Évaluation socio-économique de la réduction d’usage des antibiotiques dans la filière porcine : le plan Ecoantibio 1
Chapeau
Les récentes politiques publiques ayant pour but de réduire l’usage des antibiotiques en production animale ont été couronnées de succès, tant les usages ont diminué dans l’ensemble des filières de production. Les facteurs clés de succès de ces politiques et leurs effets socioéconomiques sont pourtant mal connus. Une enquête conduite auprès des acteurs de la production porcine permet de les révéler.
Introduction
Les antibiotiques sont des substances d’origine naturelle ou de synthèse, réparties en différentes familles dont les premières ont été découvertes dans les années 1930. Ils sont utilisés dans la lutte contre les maladies infectieuses d’origine bactérienne (Bentley et Bennett, 2003). Chez les animaux de rente, les antibiotiques sont utilisés dans trois circonstances : i) en médecine individuelle pour traiter un animal malade, ii) en médecine collective (pour traiter des lots d’animaux) lorsqu’un pourcentage d’animaux du lot est malade (métaphylaxie), iii) en prévention avant l’apparition de la maladie, sur l’ensemble des animaux d’un lot sur lequel la probabilité d’apparition de la maladie est jugée élevée (antibioprévention ou antibioprophylaxie).
En soignant ou cherchant à prévenir la survenue de certaines maladies, les traitements antibiotiques répondent à des enjeux i) de bien-être animal, dans le cadre de l'optimisation de la qualité des soins, ii) économiques, lors de l'exploitation d'animaux pour la production de denrées animales, et iii) de santé publique, dans la lutte contre les maladies infectieuses contagieuses et particulièrement les zoonoses (maladies animales pouvant être transmises à l'homme) (Lhermie et al., 2017). à l'instar d'autres intrants chimiques, ils ont fait partie de la révolution verte, qui a permis d'augmenter drastiquement la productivité des exploitations agricoles, et rendre les denrées alimentaires d'origine animales plus abordables. Produits relativement efficaces et abordables, leur usage n'est toutefois pas dénué de risque. Les risques directs associés à l'usage des antibiotiques en santé animale pour les animaux ou les consommateurs de produits animaux sont faibles. En effet, leur mise sur le marché est réglementée en France depuis 1975 par le code de la santé publique (LegiFrance, 2021a ; LegiFrance, 2021b). Cette réglementation fixe des limites maximales de résidus dans les produits alimentaires d'origine animale pour tous les médicaments utilisés en productions animales, afin de garantir la sécurité du consommateur. Par ailleurs, les effets indésirables rapportés par les propriétaires d'animaux ayant reçu des antibiotiques sont rares (Anses, 2021). Aujourd'hui, le principal risque consiste en la sélection de bactéries résistantes aux antibiotiques, qui se traduit par une diminution progressive de l'efficacité des antibiotiques sur les bactéries. Certaines bactéries résistantes, peuvent être transmise à l'homme, soit par contact direct animal-homme, soit via l'environnement, soit via la chaîne alimentaire (Williams-Nguyen et al., 2016).
Les coûts pour la santé publique dus à la résistance aux antibiotiques prennent différentes formes, monétaires et non monétaires. Cette résistance entraine une augmentation des durées de séjour à l'hôpital, une plus grande morbidité et mortalité, et une augmentation des coûts de soins. En France, de récentes études estiment que les infections avec des bactéries résistantes représentent environ 140 000 cas, 5 500 morts et un coût total de 290 millions d'euros par an (Touat et al., 2019).
Bien que la contribution de l’usage des antibiotiques en agriculture sur la résistance aux antibiotiques en santé humaine soit finalement mal quantifiée, le risque de santé publique justifie que l’ensemble des secteurs utilisateurs fassent un effort de réduction de cet usage. À ce titre, des politiques publiques visant à réduire l’usage des antibiotiques en production animale ont été mises en place pour atténuer ce risque de santé publique dans de nombreux pays. Par exemple, le Parlement européen a interdit en 2000 les antibiotiques comme facteurs de croissance dans l’alimentation animale (European Union, 2003). Plusieurs pays ont aujourd’hui mis en place des plans de maîtrise de la résistance aux antibiotiques, qui fait également l’objet d’actions coordonnées mondialement par l’Organisation Mondiale de la Santé, l’Office International des Epizooties, et l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (OIE, 2016 ; WHO/FAO/OIE, 2016 ; FAO, 2016). En France, des mesures réglementaires et volontaires ont été mises en place. Un moratoire sur l’interdiction d’usage des céphalosporines de troisième et quatrième génération est entré en vigueur en 2010, pour la filière porcine.
En 2012, le gouvernement français lance un programme quinquennal visant à réduire de 25 % la consommation d’antibiotiques par les filières d’élevage (Anses, 2011). Le Plan Ecoantibio est un programme volontaire mis en place à l'initiative du Ministère de l'Agriculture. Le premier plan, initié en 2012, visait une réduction de 25 % de l'utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire sur 5 ans (Ministère de l’Agriculture de la Pêche et de la Ruralité, 2011). De nombreux acteurs du système pharmaceutique et du système alimentaire ont été impliqués dans ce plan. Le premier plan Ecoantibio a été suivi d'un second en 2017. Certaines recommandations formulées par ce plan ont trouvé leur base juridique dans la Loi d'Avenir pour l'Agriculture, l'Alimentation et la Forêt entrée en application en janvier 2015 (Ministère de l’Agriculture de la Pêche et de la Ruralité, 2014). Bien qu'elle ne cible pas spécifiquement les usages d'antibiotiques, elle a fourni la base légale pour encadrer l'utilisation d'antibiotiques d'importance critique. Des mesures notoires étaient l'utilisation obligatoire de tests de sensibilité avant de prescrire de tels antibiotiques, ainsi que leur prescription uniquement après un examen clinique des animaux.
Cette étude a pour objectif de mener une évaluation rétrospective du plan Ecoantibio 1 sur sa période de mise en œuvre, en filière porcine (encadré 1). Le choix de cette filière a été fait en fonction de deux critères. D’une part, cette filière est toujours fortement utilisatrice d’antibiotiques : en 2018, 35 % des tonnages d’antibiotiques vendus par les laboratoires pharmaceutiques vétérinaires étaient destinés aux porcs (environ 167 tonnes), 29 % aux bovins et 18 % aux volailles (Anses, 2019). D’autre part, l’usage des antibiotiques dans la filière porcine a baissé de 47 % sur la période 2010-2016 et l’usage des pré-mélanges médicamenteux a énormément chuté (– 74 % pour l’ALEA sur 2011-2018). Cette rapide et massive réduction d’usage questionne donc sur ses effets pour les différentes parties prenantes.
Dans la suite de cet article, nous présentons et discutons les résultats d’entretiens semi-directifs, destinés à recueillir des informations sur six questions évaluatives : (1) les effets du programme sur les différents acteurs (évolutions des pratiques, jeux d'acteurs, effets structurels) ; (2) les effets sur les revenus agricoles ; (3) les effets sur les autres chaînes d'approvisionnement ; (4) l’acceptabilité et les mesures les plus influentes ; (5) les effets sur la santé des porcs ; (6) les effets des alternatives aux antibiotiques. Les résultats sont présentés de manière synthétique, en mettant en évidence l’efficacité, la pertinence, la cohérence, de la politique publique.
Encadré 1. Éléments de cadrage de la filière porcine française, et usage d’antibiotiques au sein de la filière.
La production porcine représente environ 4 % de la production agricole française, contre près de 9 % dans l'UE, 27 % au Danemark, et 14 % en Espagne et en Allemagne (Eurostat, 2021). Parmi les 16 500 élevages de porcs comptabilisés en 2018, la moitié seulement assure 99 % de la production ; ces élevages détiennent plus de 100 porcs et 20 truies (Dourmad et al., 2018 ;Agreste, 2019). Huit types d'élevage ont été identifiés en France, parmi lesquels les naisseurs-engraisseurs
La filière porcine montre une concentration importante en aval des élevages. En 2017, 167 abattoirs (– 24 % par rapport à 2010) sont à l'origine de l'abattage de 23,3 millions de têtes (– 7,5 % par rapport à 2010) (Alanore et al., 2017). Responsables de l'abattage de plus de six millions de porcs par an (31 % du total), les coopératives (figure 1) rassemblent des acteurs de la filière porcine ou des groupements de producteurs comme Coop France ou la FNP (Ifip, 2022 En charge de l'abattage de presque cinq millions de porcs (25 % du total), Cooperl est la plus grosse coopérative de la filière. Depuis 2014, elle accompagne ses adhérents vers une filière « Porcs Sans Antibiotiques » en promouvant une diversité d'alternatives, comme la vaccination, les probiotiques et l'homéopathie. La coopérative a ainsi contribué à diviser par quatre le niveau d'exposition des porcs dans presque la moitié de ses élevages, équivalent à 50 % de la production (Cooperl, 2020). Quant aux groupes privés, ils abattent plus de 13 millions de porcs par an (69 % du total), parmi lesquels le groupe Bigard domine (24% du total) ; ce dernier assure un contrôle des résidus d'antibiotiques dans les produits issus du porc qu'il commercialise (Ifip, 2022).
Le flux principal au sein de la filière consiste en le flux d'animaux ou de produits animaux. Dans le contexte de notre étude, il parait intéressant de mettre en évidence les flux de médicaments vétérinaires, des fabricants jusqu'aux utilisateurs finaux. Trois types d'ayants droit assurent la délivrance des médicaments vétérinaires : les vétérinaires, les pharmaciens et les fabricants d'aliments médicamenteux dans certains cas. En 2011, les prémélanges vendus par les fabricants d'aliments aux éleveurs représentaient 45 % des tonnages antibiotiques. Les vétérinaires assurent un rôle essentiel en matière de régulation des flux d'antibiotiques car ils sont à la fois responsables de leur prescription et de leur délivrance. En 2013, la vente de médicaments représentait jusqu'à 70 % du Chiffre d'Affaires (CA) des vétérinaires praticiens (Dahan et al., 2013). On distingue deux types de vétérinaires ; les vétérinaires de groupement et les vétérinaires indépendants. Ces derniers exercent au sein de cliniques vétérinaires, dont certaines sont rassemblées en réseaux comme le réseau Cristal ou le réseau Chêne Vert conseil. Quant aux pharmaciens, ils sont également habilités à vendre des médicaments vétérinaires mais les quantités délivrées restent faibles (SIMV, 2018).
L'État, exerce un contrôle sanitaire, élabore des règlements et peut utiliser des incitations financières favorisant l'implantation de bonnes pratiques. L'Anses – Agence Nationale du Médicament Vétérinaire (ANMV) apporte une expertise sur l'usage des antimicrobiens, fournit des recommandations concernant les pratiques et la réglementation pour l'autorisation, ou l'interdiction de produits. Les instituts de recherche et technique (INRAE, Ifip, chambres d'agriculture) apportent des données scientifiques sur l'usage des antibiotiques, fournissent des conseils et supervisent les pratiques. Ils organisent également des formations destinées aux vétérinaires, éleveurs et autres parties prenantes.
En 2018, 167 tonnes d'antibiotiques ont été vendues aux élevages porcins (– 62,7 % par rapport à 2010) et 1 717 milliers de tonnes de poids vif ont été traitées (– 53,4 % sur 2010-2018) (Anses, 2019). De nombreuses mesures alternatives aux antibiotiques existent. Les approches préventives médicales (vaccination, probiotiques) et non médicales (biosécurités interne et externe) constituent des leviers déterminants (Corrégé et Hémonic, 2018), même si le recours aux antibiotiques reste parfois nécessaire (Martineau, 1997).
En filière porcine, un moratoire sur l'interdiction d'usage des céphalosporines de troisième et quatrième génération est entré en vigueur le 1er juillet 2010 (Verliat et al., 2021). L'année suivante, le ministre chargé de l'agriculture a annoncé la création du plan Ecoantibio 1 visant à réduire de 25 % la consommation d'antibiotiques par les filières d'élevage sur la période 2012-2016 (Anses, 2011). Un guide de bonnes pratiques sur l'antibiothérapie vétérinaire a été publié par la Société Nationale des Groupements Techniques Vétérinaires (SNGTV) en 2014, afin de rendre opérationnelle la rationalisation de l'usage des médicaments en élevage (SNGTV, 2017).
1. Effets du plan Ecoantibio 1
Le travail d’enquête a été conduit entre décembre 2020 et mars 2021 (encadré 2). Trente-trois personnes ont été interrogées, occupant diverses fonctions dans la filière (figure 1). Les entretiens ont duré entre 24 minutes et 1 h 30, pour un total de 23 h 10. Tous les entretiens se sont déroulés à distance (en visio-conférence ou par téléphone).
Figure 1. Parties prenantes et flux de la filière porcine en France. Chaque bulle représente le nombre de personnes ayant participé à l’enquête.
ENV : Écoles Nationale Vétérinaires ; SIMV : Syndicat de l’Industrie du Médicament Vétérinaire ; DGAL : Direction Générale de l’Alimentation ; Anses : Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, Environnement et du Travail ; NE : Naisseur-Engraisseur ; PSE : Post-Sevreur-Engraisseur ; E : Engraisseur.
Les résultats ne sont pas présentés directement sous forme de réponses aux questions, mais l’information i.e., les déclarations des répondants, est traitée en fonction d’effets pré-identifiés, de manière synthétique.
Encadré 2. Enquête par questionnaire : éléments méthodologiques
Pour mener cette étude qualitative, il a été choisi de mener des entretiens semi-directifs, afin de récolter les informations i) pouvant apporter des explications ou des éléments factuels sur le rôle du plan Ecoantibio dans la baisse d’usage des antibiotiques en filière porcine et ii) révéler des effets indirects du plan.
Questions évaluatives
Six blocs de questions ont été développés pour les entretiens semi- directifs, avec des questions prioritaires (présentées ci-dessous), et des questions de relance.
Q.1 : quels ont été les effets du plan Ecoantibio sur les différents acteurs de la filière ? Certains en ont-ils plus profité que d’autres, si oui lesquels, pourquoi et comment ? Par exemple, est-ce le cas des vétérinaires (en termes de conseil, consultation et ventes) et des Groupements de défense sanitaire ?
Q.2 : comment le plan Ecoantibio a-t-il agit sur les différents types de charges et bénéfices d’une exploitation porcine ?
Q.3 : le plan Ecoantibio appliqué à la filière porcine a-t-il eu des répercussions positives ou négatives sur les filières bovines et aviaires (par exemple en termes de substitutions d’achat) ?
Q.4 : quelles mesures du plan Ecoantibio ont eu le plus d’influences positives ou négatives, en agissant de quelles façons et sur quoi ?
Q.5 : quelles ont été les conséquences du plan Ecoantibio sur la santé et la croissance des porcs ?
Q.6 : des mesures de substitution ont-elles été prises dans le cadre de la diminution d’usage des antibiotiques, par exemple l'utilisation de probiotiques ou d’autres facteurs de croissance, le biocontrôle, des mesures sanitaires, etc. ?
Échantillonnage et Modalités d’enquête
Il a été choisi de procéder à un échantillonnage de convenance. Cette méthode non probabiliste consiste à constituer un échantillon sans méthode particulière. Elle a été mise en œuvre à partir des contacts de l’équipe en charge de l’étude, ainsi que des contacts du comité de pilotage.
Pour pouvoir observer et analyser les données qualitatives issues des entretiens, ceux-ci ont été enregistrés et retranscrits, permettant de conserver une qualité certaine de l’information.
1.1. Changements de pratiques des éleveurs
Le plan Ecoantibio 1 a pu encourager les éleveurs à changer le regard qu’ils portent sur leurs pratiques d’élevage, en faveur d’un usage plus raisonné des antibiotiques. En effet, le déclencheur psychologique des acteurs du terrain est un levier décisif, à mobiliser pour un changement de pratique pérenne.
La stratégie vaccinale est la principale mesure alternative utilisée pour limiter l’usage des antibiotiques, mais elle a commencé bien avant le début du plan. Pendant le plan Ecoantibio 1, les parties prenantes rapportent que la vaccination s’est surtout développée sur l’axe respiratoire (circovirus, SDRP), l’axe digestif (colibacilles) et l’œdème du porcelet, contribuant à améliorer le conseil sanitaire entre autres. Les vaccins ont commencé par remplacer les antibiotiques en jouant un rôle de « rustine », sans une prise en compte de tous les facteurs de risque. Par ailleurs, c’est souvent face à de mauvaises pratiques d’élevage que la vaccination est mobilisée. Même si le plan Ecoantibio 1 a pu jouer un rôle d’accélérateur dans la diffusion de la vaccination, celle-ci s’est installée dans une dynamique déjà à l’œuvre, de hausse des prix des aliments médicamenteux, de baisse des spécialités disponibles, et de conscientisation des éleveurs.
Une autre pratique d’optimisation d’usage des antibiotiques a été mise en évidence durant notre enquête : celle de l’usage des pompes doseuses. Une pompe doseuse est un outil d’élevage qui permet de cibler directement les animaux et d’appliquer la dose de traitement pour un problème sanitaire, en limitant fortement le traitement systématique par l’alimentation. Les pompes doseuses étaient globalement déjà installées avant la mise en œuvre du plan ; environ 3 % des éleveurs se seraient équipés pendant la période, selon une personne enquêtée. Toutefois, le plan Ecoantibio 1 a pu jouer un rôle d’accélérateur dans leur installation en post-sevrage, et donc dans la prescription des poudres orales associées. La diffusion des pompes peut aussi survenir à l’issue des arrêts d’usage des antibiotiques dans la supplémentation alimentaire ou à la suite de l’apparition de nouvelles solutions et de nouveaux produits passant par les pompes. Les pompes doseuses jouent surtout un rôle de « mesure transitoire de sécurité », pour donner suite à un arrêt d’usage d’aliments médicamenteux.
Élaborés par les fabricants d’aliments, les aliments sécurisés ont pour rôle de renforcer le système immunitaire des porcelets au cours de leur premier âge. Or, les matières premières sont généralement remplacées par des matières bon marché ; l’adaptation des porcelets à ces changements est souvent difficile, entrainant des dérives digestives. Certaines coopératives ont commercialisé des aliments sécurisés avec un taux protéique faible, provoquant un ralentissement de la croissance des porcelets. Ce type de problématique a pu susciter des mécontentements chez les éleveurs voire un retour aux antibiotiques, mais il ne s’agit pas d’un phénomène significatif sur la période du plan. Ces solutions alimentaires se sont largement développées en amont du plan ; elles ont pris place dans un contexte de baisse d’usage des antibiotiques, promue par une amélioration de la sensibilisation et de la demande des groupements en matière de cahiers des charges. Même si les éleveurs peuvent percevoir les aliments sécurisés comme moins efficaces que les antibiotiques, l’usage de plus en plus limité des antibiotiques a nécessité la recherche d’alternatives. Les aliments sécurisés ont été plus largement adoptés dans les phases d’arrêt d’usage des antibiotiques, comme au moment de l’arrêt de la supplémentation premier âge en colistine. Pendant la durée du plan Ecoantibio 1, une baisse importante de la quantité et du nombre de spécialités d’aliments médicamenteux a été constatée, pouvant être corrélée à la mise en œuvre du plan. Toutefois, la baisse d’usage des aliments médicamenteux a pu rencontrer certaines difficultés, notamment parce que ce type de supplémentation était intégré à des pratiques d’élevage.
Le plan Ecoantibio 1 a pu contribuer à réviser ces pratiques et à replacer la zootechnie au centre des réflexions en matière de gestion des risques. Les problèmes sanitaires étant multifactoriels, la gestion des facteurs zootechniques permet d’appréhender le problème plus en amont. Les facteurs économiques doivent toutefois être aussi pris en compte ; par exemple, diminuer la densité des animaux dans un bâtiment améliore le bien-être et peut limiter la propagation des maladies, mais les coûts de manutention sont alors plus élevés. Même si elle s’intègre à une dynamique déjà à l’œuvre, la zootechnie est de plus en plus intégrée aux objectifs de baisse d’usage des antibiotiques, par une meilleure considération des bonnes pratiques d’élevage et des mesures prophylactiques. Parmi les mesures zootechniques, un poids plus important des porcelets au sevrage permet de limiter les problèmes digestifs, mais un temps trop important passé en salle de sevrage peut aussi avoir des impacts significatifs sur les performances technico-économiques.
La biosécurité n’a pas été placée au cœur du plan, mais elle constitue un levier indispensable pour atteindre une baisse durable de l’usage des antibiotiques. Le nettoyage et la désinfection, la ventilation et le chargement doivent être mis au centre de la conduite sanitaire entre autres. Toutefois, trop d’investissements dans la filtration de l’air et l’amélioration du confort des porcs risquent de fragiliser leur système immunitaire.
La phytothérapie s’est probablement développée ; mais ces produits ne disposent d’aucune Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), ce qui rend difficile la quantification des flux qui lui sont destinés et il existe peu d’information à ce sujet. Même si la demande augmente chez les éleveurs, l’absence de contrôle subsiste en matière d’innocuité et d’efficacité. La phytothérapie est généralement utilisée en tant qu’appoint à la vaccination, pour réguler la flore intestinale par exemple. Il ne s’agit alors pas d’une substitution pure, mais d’un complément.
1.2. Transformations structurelles induites par le plan Ecoantibio 1
La baisse d’usage des antibiotiques est globalement considérée comme issue d’une démarche collective entre fabricants d’aliments, éleveurs et vétérinaires.
Grâce au financement de projets, le plan a permis de repositionner le vétérinaire sur le terrain. Il a favorisé une meilleure maitrise de l’encadrement vétérinaire, au cas où une crise sanitaire surviendrait.
Certaines parties prenantes mentionnent que l’enjeu de la baisse d’usage des antibiotiques n’est pas la baisse en quantités mais surtout la pratique vétérinaire, ainsi que l’amélioration du bien-être et de la santé animale. La logique d’administration en première intention d’intrants médicamenteux a progressivement transité vers une pratique vétérinaire responsable. L’éleveur accorde généralement une grande confiance au vétérinaire, qui joue un rôle de conseiller sanitaire préventif.
Ces deux parties prenantes occupent une place importante pour répondre aux enjeux de santé publique. La relation entre vétérinaires et éleveurs n’a fondamentalement pas changé, même si certaines parties prenantes de la filière porcine estiment que leur lien a été renforcé. Ce constat est d’autant plus vrai dans les élevages où la logique était déjà à la baisse d’usage des antibiotiques avant le plan. En filière porc, les éleveurs n’ont pas remis en question le rôle du vétérinaire car il était généralement perçu comme étant à l’initiative de l’arrêt des supplémentations.
Les éleveurs se répartissent en deux catégories : ceux disposés à changer leurs habitudes d’usage d’antibiotiques d’une part et ceux plus réticents d’autre part (souvent des éleveurs plutôt en fin de carrière). Les vétérinaires ont d’abord accompagné les premiers, puis l’effet boule de neige a entrainé la plupart des éleveurs dans la dynamique. Les derniers restants sont généralement ceux avec une mauvaise gestion technique de leur salle de post-sevrage. Pour tendre vers une baisse d’usage des antibiotiques, les vétérinaires adoptent plusieurs stratégies ; soit ils rassurent les éleveurs en apportant des garanties, soit ils refusent de signer les ordonnances pour les plus réticents par exemple.
Un petit pool d’éleveurs n’a semble-t-il pas changé ses pratiques, dans quel cas certains vétérinaires peuvent choisir de refuser de signer les ordonnances.
Pour les fabricants d’aliments, l’élaboration d’aliments médicamenteux entraine une rupture de charges en termes de fabrication, ainsi qu’un risque de pollution des usines. Ce n’est donc pas une volonté de leur part de produire des aliments médicamenteux ; il s’agit d’un service rendu aux éleveurs. La relation entre vétérinaires et techniciens d’usines d’aliments semble être la plus impactée négativement par le plan, et plus largement par la baisse d’usage des antibiotiques. Toutefois, le turn-over et la pédagogie ont permis d’accompagner les changements de manière douce.
L’avènement des démarcations produits sans antibiotique a accéléré la baisse d’usage, notamment grâce à la Cooperl et Fleury Michon. Même si une période de flottement a pu être constatée au départ à cause de solutions peu appliquées et couteuses, les produits avec une démarcation « porcs sans antibiotique » ont finalement servi d’amorce face un aval de plus en plus demandeur. Généralement, les cahiers des charges n’imposent toutefois pas d’arrêt définitif des antibiotiques ; un éleveur garde sa liberté de traiter des animaux si la situation sanitaire se dégrade.
1.3. Effets économiques
La plupart des acteurs s’accordent à considérer que le plan Ecoantibio 1 n’a eu qu’un impact économique très modéré, et a maxima transitoire.
Selon les personnes enquêtées, le plan n’a pas eu d’impact significatif sur les revenus des éleveurs. Les éleveurs mettent en évidence que d’autres éléments tels que la maîtrise des bâtiments, l’alimentation et la conduite d’élevage sont beaucoup plus sensibles. Les coûts directs ainsi que les coûts indirects, comme la charge de travail des éleveurs n’ont été que faiblement affectés, sous contrainte d’observance de mesures préventives, telles que la biosécurité ou les stratégies vaccinales. Les aliments « sécurisés » vendus par les fabricants d’aliments ont pu représenter un surcoût, mais ces aliments à haute valeur nutritive limitent les problèmes digestifs et donc les dépenses associées. In fine, le plan Ecoantibio 1 n’a pas eu d’impact significatif sur la croissance des porcs. Lorsqu’une baisse de productivité a pu être constatée, les causes sont multifactorielles. Les aliments sécurisés ont pu par exemple entrainer une baisse de la taille des porcelets lorsqu’ils contiennent un taux protéique trop faible. Un acteur coopératif rapporte que pendant la dé-médication après 2012, le gain moyen quotidien est passé de 810 à 801 grammes, pour revenir à sa valeur initiale aujourd’hui. Le taux de perte à l’engraissement était de 3,2 %. Une partie des éleveurs ayant constaté une baisse de croissance a souhaité revenir aux aliments médicamenteux, mais la plupart ont préféré maintenir le changement de pratique. Ceux-ci ont pour la plupart constaté une croissance compensatrice en phase d’engraissement.
Les vétérinaires ne déclarent pas avoir rencontré de réelles difficultés économiques après la mise en place du plan. Si la baisse du chiffre d’affaires généré par les traitements curatifs (vente d’antibiotiques) est réelle, elle a été en partie compensée par une vente de produits préventifs (vaccin, alternatives, diagnostic) sur la période du plan. Toutefois, certains vétérinaires indépendants ont pu voir leur profitabilité s’éroder, notamment dû au fait que les médicaments préventifs sont également commercialisés par les groupements de producteurs. Par ailleurs, pour les vétérinaires de groupement ayant vu leur chiffre d’affaires lié aux antibiotiques diminuer, certaines structures vétérinaires ont compensé en demandant une participation aux éleveurs au cours des bilans sanitaires d’élevage. Quant à la baisse de prescription en aliments médicamenteux, elle n’a souvent pas affecté l’activité vétérinaire car ils n’étaient pas en charge de leur vente, celle-ci étant assurée par les fabricants d’aliments. Face à cette diminution, les structures vétérinaires ont davantage vendu de poudres orales destinées aux pompes doseuses. Certains vétérinaires praticiens ont déclaré que la diminution du chiffre d’affaires par éleveur est une opportunité pour dégager plus de temps pour d’autres éleveurs, afin d’équilibrer le chiffre d’affaires global.
Il n’y a pas eu d’impact économique significatif pour les fabricants d’aliments médicamenteux. Il faut noter que le nombre de spécialités a chuté. La supplémentation en aliments médicamenteux est plutôt considérée comme un service rendu aux éleveurs, même si les aliments médicamenteux entrainent des ruptures de charges en termes de fabrication ainsi que des risques de pollution au niveau des usines.
Bien que les effets économiques pour les consommateurs et distributeurs soient au-delà de notre étude, il est intéressant de noter que pendant le plan, plusieurs cahiers des charges ont été élaborés, comme le « porc confiance » système U et les labels « sans antibiotique après 42 jours » et « sans aliment médicamenteux ».
2. Facteurs de succès du plan Ecoantibio 1
Dans cette section, nous mettons en évidence les faits saillants qui semblent avoir conduits, selon les déclarations des personnes enquêtées, au succès du plan Ecoantibio 1, dans ses composantes de baisses quantitatives de réduction d’usage, mais également de par la large adhésion des parties prenantes.
2.1. Investissement direct de l’Etat et rôle de coordination
Deux millions d’euros sont alloués par an par le Ministère de l’Agriculture à des projets de recherche et à des actions destinées à la recherche, au transfert de connaissance et à la communication (figure 2). Cela permet aux partenaires du plan de mettre en application des outils tels que des guides de bonnes pratiques, des applications pour smartphone (Porcisanté, GVET) et des réglementations pour interdire l’usage de certains antibiotiques critiques.
Figure 2. Budgets alloués aux projets financés par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation pour le plan Ecoantibio 1 (x 1 000 €).
Les formations et rencontres entre parties prenantes semblent avoir joué un rôle dans l'efficacité du plan. Un module Ecoantibio est inclus dans la formation destinée aux vétérinaires pour le contrôle sanitaire des élevages. Afin de développer de nouveaux antibiotiques non critiques, des rencontres ont été organisées par le SIMV afin de favoriser les partenariats public- privé. Par ailleurs, les conférences annuelles organisées par L'Anses ont aidé à expliquer les points de vue des parties prenantes présentes sur les thématiques de l'antibiorésistance, devenue aujourd'hui centrale dans les travaux de la profession vétérinaire. Nonobstant la capacité des acteurs privés à accompagner le changement de pratiques des éleveurs, il apparaît clairement, dans notre étude, que l'État joue un rôle clé de coordination. Ce rôle avait déjà été mis en évidence par Ducrot et al. (2018), qui avaient par ailleurs décrit l'État dans ses différents rôles – de puissance régulatrice, de puissance incitatrice, et de puissance coordinatrice.
2.2. Des dynamiques en place
Le plan Ecoantibio 1 a été mis en application alors qu’une dynamique était déjà largement à l’œuvre autour de l’encadrement sanitaire : baisse d’usage des antibiotiques, sensibilisation, mise en place de cahiers des charges par les groupements d’éleveurs, amélioration du bien-être et de la santé animale.
L’usage des alternatives aux antibiotiques était déjà répandu avant la mise en œuvre du plan. Les solutions historiques pour limiter l’usage des antibiotiques, telles que la mise en place de la biosécurité ou l’ajustement de la qualité nutritionnelle des rations ont été adoptées à un rythme modéré, pour des questions d’équilibre économique entre le coût des antibiotiques et le coût des mesures. Depuis 2011, en amont du plan, certaines structures vétérinaires proposent aux éleveurs une gamme de première intention sans antibiotique avant d’envisager un traitement collectif. Face à un marché faisant augmenter progressivement les prix des pré-mélanges médicamenteux et plus largement des antibiotiques, ainsi qu’une baisse du nombre de spécialités disponibles, les laboratoires pharmaceutiques ont élargi leur gamme vaccinale. Pour un changement pérenne des pratiques et une baisse effective de l’usage des antibiotiques, le plan Ecoantibio1 a pu contribuer à un renforcement du rôle des vétérinaires en tant que conseillers sanitaires et zootechniques et à un encouragement des éleveurs à changer leurs pratiques.
Au plan Ecoantibio s’ajoutent en effet d’autres facteurs qui expliquent son succès. En effet, une dynamique toute spécifique autour de la réduction d’usage des antibiotiques était déjà à l’œuvre avant 2012 (encadré 3). Les parties prenantes se sont réunies lorsque l’Anses a rapporté l’apparition de résistances des céphalosporines de troisième et quatrième génération en médecine humaine. En créant un réseau de surveillance des bactéries résistantes d’origine animale dans les années 1990 et en mettant en place le panel Inaporc dans les années 2010, la filière porcine et l’Anses ont pu régulièrement constater les progrès effectués. Certains syndicats agricoles rapportent que la baisse de consommation en antibiotiques a commencé avant le plan, passant de 70 % de curatif pour 30 % de préventif dans les années 1990-2000 à 70 % de préventif pour 30 % de curatif dans les années 2010.
La baisse d’usage des antibiotiques est le fruit d’une démarche collective, alliant éleveurs et vétérinaires sur le terrain. Néanmoins, on peut distinguer deux groupes d’éleveurs, ceux plus disposés à changer leurs pratiques et ceux plus craintifs. Globalement, les vétérinaires ont accompagné les premiers, à partir de quoi un effet boule de neige a converti les seconds.
La cohérence des réponses des personnes enquêtées, qui ont quasi unanimement mentionné cette dynamique, fait écho à la notion de trajectoire de changement, élaborée par Fortané et al. (2015). Ces auteurs ont montré l'importance des réseaux ou des objectifs économiques et techniques dans le façonnage des trajectoires de changement. Le rôle des acteurs qui mettent à la disposition des agriculteurs des ressources diversifiées en termes de méthodes et de connaissances leur est également apparu central.
Encadré 3. Une dynamique d’initiatives privées et de politiques publiques encadrant l’usage des antibiotiques.
1er janvier 2006 : application de l’interdiction de l’utilisation des facteurs de croissance dans l’alimentation animale (règlementation européenne).
24 janvier 2007 : l’arrêt Riaucourt du Conseil d’État recadre l’exercice de la pharmacie vétérinaire en interdisant aux vétérinaires salariés des groupements d’éleveurs de vendre des antibiotiques. En réponse à cet arrêt, la plupart des vétérinaires quittent les groupements pour s’associer en SELAS
1er juillet 2010 : le moratoire sur l’interdiction des céphalosporines de troisième et quatrième générations entre en vigueur pour la filière porcine.
25 octobre 2012 : le circuit de l’ordonnance est modifié, le rendant plus complexe et contribuant à la baisse d’usage des aliments médicamenteux.
Septembre 2012 : le groupement d’éleveurs de la Cooperl lance sa production de mâles entiers ; celle-ci représente alors 4 % des carcasses abattues (10 % en 2014 et 12 % en 2016). Toutefois, aucune étude n’existe sur les effets de la castration sur la santé des porcs.
Janvier 2014 : une partie du budget CASDAR
13 octobre 2014 : la Loi d’Avenir pour l’Agriculture interdit aux laboratoires les remises arrière sur les antibiotiques ; tous les clients doivent désormais payer le même prix.
Juin 2014 : la Cooperl commercialise le « porc sans antibiotique ».
16 mars 2016 : le Décret sur les antibiotiques critiques entre en vigueur. Les médicaments contenant un ou plusieurs antibiotiques critiques sont alors interdits pour un usage préventif.
Juin 2016 : le groupe d’experts de l’Agence européenne du Médicament européens AMEG
Des politiques connexes au plan ont aussi contribué de manière significative à la baisse d’usage des antibiotiques, comme le moratoire sur les céphalosporines de dernières générations (2010), la modification du circuit de l’ordonnance (2012), la Loi Avenir (2014) et le Décret sur les antibiotiques critiques (2016). Le moratoire sur les céphalosporines de dernières générations a par exemple entrainé la baisse de l’exposition des porcs de plus de 60 % entre 2010 et 2012, tandis que le nombre de porcs en croissance traités a chuté de 73,3 % sur la même période (Anses, 2013). D’autres initiatives privées comme la production de mâles entiers ou la production de porcs sans antibiotique de la Cooperl ont contribué à la diminution d’usage des antibiotiques. Par exemple, la Cooperl avait pour objectif que la part d’animaux élevés sans antibiotique atteigne 10 % de la production de la coopérative en 2015, pour progresser de manière constante les années suivantes (Process alimentaire, 2014). Plusieurs reportages télévisés comme « Assiette tous risques » diffusé sur France 3 en 2014 ont pu également faire progresser la baisse d’usage. Le plan a alors pu bénéficier de la dynamique déjà à l’œuvre et de la sensibilisation des parties prenantes. Malgré quelques frilosités à l’annonce des objectifs chiffrés du plan, les professionnels de l’élevage et les vétérinaires ont été aidants et constructifs pour appliquer la baisse d’usage des antibiotiques (Ifip, 2017). Le succès du plan relève de la responsabilité qu’a prise chaque partie prenante, grâce à la communication et aux formations.
2.3. Des effets technico-économiques faibles ou transitoires
Les effets techniques du plan demeurent limités, car ils s’ajoutent aux initiatives déjà prises en amont en matière de stratégie vaccinale, d’alimentation, de zootechnie, d’installation de pompes doseuses et de démarcation commerciale des produits. Entre 2012 et 2016, la vaccination représente la première substitution aux antibiotiques, mais elle est surtout utilisée pour contrebalancer de mauvaises pratiques d’élevage. Plusieurs vaccins ont vu le jour sur les axes respiratoire, digestif et sur l’œdème du porcelet et plusieurs cahiers des charges ont été élaborés par les groupements de producteurs. La quantité d’aliments médicamenteux et le nombre de spécialités ont chuté en amont du plan, les pratiques d’élevage ont été révisées et la zootechnie a été replacée au centre des réflexions en matière de gestion des risques.
Les effets économiques du plan restent faibles concernant les revenus des éleveurs, des vétérinaires et des fabricants d'aliments médicamenteux. Face à une dynamique déjà enclenchée, il semblerait que le rôle assurantiel des antibiotiques ait été contrebalancé par la mise en place d'une stratégie vaccinale à coût équivalent. Nos résultats sont cohérents avec ceux de Collineau et al. (2017), qui ont mis en évidence la possibilité de réduire l'usage d'antibiotiques en implémentant des pratiques de biosécurité et de vaccination, à coût équivalent ou en augmentant la profitabilité de l'atelier. De même, l'Ifip indique que la baisse d'usage des antibiotiques ne semble pas avoir dégradé les indicateurs technico-économiques des éleveurs de porcs (Ifip, 2021.
Conclusion
En conclusion, l’évaluation rétrospective que nous présentons ici avait pour but de présenter les effets socio-économiques, individuels et structurels, du plan Ecoantibio 1 sur la filière porcine française, peu documentés jusqu’alors. Elle constitue une approche originale car il n’existait à ce jour pas d’évaluation socioéconomique des politiques publiques de réduction d’usage d’antibiotiques en France. Les impacts socio-économiques du plan Ecoantibio 1 apparaissent modérés, tant au niveau des changements de pratiques, que des transformations structurelles et des effets économiques. Le plan s’est inséré dans une dynamique professionnelle, amorcée par d’autres politiques publiques et des initiatives privées. D’un point de vue technique, la plupart des alternatives aux antibiotiques existaient avant la mise en œuvre du plan. Les relations entre parties prenantes de la filière porcine ont été peu impactées par le plan ou bien renforcées. Face au manque de données, cette évaluation s’est basée en grande partie sur des entretiens avec des parties prenantes de la filière porcine, et à ce titre et comme bien souvent en recherche qualitative, nos résultats doivent être extrapolés avec prudence. Même si la collecte des données qualitatives n’est pas exhaustive, elle s’est appuyée sur les acteurs a priori les plus impactés par le plan Ecoantibio 1. Les impacts économiques propres du plan Ecoantibio 1 restent difficiles à estimer, car ils sont dilués dans les initiatives diverses de toute la filière porcine. Les auteurs recommandent d’inclure au moment de la conception des politiques publiques de réduction d’usage des antibiotiques, une réflexion sur l’évaluation de leurs effets, afin de disposer d’indicateurs pertinents et quantifiables pour conduire des analyses rétrospectives.
Remerciements
Ce travail a été financé par le Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Secrétariat Général, Service de la Statistique et de la Prospective.
Notes
- Élevages dans lesquels les truies élèvent des porcelets sevrés
- Élevages dans lesquels les porcelets sont gardés du sevrage à jusqu’à atteindre 30 kg
- SELAS : Société d’Exercice libéral par Action Simplifiée. Les vétérinaires de SELAS sont d’anciens salariés de groupements d’éleveurs. C’est en 2007 que l’arrêt Riaucourt du Conseil d’État interdit à ces vétérinaires d’exercer la pharmacie vétérinaire, dans le cas où les médicaments sont achetés et/ou vendus par le groupement et non par le vétérinaire prescripteur (Guillemot et Vandaële, 2009).
- CASDAR : Compte d’affectation spécial « Développement agricole et rural »
- PAC : Politique Agricole Commune
- AMEG : Antimicrobial Advice Ad Hoc Expert Group
- c3g : céphalosporine de troisième génération
- c4g : céphalosporine de quatrième génération
Références
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Résumé
La contribution relative de l’usage des antibiotiques en production animale sur la baisse de l’efficacité des antibiotiques utilisés en médecine humaine reste mal documentée, mais l’importance de ce problème de santé publique requiert de réduire leur usage. Le plan Ecoantibio 1, mis en œuvre entre 2012 et 2016, consiste en une approche volontaire coordonnée par le Ministère de l’Agriculture afin de limiter l’usage des antibiotiques dans les filières d’élevage. Ce plan, ainsi que l’ensemble des initiatives privées et publiques mises en place sur cette période ont permis une réduction massive de l’usage des antibiotiques. L’évaluation rétrospective présentée ici identifie les effets socio-économiques, aux niveaux individuels et structurels, de ce plan sur la filière porcine française, perçue comme forte utilisatrice d’antibiotiques. Pour ce faire, une enquête a été conduite auprès des parties prenantes.
Les impacts socio-économiques du plan Ecoantibio 1 apparaissent modérés, au niveau des changements de pratiques, des transformations structurelles, et des effets économiques. Ce plan s’est inséré dans une dynamique professionnelle, amorcée par d’autres politiques publiques et des initiatives privées. D’un point de vue technique, la plupart des alternatives aux antibiotiques existaient avant la mise en œuvre du plan, comme la vaccination ou la biosécurité. Les relations entre parties prenantes de la filière porcine ont été soit peu impactées, soit renforcées. Enfin, ce plan n’a pas eu d’impact significatif sur la croissance des porcs ni sur les revenus des différents acteurs. In fine, le plan Ecoantibio 1 est venu confirmer la dynamique déjà à l’œuvre, tout en donnant une assise règlementaire à des pratiques déjà en place.
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