendues herbagères favorables à l’intensification des pratiques et situation du bassin au carrefour d’autres pays ayant favorisé les possibilités d’exportation du lait en poudre. Dans ces conditions territoriales favorables, les politiques publiques nationales ont impulsé le modèle de production intensive en étant à l’origine d’une demande en produit exportable et ont fait émerger une organisation spécifique du conseil soutenant son développement.
En France, la région Poitou-Charentes pour la production caprine, ou encore la Bretagne pour le lait de vache, ont connu, dans la seconde partie du XXème siècle, un développement s’inscrivant dans la même logique d’intensification, de concentration et de spécialisation de l’agriculture et de l’agro-industrie. Dans ces situations, le développement est orienté vers la mise en adéquation d’un type d’offre (produits standard, commodité) pour fournir un tel marché (circuits longs nationaux et export vers pays émergents). Ce diagnostic est opéré par des décideurs, à l’échelle nationale, qui mettent en œuvre les mesures incitatives pour orienter le développement de l’activité de la production à la distribution, voire à la consommation.
La deuxième situation archétypique correspond à la permanence d’une dynamique de territorialisation : un produit qui valorise les spécificités du territoire de production et les acteurs investis dans l’activité laitière, et vendu à l’intérieur du bassin laitier pour satisfaire la demande intra-bassin. Le développement du bassin laitier se fait dans ce cas dans une dynamique bottom-up, reposant sur les normes, valeurs et savoir-faire des éleveurs, qui s’inscrivent dans une culture alimentaire locale, partagée entre les producteurs, les transformateurs, les consommateurs. Cette culture commune renforce chemin faisant l’ancrage territorial des activités. Le cas brésilien du bassin de Brasil Novo illustre cette situation (Carvalho et Poccard, 2015). Depuis les années 1970, de nombreuses ressources territoriales y ont été activées pour la mise en place de ce modèle : savoir-faire et culture alimentaire d’éleveurs venus de régions voisines mettant en place des systèmes techniques rustiques, un marché urbain local captif, une ressource fourragère riche et abondante, des moyens de transport précaires pour la collecte ayant favorisé la vente directe ou la fabrication de fromages artisanaux. Dans cette situation, les politiques publiques ont soutenu cette dynamique d’ancrage par la mise en place de standards de transformation et de production ainsi que des normes de qualité. Le modèle de développement AOP français se rapproche de cet archétype, avec une valence forte du côté des savoir-faire (de production, de transformation) issues de traditions locales, une valorisation forte, identitaire, des produits dans le territoire de production mais également d’autres lieux de consommation.
La troisième situation archétypique correspond à la coexistence des deux dynamiques précédemment évoquées (globalisation et territorialisation) et des formes de développement qui leur sont associées. Cette coexistence peut prendre la forme d’une coprésence des deux modèles sur une période donnée répartis spatialement, de la présence successive de l’un puis de l’autre modèle, ou encore de la présence de modèles hybridant ces deux dynamiques. Le développement de la production laitière dans trois bassins français (les Quatres Montagnes, dans le Vercors ; le Pélardon dans les Cévennes Méridionales, le Livradois-Forez en Auvergne) est particulièrement illustratif de ces dynamiques (Houdart et al., 2015 ; Madelrieux et Alavoine-Mornas, 2015 ; Napoléone et Boutonnet, 2015). Dans ces situations, en complément des ressources extraterritoriales (financements européens par exemple), une grande diversité de ressources territoriales a été mobilisée par les acteurs des territoires et des filières, de façon spécifique en fonction de l’orientation du modèle de développement. Ainsi, l’enclavement du territoire et la présence d’une forte culture fromagère locale ont contribué au maintien du savoir-faire en lien avec la persistance d’une demande de produits traditionnels en zone. Avec l’évolution actuelle des formes de consommation, les critères de proximité et de localité gagnent du terrain et facilitent l’écoulement de ces produits au-delà des consommateurs locaux ; certaines parties de ces territoires ont été plus favorables à l’intensification des systèmes de production, à la construction d’infrastructures permettant le développement industriel pour la transformation de produits destinés aux circuits longs. On assiste alors à une diversité des normes de productions, les unes implicitement partagées entre producteurs et consommateurs dans le cadre de circuits courts ou valorisant les indications géographiques, les autres construites à une échelle plus large dans le cadre des politiques nationales et internationales sur des produits plus standardisés. Ces situations de coexistence semblent particulièrement favorisées par différentes formes d’action collective et de gouvernance locale qui peuvent se mettre en place. Les territoires, présentent des attributs et des ressources (sociales, matérielles, organisationnelles) ayant favorisé la diversité des modèles de développement. La diversité des formes de demande a contribué au développement d’une diversité de modèles. Notons enfin que les valeurs accordées, par la société (des producteurs aux consommateurs), aux modèles évoluent dans le temps et impactent le développement des territoires.
Finalement, tout modèle de développement d’un bassin de production (ici laitier) articule à la fois des attributs spécifiques des territoires de production, des filières et des systèmes d’élevage. Aucun modèle n’est évidemment géographiquement prédéterminé et plusieurs composantes majeures rendent compte des capacités d’un bassin de production à aller dans une direction ou une autre : la demande alimentaire, entre une demande en produits génériques destinés à l’exportation ou aux circuits longs nationaux et celle de produits qui renvoient à une proximité avec le consommateur (proximité géographique dans le cas d‘une demande intra-bassin ou proximité cognitive pour des ventes hors bassin qui n’excluent pas les circuits longs de distribution) ; la capacité des acteurs des filières, des territoires et des pouvoirs publics à l’échelle nationale à soutenir l’un ou l’autre de ces modèles, ou à maintenir leur coexistence sur un territoire. Le grand changement de ces dernières années est le sens que donnent les acteurs locaux à l’ancrage territorial de leurs activités avec la montée en puissance du rôle prescripteur de certains urbains et de plus en plus des collectivités territoriales. Il est moins question de savoir-faire ancrés dans les systèmes agraires que de proximité (de distance aux centres urbains, mais aussi de contact avec les producteurs) et de modèles agroécologiques ou biologiques visant le respect de l’environnement, du bien-être animal et le recours à un minimum d’intrants dommageables à la santé humaine. En France, les plans d’alimentation territoriaux se développent, donnant d’autres orientations aux formes de développement que celles sous-tendues par le secteur. Toutefois nous ne pourrions supposer le remplacement pur et simple d’un modèle sectoriel par un modèle territorialisé impulsé par la demande urbaine. Une diversité de forme de demandes existe et existera sans doute. La diversité des agricultures et des circuits de distribution sont des leviers pour répondre à la diversité des demandes, ce qui nécessite des dispositifs de gouvernance croisant des approches sectorielles et territoriales. Il n’y a pas de recette universelle. Nos travaux soulignent l’intérêt de reconnaître et mettre en valeur la diversité des ressources locales, dans un schéma de développement cohérent. Cette orientation nécessite la mise en place de moyens de suivi, d’analyses chemin faisant permettant de réguler la diversité de formes de développement garantissant dans le temps leur évolution harmonieuse.
2.4 Analyser la diversité des activités d’élevage et leur dynamique au prisme des interactions entre les acteurs du territoire
Les remises en cause des activités d’élevage sont de plus en plus souvent abordées dans des travaux de recherche et par des institutions de développement en considérant des controverses et des attentes envers ces activités (Delanoue et al., 2015). Si on peut clairement identifier les mises en questions adressées aux échelles englobantes et aux échelles locales, la notion « d’attente des acteurs des territoires » tend à réifier un processus incertain, dynamique et aux configurations « situées ». En effet, les modalités de mise en débat et de redéfinition des activités à ces échelles reposent sur des alliances et accords temporaires n’écartant pas la subjectivité, s’appuyant sur des connaissances partielles et fragmentaires imparfaitement partagées entre des acteurs qui mobilisent souvent comme cadre de référence la multifonctionnalité de l’activité agricole, « fruit de constructions sociales multiples et complexes » à cette échelle (Barnaud et Couix, 2017). Les espaces ruraux et les transformations des activités d’élevage sont peu fréquemment abordés sous cet angle (Eychenne, 2012 ; Grison et al., 2015).
Dans le cadre du projet ANR « mouve », nous avons conduit un ensemble de travaux visant à analyser les enjeux et modalités de redéfinition des activités d’élevage sous l’effet de politiques territoriales dans des territoires d’élevage contrastés. Nous mettons ici en regard les principaux résultats publiés concernant deux terrains français : Vercors (Dobremez et al., 2015) et Haut Verdon (Lasseur et Dupré, 2017). Très globalement dans ces situations concernant essentiellement l’élevage de ruminants, les problématiques impliquant l’élevage dans les politiques territoriales concernent explicitement l’usage du territoire, la conduite du pâturage et l’intensification fourragère en lien à des dimensions plus implicites d’installation et d’inclusion sociale. Nous analysons ici les points de vue d’acteurs locaux sur l’élevage entre convergences et points en débat ainsi que les remises en causes et les transformations de l’activité. Nous discutons ensuite des dispositifs dans lesquels s’expriment les acteurs et ceux qu’il conviendrait de mettre en place pour conforter le futur de l’élevage dans le cadre des politiques territoriales.
Les points de vue des acteurs des territoires se distinguent souvent nettement de ceux des acteurs sectoriels. Ainsi, les enquêtes conduites auprès d’acteurs non agricoles et agricoles sur le territoire du Parc Naturel Régional du Vercors (Dobremez et al., 2015) montrent une grande diversité de points de vue sur ce que devrait être l’élevage dans le territoire du parc. D’une part, des visions sectorielles opposent i) une vision de l’élevage considéré avant tout comme une activité économique qui doit faire vivre les agriculteurs et qui de facto en montagne est positive pour l’environnement et les paysages à ii) une vision considérant que cette agriculture ne se différencie pas fondamentalement de l’agriculture de plaine et qu’elle doit être encadrée pour ne pas permettre la dégradation de la nature. D’autre part, dans une analyse plus portée par des dimensions territoriales se distinguent i) une vision considérant l’élevage comme le moteur du développement économique et culturel du territoire et ii) une vision le considérant comme devant accompagner le vrai moteur économique du développement qu’est le tourisme. Ces quatre idéaux types traduisent bien les oppositions entre des visions d’acteurs du secteur agricole, une vision portée par des acteurs de l’environnement (prônant le contrôle d’une activité humaine de facto destructrice de nature) et enfin, des visions plus intégrées qui posent l’élevage comme pilier direct du développement territorial voire plus indirectement comme inféodée à une activité touristique pour laquelle l’élevage est un vecteur d’image et d’identité du territoire. Enfin, la plupart des acteurs décrivent l’élevage comme une activité indifférenciée qui ne reflète pas la diversité des systèmes présents. Ces divergences de vision et l’absence de représentation d’une diversité des formes d’activité d’élevage illustrent bien, d’une part, la nécessité de formalisation plus poussée des formes de l’activité et, d’autre part, d’espaces de confrontations de points de vues des acteurs. Elles soulignent toute l’importance pour les acteurs de l’élevage d’être présents dans les arènes où se tiennent ces débats. Les arbitrages réalisés entre des options de contrôle de l’activité vs libéralisme économique d’une part et d’autre part activité vectrice de développement territorial vs simple vecteur d’image identitaire « inerte » se traduisent à terme en modalités d’actions de soutien à l’activité très différentes.
Ces visions de l’activité sont évolutives, vectrices de remises en causes et de transformations futures. Ainsi, les perceptions des activités d’élevage par les acteurs du territoire du Verdon (Alpes de Haute Provence) sur la base d’enquêtes réalisées en 2012 font percevoir des clivages proches de ceux observés dans le Vercors (Dupré et al., 2017 ; Lasseur et Dupré, 2017). Toutefois les oppositions entre conduite de l’activité et protection de l’environnement ainsi que vis-à-vis d’une subordination de l’activité d’élevage à l’activité touristique ne se sont pas exprimées de manière tranchée. Ceci est essentiellement dû aux orientations très pastorales de l’activité définies en convergence avec les acteurs de l’environnement et gestionnaires territoriaux dès les années 1990 (Garde et al., 2014), laissant quelquefois penser que la mutation multifonctionnelle de cet élevage était opérée et la reconnaissance sociale acquise. Ces convergences de vues ont alors elles-mêmes contribué à reconfigurer les systèmes pour aller vers une production renforcée de services environnementaux en particulier autour des enjeux de biodiversité et de maintien des milieux ouverts. Le développement récent de la population de loups a remis en cause ces visions convergentes. D’une part, en remettant en cause l’idée initialement partagée que la forme d’activité d’élevage mise en œuvre était « bonne pour l’environnement » alors qu’elle se révèlerait, pour certain, incapable de composer avec une espèce emblématique de biodiversité sauvage. D’autre part, l’idée que cet élevage confortait de facto l’évolution de l’économie locale vers la production d’un espace dédié au tourisme vert et aux activités de pleine nature est sévèrement reconsidérée. La mise en place de mesures de protection des troupeaux et la présence massive de chiens de protection déclenche des conflits d’usage et une opposition frontale entre les deux activités. L’élevage n’est alors plus seulement le support inerte de l’identité territoriale qui pouvait être perçu par certains mais aussi une activité qui doit s’assurer du maintien de ses capacités productives en s’adaptant aux évolutions de ses conditions d’exercice. Ces dernières conduisent à une remise en cause d’un consensus local et à un travail de redéfinition des interactions aux acteurs locaux voire de redéfinition des formes futures des activités d’élevage.
Les capacités à intégrer les intérêts d’un ensemble de porteurs d’enjeux et à défendre ses propres intérêts nécessitent donc des lieux d’articulation entre les acteurs locaux et les acteurs de l’élevage présents, dans leur diversité, pour accompagner l’émergence d’alternatives permettant d’assurer renouvellement de l’activité et sa contribution au renforcement de la durabilité territoriale. Les lieux et conditions de redéfinition de l’agriculture périurbaine dans le cadre de politiques territoriales sont l’objet de travaux nombreux (Jarrige et al., 2006 ; Guiomar, 2011 ; Ruault et Vitry, 2017). Ces auteurs insistent, d’une part, sur la faible participation des agriculteurs aux processus d’interaction dans les arènes locales liées aux politiques publiques de gouvernance et planification territoriale. D’autre part, ils soulignent le caractère très fragmentaire de la connaissance des acteurs du territoire des activités agricoles et sur la prééminence d’images de ce que devrait être l’agriculture au détriment de préoccupations sur les conditions de la pérennité de l’activité. Enfin, ils pointent la faible vision d’une diversité des formes d’exercice de l’activité agricole peu relayée par les acteurs agricoles et vectrice au sein de la profession de divergences de points de vue sur ce qu’il convient de faire pour la conforter.
Des recherches conduites en Amazonie brésilienne (Cialdella et al., 2015), et en pampa uruguayenne (Sabourin et al., 2015), où les enjeux de coupler développement de l’activité et modèles de développement inclusifs à l’échelle des territoires s’expriment fortement, illustrent la nécessité de renforcer de tel dispositifs concernant l’élevage et les conditions de ses redéfinitions en milieu rural. Ainsi, en Amazonie, les remises en cause de l’élevage de bovin et de ses interactions avec les espaces forestiers conduit à la recherche d’alternatives aux formes d’élevage pionniers en place. La faiblesse des lieux permettant l’articulation entre les acteurs locaux et la diversité des types d’éleveurs présents sur le territoire handicape l’émergence d’alternatives permettant de concilier gestion des questions environnementales et l’affirmation d’un secteur d’activité d’élevage permettant l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté (Cialdella et al., 2015). En effet les alternatives émergentes largement promues par les éleveurs les plus capitalistiques sont basées sur de fortes capacités d’investissement pour relocaliser l’élevage et promouvoir une intensification fourragère inspirant un « land sparing » et promouvant l’exclusion sociale de petits producteurs. En Uruguay, la mise en œuvre de politiques de décentralisation remettant en question une politique de développement agricole très sectorielle basée sur l’agro-industrie et l’exportation est analysée par Sabourin et al. (2015). Cette analyse met en évidence la forte opposition entre modèles agricoles familiaux et industriels ainsi que la nécessité de mettre en place des espaces d’échanges entre acteurs territoriaux et éleveurs permettant d’éviter l’isolement des éleveurs familiaux, leur enfermement dans une logique identitaire et de résistance perçus par une frange des acteurs locaux comme les défenseurs d’un modèle archaïque qui se voit ainsi privé de pistes d’avenir.
3. Les recherches sur les interactions élevage-territoire, quelques perspectives
S’appuyer sur des échelles intermédiaires entre l’exploitation agricole et le système terre permet de produire des argumentaires sur les activités d’élevage et accompagner les transformations de l’activité dans une perspective de conforter sa contribution à la durabilité territoriale. Ces approches s’accompagnent d’un élargissement du spectre des acteurs, des modalités de formalisation des connaissances, des critères d’analyse et des dispositifs observés dans le cours des recherches en regard de ce qui est usuellement pratiqué lorsqu’on se centre sur des enjeux agronomiques ou de filière. L’incidence de ce déplacement sur les formes de connaissances scientifiques produites et les modalités d’accompagnement des transformations de l’activité nous semble deux enjeux particuliers pour les recherches futures.
3.1. Le territoire : un nouvel horizon de pluridisciplinarité entre zootechnie et sciences sociales
Les références au « territoire » reposent sur l’identification d’une nouvelle échelle d’évaluation ou de mesure d’impact des activités (le paysage, l’espace par différence avec les échelles plus usuelles en sciences biotechniques – comme le système de culture à l’échelle parcellaire ou système d’élevage à l’échelle du troupeau). Les dimensions territoriales sont dictées par des objets largement initiés et pilotés par la recherche. Les questions portent alors sur la caractérisation des activités et de leurs impacts à différentes échelles spatiales que ce soit sur les émissions de GES, la consommation d’énergies fossiles, l’érosion de la biodiversité, dimensions considérées séparément ou combinées au travers d’analyses multicritères. De tels travaux contribuent à la décision publique au travers de l’élaboration de normes contribuant à fixer les modalités des activités en réponse à des problèmes souvent définis en amont de ces recherches.
Le territoire constitue un espace sur lequel un ensemble d’acteurs, dont ceux de l’élevage, définissent les modalités des activités humaines (les ressources sur lesquelles elles s’appuient et les modalités de leur gouvernance). Ces travaux se spécifient d’autant plus qu’ils considèrent l’élaboration de projets à l’échelle de territoires et que les activités des acteurs de l’élevage y sont référées. Les conditions de la convergence entre ces dimensions collectives et transectorielles et la contribution des activités et acteurs de l’élevage aux « attentes » qui s’expriment dans ces projets sont centrales. Ces recherches sont résolument situées. Elles composent avec la subjectivité des acteurs des territoires et visent à caractériser diversité et transformations des formes d’activités en regard d’attentes multiformes et dynamiques. Elles concourent à la gouvernance territoriale en contribuant, à différentes échelles, tant à la définition des problèmes à traiter pour l’action publique que des solutions, dans un processus dynamique visant à favoriser la coévolution entre attendus sociétaux et formes des activités, dimension fondamentale de sa durabilité.
Les recherches conduites sur le territoire sont ainsi en tension sur un gradient tiré d’une part, vers des mesures d’objectivation de l’impact des activités humaines dans un contexte de changement global et, d’autre part, vers une compréhension, intégrant toute la subjectivité des acteurs de ce sur quoi l’élevage est attendu à l’avenir. Ces deux types de recherche coexistent dans le département de recherches Sad de l’INRA, un enjeu pour l’avenir est d’en conforter les conditions de renforcement mutuel pour contribuer avec les acteurs concernés à penser l’avenir de l’élevage dans les territoires.
Un domaine relativement peu exploré par la recherche et pourtant présent dans les débats d’acteurs est celui des interactions entre élevage, travail et territoire. Le terme travail étant assez large (emploi, organisation, conditions de travail, attractivité…), nous nous appuyons ici sur la synthèse proposée par Servière et al. (2018) pour décliner plusieurs pistes de travail. La première porte sur « les réseaux professionnels, associatifs, familiaux ou de voisinage dans lesquels les agriculteurs trouvent une reconnaissance sociale et professionnelle ». Dufour et al. (2016), interrogent leurs propres conditions de travail et les normes de ce qui fait un travail vivable. Mais dans lesquelles ils trouvent également des ressources pour leur activité notamment pour développer des actions collectives qui renouvèlent les formes de travail en commun (Lucas et al., 2014) ou qui tissent de nouveaux rapports entre producteurs et consommateurs autour des produits locaux et des façons de produire qui conviennent. La deuxième renvoie aux caractéristiques des bassins d’emploi et leur impact sur les combinaisons d’activités des ménages et la nature des collectifs de travail (agriculteur seul permanent, le conjoint travaillant à l’extérieur ; opportunité d’embauche de salarié d’origine locale). L’adaptation à l’échelle de territoires de la démarche de quantification des emplois directs et indirects liés à l’élevage, testée à l’échelle nationale (Lang et al., 2015) serait une autre contribution objectivant l’importance du secteur dans l’emploi local et les perspectives selon le développement de tel ou tel modèle d’élevage. Tous les modèles n’ont en effet pas le même impact sur l’emploi : l’accroissement de la productivité du travail permis par l’agrandissement des exploitations que l’on observe depuis plusieurs décennies est associé à une perte régulière de la main d’œuvre. De même, tous les modèles agricoles ne requièrent pas les mêmes compétences et savoirs faire (managériales, technologiques, de rapport à la nature et aux animaux). Enfin, les dynamiques territoriales touchent les questions de reprise et d’installation d’une part et de cessations anticipées d’autre part notamment au travers des questions de politiques foncières tant urbaines que rurales (Barrière, 2015), d’infrastructures mais aussi d’opportunités de reconversion professionnelle.
3.2 Accompagner les transitions territoriales : un nouveau défi scientifique
Si le territoire est une entité abordée du point de vue de la conception de nouveaux projets concertés, un nouveau courant de recherche s’intéresse aux « transitions territoriales » c’est à dire aux cadres théoriques et aux outillages qui permettent d’accompagner les acteurs d’un territoire dans un processus de changement radical quant à la conduite de l’activité d’élevage et vis-à-vis des fonctions que doivent assumer l’activité d’élevage pour le développement territorial (qu’il s’agisse de l’environnement, de l’alimentation, de l’identité locale ou du développement économique). Ce changement radical est nourri de contributions à l’échelle de l’exploitation agricole (Coquil et al., 2018), des filières (Magrini et al., 2016) et des systèmes d’innovation (Touzard et al., 2014). Ces travaux montrent que les processus de changement ne sont pas linéaires, qu’ils sont marqués par une relative incertitude sur l’effet des actions et que le travail de reconstruction de nouvelles normes d’action qui rassurent les acteurs sur leur capacité de coordination et de gouvernance est sensible. Les transitions territoriales, par exemple vers l’agroécologie, présentent des spécificités en termes d’acteurs concernés (agriculteurs, filières, collectivités territoriales, ONG environnementales et/ou porteuses d’innovations alimentaires), de prise en compte de la diversité des systèmes et des rapports à l’espace (proximité, distance). Soulignons quelques recherches récentes sur les options de gouvernance de l’intégration des activités cultures et élevage – qui mettent en avant l’intérêt de la gouvernance polycentrique (Moraine et al., 2017), la redéfinition du lien entre diversification des productions agricoles et alimentation locale dans le cadre de « living labs » ouvert à des acteurs de la société civile (Coquil et al., 2018). De nouvelles propositions conceptuelles émergent pour la conception de ce que pourrait être une transition agroécologique à l’échelle d’un territoire, visant l’accroissement de la diversité et de la connectivité entre éléments du système et des services produits par les écosystèmes (Duru et al., 2015) avec des propositions d’outillage et d’accompagnement du processus. Ces propositions portent notamment sur la définition collective de la problématique, le choix des partenaires de terrains et des acteurs participants, et la préservation de marges d’adaptation du dispositif chemin faisant (Audouin et al., 2018). Dans certains territoires, la transition agroécologique amène les chercheurs à explorer plus finement la contribution de systèmes ou de modèles agricoles ou alimentaires « négligés » voire considérés comme peu porteurs d’avenir par le monde socio technique dominant, comme les formes très diversifiées et intégrées d’agriculture et d’élevage des petites exploitations familiales aux Antilles. Il s’agit alors de leur donner une visibilité et un rôle dans un processus de changement territorial qui ne saurait reposer uniquement sur la transformation (même vertueuse) d’un modèle dominant.
Ces enjeux à mieux inscrire les activités agricoles et d’élevage dans des territoires de projet, pose aussi des questions en termes de dispositifs d’action publique et de leurs évaluations. Ainsi, la politique agricole commune constitue un soutien très structurant des activités d’élevage et de leurs dynamiques. Dans le cadre des mesures de développement rural, le second pilier de la P.A.C., les dispositifs Leader sont explicitement orientés vers le soutien d’initiatives territoriales, donc non sectorielles, de nature à conforter l’émergence d’actions insérées dans des projets de territoires. Ces dispositifs auxquels ne sont réservés que 5 % de l’enveloppe du second pilier sont très marginaux en termes de montants distribués en regard de dispositifs tels l’Indemnité Compensatoire de Handicap Naturel, qui pour les régions concernées est massivement orienté vers un soutien à l’élevage. Ces dispositifs Leader dans leur configuration actuelle restent limités quant à leurs capacités à enrôler une large gamme d’acteurs. Ils mériteraient d’évoluer pour soutenir plus efficacement des projets de développement local (Chevallier et Dedeire, 2014), ils constituent toutefois une des rares supports d’incitations financières intégrant spécifiquement les activités agricoles qui soit explicitement dédié à favoriser l’inclusion des activités aux territoires dans lesquelles elles s’inscrivent. Ce dispositif touche toutefois moins les agriculteurs, peu présents, que d’autres acteurs économiques du monde rural (Berriet-Solliec et Trouvé, 2013). On peut penser que les déséquilibres financiers entre des dispositifs sectoriels, tel l’ICHN, relativement « conservateurs » en visant le maintien de l’activité, soient dissuasifs de l’investissement d’acteurs agricoles dans des dispositifs transectoriels, tels ceux qu’impulsent les programmes Leader. En effet si l’élevage est clairement perçu à l’échelle de nombreux territoires pour son importance culturelle et comme vecteur d’identité, les débats peuvent être vifs sur les perspectives d’évolution de l’activité et les différentes formes que celle-ci pourrait (ou devrait ?) revêtir pour mieux s’inscrire dans un développement durable et inclusif des territoires. Pour conforter les activités d’élevage dans leurs contributions au développement durable des territoires, un intérêt accru devrait être porté aux évaluations des soutiens publics dans leur caractère incitatif à l’inscription des éleveurs dans des dispositifs de gouvernance territoriale promouvant l’innovation.
Conclusion
Le développement de l’élevage peut être pensé en référence aux enjeux planétaires (environnement, demande alimentaire) et à la nécessité de renouveler nos modèles de production y compris en y ajoutant, dans les sociétés occidentales, la question du bien-être animal. Notre proposition est de compléter la réflexion en mettant à jour ce qui relie l’élevage et les territoires, au-delà de l’idée que ce qui se décline de ces modèles en Amazonie ou en Mongolie, mais aussi en Bretagne et dans les Alpes ne sera pas identique. La notion de territoire, autour du triptyque espace, acteurs et activités, mais aussi comme objet de l’action publique et comme porteur d’actions collectives permet d’aborder d’autres dimensions du futur de l’élevage. Certaines sont désormais bien étayées comme l’estimation des services écosystémiques rendus par l’activité (Dumont et al., 2017) ou l’incorporation de composantes du territoire dans des signes de qualité différentiés (Marie-Vivien et al., 2017).
Mais parler du territoire suppose d’envisager la co-construction du futur de l’élevage portée par la confrontation ou la coordination d’acteurs hétérogènes, de la sphère agricole, des filières mais également de la société civile et des collectivités territoriales qui expriment ce que serait pour eux une durabilité élargie de l’élevage, congruente avec les enjeux de développement territorial. C’est aussi intégrer ce qui fait diversité et dynamiques des systèmes d’élevage ou des modèles qui en rendent compte que ce soit des modèles techniques, des modèles précisant le lien à l’aval (transformation distribution, consommation, ou type de circuits) ou des modèles reliant les dimensions techniques, structurelles et de conception du métier (Ploeg Van der, 1994 ; Lémery, 2003). Penser le territoire c’est renoncer à considérer une exploitation moyenne, un modèle dominant (qu’on le soutienne ou l’abhorre) pour s’intéresser aussi aux modèles alternatifs à leur localisation, aux ressources qu’ils mobilisent et aux propriétés que confère, ou non, la coexistence des différents modèles à l’échelle globale.
Ainsi « penser global, agir local » nécessite d’associer, aux grands enjeux mondiaux, la reformulation de ceux-ci dans un espace donné en considérant un système d’acteurs développant dans son territoire une pensée autonome » de la durabilité. Ceci implique aussi que les acteurs locaux, au-delà de ceux des filières, contribuent à la définition des trajectoires de développement de l’élevage qui iraient dans le sens de la durabilité des territoires. Il y a donc des enjeux à intégrer, dans l’approche du changement, ce que peuvent apporter des processus de gestion concertée entre acteurs agricoles, de filière et acteurs non agricoles explorant les synergies et dépassant les « trade-off » (Cramer et al., 2017). Le territoire est une échelle d’action publique qui prend de plus en plus d’importance, c’est également une échelle d’action collective et d’approche des transitions (Geels, 2002) entre acteurs du secteur de l’élevage et avec d’autres catégories d’acteurs qui semblent de plus en plus pertinente à considérer.
Remerciements
Une partie des résultats présentés dans cet article sont issu du projet Mouve qui a reçu le soutien de l’ANR (Mouve : ANR-2010-STRA-005-01). Merci aux départements SAD de l’INRA et ES du CIRAD pour le soutien au séminaire permanent « élevage et territoire ».
Notes
- https://umr-selmet.cirad.fr/seminaires/seminaire-permanent-elevage-et-territoires
Références
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Résumé
Les leviers susceptibles de conforter la durabilité de l’élevage concernent i) la capacité du système considéré à se maintenir en conservant ses capacités productives et en renouvelant les ressources dont ils dépend, en répondant aux enjeux économiques et de filières : l’efficience est alors au centre des évaluations ; ii) la capacité de l’activité d’élevage à intégrer au-delà de ses intérêts propres celle d’un ensemble des porteurs d’enjeux qui l’environnent : les interactions à l’échelle des territoires sont alors au centre des analyses. A partir de l’analyse transversale de travaux associant l’agronomie – zootechnie, la géographie et la sociologie sur des terrains français et étrangers nous identifions trois dimensions particulières pour les recherches concernant les interactions élevage et territoire : i) la mesure des impacts des activités sur des espaces continus, ii) l’analyse de la diversité des activités permettant de relier « local et global », et iii) l’étude des interactions entre acteurs d’un territoire pour favoriser l’émergence d’innovation renforçant la durabilité territoriale. Cinq études de cas illustrent ces défis actuels de la recherche sur les interactions élevage et territoire en ce que ces approches amènent aux débats sur le futur des recherches sur l’élevage. Les recherches conduites sur le territoire sont en tension sur un gradient tiré d’une part vers des mesures d’objectivation de l’impact des activités humaines dans un contexte de changement global et d’autre part vers une compréhension, intégrant toute la subjectivité des acteurs de ce sur quoi l’élevage est attendu à l’avenir. Il ne s’agit pas pour nous d’opposer ces orientations de recherche mais, de faire jouer leurs complémentarités en les situant dans un nouveau courant de recherche qui s’intéresse aux « transitions territoriales » c’est à dire aux cadres théoriques et aux outillages qui permettent d’accompagner les acteurs d’un territoire dans un processus de changement.
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