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Rapports humains-animaux en élevage : regard croisé de l’ergonomie et l’éthologie appliquée

Dans une vision transdisciplinaire, ergonomie et éthologie apportent une compréhension opérationnelle des freins et leviers à la mise en place de pratiques relationnelles des éleveurs avec leurs animaux. Entre des pratiques de travail « prescrites » et la réalité des conditions de travail, entre travail et vie personnelle, entre adaptation et régulation, l’enjeu de cette réflexion est de permettre d’identifier différents leviers d’actions propices à la construction d’une relation humains-animaux visant un bien-être interdépendant1,2.

Introduction

Dans de nombreux pays, des citoyens, des ONG et des médias remettent de plus en plus en question les systèmes d’élevage pour des animaux reconnus légalement comme sensibles (par exemple, en Europe, Amérique du Sud, Australie) (Delanoue et al., 2018 ; Buddle & Bray, 2019 ; Leone, 2020). Cette reconnaissance marque également un changement de paradigme. Notre société, passe de la simple protection des animaux contre les actes de cruauté, de négligence et de maltraitance, à la prise en compte de leur bien-être et à la volonté de leur offrir une « vie digne d’être vécue » (Mormède et al., 2018 ; Mellor & Beausoleil, 2019). Dans ce contexte, les éleveurs sont confrontés à des défis croissants en matière de responsabilité sociétale, sanitaire et environnementale mais aussi en matière de bien-être animal suivant des standards reconnus internationalement.

Ces évolutions peuvent susciter pour l’éleveur une réflexion sur ce qu’il aspire à être, sur ce qu’il peut et ne peut pas faire (Clot, 2015) au vu des moyens de travail dont il dispose et des normes qui pèsent sur lui. D’ailleurs, il peut être lui-même à l’initiative de pratiques favorables au bien-être animal au-delà des aspects réglementaires. Cette réflexion est d’autant plus importante dans un contexte de taille croissante des troupeaux et de progrès technologiques, notamment avec l’automatisation des tâches d’élevage et la surveillance animale. Ces technologies sont développées comme des outils pour faciliter le travail, en particulier pour les tâches difficiles ou routinières de l’exploitation agricole. Elles mettent à l’épreuve les relations humains-animaux parfois en éloignant physiquement les éleveurs de leurs animaux. (Hostiou et al., 2017). Ainsi, cette vision parfois déshumanisée de l’élevage des animaux, soulève des questions éthiques et identitaires pour l’éleveur, ainsi que des questions plus pragmatiques et organisationnelles concernant la nature changeante de son travail.

Dans ce rapport humains-animaux, le concept de « bien-être animal » fait écho au concept de « bien-être humain », ici le bien-être de l’éleveur au travail. La conceptualisation systémique de l’élevage et du bien-être animal offre l’occasion de réunir deux disciplines qui se sont jusqu’à présent peu croisées : l’éthologie appliquée et l’ergonomie de l’activité.

Encadré 1. Définition de l’éthologie.

L’éthologie étudie le comportement animal (y compris le comportement humain) ainsi que ses déterminants physiologiques, psychologiques et environnementaux. Le comportement peut être défini comme un ensemble cohérent de manifestations motrices organisées et observables à un endroit et à un moment donné. Il peut également être défini comme l’interface observable entre un animal et son environnement physique et social, et comme l’un de ses principaux moyens d’adaptation (Campan & Scapini, 2002).

Encadré 2. Définition de l’ergonomie.

L’ergonomie, du grec ergon (travail) et nomos (loi), est l’étude du travail, des facteurs de travail et des environnements favorables au travail dans le but d’améliorer la santé au travail et la productivité organisationnelle (Dul et al., 2012).

L’éthologie appliquée a produit de nombreuses études publiées au cours des quarante dernières années sur la relation humain-animal d’élevage (Mellor & Beausoleil, 2019 ; Rault et al., 2020 ; Jardat & Lansade, 2022). À notre connaissance, à part quelques exceptions (Cromer & Beaujouan, 2019 ; Cromer et al., 2022 ; Hubault et al., 2023), c’est moins le cas en ergonomie de l’activité pour les travaux scientifiques s’intéressant à la relation humain-animal par le prisme du travail et ses exigences concrètes. Cela explique pourquoi nous élargissons notre perspective aux travaux ancrés dans le domaine des sciences humaines et sociales tout en les questionnant. Nous nous concentrons sur les travaux scientifiques convoquant une approche ergonomique de l’activité questionnant la relation dans le travail avec autrui (Cerf & Falzon, 2005), autrui qui peut être l’humain, ou l’animal dans le cadre de cet article.

L’éthologie appliquée et l’ergonomie de l’activité abordent le travail de l’éleveur sous deux angles : la perspective animale et celle du travailleur. Cependant, ces deux disciplines doivent simultanément prendre en compte les déterminants à la fois humains et animaux pour devenir véritablement systémiques et répondre aux questions soulevées par la démarche compréhensive de ce qui se joue entre les humains et les animaux et de ses conséquences. Comment les cadres conceptuels et les connaissances en éthologie sur les animaux d’élevage peuvent-ils influencer les conceptions du travail de l’éleveur en ergonomie ? De même, comment les conceptions en ergonomie de l’activité de travail de l’éleveur peuvent-elles influencer les recherches en éthologie ?

Dans cet article, nous questionnons l’intérêt d’une approche transdisciplinaire d’analyse des relations humains-animaux dans un contexte d’élevage par le prisme de l’étude des pratiques relationnelles. Nous décrivons brièvement leur ancrage conceptuel en nous basant sur ce que nous considérons comme des articles scientifiques clés, ou récemment publiés dans chaque champ disciplinaire. Notre approche est construite sur la base de concepts empruntés aux deux disciplines.

1. Ergonomie et relation humain-animal dans le travail en élevage

1.1. Concepts fondamentaux en ergonomie

Notre propos s’inscrit ici dans la perspective d’une ergonomie centrée sur l’activité. Elle se concentre notamment sur ce que les travailleurs doivent faire (tâche prescrite) et ce que cette tâche leur demande pour la faire sur le plan moteur, cognitif et émotionnel (l’activité réelle) dans un ensemble de conditions définies (ressources humaines, temporelles, organisationnelles, techniques…). De cette perspective, tout travail, y compris le travail de l’éleveur (Cerf & Sagory, 2004), mobilise les facultés physiques, cognitives et subjectives du travailleur. Autrement dit, l’activité de travail consiste pour le travailleur à mener à bien une tâche en prenant en compte à la fois les contraintes et les ressources internes et externes. Les exigences sont variées et souvent en tension, voire contradictoires. En ce sens, l’activité de travail est toujours un arbitrage, un compromis qui laisse des traces entre ce qui a effectivement été fait et ce qu’il aurait été possible de faire autrement. Ainsi, l’activité est finalisée, considérée comme étant toujours singulière, spécifique à un individu dans un contexte particulier (Daniellou & Rabardel, 2005). Enfin, la relation entre le travailleur et l’objet de son travail en matière d’objectifs à atteindre est médiée par les dispositifs techniques, les schèmes individuels et leur organisation, eux-mêmes marqués du contexte social, culturel et historique du sujet. Elle comporte ainsi toujours une dimension collective.

Le passage « par l’analyse de l’activité » est incontournable en ergonomie pour travailler le double enjeu de bien-être/santé des travailleurs et de performance des organisations (efficacité, efficience, rentabilité, fiabilité…). Cette analyse inclut dans notre propos le bien-être/santé des animaux. Dans cette perspective, l’ergonomie de l’activité postule que la santé est quelque chose que nous pouvons construire plutôt que quelque chose qui se dégrade : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi » (Canguilhem, 2012).

Encadré 3. Regard de l’ergonomie d’activité sur la santé au travail.

La santé au travail renvoie au pouvoir d’agir, aux possibilités qu’a l’éleveur d’y être pour quelque chose dans ce qui (lui) arrive, de pouvoir participer à la transformation des situations de travail qui font problème. Ainsi, santé et activité sont indissociables : « il ne peut pas y avoir de bien-être [au travail] sans bien faire [son travail] » (Clot, 2015).

1.2. Quel cadre conceptuel apporte l’ergonomie d’activité dans l’étude du travail de l’éleveur avec ses animaux ?

Dans le présent article la relation humains-animaux en élevage est appréhendée en ergonomie par le prisme du travail dans des contextes multifactoriels. Nous l’envisageons comme une « rencontre » entre une personne particulière (l’éleveur), porteuse de subjectivité (spécificités, histoire, rapport au monde) et un ensemble de déterminants (règles, outils, matières premières, environnement matériel, collègues, ou encore plus spécifiquement un ou des animaux) avec lesquels elle va devoir « composer » (Coutarel et al., 2005). Sous cet angle, étudier la relation humains-animaux dans le travail d’élevage suppose d’adopter une approche systémique et subjective appréhendant ce qui fait contrainte et ressource dans et par le travail. Les animaux sont considérés non seulement comme ressources et/ou comme finalités de la production, mais aussi comme contraintes, ou éléments facilitateurs du travail par leur comportement. Ils sont ici abordés comme des déterminants structurants de l’activité de l’éleveur.

Le travail d’élevage apparaît comme un travail de relation, car « bien faire » son travail en présence des animaux questionne la place particulière que ces derniers occupent in situ. L’animal est « objet du travail » de l’éleveur, ce sur quoi porte l’activité du travailleur, par exemple parer les onglons d’une vache. Il est aussi « moyen » de son travail au sens d’une aide potentielle dans sa réalisation. Ainsi, parer un onglon dans une cage de contention ne peut s’imaginer sans la participation active de la vache pour qu’elle y entre, impliquant une réflexion dialectique à la fois sur les besoins du travailleur (sa situation de travail) et sur l’animal (sa situation de vie).

Quelques travaux menés dans le champ de la prévention des risques professionnels (Fortune & Dassé, 2014 ; Lindahl et al., 2015) ont déjà pu questionner la place de la relation humains-animaux au service d’enjeux de santé, de sécurité et de bien-être pour l’éleveur et pour les animaux. Ils mettent l’accent notamment sur la pression au travail, le temps passé à leur contact lors des manipulations à risque, la formation à la manipulation prenant en compte leurs réactions ou encore la conception des outils de contention. Du côté de l’ergonomie, des tentatives ont été faites pour intégrer les animaux en tant que facteurs incontournables à considérer dans la compréhension et la conception du travail. Cependant, il y a encore très peu de données scientifiques concrètes sur la question (Abadia & Mirabito, 2003), malgré quelques travaux récents (Cromer & Beaujouan, 2019).

Dans d’autres secteurs (p. ex. hospitalier) des travaux en ergonomie se sont intéressés à la place d’autrui dans les activités de relation de service. Les études ont historiquement adopté quatre approches (Falzon & Lapeyrière, 1998). Elles questionnent avec plus de recul la conception de la relation humains-animaux au travail et la focale d’analyse que cette conception invite à adopter.

i) La première approche considère l’« autre » comme absent de l’analyse du travail de l’ergonome. L’analyse est faite en faveur du travailleur sans considérer les spécificités de l’« autre ». Par exemple, la considération du patient par le corps médical est absente de la focale d’analyse et d’intervention. L’hypothèse sous-jacente est que les changements effectués en faveur du travailleur apporteraient nécessairement des avantages à l’autre (les patients). Ici, nous pouvons établir un parallèle avec des mesures qui amélioreraient les conditions de travail pour l’éleveur, mais qui pourraient avoir des effets secondaires incertains sur les animaux. Sans considération pour la perspective animale, il est central dans cette approche d'étudier le meilleur endroit où installer la cage de parage d'onglon en vue de faciliter l'entrée du travailleur dans le dispositif et la proximité avec les équipements d'intervention utilisés (meule, talonnette, colle, sèche-cheveux …).

ii) La deuxième approche prend en compte l’« autre » via ses propriétés, comme un déterminant parmi d’autres de l’activité du travailleur. Une fois de plus, en soins infirmiers, l’exemple peut être pris dans le parcours du patient et l’intégration de ce parcours dans la conception de la salle d’attente. Cette approche est un pas vers une meilleure intégration des caractéristiques physiques et perceptuelles des animaux dans la conception d’équipements de contention plus adaptés. Par exemple, il faut prendre en compte les facteurs d'éblouissement, les caractéristiques de pente du sol pour faciliter le déplacement de la vache dans le dispositif de contention (Grandin, 2014).

iii) La troisième approche considère l’« autre » comme « objet du travail » sur lequel le travailleur cherche à produire un effet. Par exemple, cette approche distingue le cure (application d’un traitement par le corps médical) et le care (apport de soins de la part des professionnels de santé à destination du patient pour optimiser les conditions de réussite du traitement). Si nous revenons à la présence des animaux dans le travail, cette approche invite à analyser l’activité du travailleur en lien avec ce qu’il tente de réaliser avec les animaux en agissant pour et avec eux. Cela doit se réaliser bien en amont d’une situation qui pourrait être anxiogène pour les animaux. Ainsi, on peut analyser les stratégies développées par l’éleveur pour habituer les génisses à se déplacer quotidiennement dans des zones qu’elles emprunteront ponctuellement pour des tâches qu’elles peuvent percevoir plus négativement (parage des onglons).

iv) La quatrième approche considère l’« autre » dans l’analyse comme partenaire et acteur de la situation. C’est la situation où la personne âgée aide l’aide-soignant dans le soin de son corps pour une toilette au lit par exemple. C’est encore l’approche dans laquelle le patient participe au diagnostic de sa pathologie avec le médecin à l’hôpital (codiagnostic) en ayant une part active (et plus seulement la simple réponse aux questions du médecin) dans l’enquête visant à trouver ce pour quoi il est présent à l’hôpital. Transposée à la présence des animaux dans le travail, cette approche invite l’analyse conjointe des motivations et buts du travailleur dans la réalisation de sa tâche, et celle de la perception des objectifs de vie d’un animal particulier dans cette même situation. Les animaux sont ici envisagés comme « partenaires » qui coopèrent de manière active à la situation de travail de l’éleveur, au sens d’une entité, ayant un rôle crucial à jouer dans l’atteinte des objectifs du travailleur et qui a un impact pour son propre bien-être.

Nous retenons la dernière approche comme éclairante dans notre propos. Dans cette optique, poursuivre ces hypothèses de travail pour l’ergonomie invite d’une part à une meilleure compréhension des animaux d’élevage, leurs caractéristiques, leurs subjectivités et leurs mondes propres, et d’autre part à une conception de la relation à l’éleveur, sa genèse, son évolution prenant en compte la perspective des animaux. C’est en ce sens que le recours à l’éthologie appliquée nous semble incontournable, comme science du comportement des animaux gérés par l’humain.

2. Éthologie appliquée et relation humain-animal

2.1. Concepts fondamentaux en éthologie appliquée

Tout comme l’ergonomie, l’éthologie est une science systémique. Les recherches en éthologie appliquée se réfèrent souvent à un cadre épistémologique conceptuel connu sous le nom des « quatre questions de Tinbergen » pour comprendre les comportements : 1) quelles sont leurs causes proximales (motivations immédiates) ? 2) quelle est leur ontogenèse, c’est-à-dire comment se développent-ils au cours de la vie animale, en particulier à travers l’expérience et les périodes sensibles ? 3) quelle est leur valeur pour la survie ? 4) quelle est leur phylogenèse, c’est-à-dire les déterminants génétiques et évolutifs (Dugatkin, 2020) ?

L’éthologie met l’accent sur le concept d’Umwelt développé par von Uexküll à la fin du XIXe siècle (Ristau & Marler, 1991). Un Umwelt pour chaque individu est défini comme sa perception subjective de son monde (un monde privé) produite par ses capacités sensorielles, émotionnelles et cognitives. Un tel monde est construit à partir d’objets animés et inanimés de l’environnement. Ces objets peuvent devenir signifiants pour l’individu, notamment pendant les périodes sensibles de développement ou à travers des processus d’apprentissage. Il existe maintenant un vaste corpus de travaux sur les processus émotionnels et cognitifs chez les animaux, ainsi qu’un débat scientifique vigoureux sur l’existence de leurs états conscients (Le Neindre et al., 2017). En intégrant ces différentes perspectives, les éthologistes appliqués qui étudient le comportement des animaux gérés par les humains s’engagent fortement dans la science du bien-être animal. Les premières conceptions du bien-être animal pointaient souvent la nécessité de réduire les états négatifs des animaux induits par les conditions d’élevage et le non-respect des besoins propres à chaque espèce animale. Cependant, en référence aux conceptions scientifiques actuelles dans ce domaine, un groupe d’experts multidisciplinaires mandatés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a récemment revisité la définition du bien-être animal. Les experts mettent l’accent sur la perception positive de sa situation par les animaux. Ils définissent le bien-être animal comme « un état mental et physique positif lié à la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux de l’animal et à la satisfaction de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal. » (Mormède et al., 2018).

2.2. Quel cadre conceptuel apporte l’éthologie appliquée dans l’étude du travail de l’éleveur avec ses animaux ?

a. Comment les animaux domestiques communiquent-ils avec les humains ?

Les individus vivant dans le même environnement sont régulièrement exposés les uns aux autres. Ils vont capturer ou échanger des informations à travers des systèmes de communication relativement spécialisés. Ceci est un fait crucial à considérer lorsque les individus appartiennent à différentes espèces ayant des Umwelt différents, tels que les humains et les animaux. Des mécanismes anthropomorphiques font attribuer aux humains des caractéristiques humaines à des entités qui ne le sont pas. De même, des animaux peuvent aussi faire preuve de zoomorphisme, c’est-à-dire interpréter des caractéristiques humaines suivant leurs propres référentiels animaux, par exemple lorsqu’ils sont élevés hors présence de leurs congénères et recherchent plus tard l’humain comme partenaire sexuel (Sambraus & Sambraus, 1975). Grandgeorge & Boivin (2024) ont appliqué le concept d’information pour décrire les interactions, communications et relations entre humains et animaux. À un premier niveau, les individus peuvent percevoir des indices provenant des autres (traces d’activité, aspects, sons, odeurs ou comportements) qui sont transmis involontairement. Chaque partenaire dans la relation peut associer utilement ces indices à des récompenses ou des punitions grâce à des processus d’apprentissage associatif (Hemsworth & Coleman, 2010), et utiliser cet apprentissage dans les interactions futures. Cette information utile est différente d’un signal qui est spécifiquement généré à des fins de communication. Dans ce sens, la communication implique un émetteur et un récepteur partageant l’information codée, c’est-à-dire le signal. Avec un Umwelt similaire au sein de la même espèce, une telle communication multimodale peut être relativement fonctionnelle et hautement spécialisée grâce à des mécanismes évolutifs développés sur des millions d’années. Suivant ses capacités, chaque individu essaie d’ajuster au mieux son comportement à celui des autres pour favoriser, la cohésion, la synchronisation, la coopération… Cependant, en examinant la relation entre les humains et les animaux, Grandgeorge & Boivin (2024) se sont interrogés dans quelle mesure chaque partenaire dans la relation peut interpréter correctement ou incorrectement tout signal provenant de l’autre partenaire. Toutes les espèces domestiques sont des animaux sociaux, possédant de fortes capacités sociocognitives et des systèmes de communication. Certains animaux sont capables d’utiliser des indices comportementaux très subtils de congénères et d’êtres humains, tels que l’orientation de la tête ou plus explicites tels des gestes de pointage pour résoudre une tâche, et également d’identifier certains états émotionnels, probablement en relation avec leur expérience des humains (Nawroth et al., 2019 ; Jardat & Lansade, 2022). Certains travaux récents montrent que des chevaux, des bovins ou des souris peuvent être très performants pour discriminer des odeurs de peur ou de joie (Sabiniewisz et al., 2020 ; Destrez et al., 2021 ; Jardat et al., 2023). Les animaux domestiques partagent avec les humains une partie de leur spectre sensoriel, et au cours des millénaires, le processus de domestication a probablement contribué à renforcer notre compréhension mutuelle (Kaminski & Nitzschner, 2013). Par exemple, les chiens sont bien meilleurs que les loups ou les chimpanzés pour suivre le regard humain et les gestes de pointage humains (Le Neindre et al., 2017). Cette communication peut aussi se développer au cours d’une dynamique sociale entre deux individus qui se connaissent très bien. Ils peuvent établir entre eux un système propre de communication fonctionnelle sur la base de postures ou de séquences comportementales successives qui peuvent avoir ou non une fonction originale de communication (Prieur et al., 2020). Cependant, nos connaissances scientifiques sur ces aspects restent limitées et doivent être beaucoup plus explorées. Grandgeorges & Boivin (2024) insistent sur la nécessité d’être très prudent dans notre interprétation humaine de la communication animale envers nous.

b. Le concept de relation interindividuelle en éthologie

Encadré 4. Définition de la relation humain-animal en éthologie.

En éthologie, une relation interindividuelle se construit à partir d’interactions régulières et de processus de communication entre deux « partenaires » qui se connaissent. La connaissance de cette relation permet de prédire l’issue des interactions futures (Grandgeorge & Boivin, 2024).

La relation est un concept large qui définit comment les choses et les personnes sont d’une manière ou d’une autre connectées. Les interactions entre deux individus ou plus sont des événements fondamentaux dans leurs relations. Elles sont limitées dans le temps et impliquent une ou plusieurs actions dans une séquence comportementale (Grandgeorge & Boivin, 2024). Un individu agit envers un autre, qui peut répondre ou non. Une absence de réponse peut parfois aussi être une réponse comportementale. De telles interactions peuvent être multimodales (physiques, vocales, olfactives) et peuvent être décrites par leur contenu, leur valence (gratifiant, neutre et punitif) et leur fréquence. Ainsi, une relation interindividuelle est statistiquement accessible à un observateur externe. Cependant, le développement d’approches cognitives a poussé les scientifiques à examiner la perception de chaque partenaire par l’autre. Cette conception de la relation permet à un observateur externe, mais aussi à chaque partenaire en fonction de son monde sensoriel multimodal et de ses capacités cognitives et émotionnelles, de prédire le résultat des interactions futures. Selon les capacités individuelles, les comportements sociaux agonistiques, c’est-à-dire ceux exprimés lors des confrontations, ou les comportements affiliatifs qui favorisent la cohésion, génèrent des émotions et des souvenirs qui peuvent être remobilisés lors d’interactions ultérieures entre les mêmes individus. Ce même cadre conceptuel de la relation peut être appliqué aux interactions et aux relations entre les humains et les animaux (Grandgeorge & Boivin, 2024).

c. Quels mécanismes comportementaux sont impliqués dans le développement des relations entre les humains et les animaux ?

Depuis des années maintenant, l’éthologie appliquée étudie le développement de la relation entre les humains et les animaux, en partant de mécanismes simples tels que l’habituation ou les apprentissages associatifs jusqu’à des formes d’apprentissage plus affectives (Rault et al., 2020). Deux individus, régulièrement exposés l’un à l’autre, développeront une habituation pour chacun d’entre eux si cette exposition n’est pas associée à des conséquences positives ou négatives pour l’un, pour l’autre ou pour les deux. Le processus d’apprivoisement par exposition à l’humain peut être assimilé à ce mécanisme d’habituation lorsque, dans le sens le plus strict, il désigne l’action de réduire la distance de fuite d’un individu (Price & Tennessen, 1981). Cependant, il est rare qu’une interaction entre humains et animaux n’ait pas de conséquences positives ou négatives pour l’animal. Il est important de comprendre que tous les individus ont une zone de fuite autour d’eux, définie comme une zone environnante à l’intérieur de laquelle une intrusion provoque une réaction de fuite ou parfois de combat (Grandin, 2014). De nombreuses expériences menées sur plusieurs espèces démontrent aussi que l’apprentissage associatif se produit et renforce l’approche des animaux lorsqu’il y a une récompense (caresses, alimentation…) ou provoque des réactions de fuite en cas de contact aversif (coups, cris, mouvements excités, procédures douloureuses) (Hemsworth & Coleman, 2010). Les interactions négatives, en particulier lorsqu’elles sont imprévisibles, alimentent les réactions de peur envers les humains et le stress chronique, mais elles peuvent également affecter la production, la reproduction et l’état de santé. À l’inverse, la nourriture, les caresses ont été démontrées comme bénéfiques pour de nombreuses espèces, non seulement en ce qui concerne les réponses d’approche des animaux envers les humains, mais aussi en ce qui concerne les états de relaxation (par exemple, les paramètres de la variabilité du rythme cardiaque, la libération d’ocytocine). Les animaux montrent également des comportements anticipatoires avant le contact avec les humains (Grandgeorge & Boivin, 2024). L’effet d’un tel contact peut dépendre particulièrement de la période pendant laquelle il se produit (jeune âge, sevrage forcé) ou du contexte social (présence ou non de la mère) (Nowak & Boivin, 2015). Les jeunes animaux élevés sans leur mère ou avec une mère apprivoisée auront beaucoup plus de chances de développer une relation positive avec les humains que les animaux ayant une mère craintive ou protectrice. Pendant ces périodes, et en accord avec la théorie de l’attachement (Cassidy, 2008), le renforcement, et en particulier la distribution alimentaire, accélérera la construction de liens entre les humains et les animaux, mais ne renforcera pas les liens eux-mêmes. Scott (1992) a nommé ce processus « socialisation », en référence à la socialisation intraspécifique d’abord avec la mère, puis avec les autres de la portée et les congénères. L’humain pourrait être perçu comme un objet d’attachement, servant éventuellement de point de contact rassurant pour les animaux.

Enfin, il est important de noter que plusieurs études portant sur différentes espèces, telles que les canidés et les ongulés, mettent en évidence une variabilité individuelle parmi les animaux basée sur des prédispositions génétiques (Haskell et al., 2014 ; Miklósi, 2015). De telles prédispositions peuvent affecter non seulement certains traits de tempérament, par exemple la tolérance à l’approche par un humain ou à la contention, mais aussi la capacité des animaux à construire la relation avec l’humain (à partir de quel moment/âge dans leur vie, pendant combien de temps dure la période sensible de socialisation…). Cela signifie que la sélection génétique ou le choix des reproducteurs au sein d’une exploitation agricole constitue un levier puissant pour améliorer les réactions des animaux envers les humains.

Quels que soient les mécanismes impliqués, les études en éthologie appliquée démontrent ou suggèrent que les relations entre les humains et les animaux domestiques peuvent offrir de nombreux avantages pour le bien-être animal, tels qu’une plus grande résilience au stress, un soutien social, un enrichissement environnemental (source de stimulation sensorielle, occupationnelle, relationnelle…), éventuellement des états affectifs positifs, ainsi que des avantages pour leur rôle vis-à-vis des humains (Rault et al., 2020). Néanmoins, ces auteurs nous rappellent également que les animaux tels que les bovins, par leur format imposant et même très apprivoisés, peuvent parfois être difficiles, voire dangereux à manipuler.

3. Articulation entre ergonomie et éthologie appliquée : une approche transdisciplinaire visant un bien-être interdépendant humains-animaux en élevage

Encadré 5. Perspectives croisées entre ergonomie et éthologie.

Les perspectives ergonomique et éthologique partagent des points d’entrée différents – les humains au travail et les animaux au sein d’un élevage – mais elles invitent à explorer où elles se rejoignent. Faire le lien entre ces deux disciplines présente une valeur potentiellement instructive en termes d’efficacité et de santé au travail pour les éleveurs ainsi que de bien-être pour les animaux. La frontière où elles se rencontrent peut donc être considérée comme la possibilité pour les humains de développer, in situ, des pratiques relationnelles avec les animaux qui seront favorables au bien-être et à l’efficacité au travail pour les deux.

3.1. Pratiques relationnelles : de leur conception biotechnique à l’analyse ergonomique de leur mise en œuvre

Nous considérons, dans nos propos, le terme « pratique » comme une construction socioculturelle. La culture se réfère à un ensemble d’opportunités d’expérience (un « champ d’action encouragé ») (Reed & Bril, 1996) au sein d’une communauté de pratiques (Lave & Wenger, 1991). La pratique est donc la construction complexe d’un ensemble de règles d’action (sur des bases techniques, morales ou religieuses) et l’exercice ou la mise en œuvre de cette action (Beillerot, 1996). La pratique comporte deux facettes : d’un côté se trouvent les règles et les prescriptions avec leurs objectifs, leurs stratégies et leurs philosophies (ibid.) et de l’autre se trouvent les mouvements/gestes, la conduite, les routines, les langages. Appliquées au domaine des relations humains-animaux en élevage, nous caractérisons les « pratiques relationnelles » comme des pratiques visant à améliorer la manipulation pour un travail plus facile, plus sûr et plus efficace, équivalent à une plus grande satisfaction au travail et pour le bien-être animal (c.-⁠à-⁠d. moins de stress pour les animaux, enrichissement, émotion positive) (Boivin et al., 2012 ; Rault et al., 2020).

Ces pratiques « relationnelles » incluent la sélection de reproducteurs pour des progénitures plus faciles à manipuler, l’exploitation de périodes sensibles (jeune âge, sevrage…), le renforcement optimal des interactions positives, etc. (Boivin et al., 2012). Ces choix stratégiques biotechniques s’étendent sur toute la vie des animaux. Ces pratiques peuvent se traduire sous la forme de fonctions à satisfaire. Elles permettent de choisir ou concevoir des moyens de travail (espaces, organisation, outils…) considérant l’intersection des besoins de la situation de vie des animaux et de la situation de travail pour l’humain au vu d’enjeux économiques à atteindre.

En synthèse :

i) toute interaction entre humains et animaux ne relève pas d’une pratique relationnelle ;

ii) la pratique relationnelle relève d’une stratégie intentionnelle de l’éleveur pour construire la relation avec ses animaux ;

iii) la pratique relationnelle peut ne pas être efficace voire contre-productive vis-à-vis des effets produits à court, moyen et long terme sur les humains et les animaux ;

iv) la pratique relationnelle est une conduite proposée pour ou par le travailleur sur la base des connaissances scientifiques et/ou empiriques ;

v) l’éleveur mettra en œuvre cette pratique à sa manière, comme l’un des nombreux autres déterminants de la situation de travail.

L’une des grandes questions en ergonomie réside dans la manière dont différentes personnes et/ou communautés mettent en œuvre et incarnent les pratiques, dans des contextes différents. Par exemple, la diffusion des connaissances scientifiques sur le comportement animal, qui servent à orienter les « pratiques idéales d’élevage », se heurte à l’« activité en pratique » de l’éleveur. C’est cette activité que l’ergonomie cherche à appréhender de manière intégrative, intrinsèque mais aussi différenciée.

La démarche ergonomique se veut intégrative car elle considère que l’activité de l’éleveur se construit en réponse à un grand nombre de déterminants qui ne se limitent pas aux tâches prescrites (Daniellou & Rabardel, 2005). Par exemple, ce qui se joue dans une situation de travail pour un éleveur au-delà des « pratiques idéales d’élevage vis-à-vis des animaux » est la considération d’autres logiques qui pèsent sur ses choix. Va-t-il pouvoir vivre économiquement de cette activité au vu des fluctuations des marchés ? Réformer par exemple des animaux du fait de leur caractère difficile alors qu’ils sont productifs n’est pas un choix facile. Autre exemple : investir du temps pour construire la relation humains-animaux ne va-t-il pas se faire au détriment d’un temps consacré à la réalisation d’autres tâches ou d’un équilibre à tenir vie hors/vie au travail ? Le travail est complexe et implique l’internalisation d’autres logiques (économiques, sociales, organisationnelles, réglementaires…) encadrant le système d’élevage.

La démarche ergonomique repose sur ce que le travailleur fait réellement en présence ou en l’absence des animaux, ce qui est en partie observable. Mais elle se veut aussi intrinsèque car il s’agit de comprendre les « raisons internes » qui guident les régulations mises en œuvre par les personnes au travail (Coquil et al., 2018). En d’autres termes, il s’agit d’appréhender non seulement ce qui est réellement exécuté, mais aussi les processus affectifs et cognitifs des travailleurs lorsqu’ils accomplissent la tâche (Récopé et al., 2019). Passer du temps à caresser ses veaux dans le jeune âge est-il accepté/reconnu par l’éleveur et son entourage comme faisant partie du travail nécessaire pour construire la relation humains-animaux ou comme un pur plaisir, ou encore comme les deux à la fois ? Ces processus sont en interaction permanente et donnent des clés de lecture sur ce qui prévaut pour le professionnel en situation.

La démarche ergonomique se veut enfin différenciée, dans le sens qu’elle fait la différence entre ce que l’agent dit du travail effectué (exprimant sa représentation de l’activité) et ce qu’il/elle pratique effectivement en situation (Beaujouan et al., 2015). Il s’agit aussi de différencier ce que l’individu fait de ce qu’il/elle aurait aimé faire, en tenant compte des actions suspendues, contrariées, empêchées, ainsi que contre-actions c’est-à-dire des comportements de résistance ou de protestation contre des conditions de travail perçues comme injustes ou dégradantes, qui altèrent ou polluent l’activité (Clot, 2015). Dans l’exemple indiqué dans le paragraphe ci-dessus, le vouloir (pour l’éleveur) n’est pas significatif du pouvoir (en situation) et l’inverse est aussi vrai. Combien de personnes n’ont-elles pas arrêté face à la pression d’autrui : « tu perds ton temps, tu as autre chose à faire » ou parce que les bâtiments ne facilitent pas cette tâche (absence de passage d’humain dans les stabulations).

Certaines recherches en psychologie ont montré que les facteurs humains jouent un rôle important dans les réponses des animaux aux humains et dans les performances de productivité animale. Dans leur revue compilant un grand nombre d’études, plusieurs auteurs concluent que l’équilibre relatif entre les contacts « positifs » et « négatifs » et les émotions associées détermine la qualité de la relation humains-animaux. Une relation dans laquelle la présence humaine et la manipulation ne sont pas aversives pour les animaux peut même se révéler une source d’enrichissement ou d’apaisement pour les animaux, ainsi qu’une source de satisfaction au travail et de sécurité pour l’éleveur (Waiblinger et al., 2006 ; Rault 2020). Ce champ de recherche mérite une investigation bien plus approfondie pour comprendre les processus sous-jacents en jeu (Rault et al., 2020). Des travaux s’inspirant de la théorie de l’action planifiée en psychologie (Hemsworth & Coleman, 2010) montrent que les habitudes comportementales de l’éleveur dépendent particulièrement des représentations qu’il/elle développe sur l’effet de ses propres actions sur le comportement des animaux. Les réponses comportementales de leurs animaux renforceront à leur tour ces représentations dans un cercle vertueux lorsque la relation s’améliore, ou, au contraire, dans un cercle vicieux lorsque la relation se détériore. Plus les animaux sont exposés à une manipulation aversive et/ou imprévisible, plus ils deviendront craintifs. Cette réaction oblige alors le manipulateur à travailler davantage pour obtenir ce qu’il veut – ce qui à son tour aura pour effet de renforcer de manière itérative ses représentations sur le comportement à adopter avec ces animaux. D’où, la nécessité de disposer de cadres de compréhension et d’actions systémiques permettant d’appréhender de manière dynamique ces interrelations.

3.2. Un modèle de référence d’analyse du travail appliqué aux relations humains-animaux en élevage

Nous avons adapté et enrichi un modèle central d’analyse du travail en ergonomie (figure 1, inspirée de : Leplat & Cuny, 1977 ; Leplat, 2006) afin d’appréhender conjointement le comportement de l’animal et l’activité de l’éleveur. Appréhender cette activité est une tâche complexe d’autant plus qu’elle s’ancre dans une réalité de survie économique des exploitations agricoles. L’éleveur est constamment amené à gérer un certain nombre d’aléas (événements météorologiques imprévisibles affectant les ressources fourragères, déclenchement de maladies, blessures, difficultés lors des mises bas, pannes d’équipement…). Il doit aussi prendre en compte la variabilité individuelle des animaux : potentiel génétique des reproducteurs, performances des animaux, traits de tempérament, et réactivité à l’humain et aux manipulations, combats entre animaux…, pour lesquelles il n’a pas toujours de réponses toutes prêtes. Ce modèle considère qu’au-delà de simplement s’adapter lorsque les événements surviennent, l’éleveur a en réalité un rôle actif dans ce qui lui arrive. Par exemple, il régule constamment entre les tâches à accomplir, les ressources et opportunités autour de lui, les buts qu’il se fixe dans des conditions déterminées et à partir des résultats et effets produits par son activité sur lui-même, l’animal et son environnement. Ce modèle formalise une approche spécifique pour étudier et développer les pratiques relationnelles humains-animaux en élevage à travers l’activité d’élevage. Les chiffres caractérisant la relation entre les éléments du modèle sont illustrés ci-dessous à partir d’une étude de cas. L’animal, comme l’éleveur, est considéré dans son individualité dans le modèle présenté mais chacun est influencé par des facteurs sociaux. Le troupeau est également pris en compte comme composante de l’exploitation.

Figure 1. Modèle pour l’étude des relations éleveur-animal en élevage.

Nous mobilisons cette perspective pour aborder l’activité de l’éleveur de manière systémique et dynamique.

La dimension systémique de ce modèle aborde les liens entre les multiples déterminants de l’activité de l’éleveur (en particulier ceux qui, en situation, prennent le pas sur les autres) et leurs intersections (flèche #1a couplée à #1b) avec cette activité située (stratégies, buts, arbitrages opérés par l’éleveur…) et ses conséquences (flèches #2 et #3).

Les déterminants de l’activité peuvent être externes à l’individu au niveau macro (par exemple, le système d’élevage) et au niveau micro (par exemple, les caractéristiques des outils à disposition, de l’animal et du troupeau), mais aussi internes à l’éleveur lui-même (par exemple, le degré d’importance qu’il attache à établir une relation positive avec l’animal, son capital d’expérience, son niveau de fatigue général…). Le comportement de l’animal revêt une importance particulière ici, à la fois en tant que déterminant (flèche #10) et en tant qu’élément déterminé par l’activité de l’éleveur (flèche #11).

Les conséquences de l’activité prennent trois directions simultanées mais non dissociables : les résultats concrets sur l’exploitation (performance au travail), les effets produits sur l’éleveur et les effets produits sur l’animal au-delà des performances de production. Cependant, la simultanéité ne signifie pas que ces conséquences s’expriment de la même manière pour l’humain et l’animal, ni dans leur valence (positive ou négative) ni à travers leurs processus sous-jacents (propres ou distincts).

Ce modèle met en évidence la nature dynamique et évolutive de l’activité de l’éleveur, de ses déterminants et de ses conséquences. « Déterminant de l’activité » et « Déterminé par l’activité » offrent un cadre analytique mettant en lumière la nature transformative des caractéristiques du système étudié à travers différentes régulations. Nous distinguons deux plans entremêlés pour étudier ces régulations/transformations : leur temporalité (à court terme, moyen terme, et long terme), et l’objet sur lesquelles ces régulations/transformations portent. Il existe des régulations orientées vers les tâches – qui impliquent parfois l’animal – et des régulations orientées vers le travailleur :

i) adaptation à court terme de l’activité de l’éleveur en fonction des répercussions sur lui-même (flèche #5) ;

ii) adaptation à court terme de l’activité de l’éleveur en réponse aux résultats produits sur la ferme (flèche #4a) ;

iii) adaptation à court terme de l’activité de l’éleveur à ses effets produits sur l’animal (flèche #4b) ;

iv) changements à moyen et long terme des facteurs liés à l’éleveur et induits par sa propre activité (flèche #7) ;

v) ajustement conduit à moyen et long terme par l’éleveur des paramètres de la situation de travail (flèche #6).

Ce cadre de modélisation ancre fermement la nécessité de comprendre et d’entremêler la perspective de l’animal d’élevage et la perspective de l’éleveur, car chacune influence l’autre à travers l’activité (flèche #10 et flèche #11). L’éthologie appliquée apporte une fois de plus des éclairages cruciaux. D’une part, elle permet une meilleure description du comportement de l’animal (sa genèse, son évolution, l’organisation de sa cohérence propre). Ce comportement est articulé avec, et influencé par l’activité de l’éleveur. Cette activité se développe dans un contexte de travail/vie bien spécifique en relation avec un système d’élevage particulier (flèches #9abc et flèche #11). D’autre part, l’éthologie appliquée propose une objectivation plus précise des conséquences à court et moyen terme de ces « rencontres » sur les animaux. Elle permet l’analyse des possibles mécanismes d’habituation, de familiarisation et d’attachement, qui peuvent se produire dans l’ontogenèse de l’animal (flèche #8). Elle permet d’analyser la prévisibilité/contrôlabilité de l’interaction humain-animal du fait de l’animal, et in fine d’observer les conséquences sur son bien-être/souffrance qui peuvent avoir eux aussi une influence directe en retour sur le comportement de l’animal (flèche #12).

La prise en compte de cette situation d’élevage du point de vue de l’animal peut favoriser une prise de recul des acteurs humains par rapport à leur propre perception de la situation et de leurs objectifs. Le facteur animal est crucial dans la réussite des systèmes d’élevage. La prise en compte de son bien-être autant d’un point de vue responsabilité éthique que légale nécessite cette distanciation pour se poser les questions nécessaires à une démarche de progrès. L’éthologie appliquée apporte non seulement des connaissances scientifiques et des concepts mais également des outils d’observation complémentaires de ceux proposés par la zootechnie (performances de production), la médecine vétérinaire (santé animale) et l’ergonomie.

3.3. Une illustration de la démarche par l’exemple : analyse d’une situation réelle de traite.

Dans cette section, le récit illustré (figure 2) permet d’exemplifier certaines des dynamiques intéressantes à étudier à propos des relations éleveur-animaux en élevage. Les flèches citées dans le texte renvoient à la figure 1. Nous avons fait le choix de présenter au « présent » une situation de traite en élevage bovin pour illustrer le caractère « situé » dans le temps et l’espace et « observé » de la démarche. Ces données ont été recueillies à l’occasion d’un projet de développement des approches en prévention primaire, par l’intégration des questions de santé et sécurité au travail, au cœur des projets de conception des lieux de travail en France (Cayon et al., 2018).

Figure 2. Montée de l’éleveur par l’escalier (A) pour faire avancer ses animaux (B) dans le couloir de traite et descente (C).

La scène se déroule un jeudi soir. Il est 19 h 50. La traite commence normalement 20 minutes plus tôt. George est en retard. Il prépare la voie qui mène les vaches de leur étable à la salle de traite. Certaines vaches se lèvent tandis que d’autres se déplacent de manière quelque peu désordonnée. Ensuite, George active le racleur motorisé dans la voie principale, qui était à l’origine conçu pour nettoyer le sol mais auquel il a depuis ajouté une barrière qu’il utilise comme « rabatteur de vache » pour aider à conduire les vaches vers la salle de traite (flèche #1). Les vaches se déplacent avec une certaine aisance vers la salle de traite et se rassemblent dans l’espace d’attente qui mène directement à deux allées de traite mal éclairées, séparées par une fosse centrale en retrait (flèche #9). Dans cette zone, l’éleveur doit nettoyer et vérifier les pis, installer les huit trayons à traire (quatre par allée), puis démarrer le cycle de traite.

Après chaque cycle, George est confronté au même problème et nous dit qu’il s’est habitué à ce qu’il identifie comme un problème important dans ce bâtiment. Les vaches sont réticentes à cheminer en aval et à quitter la zone de traite pour laisser les autres vaches suivre en amont du quai de traite, et ce malgré l’insistance de George qui les y invite en haussant sérieusement le ton (flèche #10 et flèche #11). Les vaches « bousent » (flèche #12), ce qui entraîne plus de travail de nettoyage à la fin de la traite (flèche #9). George est contraint de retourner à la zone en amont à chaque nouveau cycle de traite, faisant de son mieux, avec ou sans bâton, pour inciter les vaches à commencer à avancer (flèche #4). Il essaie de se frayer un chemin en poussant les vaches au fur et à mesure, même si, [nous dit-il], cela ne fonctionne pas toujours (flèche #2) et cela le fatigue en fin de journée (flèche #3). Il nous dit qu’il aimerait que tout se déroule plus facilement et qu’il a le sentiment de gaspiller largement son temps, ce qui est confirmé par une observation de l’ergonome en situation (flèche #2), sans parler du risque de glisser (flèche #3) lorsqu’il se précipite systématiquement en avant et en arrière de la fosse de la salle de traite en amont à la zone de rassemblement où les vaches sont regroupées. Sa vision des événements est que la traite est loin d’être efficace parce que ses animaux « compliquent les choses ». Il se demande s’il ne pourrait pas surmonter ces goulots d’étranglement récurrents en agissant différemment (flèche #4), tout comme il l’avait fait en adaptant le racleur (flèche #6) pour faciliter le déplacement des vaches.

Vu sous l’angle ergonomique, aborder l’activité de l’éleveur sans tenir compte de la place (physique ou symbolique) des animaux limite la portée de la compréhension et de la transformation du travail pour améliorer la santé et l’efficacité au travail. La relation que l’éleveur construit avec les animaux et vice versa est toujours médiée par l’objet du travail de l’éleveur. En d’autres termes, cette relation sera toujours liée à la tâche spécifique dans un contexte spécifique. D’un point de vue temporel, les caractéristiques du travail se sont installées, cristallisées chez l’éleveur sur le long terme, formant son « expérience » de la situation. Elles peuvent, ou non, trouver leur expression dans son activité de travail, configurée d’une manière qui lui est personnelle. Il fait toujours son travail avec application et avec les possibilités à sa disposition, mais aussi avec les impossibilités auxquelles il s’est heurté et les cicatrices qu’il a laissées à la fois sur lui-même et sur chaque animal.

Vu sous une perspective éthologique, l’analyse de cette même situation se concentre sur la perception des vaches de la situation et les origines de leur comportement. Y a-t-il des différences entre les animaux (vaches âgées et expérimentées, nouvelles vaches achetées à l’extérieur ou génisses inexpérimentées dans la situation, dominantes ou restant subordonnées) ? Pourquoi les vaches sont-elles démotivées pour sortir ? Y a-t-il des caractéristiques de l’environnement génératrices d’anxiété à supprimer (mauvaise lumière, coins potentiellement douloureux ou aversifs à négocier, comme la température, le vent…) ? Peuvent-elles être remotivées par l’apprentissage associatif (typiquement les récompenses alimentaires), sachant que même après des événements négatifs, les animaux peuvent encore être réentraînés à avancer dans la course ? Les jeunes animaux peuvent-ils être formés dans cet environnement bien avant les premières séances de traite, ou des animaux naïfs et craintifs peuvent-ils être mélangés à des animaux expérimentés ou plus dociles ? De nombreuses voies d’action sont à explorer dans l’analyse et la construction de la perception de la situation par les animaux. L’absence de cette exploration affecte non seulement le travail et les relations humains-animaux ultérieures, mais aussi la santé et la productivité animales (Hemsworth & Boivin, 2011 ; Grandin, 2014 ; Rault et al., 2020).

Les pratiques relationnelles, telles que préconisées dans le présent article sur la base des dernières avancées en sciences du comportement animal, offrent donc des leviers d’action que les éleveurs peuvent ou non réaliser pour l’activité d’élevage. Même si elles sont préconisées comme des facteurs clé d’efficacité, de qualité du travail et de bien-être des animaux, elles ne seront activement adoptées par l’éleveur que sous certaines conditions, notamment si elles sont perçues comme étant au service de l’efficacité de son action. Soigner le travail, c’est sans doute ici travailler les conditions du bien-faire au service du bien-être des humains et des animaux.

3.4. Un cadre d’action en faveur d’un bien-être interdépendant humains-animaux

Notre hypothèse sous-jacente est qu’il existe des conditions, certaines favorables, d’autres moins propices voire défavorables au processus de construction d’une relation positive humains-animaux dans le travail et la pratique de l’élevage. Parmi les leviers d’action permettant de réunir ces conditions, nous identifions ceux visant à « façonner » le travail humain et l’éleveur pour répondre aux besoins des animaux, ainsi que ceux visant à « façonner » les animaux et leur environnement pour répondre aux besoins de l’éleveur. Nous constatons ainsi que certaines actions de formation visant à améliorer les comportements envers les animaux ont montré leur efficacité (Hemsworth & Coleman, 2010). D’autres leviers d’actions favorisant une approche holistique peuvent également être envisagés (Fortune & Dassé, 2014), car la personne en formation n’a pas systématiquement le choix (possibilité ou impossibilité pas encore réalisée) dans son activité de construire une relation positive avec ses animaux d’élevage dans sa propre structure.

Tableau 1. Différents leviers exploitables et moments stratégiques où ils peuvent être mis en œuvre.

Perspective générale

Leviers d’actions propices à la construction d’une relation positive humains-animaux (Agir sur…)

Moments stratégiques

(sans s’y limiter)

Agir sur les animaux, leur environnement de vie/environnement de travail au service du travail des humains.

… le choix du système d’élevage adopté renvoyant à des enjeux identitaires pour l’éleveur, c’est-à-dire le mode de vie personnel projeté (p. ex. certains choix conduiront à des astreintes tous les jours ou non pour lui : qu’est-ce qui est acceptable ? quel modèle économique de référence ?)

Projet d’installation de l’éleveur (reprise d’exploitation ou création).

… les possibilités de sélections génétiques en cohérence avec le système d’élevage et le mode de vie personnel projeté de l’éleveur dans la constitution du troupeau et son renouvellement.

Projet d’installation de l’éleveur.

… l’environnement de vie des animaux prenant en compte leur monde perceptif, cognitif, et sensible dans les choix de conception retenus depuis le plus jeune âge ou dans les situations de manipulation.

Projet d’investissement (conception et aménagement de bâtiments d’élevage, robotisation…).

… les caractéristiques des espaces de travail, des outils, des dispositifs techniques, de l’organisation du travail, de la formation, des ambiances physiques (éclairages…) en adéquation avec les exigences des tâches à réaliser par l’éleveur au vu également de ses capacités, limites et conditions optimales de fonctionnement.

Projet d’investissement (conception et aménagement de bâtiments d’élevage, robotisation…) ;

Formation initiale et continue.

… le processus relationnel dans l’ontogenèse des animaux, en vue de favoriser la perception positive de l’humain à son contact. La gestion de l’environnement social des animaux en s’appuyant sur la connaissance des caractéristiques individuelles favorables ou défavorables (expérience, émotivité, liens d’affinité…).

Projet d’installation de l’éleveur ;

Formation initiale et continue.

Agir sur le travail humain et le travailleur au service des besoins des animaux

… l’avènement chez l’éleveur d’une sensibilité à la construction d’une relation positive entre l’humain et les animaux, comme facteur d’efficacité et de qualité du travail, de santé et de sécurité.

Formation initiale et continue ;

Projet d’installation de l’éleveur ;

Projet d’investissement.

… le développement de l’activité des éleveurs en vue d’améliorer l’efficacité des pratiques relationnelles mises en œuvre au sein d’une communauté professionnelle.

Formation initiale et continue ;

Projet d’investissement.

Ces leviers ne peuvent pas être considérés de manière isolée. Par exemple, le choix du système d’élevage (allaitant ou laitier), qui est déterminé par les choix de mode de vie envisagé pour l’éleveur et du modèle économique projeté, n’est pas sans conséquence sur les processus d’apprivoisement à envisager. Ces processus eux-mêmes jouent un rôle décisif dans la manière dont l’environnement de vie des animaux et le travail de l’éleveur sont conçus. Dans un système allaitant, la manipulation des veaux lors du sevrage constitue une opportunité idéale pour construire une bonne relation avec les humains (Boivin et al., 1992). Cela signifie que cette préoccupation doit être intégrée à la conception des espaces de travail et à l’organisation du travail. L’environnement de vie des animaux est aussi l’environnement de travail de l’éleveur. Dans un système d’élevage, les relations des animaux avec les humains sont façonnées dès le plus jeune âge (Rault et al., 2020) et impliquent d’autres réponses organisationnelles et spatiales. Si les animaux passent par des systèmes différents, alors l’action sur les prédispositions génétiques des animaux favorables aux processus de plasticité/adaptabilité devient aussi un levier important.

3.5. Implications épistémologiques et méthodologiques transdisciplinaires pour la recherche sur les pratiques relationnelles

L’objectif de notre approche transdisciplinaire des pratiques relationnelles est de mettre en évidence les écarts entre les types de comportements « encouragés » au sein des communautés de pratiques d’une part et le réel du travail de l’éleveur en contexte (son activité) d’autre part. Les comportements au sein des communautés de pratiques reposent sur des croyances, des connaissances empiriques ou encore des connaissances scientifiques actualisées (p. ex. sur le comportement animal). Le réel du travail de l’éleveur intègre en plus les possibilités et impossibilités rencontrées, les régulations à l’œuvre, etc. Considérer la dialectique pratique-activité ouvre des perspectives de coconstruction des pratiques d’élevage sans cesse réélaborées dans et par l’activité de l’éleveur.

La vision d’un « couplage situationnel » entre la situation de travail de l’éleveur et la situation de vie des animaux convoque un rapprochement disciplinaire nécessaire sur ces questions (Lindahl et al., 2015) et qui ne va pas de soi sur le plan épistémologique. Les standards à satisfaire, plutôt qualitatifs du côté de l’ergonomie de l’activité, et plutôt statistiques du côté de l’éthologie appliquée constituent un véritable défi pour concevoir des paradigmes compatibles.

Néanmoins dans leur visée pratique, l’ergonomie de l’activité et l’éthologie appliquée ont des proximités épistémologiques propices à une collaboration transdisciplinaire à partir d’orientations convergentes qu’il s’agit d’opérationnaliser dans des études à venir :

i) appréciation du caractère multidéterminé et dynamique de l’activité humaine au travail, et du comportement animal, à partir des expériences vécues par et en présence de l’un et l’autre (approche de recherche systémique longitudinale) ;

ii) prise en compte de différentes dimensions de l’activité de l’humain et du comportement des animaux – biologique, cognitive et sensible – dans la compréhension des phénomènes à l’œuvre (approche holistique) ;

iii) maillage itératif entre les perspectives compréhensives sur les phénomènes et les perspectives d’action sur le monde : développement d’outils pour une évaluation transdisciplinaire et multicritère des relations entre l’éleveur et les animaux (performances de l’élevage et critères éthologiques, ergonomiques, psychologiques…), développement de méthodes de conseil et d’orientation, développement de formations mêlant ergonomie et éthologie, conception adaptée des équipements de travail à la ferme, valorisation de la sélection génétique, etc.

Une meilleure compréhension du comportement animal, de l’activité humaine sur le lieu de travail et de leurs impacts réciproques constitue un vaste champ de recherche dans le domaine des sciences des systèmes complexes. La dyade ergonomie de l’activité-éthologie appliquée peut offrir une perspective éclairante à la question : comment les pratiques relationnelles s’articulent-elles dans et par l’activité de l’éleveur ? Cette perspective est nécessaire pour faire progresser notre compréhension scientifique au plus près du terrain, et par conséquent nos modalités d’action sur le terrain et la manière de les évaluer.

Plusieurs sous-questions spécifiques devront être abordées :

i) comment et dans quelles conditions les pratiques relationnelles peuvent-elles devenir un instrument pour offrir une action plus sûre et plus efficace de la part des travailleurs, ainsi qu’un meilleur bien-être pour les travailleurs et les animaux ?

ii) comment les pratiques relationnelles préconisées ou souhaitées par l’éleveur sur la base des connaissances scientifiques prennent-elles en compte des possibilités de réalisation ?

iii) dans quelle mesure les éleveurs intègrent-ils réellement le comportement des animaux, leurs capacités émotionnelles et cognitives (réelles ou supposées), ainsi que l’échelle individu/troupeau dans leur activité de travail ?

iv) quels sont les obstacles et/ou moteurs de cette intégration dans leur activité ?

Conclusion

Pour développer le bien-être des animaux en élevage et la santé des éleveurs, cet article montre en quoi il apparaît essentiel d’intégrer l’approche éthologique et l’ergonomie dans la conception du travail humain. Cela suppose une approche transdisciplinaire, fondée sur une compréhension approfondie des comportements animaux et des conditions de réalisation du travail humain.

Le travail d’élevage implique nécessairement la présence d’animaux dans la situation de travail de l’éleveur. Cette « rencontre » et la relation qui se crée entre ces êtres vivants ne se produisent cependant pas directement, mais sont toujours médiées par la relation que l’éleveur entretient avec son travail dans un environnement social donné. Par conséquent, nous envisageons ici les pratiques relationnelles, comme des champs d’action encouragés « top-down » par une communauté extérieure mais aussi souhaitées par l’éleveur, qui doivent aussi être analysées à travers le prisme de l’activité de travail de l’éleveur en prise avec ses animaux, les tâches à accomplir et les « autres » (cadre réglementaire, contexte économique…). En conséquence, considérer le développement de cette relation entre les éleveurs et leurs animaux implique de prendre en compte la complexité des situations de travail dans lesquelles le travailleur opère, considérant par ailleurs la complexité des caractéristiques spécifiques des animaux en présence. C’est avec cette vision que nous avons tenté, à travers cet article, d’ouvrir un premier niveau de dialogue scientifique entre l’ergonomie de l’activité et l’éthologie. Cette rencontre entre les disciplines et les défis épistémologiques et pratiques qu’elle implique traduit une volonté de surmonter le fait que la construction de cette relation humains-animaux soit vécue comme une contrainte supplémentaire pour les éleveurs qui ont déjà de multiples exigences à gérer dans la gestion de leurs exploitations.

Ici, le concept d’activité historiquement mobilisé par l’ergonomie apporte un nouvel éclairage d’un point de vue épistémique et pragmatique. Dans l’activité de travail de l’éleveur, qui est toujours dirigée vers l’objet-finalité de son travail (que l’objet soit directement ou indirectement l’animal), la construction des pratiques relationnelles, qu’elles soient réalisées ou réprimées, émerge comme une possibilité pour accomplir un travail de qualité, tant en termes d’efficacité au travail, de bien-être pour les travailleurs et leurs animaux. Les pratiques relationnelles incitent à une réflexion plus holistique sur le travail pour dépasser son statut de contrainte. Mais pour que cela se produise, les modèles d’expertise visant à prescrire des « bonnes pratiques » montrent leurs limites. La relation active que l’éleveur peut entretenir avec son travail est la condition préalable essentielle à toute action de transformation et/ou de formation visant à améliorer le travail et la pratique de l’élevage. À cet égard, certaines périodes s’avèrent plus propices que d’autres en matière d’opportunité de transformation : les transmissions d’exploitation, les transitions d’élevage, la conception de nouveaux bâtiments d’élevage, les investissements au sens large. Pour finir, il faut aussi avoir à l’esprit que les interactions humains-animaux ne sont pas du seul fait de l’éleveur ou des associés sur l’exploitation. L’entourage professionnel (vétérinaires, pareurs, voisins…) ou non professionnel (famille, visiteurs…) peut aussi interagir avec les animaux et activement ou sans s’en rendre compte affecter les relations humains-animaux. L’éleveur doit veiller au maximum à ce que ces interactions soient en phase avec la logique des pratiques relationnelles qu’il développe ou s’approprie. De plus, dans une profession où gravitent de nombreux intervenants extérieurs (concepteurs techniques, conseillers techniques, éthologistes, ergonomes, conseillers en prévention…), le rapport actif de l’éleveur à son travail est un facteur de réussite de circulation entre ces mondes professionnels (Béguin, 2004) aux logiques différentes. Un enjeu de taille dans ce contexte serait celui de concevoir des cadres d’actions organisés propices à ces confrontations et à leur intégration en faveur de la construction d’une relation positive aux animaux et renouvelant ainsi, à partir d’une perspective alternative, les modèles d’élevage de demain.

Contribution des auteurs

J. Beaujouan et D. Cromer : rédaction du manuscrit original en ergonomie et discussion générale. X. Boivin : rédaction de l’introduction originale et du manuscrit éthologique, supervision. Tous les auteurs ont révisé le manuscrit et approuvé la version finale à publier.

Remerciements

Cette étude a bénéficié d’un financement et d’un soutien logistique du ministère de l’Agriculture français, en particulier via le programme CASDAR (Crédits d’action pour le soutien au développement agricole et rural), le projet RHAPORC, ainsi que des réseaux mixtes technologiques (RMT) « Bien-être animal » et « One Welfare ». Ce soutien n’a aucune incidence sur les intentions des auteurs.

Notes

  • 1. Cet article a été traduit et adapté d’un article publié originellement dans la revue Animal (Beaujouan et al., 2021).
  • 2. Dans le présent article, le terme « animal » sera toujours utilisé pour désigner des « animaux non humains ».

Références

  • Abadia, G., & Mirabito, L. (2003). Influence des modifications des systèmes d’élevage sur la santé des éleveurs. Journées de la Recherche Avicole, 5. https://www.itavi.asso.fr/publications/influence-de-la-modification-des-systemes-d-elevage-sur-la-sante-des-eleveurs/download
  • Beaujouan, J., Aubert, S., & Coutarel, F. (2015). Construction de l’intervention ergonomique. D’une préoccupation de montée en cadence à la décision d’investir pour transformer le travail : Embûches et stratégies. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17(2). doi:10.4000/pistes.4599
  • Beaujouan, J., Cromer, D., & Boivin, X. (2021). From human–animal relation practice research to the development of the livestock farmer’s activity: an ergonomics–applied ethology interaction. Animal, 15(12), 100395. doi:10.1016/j.animal.2021.100395
  • Béguin, P. (2004). Mondes, monde commun et versions des mondes. Bulletin de psychologie, 57(469), 4548. doi:10.3406/bupsy.2004.15299
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Résumé


Cet article cherche à établir un dialogue entre l’ergonomie et l’éthologie appliquée pour comprendre et améliorer la relation humains-animaux dans l’élevage, considérant l’enjeu de bien-être à la fois pour les travailleurs et les animaux eux-mêmes. Cette relation dépend des interactions humains-animaux mais également de la relation de l’éleveur avec son travail. Dans son travail, l’éleveur peut développer de véritables pratiques, dites « relationnelles », visant à favoriser cette relation humains-animaux. Elles sont façonnées par des influences internes et externes à l’éleveur et à son exploitation. Elles doivent être analysées dans le contexte de l’activité de l’éleveur avec ses animaux. Cette activité dépend du contexte socio-économique, des tâches à accomplir, des conditions concrètes de réalisation du travail en présence des animaux, des aléas rencontrés au-delà d’un travail anticipé ou prescrit. Elle dépend également des moyens de travail en présence (espaces, organisation du travail, outils…). Cet article souligne l’importance de l’engagement actif de l’éleveur dans la transformation de ses pratiques avec les animaux. Le défi majeur est de créer des cadres transdisciplinaires de compréhension et d’action propices à la construction d’une relation humains-animaux visant un bien-être interdépendant. L’ambition conjointe d’agir sur le travail humain et sur les travailleurs au service des besoins des animaux et d’agir sur les animaux, leur environnement de vie au service du travail des humains est au cœur du propos. Cela nécessite de penser différemment les modèles d’élevage futurs, en profitant de périodes particulièrement propices à l’évolution de l’éleveur, de son troupeau et de son exploitation.


Auteurs


Joffrey BEAUJOUAN

Affiliation : Humanesens, 63170, Aubière

Pays : France


Damien CROMER

Affiliation : Laboratoire ACTé, Université Clermont Auvergne, 63170, Aubière

Pays : France


Xavier BOIVIN

xavier.boivin@inrae.fr

Affiliation : INRAE, Université Clermont Auvergne, VetAgro Sup, UMRH, 63122, Saint-Genès-Champanelle

Pays : France

Pièces jointes

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