L’agroforesterie : atouts et points de vigilance pour répondre aux défis de l’élevage bio
Pratique agroécologique à la fois ancestrale et d’avenir, l’agroforesterie a le potentiel pour être une alliée de poids dans le développement de l’agriculture biologique. En effet, les animaux ont beaucoup à gagner à évoluer à l’ombre des arbres, et à en consommer les feuilles et les fruits. Réciproquement, les arbres peuvent bénéficier de la présence animale. Néanmoins, certaines adaptations peuvent être nécessaires, et la complexification des systèmes agricoles soulève de nouveaux défis.
Introduction
La « Révolution verte » qui, poussée par les incitations et subventions publiques, visait à atteindre l’autonomie alimentaire à la suite de la seconde guerre mondiale, s’est faite au prix d’une transformation profonde du profil des exploitations, et a conduit à une uniformisation et à un cloisonnement des paysages et des savoir-faire. Cela a notamment mené à la dégradation ou la suppression d’habitats semi-naturels tels que les haies et les prairies permanentes, participant de manière significative à l’extinction massive d’espèces vivantes (Reidsma et al., 2006). Par ailleurs, les agriculteurs ne captent qu’une faible partie de la valeur ajoutée générée par leur travail, et de nombreuses exploitations se trouvent fragilisées par un endettement important et par une forte dépendance vis-à-vis du cours des denrées agricoles et des intrants sur les marchés mondiaux.
L’agriculture biologique (AB) s’est développée en partie pour répondre aux impacts négatifs de cette intensification et spécialisation, en soulignant notamment l’importance de l’association cultures/élevage. Les « principes de l’agriculture biologique » mettent ainsi en avant les notions de santé globale (« soutenir et améliorer la santé des sols, des plantes, des animaux, des hommes et de la planète, comme étant une et indivisible ») et d’écologie (« [se baser] sur les cycles et les systèmes écologiques vivants, s’accorder avec eux, les imiter et les aider à se maintenir ») (IFOAM, 2005).
Les systèmes d’élevage ont une forte empreinte sur notre planète : en 2006, ils occupaient 33 % des terres émergées, parmi lesquelles 30 % des terres arables étaient utilisées pour la production d’aliments destinés au bétail (Steinfeld et al., 2006). Ce secteur représente 8 % de la consommation d’eau globale, et ses effluents produisent d’importantes pollutions des milieux aquatiques (Steinfeld et al., 2006 ; Schlink et al., 2010). D’après la FAO, les gaz à effet de serre émis par l’élevage, principalement sous la forme de CH4 et NO2, contribueraient à hauteur de 14,5 % (en équivalent CO2) des émissions anthropogéniques (Gerber et al., 2013).
Dans ce contexte, l’agroforesterie, pratique agricole consistant à associer des arbres avec des cultures et/ou de l’élevage, apparaît comme une des réponses possibles aux crises sanitaires, climatiques, économiques, sociétales, etc., actuelles ou à venir. Réédition moderne de pratiques ancestrales, l’agroforesterie est une tentative de maintenir voire d’améliorer les rendements agricoles, en bénéficiant des biens et services écosystémiques fournis par la présence des arbres. Dans un système agroforestier, la gestion des flux entrants (éclairement solaire, eau, nutriments…) et sortants (déjections animales, résidus de cultures, intrants agricoles résiduels…) peut en effet être optimisée par rapport à des parcelles séparées de culture et de boisement (Dupraz & Liagre, 2008). Des habitats sont générés pour la micro- et la macro-faune sauvage, du carbone atmosphérique est stocké en grande quantité, et des bénéfices peuvent être espérés en termes de santé des cultures et/ou de bien-être animal (Veldkamp et al., 2023). L’agroforesterie peut donc être envisagée comme une forme d’agroécologie en mesure d’accompagner la transition des exploitations vers l’agriculture biologique (Dupraz & Liagre, 2008), mais aussi comme une piste de développement pour l’avenir de l’AB (Rosati et al., 2021). Malgré tout, plusieurs contraintes sont générées par la présence des arbres, qui peuvent impacter le temps de travail, le rendement, et la vision du travail de l’agriculteur.
De nombreuses définitions existent pour qualifier les systèmes agroforestiers associant l’élevage (SAFEs, encadré 1). Il s’agit de systèmes complexes, qui outre des animaux (de différentes espèces et races) et des arbres (de diverses essences et variétés), comprennent aussi le sol, le climat, le couvert végétal, les pratiques agricoles préexistantes, ainsi que les agriculteurs et le contexte social, économique et politique dans lequel ces derniers sont insérés. Les motivations pour l’établissement d’un SAFE concernent les synergies qu’il peut produire entre alimentation animale, entretien du couvert végétal, bien-être animal, etc., mais des interactions négatives entre éléments du système sont aussi possibles. Il s’agira alors de les limiter par un pilotage approprié.
Figure 1. Modalités d’agroforesterie en élevage (SAFEs).
Le présent article ambitionne de documenter la diversité des SAFEs et des synergies potentielles qu’ils produisent, ainsi que leurs limites et les nouveaux enjeux qu’ils soulèvent, en variant les points de vue (arbre, animal, agriculteur) et en explorant les gradients d’intégration arbres/animaux. Cet article de synthèse s’appuie sur la littérature scientifique anglophone, mais également sur de la littérature grise (généralement francophone), ainsi que sur des résultats préliminaires issus de projets en cours. Dans une première partie, il passe en revue les différents types de défis auxquels l’élevage est confronté : changements globaux (extinction massive d’espèces, catastrophe climatique globale…), puis aborde la conduite et les performances de l’élevage agroforestier, pour s’intéresser finalement aux enjeux économiques, sociaux et réglementaires de cette pratique.
L’article choisit de centrer son propos sur les SAFEs des régions tempérées, en faisant à l’occasion référence à une littérature plus abondante concernant les conditions tropicales. Certains exemples sont extraits des données produites dans les systèmes sylvo-arables, qui ont aussi leur importance dans les systèmes d’élevage (production de concentré), et un focus particulier est porté sur les associations de l’élevage avec les cultures pérennes spécialisées (vergers, vignes).
1. L’agroforesterie pour faire face aux défis environnementaux et climatiques de l’élevage
1.1. Maintien des capacités productives des parcelles
Bien que souvent perçus comme des freins à la productivité agricole, les arbres sont aujourd’hui reconnus pour leur contribution à l’autonomie fourragère et au maintien de la qualité et de la fertilité des sols.
a. Une production fourragère plus diversifiée
La bonne gestion des fourrages est cruciale en agriculture biologique, puisque les cahiers des charges imposent une forte part d’aliments produits à la ferme, pour les ruminants comme pour les monogastriques. Les fourrages achetés doivent être certifiés biologiques et provenir autant que possible de la région, ce qui peut induire de fortes dépenses. Viser l’autonomie fourragère est donc essentiel, pour des raisons économiques mais aussi pour faire face aux sécheresses et aux canicules estivales.
b. Modification de la productivité et de la qualité du fourrage
Le risque de diminution des rendements fourragers limite l'implantation d'arbres en milieu agricole. Pourtant, l’effet des arbres sur les cultures varie selon la densité de plantation, les conditions pédoclimatiques et les espèces cultivées, compliquant toute conclusion générale en termes d’impact sur la productivité (Torralba, 2016). Concernant les prairies, l’effet des arbres est principalement dû à l’ombre produite mais pas ou peu à la compétition pour l’eau ou les minéraux (DeBruyne et al., 2011).
En France, une canopée ouverte à au moins 60 % peut ne pas affecter la productivité de la prairie, sauf pour l’herbe située au pied de l’arbre (Béral & Moreau, 2020), mais des diminutions sont observées dans d’autres prairies tempérées. Les arbres induisent un décalage temporel dans la croissance de l’herbe, permettant des pâturages ou des fauches plus tardives, grâce à la création de microclimats (Karki & Goodman, 2015). Bien que l’ombre des arbres puisse diminuer la production de légumineuses (Béral & Moreau, 2020), les graminées peuvent être de meilleure qualité fourragère sous le houppier (Kallenbach et al., 2006), ce qui pourrait mener à des fourrages de qualité équivalente entre agroforesterie et prairie ouverte. Des modèles de calcul de la densité d’arbres optimale pour conserver une productivité adéquate de la ressource herbacée ont été produits (García de Jalón et al., 2018b), mais restent largement à mettre à l’épreuve des données du terrain.
c. Une meilleure valorisation de la strate herbacée
La présence d’arbres impacte aussi le comportement des animaux qui vont potentiellement mieux valoriser la strate herbacée.
Pour les volailles, l’aménagement du parcours est essentiel pour les inciter à sortir du bâtiment d’élevage (Béral et al., 2014). Les poules en parcours arborés consomment ainsi plus d’herbe (Dal Bosco et al., 2014), favorisant une meilleure prise de poids (Germain, 2014). Néanmoins, l’accès à un parcours peut aussi engendrer une ingestion de sol plus importante (Jurjanz et al., 2015). Ainsi, maintenir la qualité du couvert enherbé est crucial pour limiter cet effet et garantir un apport alimentaire adapté. Ceci nécessite d’identifier les espèces herbacées appétentes et ayant des teneurs protéiques intéressantes (Germain, 2014), tout en prenant en compte l’aspect lié à la concurrence du couvert vis-à-vis des arbres. Les arbres protègent les porcins du soleil, favorisant leurs déplacements dans les prairies (Jakobsen, 2018). De plus, la consommation de fourrages sur pied par les porcins permet de réduire la part d’aliments concentrés distribués et d’améliorer la valorisation des carcasses (Maupertuis & Desaint, 2023).
d. Les arbres comme source de fourrage
De nombreuses espèces d’arbres sont utilisées depuis le néolithique pour nourrir le bétail dans les étables (Rasmussen, 1989). Trois points sont à prendre en compte pour étudier leurs intérêts pour des ruminants : le rendement, la qualité fourragère et l’appétence.
Les rendements fourragers sont encore méconnus, et varient selon les espèces, âges et modes de gestion (trogne ou haut jet
Les espèces ligneuses montrent une forte variabilité dans leurs valeurs nutritives : elles sont souvent de qualité supérieure aux graminées en été, mais elles restent inférieures à la chicorée (Novak et al., 2020a) (tableau 1). Le remplacement partiel de la luzerne par du mûrier blanc dans les rations de chèvres augmente la production de matière grasse de 9 g par kg de lait (Boyer, 2022). Comme pour les espèces herbacées, la qualité fourragère des espèces ligneuses diminue avec l’avancement de la saison (Mesbahi et al., 2022a). Les espèces ligneuses peuvent contenir de nombreux composés secondaires aux potentielles propriétés médicinales et/ou de diminution des émissions de gaz à effet de serre, mais pouvant aussi avoir un effet antinutritionnel (cf. § 2.1.b). Au-delà des ruminants, des études préliminaires montrent que les porcs en phase de finition consomment les fourrages arborés (saule) disponibles, mais que cela ne suffit pas à compenser la perte de croissance causée par une restriction de 30 % de la ration alimentaire (Kongsted, 2022).
Nom français | Nom latin | Digestibilité in vitro (%) | Matière azotée totale (g/kg MS) |
Aubépine | Crataegus monogyna | 73,1 | 126 |
Cornouiller sanguin | Cornus sanguinea | 89,4 | 90 |
Mûrier blanc | Morus alba | 84,8 | 164 |
Noisetier | Corylus avellana | 51,1 | 133 |
Orme champêtre | Ulmus minor | 60,8 | 131 |
Robinier | Robinia pseudoacacia | 50,1 | 216 |
Saule des vanniers | Salix viminalis | 58,7 | 167 |
Saule marsault | Salix caprea | 70,4 | 159 |
Chicorée | Cichorium intybus | 87,3 | 207 |
Ray-grass anglais | Lolium perenne | 62,4 | 120 |
Les fruits cultivés (pommes, cerises…) ou sauvages (glands, châtaignes…), peuvent également être valorisés par les animaux (Solagro, 2016). Dans le projet Lapoesie, des lapins pâturant dans un verger ont ainsi consommé 23 % d’aliments en moins par rapport à leurs congénères élevés en bâtiment, du fait de leur utilisation du couvert végétal et des fruits tombés au sol (Savietto, 2023). Dans les systèmes méditerranéens de production porcine extensive (dehesa, montado), la consommation de fruits durant la finition améliore le gras intramusculaire, le profil d’acide gras de la viande, et son appréciation par les consommateurs (Lebret, 2008).
L’étude de l’appétence est primordiale, car une espèce productive et de bonne qualité fourragère devient inutile si elle n’est pas consommée par les animaux. Le frêne est traditionnellement utilisé comme fourrage, pourtant diverses études ont montré qu’il était très peu pâturé par les bovins si d’autres ressources étaient disponibles (Vandermeulen et al., 2018 ; Mesbahi et al., 2022b), mais que les ovins le consomment volontiers à l’auge lorsqu’il est présenté seul (Bernard et al., 2020). Parmi les espèces régulièrement observées en Europe de l’Ouest, l’aubépine, le cornouiller, l’orme, le noisetier, le robinier et certains saules sont particulièrement appréciés des ruminants (Vandermeulen et al., 2018) (figure 2). Le mûrier blanc, plus méditerranéen, est aussi très appétent pour les bovins, ovins et caprins. Ces résultats sur l’appétence sont cependant à compléter, car peu d’études ont été réalisées à ce jour et les déterminants des préférences alimentaires restent à identifier selon les espèces, races, habitudes ou encore l'équilibre de la ration alimentaire des animaux.
e. Des sols agroforestiers en bonne santé
Les sols agricoles bénéficient généralement de l’introduction d’arbres sur les parcelles : en grandes cultures, l’agroforesterie améliore leur structuration, augmente la stabilité des agrégats et la capacité d’infiltration de l’eau, ce qui induit une meilleure résistance aux phénomènes érosifs (Fahad et al., 2022). Dans les sylvopâtures méditerranéennes traditionnelles, une réduction de l’érosion hydrique a également été observée, bien que cela soit dépendant des pratiques de pâturage (Shakesby et al., 2002). Le piétinement par les animaux, mais également la croissance radiale des racines des arbres, peut exercer un effet de compaction sur le sol, mais celui-ci reste assez peu marqué et sa réversibilité est bonne (Sharrow, 2007).
Une partie de la biomasse des arbres est in fine mise à disposition des autres éléments de l’agroécosystème, via la décomposition des racines fines et la chute annuelle des organes aériens caducs. Les arbres induisent la remontée d’eau et de minéraux depuis les couches profondes du sol, inaccessibles aux racines des plantes herbacées. En outre, certaines espèces d’arbres et arbustes fixent l’azote atmosphérique dans le sol, grâce à la relation symbiotique établie avec des bactéries spécifiques, ce qui pourrait favoriser la croissance des plantes avoisinantes. Il s’agit en particulier d’espèces de la famille des légumineuses (Fabaceae) comme le févier d’Amérique (Gleditsia triacanthos), mais aussi par exemple des aulnes (Alnus spp) et de l’argousier (Hippophae rhamnoides).
L’agroforesterie a un impact positif sur l’abondance et la diversité des micro- et macro-organismes du sol, de manière plus marquée dans les systèmes sylvoagraires (Marsden et al., 2020 ; Beule et al., 2022), que sylvopastoraux (Cubillos et al., 2016 ; Poudel et al., 2022).
La présence d’animaux dans les zones arborées (boisements, cultures pérennes) engendre la déposition de déjections (urine, fèces) riches en minéraux favorables à la croissance des arbres. L’activité biologique des sols et la disponibilité de l’azote et du phosphore sont par exemple améliorées dans des vignobles et des oliveraies pâturés par des moutons (Ferreira et al., 2013 ; Brewer et al., 2022). Les effets peuvent néanmoins s’inverser au-delà d’un certain seuil : par exemple, la présence de volailles enrichit en azote le sol des zones boisées (Hilimire et al., 2013), mais une présence prolongée à un chargement élevé finit par produire une surfertilisation délétère pour les arbres fruitiers (Timmermans & Bestman, 2016).
1.2. Atténuation des effets négatifs de l’agriculture sur l’environnement
a. Services écosystémiques et biodiversité
Au-delà de son effet sur la fertilité des sols, l’association équilibrée d’animaux et d’arbres peut également contribuer à limiter les impacts environnementaux et climatiques liés aux pratiques agricoles.
La suppression de forêts pour créer des pâtures induit la perte des services de régulation hydrique rendus par les arbres (Jose, 2009 ; Zhu et al., 2020 ; Smith et al., 2022). Dans un SAFE, ces derniers exercent une fonction de « filet de sécurité », limitant le flux d’eau et de nutriments non captés ou restitués par la strate herbacée, qui pourraient provoquer des pollutions environnementales ou simplement une perte de performance du système (Udawatta et al., 2011 ; Zhu et al., 2020). Cet aspect est particulièrement important dans l’élevage porcin, qui génère des quantités élevées d’azote spatialement localisées sous forme de « latrines », efficacement captées par les racines des arbres (Jakobsen et al., 2019).
L’agroforesterie produit des hétérogénéités spatiales, donc une diversité d’habitats potentiels, ce qui a généralement un effet positif sur la biodiversité. Cet effet est marqué dans les systèmes sylvoagraires (Beillouin et al., 2021) mais plus contrasté dans les SAFEs : si certaines études suggèrent que les pâtures arborées attirent à la fois les espèces forestières et celles inféodées aux milieux ouverts (Mcadam et al., 2007), d’autres concluent que les SAFEs ne présentent pas de biodiversité plus élevée que les milieux pastoraux ou forestiers (Mupepele et al., 2021). Ce résultat pourrait être dû à la diminution de la proportion d’espèces végétales menacées ou spécialistes des prairies lorsque les arbres se développent sur des prairies permanentes (Boch et al., 2019). La zone climatique semble aussi avoir une importance : en Europe, les services écosystémiques fournis par les SAFEs sont plutôt positifs en milieu méditerranéen, mais neutres en milieu tempéré, continental et alpin (Torralba, 2016). La conception des parcours arborés (choix des espèces, type d’aménagements) et leur connectivité à une mosaïque paysagère diversifiée sont donc cruciales pour maximiser l’efficacité des SAFEs vis-à-vis de la biodiversité (Béral et al., 2014).
L’utilisation d’animaux pour gérer l’enherbement dans les vignes et vergers permet de limiter les opérations de broyage, lesquelles impactent les espèces d’arthropodes les moins mobiles. De plus, la présence de déjections animales peut attirer des scarabéidés spécialisés dans leur décomposition, qui sont initialement absents des zones de cultures végétales, et qui à leur tour génèrent de nombreux services écosystémiques (Nichols et al., 2008).
b. Stockage de carbone
Le passage de pratiques agricoles « classiques » à l’agroforesterie augmente généralement le stock de carbone de la parcelle (De Stefano & Jacobson, 2018 ; Mayer et al., 2022), du fait de la production de biomasse aérienne et souterraine par les arbres, et de la modification des cycles du carbone et de l’azote sous l’influence des microclimats créés par les arbres (Marsden et al., 2020). Cet effet est plutôt détecté dans les horizons de surface, alors même que les arbres sembleraient en mesure de stocker du carbone dans les couches du sol plus profondes. Les arbres à feuillage caduc sont associés à un stockage de carbone plus intense, probablement du fait de leur enracinement plus profond et de la quantité et facilité de dégradation de leur litière (Mayer et al., 2022).
Pourtant, la perturbation générée par l’établissement d’un SAFE à partir d’un environnement forestier ou prairial semble en mesure de générer des pertes temporaires ou durables de carbone du sol (De Stefano & Jacobson, 2018 ; Contosta et al., 2022 ; Mayer et al., 2022). En effet, les prairies permanentes tempérées sont proches de la saturation de leur stock de carbone organique, et l’implantation d’arbres peut perturber les communautés herbacées installées (Mayer et al., 2022). Pour autant, le potentiel de stockage de carbone semble plus élevé à long terme dans un SAFE que dans une pâture ouverte (Contosta et al., 2022).
À l’inverse, transformer les parcelles tempérées de cultures temporaires permet une forte augmentation des stocks de carbone, car ces stocks sont souvent initialement faibles (De Stefano & Jacobson, 2018 ; Mayer et al., 2022).
En vignoble ou en plantation de merisiers, il a été montré que le pâturage induit un stockage de carbone accru, quelle que soit la profondeur observée, à condition que le pâturage soit mené correctement (Ferreiro-Domínguez et al., 2016 ; Brewer et al., 2022). En effet, les déjections animales enrichissent le sol en carbone directement et indirectement via l’activation de la communauté microbienne (Brewer & Gaudin, 2020). Néanmoins, cela pourrait également accroître les émissions de N2O et CH4, puissants gaz à effet de serre (Lazcano et al., 2022).
En résumé, l’agroforesterie pourrait contribuer à la limitation du changement climatique, surtout dans les systèmes sylvoagraires (« alley-cropping »). Ainsi, c'est principalement dans les parcelles en rotation que les fermes d'élevage peuvent augmenter leur stockage de carbone dans le sol. Les SAFEs sont aussi particulièrement efficaces pour stocker du carbone en milieu tropical, mais leur intérêt en milieu tempéré est plutôt de lutter contre l’érosion hydrique et éolienne, et d’améliorer les microclimats (Mayer et al., 2022).
c. Émissions de méthane
En plus de leur rôle dans la séquestration de carbone, les arbres fourragers peuvent aider à diminuer les émissions de gaz à effet de serre des ruminants. Ainsi, l’abroutissement d’arbres ou la consommation de bouchons de feuilles permettent une diminution, souvent faible, des émissions de méthane (Ramírez-Restrepo et al., 2010 ; Terranova et al., 2021). De plus, une diminution des émissions d’azote urinaire est parfois observée, permettant la diminution des émissions de N₂O, qui est lui aussi un gaz à effet de serre (Terranova et al., 2021).
Cette diminution est souvent liée à la teneur en tanins condensés des fourrages (Terranova et al., 2021), mais d’autres composés secondaires comme les saponines et les phénols plus généralement pourraient aussi avoir un rôle, encore mal compris. Les espèces ligneuses de climat tempéré ayant de fortes teneurs en tanins (> 50 g/kg MS) sont par ordre croissant le hêtre, le kiwi, la vigne, le noisetier, le saule des vanniers et le robinier (Novak et al., 2020a), ces deux dernières espèces ayant même des teneurs supérieures à celles du sainfoin. Ces teneurs évoluent cependant selon les individus et les conditions pédoclimatiques. Les noisetiers, saules des vanniers et robiniers sont particulièrement intéressants car de nombreuses observations ont montré qu’ils étaient appréciés des ruminants.
2. Cohabitation des arbres et des animaux : synergies potentielles et enjeux techniques de l’agroforesterie
2.1. Bien-être et santé des animaux
a. Microclimat et ombrage
L'agroforesterie crée des hétérogénéités microclimatiques à l’échelle de la parcelle permettant aux animaux de choisir l’environnement le plus adapté à leur bien-être. Les arbres protègent du soleil, tamponnent les variations de température, et limitent la vitesse du vent (Karki & Goodman, 2015) : les températures peuvent ainsi être diminuées de 3 à 6 °C par rapport à une prairie non arborée (Béral et al., 2018). La protection climatique fournie par les arbres concerne aussi les conditions froides, pluvieuses ou ventées : les ovins recherchent alors activement leur couvert, et les bovins gagnent à hiverner dans les zones boisées si les sols le permettent. Une parcelle arborée de manière régulière fournit des abris faciles à atteindre, ce qui pourrait limiter la dépense énergétique du bétail (Béral et al., 2018).
Dans l’ensemble, la protection et la diversité de microclimats offertes par les arbres améliorent le bien-être des ruminants, des porcins, des volailles, et des lapins, en fournissant des abris contre les conditions adverses, et en leur permettant d’exprimer leurs comportements naturels (Dal Bosco et al., 2014 ; Jakobsen, 2018 ; Savietto, 2023) (figure 3).
b. Impact de la présence d’arbres sur la santé des animaux
L’introduction d’arbres dans les parcours ou dans l’alimentation des animaux pourrait être une opportunité pour réduire les intrants médicamenteux des élevages, notamment en aidant au contrôle du parasitisme interne. Pour autant, les effets thérapeutiques ou nocifs des éléments arborés sur les animaux d’élevage, dans les conditions d’exploitation, restent encore incertains et nécessitent des recherches plus approfondies pour mieux accompagner les agriculteurs.
Les parcours arborés favorisent l’exploration d’un environnement plus vaste par les animaux (Germain, 2014), ce qui peut contribuer à limiter leur concentration et donc leur réinfestation parasitaire. Également, certains composés chimiques présents dans les feuilles des arbres pourraient contribuer, dans les prairies, à limiter les populations de parasites intestinaux avant leur ingestion par les animaux d’élevage. En revanche, le microclimat plus frais et humide généré par les arbres (et par l’irrigation dans le cas des vergers) pourrait bénéficier à ces parasites ; les données manquent encore pour conclure à ce sujet.
Les animaux sont susceptibles de consommer spontanément certaines plantes dans une démarche d’automédication, bien que ce comportement dépende fortement de leur race et de leur historique, et reste encore débattu par la communauté scientifique (Villalba et al., 2014). Ainsi, des chevreaux fortement parasités se mettent à consommer le pistachier lentisque, ce qui diminue l’infestation (Landau et al., 2010). Par ailleurs, des agneaux infestés par des parasites augmentent leur consommation de fourrage riche en tanins (Lisonbee et al., 2009).
En effet, les feuilles, les fruits, le bois vert, et l’écorce des arbres peuvent contenir de fortes teneurs en tanins (Novak et al., 2020a), reconnus pour leur effet antiparasitaire. Ainsi, l’ingestion de saule frais riche en tanins diminue l’infestation des agneaux (Musonda et al., 2009 ; Mupeyo et al., 2011). La consommation par des porcs de fruits riches en tanins et en lactones sesquiterpéniques (châtaignes, noix, noisettes, glands…) améliore leur tolérance vis-à-vis des nématodes et des bactéries pathogènes (Hassan et al., 2020).
Toutefois, la diversité des tanins, les molécules auxquels ils s’associent et l’environnement des animaux empêchent de conclure à ce stade sur les propriétés réelles des différents tanins sur la santé en conditions d'élevage. Certaines études montrent par exemple l’importance d’associer les tanins à des rations pauvres en protéines, car les tanins associés aux protéines perdent leur efficacité (Butter et al., 2000) et inhibent l’assimilation de ces dernières. À l’inverse, une ration riche en protéines pourrait permettre à l’animal d’expulser plus de parasites, de réduire les pertes de poids et de limiter les réinfections (Butter et al., 2000).
Les fourrages ligneux peuvent aussi jouer un rôle dans l’alimentation minérale des animaux d’élevage. Par exemple, figuier, mûrier blanc et tilleul contiennent 15 fois plus de calcium que le maïs (Novak et al., 2020a). Pour valoriser les minéraux, il est donc possible de planter des « haies médicinales » en bordure de parcelles ou le long des chemins empruntés par les troupeaux.
Cependant, certains arbres peuvent contenir des molécules toxiques. Les risques sont faibles pour les ruminants, mais semblent non négligeables pour les monogastriques. Ces risques sont encore très peu compris aujourd’hui car ils dépendent de la dose ingérée, de la proportion dans la ration, du stade phénologique des feuilles ou fruits consommés, de l’espèce animale, de l’habitude du troupeau, des interactions entre molécules et éventuels effets « cocktail », etc.
c. Prédation
Les animaux d’élevage de petite taille (volailles, lapins) sont particulièrement sujets à la prédation en plein air, qu’elle soit aérienne (rapaces) ou terrestre (renards, fouines…) (Stahl et al., 2002).
Les poules peuvent se prémunir contre la prédation terrestre en se perchant dans les éventuels éléments arborés, bien que ce comportement dépende de la race et des individus, ainsi que de la conduite de l’élevage (amputation des rémiges). La protection fournie par les arbres contre la prédation aérienne est également intéressante, même si certaines espèces de rapaces, comme l’autour des palombes, sont capables de chasser en sous-bois (Bestman & Bikker-Ouwejan, 2020).
La présence d’arbres procurerait donc un sentiment de sécurité aux volailles et aux lapins, mais n’est pas à elle seule suffisante pour garantir la protection contre la prédation et le vol d’animaux, lesquels restent des enjeux majeurs des systèmes agroforestiers (García de Jalón et al., 2018a). D’autres systèmes de protection tels que des abris fermés pour la nuit, des systèmes de clôtures électrifiées, et éventuellement d’effarouchement restent donc indispensables (Knierim, 2006).
La disposition du couvert arboré pourrait induire des modifications du comportement de vigilance par rapport au risque d’attaque. Les bovins renonceraient à s’allonger à proximité d’une haie, derrière laquelle des loups pourraient se cacher, alors qu’ils s’autoriseraient à se reposer dans un bosquet isolé doté d’une bonne visibilité (Kluever et al., 2008) – comportement que les ovins, quant à eux, semblent ne pas adopter (Monier S., communication personnelle).
2.2. Dégâts aux arbres
Malgré un fort potentiel de bénéfices réciproques de l’association des animaux avec les arbres, des risques existent pour la pérennité des plantations. Ils dépendent des espèces introduites dans les zones boisées, du taux de chargement, du temps de séjour des animaux, du type de conduite du troupeau, et de nombreux autres paramètres. La littérature disponible sur le sujet concerne surtout les dégâts causés par les ongulés ou les rongeurs sauvages, et ne peut pas toujours être transposée aux situations d’élevage.
a. Abroutissement
Le premier type de dégâts que les animaux peuvent causer aux arbres concerne l’abroutissement, à savoir la consommation des feuilles et des rameaux. Cette action n’est pas nécessairement néfaste, et peut même être recherchée dans le cas de pâturage d’arbres fourragers, dans des landes et maquis, ou en milieu forestier (élagage des branches basses), à condition que le bourgeon terminal soit inaccessible (Gill, 1992b).
Dans les zones d’arboriculture fruitière intensive, en revanche, cela conduit à une perte de production sur l’étage accessible aux animaux, qui est également celui où la récolte est la plus aisée. En hiver, les dégâts causés par le pâturage ovin restent généralement acceptables (quelques bourgeons consommés), mais après débourrement, la végétation peut être consommée jusqu’à une hauteur de 1,60 m (SSBA, 2017 ; Conrad et al., 2022), ce qui est souvent considéré comme rédhibitoire par les producteurs (AREFE, 2018). Certaines races ovines, comme la shropshire (lignée danoise) et la southdown, semblent incapables de se tenir debout sur leurs pattes arrière, ce qui permettrait de réduire la hauteur des dégâts (Conrad et al., 2022). Les arbres peuvent être protégés de l’abroutissement par des fils électriques ou barbelés, tandis que l’application de répulsifs semble efficace à court terme contre l’abroutissement par les ovins (Guittonneau et al., 2023a) mais peu contre celui des bovins (Novak et al., 2020b).
De manière évidente, des animaux de plus grande taille (bovins, équins) risquent d’occasionner des dégâts d’abroutissement jusqu’à des hauteurs plus importantes, sans compter l’éventualité que des branches soient arrachées du fait du frottement des animaux. Dans ces situations, seuls les boisements relativement âgés et les vergers de haute tige seront alors appropriés.
En viticulture, bien que le même type de problématique se pose, il est intéressant de noter que certains producteurs (essentiellement en Nouvelle-Zélande et en Australie) utilisent les moutons pour réaliser un effeuillage ponctuel dans la zone des grappes, sans dégâts pour la récolte si la temporalité est maîtrisée (Emms, 2010). L’épamprage (suppression des pousses non fructifères) par les ovins peut également être envisagé (Conrad et al., 2022).
b. Écorçage
De nombreux animaux sont susceptibles de consommer ou de dégrader les écorces des arbres présents sur leur parcelle de pâturage, ce qui peut être rédhibitoire si les arbres représentent une importante valeur ajoutée (vergers, bois d'œuvre précieux).
Les ovins peuvent écorcer des pommiers de manière massive et soudaine, au milieu d’un épisode de pâturage en vergers sans incident (figure 4). Pour autant, sur plusieurs années de pâturage, ils semblent occasionner moins de dégâts cumulés que les bovins ou les chevaux (López-Sánchez et al., 2020). Les lapins, quant à eux, sont très généralistes, capables d’écorcer massivement des jeunes arbres particulièrement en hiver, avec une préférence toutefois pour les arbres fruitiers (Gill, 1992a). Une protection adéquate des arbres à l’aide de manchons permet de pallier efficacement ce risque (Savietto, 2023). Des observations préliminaires du FiBL France indiquent que les porcs à l’engraissement peuvent provoquer d’importants dégâts par consommation des écorces et des racines avec une plus forte prédilection pour certaines espèces (pommier, abricotier, cerisier, prunier, alisier blanc), alors que d’autres semblent épargnées (érables, frêne à feuilles étroites, viorne lantane, fusain d’Europe). Même parmi les arbres d’une même espèce, le génotype de certains individus a un impact sur la probabilité d’écorçage (Guerreiro et al., 2015).
L’alimentation dont disposent les animaux joue très probablement un rôle central dans le déclenchement du comportement d’écorçage : il a par exemple été observé que les cervidés consomment prioritairement l'écorce des hêtres ayant la plus forte teneur en sucre (Kurek et al., 2019). Les ruminants semblent augmenter leur propension à écorcer les arbres lorsque leur alimentation est déficitaire en fibres, en minéraux, ou en protéines (SSBA, 2017 ; Nicodemo & Porfírio-da-Silva, 2019). Par ailleurs, Keenan (1986) a observé que l’écorçage d’eucalyptus par des chevaux semblait être lié à la présence d’irrigation sur leur pâturage. Des témoignages d’agriculteurs abondent dans le même sens, reliant précipitations abondantes, faible teneur en fibres dans le fourrage herbacé, et comportement d’écorçage par les ovins. Cependant, ce facteur est insuffisant pour déclencher le comportement d’écorçage parmi des petits groupes d’ovins pâturant dans des vergers de pommiers (Guittonneau et al., 2023b).
De nombreux autres facteurs semblent avoir une influence sur le déclenchement de ce comportement : densité des arbres ou du chargement, conduite du troupeau, apprentissage social et dynamiques collectives, automédication (cf. § 2.1.b), stress, ennui, etc. (figure 5). Le comportement d’écorçage est donc probablement à comprendre comme la résultante d’un ensemble de facteurs concordants, sans que la pondération de ces différents éléments soit très claire. Ces incertitudes rendent le pâturage en agroforesterie potentiellement insécurisant pour les gestionnaires du troupeau et de la parcelle.
Pour autant, les cas de mortalité massive de plantations suite à l’introduction d’animaux d’élevage restent relativement rares, surtout si on les compare aux dégâts commis par les animaux sauvages : campagnols, lapins, cervidés. Cette différence provient surtout de la surveillance du troupeau, qui permet de limiter l’écorçage à des dégâts légers à moyens, lesquels peuvent malgré tout aboutir à une perte de performance des arbres s’ils sont réitérés fréquemment (López-Sánchez et al., 2020). Des études sont nécessaires pour documenter plus précisément l’impact d’écorçages occasionnels sur la physiologie et la productivité des arbres.
2.3. Spécificités liées au pâturage des vignes et vergers
a. Risques liés aux produits phytosanitaires utilisés en AB
Lorsque la composante arboricole du SAFE est une culture à haute valeur ajoutée (vignobles, vergers…), des produits de phytoprotection sont généralement appliqués sur le feuillage. Les substances employées sont très diverses, et leurs effets sur la santé des humains, et a fortiori des animaux, ne sont pas toujours bien connus. Or, ces derniers sont potentiellement très exposés à des risques de toxicité, en particulier lorsqu’ils consomment le couvert végétal et/ou des éléments du sol, voire les feuilles des arbres. Qui plus est, les études visant à évaluer la toxicité des pesticides sont généralement réalisées sur des animaux modèles (rat, chien…) et sur des animaux sauvages (poissons, insectes pollinisateurs…), mais les données sont très rares pour les animaux d’élevage alors que les seuils de toxicité varient significativement d’une espèce à l’autre.
L’agriculture biologique fait un emploi particulièrement important des fongicides/bactéricides à base de cuivre, notamment en viticulture et arboriculture (Andrivon et al., 2019 ; Lamichhane et al., 2018). Le cuivre est bien toléré par de nombreux animaux, son absorption étant même un facteur de promotion de la croissance chez les porcins, les volailles et les lapins. En revanche, une quantité de cuivre, même relativement faible, ingérée pendant plusieurs mois peut être létale pour les bovins et les ovins (National Research Council, 2005 ; Suttle, 2010). Chez ces derniers, le cuivre est en effet principalement accumulé dans le foie, d’où il peut être relargué soudainement suite à un stress même léger (modification d’alimentation, changement de parcelle, mise bas…), provoquant la mort de l’animal en quelques jours.
Le pâturage hivernal de vignes et de vergers par des ovins peut néanmoins être conduit sans risque d’intoxication si un délai suffisamment long est respecté après le dernier traitement. Le cuivre est alors dilué par la pousse des plantes et lessivé par la pluie, abaissant sa concentration à des niveaux non toxiques en quelques semaines (Trouillard et al., 2021 ; Dufils et al., 2022). Les situations réclamant une surveillance particulière sont donc celles où le pâturage intervient rapidement après l’application de produits à base de cuivre : printemps/été pour pommiers ou noyers (Trouillard et al., 2023), sortie d’hiver pour pêchers, pâturage hivernal en verger de pommiers ayant subi une défoliation précoce aux chélates de cuivre – ou lorsque la consommation des feuilles de vigne par les ovins est réalisée à dessein (Emms, 2010). En cas de doute, le risque d’intoxication peut être estimé en se basant sur les teneurs en cuivre, en molybdène et en soufre (antagonistes de l’absorption du cuivre) dans le couvert végétal (Trouillard et al., 2021).
L’application phytopharmaceutique pourrait occasionnellement produire des « effets collatéraux » en médecine vétérinaire : par exemple, l’azadirachtine, utilisée dans le traitement des infestations de divers insectes en verger biologique, pourrait avoir un effet antiparasitaire sur les strongles gastro-intestinaux du mouton (Iqbal et al., 2010), et sur la gale porcine (Pasipanodya et al., 2021). Il reste à déterminer si les doses employées permettent un réel gain sanitaire pour les animaux.
La question des résidus de pesticides dans les produits animaux destinés à la consommation humaine est complexe, du fait de la diversité des substances employées (Dasenaki et al., 2023). Le cuivre quant à lui s’accumule peu dans les muscles des animaux, et l’humain y est généralement peu sensible (Anses, 2012).
b. Prophylaxie du verger liée au pâturage
Si l’intégration des animaux en arboriculture vise surtout la gestion de l’enherbement, elle offre également un moyen de contrôle des bioagresseurs (Paut et al., 2021), particulièrement dans le cas des volailles. Toutefois, l’intégration des animaux doit être utilisée à titre préventif, et non comme solution curative (Laget et al., 2015). Les animaux peuvent exercer une prophylaxie directe en prédatant les bioagresseurs, ou indirecte en rendant le milieu défavorable à leur présence et à leur développement.
La prophylaxie directe implique principalement l’ingestion des bioagresseurs par les animaux : les poules peuvent s’attaquer à certains ravageurs des cultures fruitières tels que le scarabée japonais (Popillia japonica) et la punaise terne (Lygus lineolaris) (Clark & Gage, 1996). De manière non ciblée, les animaux peuvent aussi consommer des ravageurs ou des pathogènes présents dans ou sur les fruits tombés au sol (Lavigne et al., 2012). Suite à l’introduction de cochons en vergers de pommiers ou de poiriers, la quasi-totalité des fruits tombés au sol était consommée, favorisant ainsi la lutte contre la mouche de la pomme (Rhagoletis pomonella) ou la réduction de l’inoculum de carpocapse de la pomme (Cydia pomonella) et de tordeuse orientale du pêcher (Grapholita molesta) (Nunn et al., 2007 ; Buehrer & Grieshop, 2014).
En termes de lutte indirecte, la présence de poulets dans un verger abaisse les populations de fourmis mutualistes des pucerons, ce qui pourrait limiter l’impact de ces derniers (Hilaire & Mathieu, 2000). La consommation de la strate herbacée par des herbivores expose les rongeurs (Wilson & Hardestry, 2006) et les insectes (Witt et al., 1995 ; Clark & Gage, 1996) à leurs prédateurs naturels et à un climat défavorable. Par ailleurs, le piétinement des ovins semble détruire les galeries et le tumulus des campagnols consommateurs de racines des arbres fruitiers (Pype & Venineau-Delvalle, 2016), et pourrait diminuer l’inoculum de la tavelure (Venturia inaequalis) par dégradation de la litière, bien que cela reste difficile à confirmer (Dufils, 2017).
Pour caractériser le potentiel de prophylaxie de l’espèce animale à introduire, il est indispensable de considérer ses préférences alimentaires, son comportement de recherche alimentaire (grattage du sol, abroutissement, broutage…), et sa morphologie. Un compromis doit être trouvé entre l’effet prophylactique recherché et la complémentarité avec les cultures fruitières : passage des animaux sous les branches basses, compaction du sol. Des adaptations de conduite du SAFE peuvent être nécessaires (déplacement des abris, parcs tournants), pour synchroniser la présence animale avec le stade de sensibilité du bioagresseur ciblé, afin d’optimiser l’efficacité prophylactique.
3. L’agroforesterie pour faire face aux défis économiques et organisationnels de l’élevage.
3.1. Entre diversification des revenus et coûts additionnels
En plus de fournir des services écosystémiques et agronomiques, l’intégration d’un nouvel atelier offre de nouvelles possibilités de revenus et d’économies. La production arboricole peut fournir du bois d’œuvre, du bois-énergie, des fruits ou d’autres denrées (figure 6), et l’élevage génère des produits animaux commercialisables : œufs, viande et autres coproduits tels que la laine (Moreno et al., 2018). Les déjections animales apportent des éléments nutritifs pour les cultures (cf. § 1.1.e), dont la contribution peut être très appréciable dans un contexte de forte volatilité du prix des matières fertilisantes. Par ailleurs, la présence animale dans des vignes et vergers est fréquemment exploitée à des fins d’image de marque, permettant potentiellement une meilleure valorisation économique des produits (Mohamed, 2015).
La diversification engendrée par l’association d’arbres et d’animaux devient une source de résilience économique, dans la mesure où les deux ateliers sont impactés différemment par les aléas climatiques (gel tardif, sécheresse) ou conjoncturels (variation des prix de vente) (Cubbage et al., 2012). Cet effet est renforcé par les différences de temporalité entre ateliers (Smith et al., 2022). Une valorisation à court terme des produits issus de l’élevage peut permettre un revenu en attendant une valorisation de plus long terme des fruits ou du bois d’œuvre (Dupraz & Liagre, 2008 ; Smith et al., 2022). De même, les revenus saisonniers liés à la vente de fruits peuvent, par exemple, être complétés par des revenus plus réguliers issus de la commercialisation d’œufs.
À cette complémentarité temporelle s’ajoute une complémentarité spatiale liée à la coexistence dans un espace restreint de deux productions simultanées. Celles-ci bénéficient alors de synergies qui permettent de faire des économies, notamment en termes de bouclage de cycle (Rocchi et al., 2019). Une troisième complémentarité concerne les modes de valorisation économique : circuit long, vente directe, autoconsommation – ce qui peut stabiliser l’économie des fermes en améliorant leur potentiel vivrier (Moreno et al., 2018 ; Guittonneau & Pellissier, 2023).
Néanmoins, la mise en place d’un atelier complémentaire est aussi coûteuse (Paut et al., 2021). Des investissements sont nécessaires pour développer un atelier d’élevage : clôtures, bâtiments, installations de traitement, éventuellement de transformation et d’emballage des produits animaux. Les tâches spécifiques à l’élevage (surveillance, soins, abreuvement, alimentation…) et leur coût s’ajoutent aux charges déjà engagées pour les vignes ou vergers, ce qui peut être difficilement gérable pour certains agriculteurs (Moreno et al., 2018 ; Guittonneau & Pellissier, 2023).
Introduire des arbres en partant d’un atelier d’élevage implique aussi quelques investissements et coûts réguliers pour s’assurer de leur bon développement : matériel végétal, dispositifs de protection, fertilisation, irrigation, paillage, etc. (Béral et al., 2014). Les charges inhérentes aux opérations de récolte (abattage, découpe, transport) doivent être également intégrées au modèle économique envisagé (Solagro, 2016).
Dans tous les cas, de nouvelles connaissances et compétences doivent être acquises, et les erreurs commises par inexpérience peuvent affecter la réussite de l’atelier d’élevage et/ou la valorisation économique des arbres. Un SAFE nécessite donc une gestion attentive, éventuellement coûteuse en ressources, mais ayant le potentiel pour générer un surcroît de revenus s’il est géré de manière adéquate (Jose et al., 2017 ; Pent, 2020).
3.2. Organisation et charge de travail, réglementation
Le développement d’un SAFE à partir d’une ferme d’élevage n’en modifie pas profondément l’organisation. La présence d’arbres procure une certaine flexibilité : mobilisation de la ressource fourragère arborée en cas de pénurie, rentrée rapide de trésorerie via la récolte d’arbres matures (Dupraz & Liagre, 2008). En revanche, la mécanisation (production de foin, broyage des refus) peut devenir plus fastidieuse. Par ailleurs, les jeunes arbres doivent faire l’objet de soins (irrigation, désherbage…), ce qui constitue une astreinte. Sur le plan réglementaire, la plantation de vignes fait l’objet d’une demande d’autorisation et d’un suivi administratif ; les arbres du genre Prunus peuvent faire l’objet de visites de contrôle pour vérifier l’absence du virus de la sharka. Bien entendu, les arbres doivent être conduits selon le cahier des charges de l’AB pour permettre la labellisation des animaux pâturant sur la parcelle.
Lorsqu’un atelier d’élevage est développé sur une ferme arboricole, viticole ou sylvicole, certains aspects de l’organisation du travail peuvent être facilités : la temporalité de l’introduction des animaux dans les parcelles est maîtrisée, ce qui est important pour contrôler les bioagresseurs (cf. § 2.3.b), réaliser une opération culturale à moindre coût (par ex. épamprage et effeuillage par les moutons, cf. § 2.2.a), ou encore limiter la hauteur d’herbe en prévision d’un épisode de gel printanier. Les déjections animales fournissent du fumier et du compost, ce qui améliore l’autonomie en matière organique (cf. § 1.1.e).
Les agriculteurs qui pratiquent cette association évoquent néanmoins des contraintes additionnelles d’ordre organisationnel : augmentation de la charge et de la complexité du travail, gestion administrative (García de Jalón et al., 2018a). Les pics de travail des cultures fruitières s’accommodent difficilement de l’astreinte inhérente aux pratiques d’élevage, et la présence des animaux peut être incompatible avec les interventions sur les cultures pérennes (traitements phytosanitaires, présence de salariés, de machines agricoles…), induisant des opérations de déplacement du bétail et/ou le recours à des parcelles de retrait (Moraine et al., 2012). Celles-ci peuvent aussi être justifiées dans une logique de gestion de la ressource herbagère (Dufils, 2017) ou de préservation de la strate herbacée vis-à-vis des animaux déstructurant le sol comme les poules (Bosshardt et al., 2022) ou les porcs.
L’établissement à l’échelle territoriale de partenariats entre éleveurs et arboriculteurs (cf. § 3.3) permet de conserver une partie des services rendus par les animaux dans les parcelles (Moraine et al., 2012), sans toutefois nécessiter un réaménagement profond du fonctionnement de l’exploitation. La réussite de l’association repose alors sur la volonté des parties prenantes de collaborer et de mettre en place les ajustements mutuels nécessaires, notamment en termes de temporalité.
Les SAFEs présentent un certain nombre de particularités en termes de réglementation, qui bien souvent ne sont pas prévues par les textes actuellement en vigueur : déclaration PAC en cas d’usages croisés d’une parcelle, temps de retour à la parcelle après traitement, temps d’exclusion des animaux avant récolte, règles de biosécurité imposant la création d’une clôture spécifique dans une vigne ou un verger pâturé, etc. (Riffard & Liagre, 2023). Ces vides réglementaires peuvent parfois donner de la marge de manœuvre aux agriculteurs, mais aussi représenter des points de blocage ou de vigilance en cas de problème. Parmi les rares textes sur le sujet, un « Guide de bonnes pratiques d’hygiène […] pour les fruits frais », paru au Journal officiel et par conséquent juridiquement opposable, mentionne que « dans la mesure du possible, [les animaux] doivent être tenus à l’écart des cultures » (CTIFL, 2012).
L’agriculture biologique accorde une tolérance au pâturage d’animaux non biologiques sur des surfaces labellisées, tant qu’il n’excède pas quatre mois par an. La réciproque (pâturage d’animaux labellisés AB sur des parcelles non bio) n’est pas possible, même si la parcelle pâturée est pourvue d’arbres. Les arbres forestiers et agroforestiers sont dispensés de certification biologique tant qu’ils « ne [produisent] pas de produits agricoles commercialisables » (INAO, 2023), ce qui pose question s’ils sont destinés à une utilisation fourragère plus ou moins principale.
3.3. Intégration territoriale et patrimoniale
Tandis que l’activité agricole reposait encore, au début du XXe siècle, sur des relations étroites et synergiques entre végétaux et animaux (Mazoyer & Roudart, 2017), le mouvement de « modernisation » (mécanisation et « chimisation ») agricole a conduit à une dissociation de ces deux univers. Cette partition entre productions animales et végétales structure désormais à la fois l’espace, qui se retrouve divisé en « bassins » de production spécialisés, et les filières.
L’échelle territoriale semble à la fois pertinente et prometteuse pour opérer un travail de reconnexion entre ces deux univers (Moraine et al., 2016 ; Napoleone et al., 2022). Plusieurs projets de recherche-action récents ou en cours (Dépasse, Paradocse, Brebis_Link, ECORCE, PÂRTEN’R-AuRA) attestent de ce regain d’intérêt pour des pratiques souvent traditionnelles mais menacées de déclin : par exemple, complémentarité entre oliviers, vignes et brebis dans les espaces méditerranéens (Mohamed, 2015) ou pâturage dans les noyeraies bordant les zones d’estive.
Dans ces cas, une forme d’association temporaire entre un éleveur et un ou plusieurs arboriculteurs se développe pour générer des synergies territoriales. Bien que cette association implique une coordination importante des parties prenantes, elle est généralement actée par un simple accord oral. Plusieurs projets récents ont proposé des ateliers et/ou des conventions de contractualisation pour favoriser une bonne compréhension entre éleveurs et cultivateurs et anticiper les possibles conflits, en maintenant le caractère spontané de leur collaboration (Lyazid et al., 2021). D’un point de vue opérationnel, des outils en ligne de mise en relation d'acteurs d’un territoire ont vu le jour récemment
L’élevage crée et entretient des liens sociaux et agronomiques à l’échelle territoriale. Les déplacements de troupeaux génèrent de la matière organique dans des zones où l’élevage est faiblement présent, réduisant leur dépendance aux fertilisants externes et leur empreinte écologique. Les échanges entre plaine et montagne peuvent contribuer à renforcer l’autonomie fourragère des élevages (Napoleone et al., 2022), et à (re)valoriser des parcelles en déprise. Dans certains cas, le pâturage des surfaces arborées permet l’installation d’éleveurs ovins « herbassiers » ou « sans-terre », contribuant ainsi à l’installation hors cadre familial. Les arboriculteurs, viticulteurs et céréaliers d’une région peuvent être amenés à s’entendre en vue de proposer une surface pâturable suffisamment importante pour justifier le déplacement d’un éleveur.
La réintroduction des animaux dans un bassin de cultures spécialisées modifie l’environnement visuel, sonore et olfactif de l’agriculture. La présence des machines agricoles est réduite, mais de nouvelles nuisances potentielles peuvent apparaître : cris d’animaux, odeurs des déjections, risque d’échappement des bêtes, etc. L’introduction d’arbres dans des paysages qui en sont plus ou moins dépourvus (plaine agricole intensive, mais aussi estives et pâturages extensifs non bocagers) impacte positivement la qualité de vie des riverains (García de Jalón et al., 2018a ; Elbakidze et al., 2021). Le dessin d’implantation des arbres peut rompre la monotonie des paysages, en adoptant des dispositions circulaires ou en suivant les lignes de niveau (Dupraz & Liagre, 2008 ; Giambastiani et al., 2023), surtout si la principale activité agricole concerne l’élevage peu ou pas mécanisé.
Les territoires héritiers d’une tradition agroforestière (bocage, pré-verger, dehesa, montado, streuobst…) tendent à revendiquer cet aspect de leur paysage comme une particularité culturelle précieuse, et à le valoriser dans un cadre patrimonial et touristique (Moreno et al., 2018), ainsi que comme image de marque des produits agricoles (cf. § 3.1). La multifonctionnalité de l’agroforesterie (Veldkamp et al., 2023) se révèle donc pleinement à cette échelle du territoire, produisant des retombées économiques positives pour les agriculteurs, mais également un maillage écologique et paysager, qui peut aboutir à la définition d’une identité culturelle locale (Jeanneret et al., 2021).
Conclusion, défis pour la recherche
Les défis posés actuellement à l’élevage biologique sont nombreux, et l’agroforesterie a le potentiel pour en relever un certain nombre. Les SAFEs peuvent rendre les exploitations plus résilientes, en fournissant des ressources fourragères moins impactées par les aléas climatiques, et en diversifiant les sources de revenus. Les herbivores consomment le couvert végétal des vergers, et en fertilisent le sol. Les arbres peuvent représenter un abri et une ressource médicinale pour les animaux, qui sont eux-mêmes susceptibles de limiter les bioagresseurs des cultures pérennes. Les synergies potentielles entre arbres et animaux sont donc nombreuses, et font résonner fortement l’agroforesterie avec les principes de l’AB : santé, écologie, équité, précaution.
Ces bénéfices connaissent néanmoins de nombreuses limites qui sont autant de défis à relever : les animaux peuvent endommager des arbres précieux, ou être intoxiqués par les produits phytosanitaires. Le potentiel de stockage de carbone de l’agroforesterie appliqué aux prairies permanentes est faible. L’élevage agroforestier peut se heurter à des difficultés organisationnelles, et conduire à multiplier les astreintes et les investissements.
Ces différents aspects de l’agroforesterie en élevage, évoqués tout au long du présent article, sont résumés dans la figure 7.
À l’instar de l’AB, l’agroforesterie invite à trouver un point d’équilibre entre performances agronomiques et préservation voire enrichissement de la biodiversité, du tissu social, du revenu des agriculteurs, etc. Il s’agit alors de piloter finement un système complexe et de tenter de positionner l’agroécosystème sur une série d’optimums productifs et environnementaux. Cela implique une gestion intensive des interactions entre éléments du système, et potentiellement une charge mentale accrue ainsi qu’un investissement temporel et financier dans la conception du système et dans l’acquisition de matériels et de compétences. Des contraintes spécifiques liées à la législation et à l’acceptation sociale sont aussi à prendre en compte.
La recherche scientifique a un rôle à jouer pour produire de nouvelles connaissances dans ce domaine, conduisant à la création d’outils permettant d’améliorer la conception des SAFEs, d’éclairer les prises de décision et de faciliter la formation des agriculteurs et conseillers en agroforesterie. Un approfondissement des connaissances nous semble donc prioritaire dans les domaines suivants :
i) compréhension des mécanismes et identification des effets de seuil, au-delà desquels les synergies sont effectives ou au contraire, des disservices apparaissent ;
ii) profitabilité économique de l’agroforesterie, moteur majeur de son développement ;
iii) relations des acteurs de l’agriculture agroforestière entre eux, sur les territoires et avec l’ensemble de la société.
L’AB est guidée par des principes forts et adossée à une image de marque très positive, mais elle ne rompt pour l'heure que partiellement la dissociation entre productions animales et végétales qui prévaut depuis la deuxième moitié du XXe siècle. L’agroforesterie réalise une partie de cette reconnexion, hautement pertinente sur le plan agronomique, mais revêtant aussi une dimension émotionnelle et « philosophique », voire parfois même ésotérique pour les agriculteurs (Foyer et al., 2020). L’élevage a toujours été pensé et pratiqué, jusqu’à une période récente, dans des paysages pourvus d’arbres, et l’agriculture biologique ne saurait se passer de si précieux alliés.
Contribution des auteurs
Coordination, M.T. ; Conceptualisation, M.T., F.D. ; acquisition de fonds, M.T., A.D., B.D., F.D., G.M. et S.B. ; Rédaction - version originale, M.T., G.M., A.D., B.D., F.D., et S.B. ; Rédaction - révision et édition, M.T., S.B., A.D., F.D. et G.M. ; Création, mise en page et adaptation des figures : M.T. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version publiée du manuscrit.
Notes
- 1. On parle de « haut jet » pour un arbre destiné à la production de bois d’œuvre, dont le tronc est dégagé et le houppier se développe librement. Une « trogne » est un arbre régulièrement recépé (« trogné ») à différentes hauteurs du tronc ou des branches, afin de produire du petit bois et du fourrage. Son appellation peut varier selon les régions et les élagages pratiqués : têtard, plesse, ragosse, tête de chat, etc.
- 2. Par exemple, l’outil « Qui veut mon herbe ? » : https://gard.chambre-agriculture.fr/productions-techniques/elevage/repertoire-pastoral-des-costieres/ , ou encore https://www.echange-cerealier-eleveur.fr/
Références
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Résumé
La philosophie de l’agriculture biologique implique que les pratiques agricoles s’inspirent des mécanismes naturels de développement du vivant. À ce titre, la déconnexion des productions animales et végétales opérée depuis la deuxième moitié du XXe siècle entrave la fourniture de nombreux services écosystémiques, et fragilise les exploitations qui prennent la décision de renoncer à certains aspects de la « modernisation » agricole.
Dans cette optique, l’agroforesterie présente un fort potentiel pour accompagner le développement de l’élevage biologique. Cette pratique agroécologique consiste à faire coexister des arbres avec une ou plusieurs autres productions agricoles : en créant des hétérogénéités à l’échelle de la parcelle et du territoire, l’association arbres/animaux augmente la diversité des plantes fourragères, génère des habitats pour la biodiversité, stimule le fonctionnement des sols, et favorise le bien-être et la santé des animaux. Elle permet aussi de stabiliser les exploitations sur le plan économique, et d’améliorer l’image de l’élevage auprès des citoyens et consommateurs.
L’agroforesterie implique une complexification du système productif, multipliant ainsi les éléments qui le constituent et leurs interactions. De ce fait, elle se heurte à certaines difficultés potentielles de conception, pilotage et gestion, nécessitant l’acquisition de connaissances et de compétences, et la production de nouveaux référentiels.
À partir d’une synthèse bibliographique, cet article explore les bénéfices et limites de l’agroforesterie dans les systèmes d’élevage en régions tempérées, en adoptant le double point de vue du pâturage en zones arborées, et des cultures pérennes (arbres fruitiers, vignes) ou sylvicoles accueillant des animaux.
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