Réduction d’usage et alternatives aux antiparasitaires en élevage des ruminants.
Chapeau
Comme pour les antibiotiques, la nécessité de réduire les intrants médicamenteux en élevage concerne aussi les différents antiparasitaires de synthèse, en particulier pour limiter la diffusion des résistances à ces molécules. Quels que soient les groupes de parasites impliqués, l’objectif général est de proposer des solutions alternatives aux seules substances de synthèse pour évoluer vers une gestion intégrée, plus durable et agroécologique du parasitisme.
Introduction
Le parasitisme, encore désigné par le terme d’« Interactions durables », est une forme de vie largement répandue due à de larges groupes d’agents pathogènes affectant l’Homme, les animaux et les plantes. À l’échelle mondiale, les infections/infestations parasitaires demeurent une des principales menaces en élevage des ruminants. Plusieurs raisons expliquent cette importance, soulignée par la FAO : i) des effets sur la santé et le bien-être des animaux ; ii) un impact économique à long terme en élevage et les répercussions pour le bien-être des éleveurs, notamment dans les pays en voie de développement ; iii) des parasites de ruminants sont aussi agents de zoonoses.
Enfin, d’un point de vue fondamental, les recherches sur les interactions hôte-parasite chez les ruminants sur une large gamme d’approches (du niveau moléculaire aux études épidémiologiques) représentent aussi des modèles permettant de mieux appréhender les interactions chez l’Homme impliquant des espèces parasites de genres taxonomiques proches et en intégrant des facteurs majeurs tels les changements climatiques (Morgan et van Dijk, 2013).
Quels que soient les parasites en cause (Helminthes, Insectes, Acariens, Protozoaires), depuis le développement régulier des molécules antiparasitaires de synthèse commencé dans les années 1950, la prévention et le traitement des diverses infections parasitaires ont reposé en premier lieu sur un large emploi de familles de molécules pharmaceutiques successivement mises au point. Cette approche quasi exclusive de la maîtrise des parasites sur la base de substances de synthèse s’explique par l’efficacité initiale des molécules développées, par leur coût réduit et les formes galéniques développées pour en simplifier l’administration. Cependant, au cours du temps, plusieurs questions et limites liées à cette approche « monolithique » de gestion du parasitisme fondée avant tout sur des traitements de synthèse ont été identifiées.
Une part des questionnements tient à l’évolution des inquiétudes sociétales concernant l’usage des molécules chimiques en agriculture pour limiter les résidus et leurs conséquences pour le consommateur et l’environnement. En médecine vétérinaire, un cadre réglementaire a très tôt été défini afin de protéger les consommateurs d’éventuels effets nocifs associés aux résidus de traitements dans les produits d’origine animale (AMM - Autorisation de Mise sur le Marché). Ces contraintes tendent à devenir de plus en plus strictes, en raison de l’amélioration des seuils de détection des résidus entrainant des temps d’attente recalculés et souvent augmentés (Sachot et Puyt, 2001). Par ailleurs, la mise en évidence de conséquences environnementales dues à certaines molécules endectocides (les lactones macrocycliques) ont conduit désormais à la prise en compte de tels critères pour les dépôts d’AMM de nouveaux antiparasitaires de synthèse.
Toutefois, les principales limites identifiées à l’usage de ces molécules sont liées au développement des résistances aux substances de synthèse. La situation est très hétérogène selon les parasites en cause, le type de production et les familles d’antiparasitaires concernées. Cependant, ce phénomène des résistances apparaît : i) générique, affectant l’ensemble des xénobiotiques en incluant notamment toutes les familles d’antiparasitaires et les principaux groupes de parasites cibles) ; ii) inéluctable ; iii) en expansion constante et iv) mondialisé (Waller, 2006).
Dans le cas des résistances aux anthelminthiques (AH) chez les nématodes gastro intestinaux (NGIs) des ruminants, ces deux derniers points ont été illustrés dans des revues ou projets récents (Rose Vinner et al., 2020, cf. https ://www.star-idaz.net ; https:// www.combar-cost.eu). Par ailleurs, une augmentation constante des cas de résistances multiples, c'est-à-dire de populations de NGIs résistants à plusieurs familles d'AH, a été signalée y compris en France (Bordes et al., 2020). Ces situations peuvent conduire à des « impasses thérapeutiques », en particulier dans les systèmes d'élevage (par exemple les petits ruminants laitiers) pour lesquels contraintes réglementaires et développement des résistances aux AHs se cumulent, et dont l'importance économique limitée à l'échelle mondiale incite peu au dépôt de nouveaux dossiers d'AMM.
Pour résumer, il s’agit désormais d’aborder un changement d’échelles des objectifs qui deviennent de plus en plus complexes. Au-delà de l’objectif initial, central pour préserver l’économie des élevages et la santé des ruminants, il faut désormais freiner en parallèle le développement potentiel de résistances aux antiparasitaires pour conserver leur efficacité future. Ces contraintes convergent avec les nouvelles attentes sociétales correspondant aux critères de l’agroécologie ou au développement de l’Agriculture Biologique (Decante et Sans, 2001).
À la place d’une approche monolithique, reposant sur l’emploi quasi exclusif de molécules de synthèse pour a priori éliminer la quasi-totalité des parasites chez l’hôte (conditions qui favorisent le développement des résistances aux antiparasitaires), le concept de gestion intégrée du parasitisme promeut une approche holistique, multidisciplinaire fondée sur une combinaison de solutions répondant à trois principes de lutte contre les parasitoses en élevage.
Dans le cadre spécifique de la gestion des NGIs chez les ruminants, cette tendance était mentionnée dès la fin des années 1990, en évoquant le début d'une ère « post-anthelminthique ». Par la suite, le contour et les principes de base d'une lutte intégrée contre les NGIs du bétail ont été formalisés (Torres-Acosta et Hoste, 2008). Cette idée est désormais largement acceptée pour prendre en compte la menace prégnante d'expansion des résistances aux AH (Charlier et al., 2017 ; Morgan et al., 2018). Les grands principes sous-jacents à ce concept (Traitement, Immunoprophylaxie et Biosécurité) laissent envisager une application générique à d'autres helminthes ou groupes de parasites que les NGIs.
Les trois principes de lutte contre les infections/infestations parasitaires s’articulent autour des trois éléments des cycles des parasites offrant diverses options de maitrise, selon qu’elles concernent les stades de vie parasitaires, l’Hôte Définitif (HD) ou les formes libres dans l’environnement, qu’il y ait ou non implication d’Hôtes Intermédiaires (HI). Ces objets et principes de lutte fondant le concept de la gestion intégrée, résumés dans la figure 1, correspondent aux objectifs suivants :
i) perturber la biologie des populations de parasites chez les HD. Cette option se décline de deux manières a) éliminer les parasites de manière ciblée par une utilisation plus réfléchie des antiparasitaires disponibles, ou b) perturber la biologie des parasites, notamment par l’emploi de substances naturelles (métabolites secondaires des plantes) ;
ii) favoriser la réponse de l’hôte face aux parasites, que ce soit en termes de résistance (en stimulant la réponse immunitaire) ou de résilience (compensation des effets négatifs du parasitisme).
iii) réduire les contacts entre HD et formes infestantes ou vecteurs présents dans l’environnement soit a) par leur dilution dans le temps et/ou dans l’espace ; b) par la mise en place de méthodes de lutte agressives pour en réduire la densité ou c) en favorisant les facteurs d’évitement chez les hôtes (Hoste et Torres-Acosta, 2011).
Figure 1. Le concept de lutte intégrée contre les infections parasitaires repose sur une connaissance des cycles biologiques et de l’identification d’étapes essentielles à cibler pour perturber la continuité des cycles dans le temps ou l’espace.
Les principes et options illustrés dans cette revue sont indiqués en rouge. MSP : métabolites secondaires des plantes. TT : Targeted treatment ; TST : Targeted Selective Treatment
L’objectif de cette revue est de présenter divers aspects du concept de lutte intégrée à partir de travaux récents de plusieurs équipes INRAE dont les thématiques de recherche portent sur les Interactions Hôte-Parasites. La diversité des modèles parasitaires retenus (helminthes ou insectes, petits ruminants ou bovins ; conditions tempérées ou tropicales) vise à illustrer les divers principes et options à la base de l’idée de lutte intégrée en soulignant l’aspect générique d’applications du modèle ainsi que la nécessité de l’adapter en fonction de la biologie des parasites impliqués et des facteurs gouvernant l’épidémiologie des infections/infestations.
1. Maîtriser les infestations par les strongles gastro-intestinaux chez les ruminants au pâturage via des stratégies de traitement ciblé-sélectif
Chez les ruminants au pâturage, les anthelminthiques (AH) ont été et sont encore administrés sans évaluation préalable du niveau de risque parasitaire (Kenyon et Jackson, 2012). Les protocoles n'ont pas varié. Ils utilisent des molécules appartenant à la même famille d'AH et facilitant la manipulation des animaux (administration sur la ligne du dos/formulation pour-on) : traitements de l'ensemble des animaux d'un même lot, à la mise à l'herbe, lors d'un changement de parcelle en été, ou à la rentrée en bâtiment en automne-hiver (Ravinet et al., 2017). Ces pratiques usuelles de traitement exercent une forte pression de sélection sur les populations de NGI car elles ne permettent pas la préservation de populations refuges, ce qui conduit à l'émergence de résistances vis-à-vis des AH et donc à l'inefficacité partielle ou complète des AH dont on dispose.
Nous verrons dans cette partie i) ce qu’est une population refuge de parasites et en quoi la préservation d’une telle population permet de diminuer la pression de sélection, ii) quelles stratégies de traitement AH on peut mettre en œuvre pour maîtriser l’infestation tout en préservant de tels refuges.
1.1. Pression de sélection, résistance des parasites aux anthelminthiques et population refuge
Dans une population d’helminthes, il préexiste toujours une très faible proportion de vers présentant une aptitude génétique à résister à l’AH. Ainsi, tout traitement AH tuant les vers sensibles peut sélectionner cette très faible proportion de vers résistants (figure 2). Toutefois, le risque de faire émerger une population de parasites partiellement puis complètement résistante à l’AH utilisé est variable en fonction des contextes, et notamment en fonction de la fréquence des traitements et de la probabilité que ces vers résistants après traitement puissent être dilués dans une population refuge.
Un refuge est une sous-population de parasites non soumise à l'action des AH (donc ne subissant pas la pression de sélection liée à l'application du traitement) et contribuant à la génération suivante de parasites (Greer et al., 2020). On distingue trois sources de refuge : les stades libres présents sur les pâtures, les vers chez les hôtes non traités (figure 2), et, dans une moindre mesure, les stades larvaires inhibés vis-à-vis desquels l'AH utilisé n'est pas actif chez l'hôte traité (cas du lévamisole). Ces populations refuges permettent la dilution des gènes de résistance aux AH sélectionnés par le traitement en maintenant majoritaires des gènes de sensibilité dans la population globale de parasites (van Wyk, 2001 ; Kenyon et al., 2009) (figures 2 et 3).
Figure 2. Pression de sélection exercée par un traitement anthelminthique (AH) et probabilité d’apparition de populations de nématodes gastro-intestinaux (NGI) résistantes à l’AH utilisé en fonction de l’existence ou non d’une population refuge.
1.2. Utiliser les anthelminthiques selon des stratégies de traitement permettant la préservation de populations refuges de parasites
L'impact des NGI sur les productions (et la santé) des ruminants est très variable entre troupeaux/lots, entre saisons et entre individus (Ravinet et al., 2015). Ainsi, il est théoriquement possible de raisonner et réduire les traitements en i) ciblant les troupeaux/lots à risque (animaux peu immunisés contre les NGI) lors des périodes à risque (périodes au cours desquelles les niveaux d'infestation sont suffisants pour affecter à court terme les productions voire la santé), en ii) sélectionnant les individus les plus parasités et/ou les moins résilients, et en iii) conservant ainsi des populations refuges de parasites (Kenyon et al., 2009 ; Charlier et al., 2014).
Le Traitement Ciblé (TC) contre les NGI consiste à traiter 100 % des animaux d'un groupe lorsqu'il subit une période à risque en cours de saison de pâturage. La population refuge est dans ce cas assurée par les stades libres présents alors en grand nombre sur les pâtures (figure 3, cas 1). Mais cette population refuge ne peut assurer son rôle de dilution des parasites résistants que si les conditions environnementales permettent une bonne survie des stades larvaires et que si les animaux restent sur cette/ces même(s) pâture(s) jusqu'à se réinfester (Greer et al., 2020).
Le Traitement Ciblé-Sélectif (TCS) consiste à ne traiter qu'une partie des animaux du lot : les plus infestés et/ou les plus sensibles (faible résilience à l'infestation) (Greer et al., 2020), la population refuge étant alors constituée des parasites hébergés par les animaux non traités (et éventuellement les stades libres sur les pâtures) (figure 3, cas 2). Le traitement sélectif est indispensable lorsque le refuge constitué par les stades libres sur les pâtures est de faible taille, par exemple en cas de passage sur une parcelle peu contaminée, ou dans le cas d'un traitement à la rentrée en bâtiment (Ravinet et al., 2017).
Figure 3. Populations refuges et stratégies de traitement ciblé (TC) (cas 1) ou de traitement ciblé-sélectif (TCS) (cas 2).
1.3. Mise en œuvre des stratégies de traitement ciblé et ciblé-sélectif
De manière générale, la mise en place d'une stratégie de Traitement Ciblé (TC) nécessite d'évaluer i) l'infestation des animaux, les périodes à risque de forte infestation dépendant du type d'animaux (chèvres, agneaux, brebis en gestation/lactation, génisses, vaches adultes), des caractéristiques des NGI prédominants dans la population à traiter (H. contortus, T. circumcincta, O. ostertagi…), et des facteurs influençant l'épidémiologie locale (conduite du pâturage, conditions météorologiques…), ii) l'importance des populations refuges, c.a.d des populations larvaires sur les parcelles utilisées au moment du traitement AH (Ravinet et al., 2017). Le TC peut reposer sur des outils diagnostiques appréciant la charge parasitaire d'un groupe d'animaux (coproscopie chez les petits ruminants, dosage de pepsinogène sérique chez les bovins), et/ou des outils informatiques modélisant la succession des cycles parasitaires et l'augmentation du niveau d'infestivité des parcelles en fonction des conditions météorologiques et de la conduite du pâturage (ex: Parasit'Sim utilisable pour les bovins, en développement pour les petit ruminants (Merlin et al., 2017).
La mise en œuvre du Traitement Ciblé-Sélectif (TCS) nécessite la définition d'indicateurs individuels de traitement, qui doivent être pratiques, peu onéreux et associés à des seuils de décision fiables. Idéalement, ces critères de traitement doivent pouvoir être appréhendés « au chevet » de l'animal et sans augmenter le temps de travail de l'éleveur (Ravinet et al., 2017). La difficulté d'identification de tels critères est complexe. Les indicateurs ayant fait l'objet d'étude pour le TCS sont de trois types : indicateurs parasitologiques (reflétant le niveau d'infestation de l'hôte) ; indicateurs cliniques et indicateurs liés à la production (croissance, production laitière) (reflétant la résilience de l'hôte) (Kenyon et al., 2009).
Les études ayant exploré des critères de TC et TCS sont nombreuses chez les petits ruminants, moins fréquentes chez les bovins. Les approches explorées ont fait l'objet de synthèses bibliographiques récentes (Ravinet et al., 2017 ; Greer 2020), et ne seront pas redétaillées ici. Cependant, les indicateurs développés et explorés sont listés de manière synthétique dans le tableau 1. Ces indicateurs diffèrent en termes de praticité (ex : équipement de pesée nécessaire pour les mesures de gain moyen quotidien-GMQ), de coût (ex: coproscopie individuelle versus de mélange), de précocité d'intervention ou de sensibilité (ex : l'index de souillure de l'arrière train s'accompagne souvent de pertes de productions déjà installées, et la Note d'Etat Corporel-NEC- est peu sensible), et bien sûr de fiabilité (ex : les résultats relatifs à la parité chez la vache laitière sont très variables entre études, l'indicateur FAMACHA est plus difficilement applicable dans des contextes de polyparasitisme où H. contortus n'est pas dominant).
Tableau 1. Indicateurs développés et explorés à l'échelle du groupe ou de l'individu pour la mise en œuvre de stratégies de traitement ciblé et de traitement ciblé-sélectif chez les ruminants (d'après Charlier et al., 2014 ; Ravinet et al., 2017 ; Greer et al., 2020). * Efficacité de production = indicateur affiné comparant les gains de poids individuels avec ceux attendus sous contraintes nutritionnelles. **FAMACHA®= indicateur reposant sur l'état d'anémie apprécié par l'examen de la muqueuse oculaire et noté de 1 à 5 (indicateur développé dans les régions où H. contortus, NGI hématophage, est le vers dominant (zones tropicales)). ***Données supplémentaires à celles fournies dans les 3 synthèses bibliographiques dont ce tableau est issu (Ravinet et al., 2018).
Stratégie |
Jeunes animaux en croissance |
Animaux adultes en lactation |
||
---|---|---|---|---|
Petits ruminants |
Génisses |
Petits ruminants |
Vaches |
|
Traitement Ciblé |
- Coproscopie |
- Simulateur du risque |
- Coproscopie |
- Temps de contact |
Traitement |
- Coproscopie |
- Gain moyen |
- Parité |
- Date de vêlage*** |
1.4. Efficacité des stratégies de traitement ciblé ou ciblé-sélectif
Dans les études évaluant des stratégies de TC ou TCS, il est assez facile de quantifier la baisse du nombre de traitements associée au TC/TCS par rapport à une approche classique « non raisonnée », les preuves d'une nette réduction de l'usage des AH (sans impact négatif sur les productions ou la santé) étant très souvent apportées: par exemple, – 50 % chez des agneaux (Kenyon et al., 2013 ; Busin et al., 2014), – 47 % en moyenne chez des génisses (Merlin et al., 2018), – 70 % chez des vaches laitières (Ravinet et al.,. 2018). En revanche, les preuves d'un ralentissement d'apparition de la résistance lié à l'application des stratégies de TC/TCS sont compliquées à obtenir. En effet, la résistance aux AH met souvent plusieurs années à apparaître, Donc, montrer que ce phénomène ralentit en lien avec les TC/TCS nécessiterait des études longues et complexes notamment pour comparer diverses approches. Une seule étude sur 5 ans en élevage ovin (Leathwick et al., 2015) a montré une diminution des fréquences alléliques de résistance chez T. circumcincta après adoption de ces pratiques spécifiques de contrôle des NGI visant au maintien de populations refuges.
De fait, les bénéfices de la préservation de populations refuges ont plus été évalués par des études de modélisation que par des essais de terrain (Greer et al., 2020). Plusieurs modèles ont été développés, examinant divers scenarii (liés à l'hôte, aux espèces de NGI, à la stratégie de TC/TCS testées, aux conditions climatiques…). Bien que ces modèles diffèrent, ils démontrent dans presque tous les cas que la conservation de population refuge est associée au ralentissement du développement des résistances aux AH. Ces modèles montrent aussi que la réduction de la résistance via les refuges peut être influencée par des facteurs comme l'efficacité de l'AH ou les conditions environnementales. Ainsi, la taille du refuge nécessaire à une dilution efficace des vers résistants sera plus faible lorsque l'efficacité AH est meilleure (en raison d'un plus petit nombre de vers survivants au traitement) ou quand les conditions environnementales sont plus favorables à la survie des stades larvaires sur les pâtures (Greer et al., 2020). Un essai terrain en élevage ovin mettant en évidence le lien entre TC/TCS, une croissance non dégradée et un maintien de l'efficacité des AH est disponible (Kenyon et al., 2013). Toutefois la gestion concomitante de niveaux d'infestations acceptables et d'une population refuge suffisante reste complexe (Waghorn et al., 2008 ; Leathwick et al., 2006).
Une autre dimension à prendre en compte dans les stratégies de TC/TCS est liée à la perception et aux attitudes des personnes impliquées dans le traitement AH. Une étude chez les vétérinaires spécialistes en bovins laitiers a montré un intérêt pour ces nouvelles pratiques pour les vaches adultes alors que la démarche reste peu acceptée pour les génisses de 1ère saison de pâturage (Merlin et al., 2017).
2. Perturber la biologie des nématodes : plantes bioactives, métabolites secondaires et alicaments.
Avant l’apogée des molécules chimiques employées à large échelle, l’essentiel de la Pharmacopée humaine et vétérinaire se fondait sur un usage traditionnel, souvent empirique de substances naturelles notamment issues de plantes. Il existe une tendance actuelle à une « redécouverte » des propriétés antiparasitaires de certaines de ces ressources et de leurs composés bioactifs, les Métabolites Secondaires des Plantes (MSP). Ces substances naturelles participent entre autres, aux mécanismes de défense des végétaux vis-à-vis de pathogènes ou de prédateurs. En fonction des concentrations dans la ration, les MSP sont décrits comme des facteurs anti-nutritionnels voire toxiques, ou dotés d’effets bénéfiques, (Acamovic et Brooker, 2005). Ces composés peuvent contribuer à protéger les animaux des maladies, en limitant le recours aux AH de synthèse et donc l’émergence de résistances.
Les MSP sont représentés par trois groupes phytochimiques principaux : les alcaloïdes, les terpénoïdes (saponines et huiles essentielles) et les composés phénoliques, qui incluent différentes classes de tanins. Certains des MSP sont d’intérêt pour la production, la santé et le bien-être du bétail. Dans la lutte contre les NGI, les MSP peuvent être valorisés en utilisant directement la ressource végétale comme alicament, ou en isolant des extraits administrés à l’animal ou incorporés dans des compléments alimentaires. Ces deux modes d’utilisation permettent de conserver le caractère multi-cibles des composés de la plante, et ainsi limiter l’apparition des résistances au niveau du parasite.
2.1. Des légumineuses tempérées riches en tanins condensés
Les tannins condensés (TC = proanthocyanidines) sont des polyphénols de structure complexe, présents dans la nature sous la forme de mélanges d'oligomères et polymères construits à partir d'un ensemble commun de sous-unités monomériques (flavan-3-ols) (Schofield et al., 2001). Les TC représentent jusqu'à 20 % de la matière sèche des légumineuses fourragères utilisées comme aliments des ruminants. De nombreuses plantes contiennent des TC. Cependant, seules celles ayant une concentration de TC > 5 g/kg MS sont considérées comme étant des fourrages bioactifs potentiels (Piluzza et al., 2014).
À travers le monde, plusieurs modèles de Légumineuses d'intérêt ont été identifiés en raison de la présence de TC en concentrations suffisantes et ont conduit à des études expérimentales et à des développements en élevage. Il s'agit du sulla, des lotiers corniculés et pédonculés, de sericea lespedeza et du sainfoin. Les travaux à l'INRAE entamés depuis plus de 20 ans ont porté sur ce dernier modèle de Légumineuses tempérées (Hoste et al., 2015 ; Mueller-Harvey et al., 2019). Les études ont surtout porté sur l'exploitation de ces fourrages bioactifs riches en TC sous forme d'alicaments, c'est-à-dire des fourrages associant une valeur nutritionnelle et un effet favorable sur la santé des animaux, le plus étudié des effets sanitaires concerne la maitrise des NGIs et leurs effets sur la résilience des ruminants. Seuls les principaux points seront résumés ci-dessous tout en évoquant les progrès récents en termes de compréhension des mécanismes et de conditions d'application en élevages.
a. Les effets antiparasitaires
Les propriétés AH des diverses Légumineuses mentionnées ont d’abord été identifiées par un panel d’essais in vitro visant de multiples stades du cycle des NGIs (Jackson et Hoste, 2010). Par comparaison aux AHs de synthèse, les principaux résultats in vivo ont montré une diversité d’action affectant 3 étapes clefs du cycle :
i) une baisse d’excrétion des œufs imputée soit à une baisse de fertilité des vers femelles ou plus occasionnellement à une réduction du nombre de vers ;
ii) une baisse d’installation des larves infestantes (L3) chez les moutons ou les chèvres recevant les alicaments riches en TC. Ce phénomène s’explique par un retard ou une inhibition du dégainement des L3 (première étape de la vie parasitaire) auquel s’ajoute un moindre succès de pénétration dans les muqueuses ;
iii) un retard voire un blocage de développement des œufs en larves 3 a aussi été signalé, de manière plus épisodique.
Au bilan, ces effets combinés (réduction de la contamination du pâturage, de son infestivité pour l’hôte liée aux L3 et du succès d’installation chez l’hôte) expliquent un ralentissement de la dynamique des infestations et de leur intensité pouvant conduire à un moindre recours aux AH de synthèse pour gérer ce parasitisme.
b. Quels modes d’action ?
Les études sur les Légumineuses riches en tannins ont permis de mieux comprendre et de formuler des hypothèses sur les mécanismes d'action (Hoste et al., 2012). En ce domaine, le premier point a été la confirmation du rôle des MSP dans les activités AHs. En l'occurrence, le rôle des TC et d'autres polyphénols (flavonoides) a été validé, en s'appuyant sur les avancées récentes de la métabolomique. Des interactions entre divers métabolites polyphénoliques ont aussi été identifiées (Klongsiriwet et al., 2015).
De multiples résultats in vitro ont souligné que ces effets dépendent de la concentration que ce soit en extraits ou en composés purifiés. Plus récemment, des études menées en parallèle sur des nématodes de petits ruminants et de bovins ont aussi montré que des caractéristiques structurelles des tannins (nature des monomères de base en particulier le ratio prodelphinidines/procyanidines et taille des tanins = degré de polymérisation) influencent l'activité antiparasitaire (Mueller-Harvey et al., 2019).
En termes d'interactions entre les polyphénols et les nématodes l'hypothèse actuelle privilégiée est celle d'un mode d'action direct, de type pharmacologique, lié à l'exposition des divers stades (œufs, larves 3 infestantes et adultes) à des concentrations efficaces de molécules bioactives dans les organes digestifs en cause (rumen, abomasum et intestin grêle) (Desrues et al., 2017 ; Quijada et al., 2018). Cette hypothèse « directe » est fondée sur l'affinité des TC avec les protéines des divers stades de NGIs. Elle a été confortée à la fois par des études fonctionnelles (Brunet et al., 2007) et ultrastructurales (Brunet et al., 2011 ; Martínez-Ortíz De Montellano et al., 2013).
Cette première hypothèse n'est pas exclusive d'une seconde, fondée sur une stimulation de la réponse locale ou générale de l'hôte vis-à-vis des NGIs par interactions des polyphénols avec des cellules immunitaires et inflammatoires dans les muqueuses (Hoste et al., 2012). Plusieurs résultats récents (Williams et al., 2017) tendent à confirmer l'intérêt d'une exploration plus ample de cette option.
c. Vers des applications en élevage
Par comparaison aux AHs de synthèse, un point majeur à souligner concernant l’exploitation comme alicament des ressources naturelles et des MSPs est la variabilité des effets observés. Il faut déjà rappeler que l’efficacité des alicaments dépend de l’ingestion volontaire des ruminants La variabilité dépend aussi des ressources exploitées en lien avec les teneurs en polyphénols. Les facteurs expliquant cette variabilité ont été analysés Ainsi, dans le cas du sainfoin, des facteurs génétiques (cultivars), environnementaux (ex stade phénologique, conditions agronomiques) et technologiques ont été identifiés comme influençant la concentration en MSP et donc la bioactivité (Manolaraki, 2011).
Des recherches appliquées ont visé à résoudre cette question de la variabilité et à définir les conditions optimales d’exploitation des plantes bioactives. Dans le cas des Légumineuses tempérées contenant des TC, des études suggèrent que pour obtenir les effets AH attendus, en élevage ovin ou caprin, un seuil minimal de TC dans la ration est requis. Selon les Légumineuses exploitées, et donc la qualité des TC, ce seuil est estimé entre 2 et 3 % de tannins (méthode de Folin-Ciocalteu) dans la ration. Par ailleurs, une durée minimale de distribution parait aussi nécessaire. Dans le cas du sainfoin, elle a été estimée à au moins 2 semaines (Gaudin, 2017).
En termes de modalités d’application, les études sur le sulla, le sericea lespedeza ou le sainfoin ont exploré une diversité de formes : pâturage en vert, diverses formes conservées (foin, ensilage, voire des granulés déshydratés pour le sainfoin ou le sericea lespedeza). Chacune de ces options présente des avantages et inconvénients selon les divers critères considérés : a) autonomie des élevages, b) possibilité de production dans les conditions pédo-climatiques les plus favorables à la légumineuse retenue, c) coût économique, d) coût carbone, e) facilités d’exploitation, de stockage et conservation, de distribution, voire d’exportation.
Un verrou majeur demeure pour favoriser l’exploitation de ces alicaments : la possibilité de mesurer simplement et à faible coût les TC et caractériser ainsi la bioactivité AH des ressources avant usage. En ce domaine, des méthodes automatisées comme par exemple des technologies NIRS ont été explorées sur des modèles de granulés déshydratés de sainfoin ou de plantes tropicales (Gaudin, 2017 ; Marie-Magdeleine, 2019).
Aux études sur les Légumineuses fourragères tempérées riches en TC correspondent des travaux sur des Légumineuses arbustives répandues en zones tropicales (Torres-Acosta et al., 2019). Les résultats ont confirmé nombre des points précédents sur les effets contre les NGIs.
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2.2. Des plantes tropicales riches en métabolites secondaires et leur bioréactivité alicamentaire anthelminthique
Les ressources végétales tropicales sont particulièrement riches en MSP, ce qui peut influer sur leur valeur alimentaire (Archimède et al., 2018). In vitro, les extraits de TC d'une dizaine d'espèces de plantes tropicales (Marie-Magdeleine et al., 2018 ; Marie-Magdeleine et al., 2010a ; Marie-Magdeleine et al., 2010c), montrent des effets significativement variables selon les stades parasitaires d'H. contortus et selon les plantes (de 0 à 60 % d'efficacité sur le développement larvaire de L1 à L3, et de 0 à 99 % d'efficacité sur le dégainement des L3). En particulier, le Manihot esculenta (manioc), le Leucaena leucocephala (leucène) et le Cajanus cajan (pois d'angole), ressources duales (riches en protéines et en TC) disponibles sur les exploitations agricoles, arborent un bon potentiel alicamentaire anthelminthique (Marie-Magdeleine 2019 ; Minatchy 2020). De plus, les profils chromatographiques de leurs TC sont différents.
a. Effets alicamentaires anthelminthiques et modalités d’usage
Globalement, une alimentation à base de feuillages de manioc, leucène et pois d'angole, permet une complémentation protéique assurant une croissance et une résilience face au parasitisme par H. contortus. Ces alicaments ont de plus, une action directe sur le parasite, avec des niveaux d'efficacité différents (excrétion fécale : leucène
Pour une activité anthelminthique, ces trois feuillages doivent être consommés à raison de 75 à 150 g de produit frais (soit 15 à 30 g de produit sec) par kilo de poids vif et par jour (Marie-Magdeleine, 2019). Une granulation permettra une meilleure conservation sans dénaturation des propriétés alicamentaires (Minatchy 2020).
b. Mode d’action anthelminthique
Les divers modes d'actions des 3 plantes modèles fragilisent à la fois le développement du parasite et sa fécondité. Une administration de TC de manioc à la dose de 0,2 g/kg de poids vif, retarde significativement le développement embryonnaire des œufs, et des stades L4 au vers adulte (Marie-Magdeleine, 2019). En outre, une ingestion de manioc (teneur en TC 40 g/kg MS) affecte de 60 % l'excrétion fécale et le développement des œufs en larves infestantes (Marie-Magdeleine et al., 2010b ; 2010c). Par ailleurs, une alimentation avec les différents régimes, n'entraine pas de différence des populations parasitaires (nombre et profils de mâles, femelles, immatures) retrouvées dans la caillette. De plus les quantités d'œufs excrétés sont affectées sans relation linéaire avec la concentration en TC (Minatchy et al., 2020). Par ailleurs, les TC des 3 plantes ont montré des effets significatifs sur différents stades de développement de souches sensibles (S) et résistantes (R) aux Benzimidazoles et /ou Ivermectine : in vitro respectivement pour pois d'angole, manioc et leucène, souches S et R : 3,8 et 5,75 % ; 13,4 et 10,6 % ; 11,9 et 13,9 % de développement larvaire moyen ; 25,5 % et 90,8 % ; 0 % et 0 % ; 100 % et 100 % de dégainement larvaire à 60 min, à 2,5 mg/mL de TC. In vivo le leucène s'est montré efficace sur différents stades du parasite H. contortus et sur des souches résistantes aux AHs de synthèse (Ceriac et al., 2018 ; Marie-Magdeleine, 2019). La fécondité des vers femelles du parasite est affectée (– 67,5 % vs – 51,2 % pour les souches R et S), ainsi que le développement des parasites (+ 6 % de vers immatures par rapport au témoin ; développement en L3 souche R : – 71 % et souche S : – 91 %).
À plus long terme, l’ingestion de ces 3 plantes à TC par les animaux peut également modifier le métabolisme et donc la « fitness » parasitaire, avec des incidences sur les infestations futures (pouvoir infestant conservé, retard de dégainement larvaire, fragilisation des œufs et atteinte du développement larvaire), et la sensibilité aux AHs de synthèse (Marie-Magdeleine, non publié).
c. Influence de la structure chimique des TC sur la bio-réactivité anthelminthique
Les différences d'effets observées entre les 3 modèles d'espèces à TC mettent en évidence les relations entre différentes compositions/structure et bio-réactivités. Les compositions en TC et flavan-3-ols libres dans les extraits pourraient expliquer ces effets (Quijada, 2015 ; Zeller, 2019). En effet, les TC de manioc sont les plus riches en flavanols libres de type prodelphinidines et en groupes galloyls (Marie-Magdeleine et al., 2018), d'où les meilleurs effets observés sur le développement larvaire du parasite. Par ailleurs, les extraits de feuilles de leucène et de pois d'angole ont des teneurs en prodelphinidines supérieures et proches, expliquant leurs effets supérieurs à celui du manioc sur l'inhibition du dégainement larvaire du parasite. Enfin, un effet synergique des 3 espèces végétales a été démontré pour l'inhibition du dégainement larvaire du parasite H. contortus in vitro (réduction de l'EC50 de 20 % par rapport à la valeur moyenne attendue). Cet effet synergique pourrait être dû à une synergie TC-TC ou TC-flavanols libres (Minatchy, 2020).
2.3. Recherches connexes sur les plantes bioactives
Les principaux mots-clefs décrivant le concept d'alicaments, rappelés ci-dessous, ont conduit à envisager de nouveaux champs de recherche et développements potentiels sur les points suivants. Plusieurs études récentes ont illustré l'intérêt des mêmes ressources dans la lutte contre les NGIs (cyathostomes) des chevaux (Collas et al., 2017), la maitrise des infections coccidiennes chez des ruminants (Kommuru et al., 2014) voire chez des monogastriques (lapins) (Legendre et al., 2018).
Jusqu'à présent, l'essentiel des travaux ont concerné les TC. Ce terme recouvre une diversité de molécules chimiques expliquant les modulations de bioactivité antiparasitaire. Des résultats similaires sur les relations structure activité ont aussi été observés pour les éllagitannins, un autre groupe majeur de polyphénols (Engström et al., 2016). Au-delà des polyphénols, l'implication potentielle d'autres grandes familles de MSP dotées de propriétés antiparasitaires est suspectée en relation avec d'autres ressources végétales, par exemple des sesquiterpènes lactones dans la chicorée (Peña-Espinoza et al., 2018) ou des protéinases (Njorn et al., 2021) ou des alcaloïdes dans les graines de lupin (Dubois et al., 2015).
Par ailleurs, la valorisation de fourrages ou autres ressources contenant des TC, peut avoir une incidence positive sur la durabilité économique et environnementale des élevages. Un des intérêts majeurs des TC découle de leur capacité à affecter presque tous les aspects du cycle de l’azote, principalement du fait de leurs interactions avec des protéines fourragères ou microbiennes. Ces interactions TC-protéines peuvent générer des effets agricoles importants tels que la protection des protéines fourragères lors de l'ensilage, une activité inhibitrice contre les bactéries nitrifiantes dans le sol. En plus d’affecter le cycle de l’azote de la ferme, les TC bénéficient aux animaux par une croissance améliorée, une meilleure production de lait et de laine, une meilleure fertilité, une réduction des émissions de méthane, une prévention des météorisations et l’évaporation d'azote via les déjections et l’urine (Muir, 2011).
3. Améliorer la réponse des ruminants par sélection génétique : un levier pour limiter durablement l’usage des traitements
La sélection d'animaux moins dépendants aux traitements s'inscrit dans une démarche agroécologique pour un élevage plus vertueux car plus autonome vis-à-vis des intrants et promouvant un animal en équilibre avec son milieu. de la Chevrotière et al. (2011), Moreno-Romieux et al. (2017) ont montré la possibilité de sélectionner des petits ruminants résistants aux NGIs, i.e. d'animaux moins contaminateurs du pâturage et de leurs congénères. Cette voie génétique mène potentiellement à la réduction des traitements AHs selon 3 mécanismes : i) la limitation de la population vermineuse hébergée et du pouvoir contaminateur de l'hôte ; ii) l'augmentation de la diversité génétique des hôtes sur la parcelle ; iii) l'accroissement de la capacité de l'hôte à surmonter l'impact des parasites.
Tout d'abord, la résistance aux strongles gastrointestinaux, c'est-à-dire l'aptitude de l'animal à limiter la taille et la prolificité de la population vermineuse adulte qu'il héberge, réunit les conditions sine qua non pour une sélection efficace en ovin et en caprin. C'est un caractère modérément héritable. Les valeurs d'héritabilité sont de l'ordre de 0,40 chez les ovins et moitié moindre chez les caprins (Bishop et Morris, 2007 ; de la Chevrotière et al., 2011), avec une composante génétique maternelle qui devient non significative avec la maturation du système immunitaire des jeunes. La résistance est fortement corrélée entre infestations artificielle et naturelle. Les corrélations entre stades de production sont élevées et favorables. Par exemple, la sélection de chevreaux Créole en engraissement permettra de limiter l'intensité et la persistance du pic d'excrétion des mères autour du part (Blaes et al., 2010). À ce jour, cette résistance est considérée comme incontournable par les parasites et peu spécifique, la résistance à une espèce de strongles conférant également une résistance aux autres espèces de strongles (Mandonnet et al., 2014). La sélection conduit à l'amélioration graduelle, cumulative et irréversible de la résistance des petits ruminants, déplaçant en leur faveur l'équilibre avec les parasites et réduisant ainsi leur dépendance aux traitements.
Par ailleurs, l'éleveur peut également composer la diversité génétique au sein de son troupeau en agençant différents potentiels de résistance d'animaux intra race, ou entre races, voire entre espèces (Mandonnet et al., 2020). Combinant les complémentarités de comportements et de production, il expose ainsi ses animaux les plus sensibles à une pression parasitaire supportable, même quand les conditions climatiques sont favorables aux parasites. Cette approche fait l'objet de travaux de modélisation pour définir, dans des conditions agropédoclimatiques données, le mélange optimal de génotypes permettant de garantir la survie et la productivité de troupeaux ovins au pâturage soumis au parasitisme gastrointestinal (Laurenson et al., 2012 ; Saccareau et al., 2016). De tels mélanges garantissent la stabilité des performances du troupeau et leur optimisation dans des situations d'infestivité variables des pâturages avec un nombre limité de traitements. Une démonstration expérimentale a pu en être donnée dans le cas particulier du pâturage mixte de chèvres Créole en production avec des génisses Créole dans un rapport de chargement entre chèvres et génisses égal à 1 en poids métabolique (Blaes et al., 2010). La productivité des chèvres allaitantes (exprimée en kg de poids vif produit à 70 jours de lactation) était augmentée de 16 % par la sélection pour une excrétion réduite à 11 mois d'âge, et de 32 % en combinant sélection et pâturage mixte (figure 4). Dans les systèmes à diversité renforcée, l'espacement des traitements peut être envisagé avec un maintien des performances au niveau des chèvres conduites seules.
Figure 4. Comparaison pendant 5 ans, de la productivité à 70 jours de lactation de chèvres Créole issues de 4 lots au pâturage : seules sans sélection sur l’excrétion d’œufs (C0), seules avec sélection pour une excrétion réduite (C+), ou en système mixte avec des génisses sans sélection (M0), ou avec sélection (M+). Le gain moyen de productivité lié à la sélection est de 16 % ; celui obtenu en associant sélection et mixité au pâturage atteint 32 %.
Enfin, en augmentant la résilience, c'est-à-dire l'aptitude de l'animal à supporter l'impact du parasitisme (spoliation, dommages aux organes et perturbations physiologiques), la fréquence des traitements est potentiellement réduite. Ce caractère peut s'évaluer grâce à divers phénotypes reposant sur divers critères (hématocrite, chute de production de lait, pertes de poids, score FAMACHA©, indice de souillure de l'arrière-train), ayant pour la plupart une héritabilité modérée permettant un travail de sélection. La résilience semble le plus souvent indépendante génétiquement de la résistance, c'est-à-dire que les contrôles génétiques de ces deux caractères sont différents. L'analyse de 15 années d'enregistrements du nombre de traitements nécessaires pour des chèvres Créole par période de lactation, sur la base de leur score FAMACHA©, a mis en évidence une héritabilité modérée (0,16) de ce caractère (Tesfamicael et al., 2012). Ce résultat a pour conséquence pratique que les éleveurs peuvent entreprendre une amélioration génétique intra-troupeau de la fréquence de leurs traitements (des mères en lactation) en réformant les reproductrices nécessitant le plus de traitements au cours d'une lactation. Cette pratique doit être couplée avec des traitements individualisés (ciblés/sélectifs).
La réduction des traitements induite par ces 3 stratégies de sélection et de gestion de la diversité dans le troupeau, reste le plus souvent à valider, et ce dans chaque modèle hôte/pathogène. Pour le moment, peu de résultats expérimentaux ou de modélisation permettent de l'objectiver, mais des pistes existent dans ce sens. Ainsi, le schéma de sélection proposé chez les chèvres en Guadeloupe (Gunia et al., 2012) améliore avec un index pondéré, la résistance (excrétion d'œufs), la résilience (taux d'anémie), la production (poids vif à 11 mois et rendement carcasse), la reproduction (fertilité) pour optimiser le revenu de l'éleveur. Cet objectif de sélection conduit à des réponses favorables corrélées sur les caractères de résilience (Tesfamicael et al., 2012), dont une réduction annuelle corrélée de 9,6 % du nombre de traitements nécessaires pour les chèvres en lactation (sur la base de la méthode FAMACHA©).
4. Gestion intégrée des nématodes gastro intestinaux en zone tropicale : exemple des travaux expérimentaux en Guadeloupe
Chez les ruminants, le principal objectif des travaux de recherche pour une gestion intégrée des parasitoses digestives, est d'éviter un échappement des parasites aux méthodes de contrôle usuelles et de limiter leur évolution vers une augmentation de la résistance, voire de la virulence. Dans cette stratégie, les méthodes de contrôle non médicamenteuses sont complémentaires à une utilisation parcimonieuse des AH de synthèse (figure 1). Les conditions tropicales sont particulièrement favorables au parasitisme par les NGIs, notamment pour l'espèce hématophage H. contortus. Nombre de recherches menées sur le site INRAE URZ Guadeloupe et son troupeau expérimental ont visé à examiner la mise en place et analyser les résultats de gestion intégrée de ce parasite en systèmes d'élevage caprins sur le long terme (Blaes et al., 2010) en combinant principes et méthodes illustrés par la figure 1.
Les méthodes de traitements ciblés reposent sur l'évaluation du niveau d'infestation des animaux. Par exemple, les performances zootechniques, comme la vitesse de croissance (GMQ), la note d'état corporel (NEC) et la production laitière sont des indicateurs pertinents. Selon l'espèce hôte (petits ruminants ou bovins), le stade physiologique (jeunes en croissance, gestantes ou en lactation), la population parasitaire, voire parfois la saison, des outils comme la méthode FAMACHA©, l'index de diarrhée (DISCO) ou l'index de souillure de l'arrière-train (DAGSCORE) ont montré dans certaines études, une bonne corrélation avec les niveaux d'infestation (mesurés via l'OPG) chez les caprins comme chez les ovins (Mahieu et al., 2007 ; Kenyon et Jackson, 2012). Pour les infestations par H. contortus, la corrélation entre l'anémie évaluée par la méthode FAMACHA© et le niveau d'infestation est globalement significative, hormis lorsque les animaux développent une résilience à l'infestation (Ceriac et al., 2017). Malheureusement, ces outils sont encore mal diffusés et nécessitent une meilleure technicité que celle d'un traitement systématique, ce qui constitue un frein important à leur adoption.
La manipulation nutritionnelle des petits ruminants est depuis longtemps considérée comme un outil de contrôle des infestations par les NGI (Hoste et al., 2008 ; Houdijk, 2012). Cependant, une simple augmentation des niveaux de complémentation n'est pas adaptée lorsque l'on vise l'efficience des systèmes de production, compte tenu de la volatilité du coût des matières premières, mais également de l'impact environnemental d'une telle stratégie. Ainsi, les travaux conduits pour caractériser les rôles respectifs de l'énergie et des protéines montrent que la réponse contre les NGI serait plus sensible à une carence en protéines métabolisables qu'en énergie métabolisable (Houdijk, 2012 ; Cei et al., 2018). En effet, chez les caprins Créole et les ovins Martinik Black Belly en croissance, la comparaison de rations riches en protéines et/ou en énergie versus une ration équilibrée a montré d'une part, que le statut nutritionnel affecte significativement la résistance et/ou la résilience des animaux, et, d'autre part, qu'une supplémentation en excès en protéines métabolisables favorise une expression améliorée de la résistance (Cei et al., 2017 ; Ceriac et al., 2017). La surnutrition en protéines, relativement aux recommandations théoriques, permettrait aussi d'augmenter la résilience des animaux. Il a également été montré qu'un changement du niveau de complémentation en protéines au cours d'une infestation pouvait contrecarrer l'impact négatif sur les performances au détriment de la réponse contre le parasitisme (Cei et al., 2017). La manipulation des protéines de la ration pour impacter la qualité des protéines intestinales apparait une piste à explorer pour un meilleur contrôle des infestations par les NGI. Une diminution des OPG a été mise en évidence chez des chevreaux alimentés avec une ration enrichie en protéines protégées de la dégradation ruminale, suggérant l'induction d'une résistance vis-à-vis de H. contortus (Ceriac et al., 2018).
Les systèmes de pâturage mixte, qui associent deux espèces de ruminants (ovins-bovins ou caprins-bovins), montrent à la fois, une réduction de la pression parasitaire et une meilleure utilisation de la biomasse fourragère. Dans les Antilles françaises, le pâturage mixte a permis de réduire d'environ 90 % la charge parasitaire des jeunes chèvres lorsque 50 % des chèvres (en termes de taux de chargement) étaient remplacées par des bovins (Mahieu, 2013). De plus, lorsque de jeunes bovins et ovins pâturaient ensemble (en utilisant un rapport de poids métabolique de 2/3 à 1/3), le rendement par hectare augmentait de 23 à 24 % (Mahieu et Aumont, 2009). Une amélioration du rendement a également été observée chez les chèvres allaitantes, bien que leur charge parasitaire ne semblât pas réduite lorsqu'elles étaient mises en pâture avec des bovins (Mahieu et Arquet, 2019).
Les efforts de recherches futures s'orientent fortement vers l'optimisation de la combinaison de différents leviers évoqués dans cet article (Morgan et Van Dijk, 2013), par des approches à la fois expérimentales et le recours à la modélisation. La modélisation permettrait notamment de mieux appréhender au long terme les effets combinés des différents leviers. Pour ce faire, il est d'abord nécessaire de simuler la dynamique des populations de parasites, à la fois pour les stades libres et parasitaires. Pour les premiers, il s'agit notamment de prendre en compte les effets du climat sur les populations (Rose et al., 2015). Les stades parasitaires sont plus complexes à modéliser, car nous ne disposons pas d'outils permettant un suivi dynamique des populations de vers chez l'hôte et de mesurer l'impact de l'animal, via son système immunitaire, sur ces parasites. Cette réponse immunitaire est-elle même modulée par divers facteurs de l'hôte (ex : stade physiologique, alimentation, historique d'infestation ou génétique), dont les effets restent à préciser (Singleton et al., 2011 ; Laurenson et al., 2012 ; Saccareau et al., 2016). Enfin, il est nécessaire de caractériser l'ingestion de larves au pâturage par les animaux. Peu d'études existent à ce sujet, même si ce phénomène peut jouer un rôle majeur dans la dynamique des infestations (Fox et al., 2013, Bonneau et al., 2018). Une fois la modélisation de l'ingestion des stades libres et celles des formes parasitaires maîtrisée, il s'agira ensuite de modéliser les impacts des différentes stratégies de gestion sur les populations parasitaires et la réponse de l'hôte. Il sera alors possible de simuler les dynamiques d'infestations sous différents modes de gestion et d'optimiser les pratiques, en fonction des contraintes de l'éleveur.
5. De la résistance aux insecticides à la lutte intégrée : modèle de la mouche d’étable Stomoxys calcitrans.
Parmi les Arthropodes hématophages d'importance médicale et vétérinaire figurent les insectes Diptères Muscidae du genre Stomoxys. Parmi les 18 espèces du genre, seule l'espèce Stomoxys calcitrans est présente en Europe (Sharif, 2018). Le cycle biologique de cette mouche hématophage peut se dérouler aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des bâtiments d'élevage. Les stades libres (œufs, stades larvaires et pupes) se développent dans de la matière organique en décomposition (tas de fumiers, mélange de foin et de déjections autour des nourrisseurs dans les prairies), les mouches adultes émergent de ces zones de développement, s'accouplent et recherchent ensuite, les mâles comme les femelles, un bovin ou un cheval pour un repas sanguin de courte durée (quelques minutes tout au plus) souvent interrompu par les mouvements de défense de l'hôte. La période d'activité des adultes peut être très longue dans le sud-ouest de la France : de mars-avril à fin novembre (Jacquiet et al., 2014). Par ses piqûres douloureuses et la spoliation sanguine qu'elle exerce, S. calcitrans a un impact considérable sur la santé, le bien-être et la productivité des bovins (Campbell et al., 2001 ; Taylor et al., 2012b). De plus, S. calcitrans est impliquée dans la transmission d'un grand nombre d'agents pathogènes, virus, bactéries et parasites (Baldacchino et al., 2013) parmi lesquels Besnoitia besnoiti, l'agent responsable d'une maladie émergente en Europe, la besnoitiose bovine (Sharif et al., 2019), présente en France métropolitaine. Le contrôle de la mouche d'étable est laissé à l'appréciation des éleveurs, qui font « au mieux », en gérant les effluents d'élevage, fumier en particulier, dont l'enlèvement régulier permet d'interrompre le développement des stades libres, et en réalisant, de façon plus ou moins régulière, des applications topiques d'insecticides de la famille des Pyréthrinoïdes sur tous les individus d'un troupeau en même temps. Cette approche, peu raisonnée et in fine efficace uniquement à court terme, a malheureusement favorisé l'émergence de résistances aux insecticides.
5.1. La résistance des stomoxes aux insecticides
Pour l'espèce de mouche piqueuse S. calcitrans, plusieurs mécanismes de résistance aux pyréthrinoïdes ont été observés, tous liés à une mutation ponctuelle des gènes codant le canal sodium voltage-dépendant : mutation kdr-Phe ou L1014F, observée en France et en Thaïlande (Olafson et al., 2019) ou mutation kdr-his aux États Unis (Olafson et al., 2011). Sur le terrain, la résistance aux pyréthrinoïdes est le plus souvent évaluée à l'aide de tests phénotypiques qui mesurent le comportement de knock down (KD) dans les 60 premières minutes après exposition à l'insecticide (les mouches semblent paralysées et effectuent des mouvements désordonnés) et la mortalité 24 et 48 heures suivant l'exposition. Les critères de résistance aux insecticides ont été définis par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) : une mortalité de 98 à 100 % à la suite de l'exposition à un insecticide prouve qu'une population test est totalement sensible. Une mortalité comprise entre 90 et 97 % suggère l'existence d'une résistance et en deçà de 90 % on considère la résistance comme avérée (Tainchum et al., 2018). Dans une étude sur le campus de l'École Nationale Vétérinaire de Toulouse (ENVT) et dans quatre exploitations bovines des départements du Sud-Ouest, aucune population de S. calcitrans ne s'est montrée pleinement sensible à la deltaméthrine alors qu'un organophosphoré, le phoxim, s'est révélé efficace à 100 % sur toutes les populations étudiées (Tainchum et al., 2018) (figure 5). Dans une étude antérieure, Salem et al. (2012) avaient déjà mis en évidence le caractère résistant aux pyréthrinoïdes des stomoxes du campus de l'ENVT mais avait aussi montré qu'une population de stomoxes issue d'une exploitation en agriculture biologique de Haute Garonne restait pleinement sensible aux pyréthrinoïdes. Ce phénomène de résistance des stomoxes aux pyréthrinoïdes a été retrouvé aux USA (Pitzer et al., 2010) et en Allemagne (Reissert-Oppermann et al., 2019). Dès lors, on comprend que la lutte contre les stomoxes ne peut plus reposer sur le seul traitement des animaux d'élevage avec des pyréthrinoïdes.
Figure 5. Efficacité de la deltaméthrine évaluée dans 5 exploitations (en abscisses : numérotées de 1 à 5). KD (%) : pourcentage de mouches présentant un knock down dans les 60 minutes après exposition dans le lot témoin, non exposé et dans le lot exposé à la deltaméthrine ; 24h et 48h : mortalités constatées dans les deux lots (témoin et exposé) 24 et 48 heures après exposition (adapté de Tainchum et al., 2018).
5.2. La lutte contre les stades libres
La réduction des gîtes larvaires peut contribuer grandement à une limitation des populations de stomoxes comme montré dans les exploitations de La Réunion. Les dynamiques saisonnières des densités de stomoxes — mesurées par piégeage — ont été comparées entre élevages procédant régulièrement à l’enlèvement et à la dispersion du fumier et ceux laissant des amoncellements de fumier pendant plusieurs mois. Si les périodes d’activité maximale dans l’année sont identiques dans les deux types d’élevage, les pics d’activité sont bien moindres dans la première catégorie (Gilles, 2005).
Cette action peut être renforcée par les insectes Hyménoptères parasitoïdes, qui pondent leurs œufs dans les pupes de Muscidae (Musca domestica et Stomoxys calcitrans) (Skovgård et Nachman, 2004). L’adulte d’Hyménoptère émergera de la pupe de stomoxe mais aucun adulte de cette dernière espèce n’en émergera. Le principe de cette lutte biologique est simple mais il nécessite le recours à des lâchers inondatifs réguliers d’insectes parasitoïdes afin de briser la dynamique des populations de stomoxes. Utilisée pendant de nombreuses années à La Réunion (Squarzoni, 2001), elle a été depuis suspendue, faute de continuité de moyens humains et financiers. Toutefois, cette méthode de lutte nécessiterait qu’un effort de recherche plus important lui soit consacré.
La cyromazine est un régulateur de croissance des insectes qui empêche les mues larvaires. Cette molécule peut être utilisée en pulvérisation sur les litières dans les bâtiments d'élevage, pour limiter le développement des stades larvaires (Taylor et al., 2012a). Toutefois, le recours à cette molécule chimique stable, qui peut, au moins en théorie, avoir des effets sur l'entomofaune non cible, n'est pas à conseiller à grande échelle, elle reste un outil à utiliser dans des situations exceptionnelles et des exploitations particulièrement à risque.
5.3. Les nouvelles méthodes de lutte contre les adultes
La lutte contre les stomoxes adultes vient compléter la lutte contre les stades immatures. Le développement de la résistance aux pyréthrinoïdes, derniers insecticides utilisés sur le bétail, oblige à repenser complètement notre approche de la lutte. Une de ces nouvelles approches est le piégeage des mouches adultes. Pour cela, on doit pouvoir disposer d'un piège attractif, sélectif (c'est à dire qui capture essentiellement des stomoxes et très peu d'autres insectes, pollinisateurs en particulier), bon marché, robuste et facile d'emploi. Les pièges Vavoua (figure 6) ont été très largement utilisés dans le monitoring des populations de stomoxes (Gilles, 2005 ; Jacquiet et al., 2014) mais semblent inadaptés à la lutte car les captures sont trop peu spécifiques et surtout trop peu nombreuses pour avoir un effet réel sur la dynamique des populations de S. calcitrans. Il faut donc développer de nouveaux pièges permettant la capture de très nombreux spécimens tout en restant sélectif. Récemment, des écrans bleus ou bleus et blancs (figure 7) ont été testés en France (Sharif et al., 2020) et en Thaïlande (Onju et al., 2020). Les couleurs utilisées sont très attractives mais il faut ensuite neutraliser l'insecte attiré par l'écran. Initialement, l'objectif était d'incorporer un insecticide dans l'écran pour tuer l'insecte à la suite du contact avec l'écran (principe « attract and kill »). En Thaïlande, là où l'utilisation des pyréthrinoïdes sur les animaux d'élevage reste peu fréquente, la mise en place d'une vingtaine d'écrans imprégnés par élevage, dans des fermes bovines laitières, a permis de diminuer de moitié les captures de stomoxes dans des pièges de monitoring (Desquesnes et al., 2021), mais ce résultat n'a pas été retrouvé en France compte tenu de la fréquence de la résistance aux pyréthrinoïdes dans notre pays. Dès lors, il est apparu nécessaire de développer de nouveaux dispositifs de capture – sans insecticides – efficaces et sélectifs pour proposer des solutions innovantes aux éleveurs. De tels prototypes de pièges sont en cours d'évaluation à l'ENVT.
Figure 6. Piège Vavoua utilisé pour le monitoring des populations de stomoxes placé à proximité immédiate d’un pré à génisses (photo Philippe Jacquiet).
Figure 7. Captures de stomoxes à l’aide d’écrans bleus enveloppés d’un film collant.
8h30 : au moment de la pose de l’écran ; 17h30 en fin de session de capture. Entre temps, plusieurs milliers de stomoxes ont été attirés et capturés par l’écran collant (photo Philippe Jacquiet).
5.4. Vers une lutte intégrée contre les stomoxes
La lutte contre les stomoxes en élevage doit se renouveler et se diversifier en raison des résistances qui apparaissent mais aussi parce que les pyréthrinoïdes sont très écotoxiques pour les bousiers, les organismes aquatiques et les abeilles. Comme pour les NGIs, le contrôle de S. calcitrans va s’orienter rapidement vers une lutte intégrée combinant une limitation du développement des stades immatures dans l’environnement et une nouvelle approche de la lutte contre les adultes. Les itinéraires techniques restent cependant loin d’être consolidés et validés.
Conclusion
Deux revues récentes ont listé les principales questions à résoudre et verrous à lever pour maitriser de manière plus durable les NGIs dans un contexte d'expansion des résistances aux anthelminthiques (Charlier et al., 2017 ; Morgan et al., 2018). Compte tenu de l'aspect générique des résistances aux antiparasitaires, il est probable que nombre des questions de recherche identifiées pour les Nématodes peuvent se décliner plus largement et constituer une base de réflexion pour gérer les ectoparasites (Insectes et Tiques).
Selon les alternatives considérées, une approche méthodologique générale a été développée fondée sur une complémentarité de méthodes in vitro, d’études in vivo en conditions expérimentales contrôlées, ou en conditions systémiques avant la recherche de confirmation en conditions d’élevages. Cependant, la réduction effective des traitements découlant de ces mesures reste à valider.
Pour chaque alternative de lutte, il s'est souvent agi d'évaluation séparée et les études sur les interactions entre les différentes options restent rares, car complexes à étudier. Dans un contexte de contraintes accrues pour la mise en œuvre d'études expérimentales sur animaux, la recherche sur les modélisations pour analyser la dynamique des infestations semble à développer (Morgan et Van Dijk., 2013 ; Rose et al., 2015 ; Ravinet et al., 2017).
Enfin, les travaux sur les alternatives aux antiparasitaires offrent des perspectives vers des thématiques innovantes. À titre d'exemples, compte tenu des capacités d'adaptation des parasites, pourrait-il exister des possibilités de développement de résistances aux mécanismes sous-jacents expliquant l'efficacité des alternatives évoquées ? Par ailleurs, comment intégrer le microbiote digestif dans les interactions complexes entre parasitisme digestif, milieu gastro intestinal et composants bioactifs de l'alimentation (Corrêa et al., 2020 ; Williams et al., 2021).
Remerciements
Le travail concernant le volet génétique, les plantes tropicales riches en PSM, la modélisation de la gestion intégrée et la manipulation nutritionnelle a été soutenu par le projet AgroEcoDiv financé par le FEDER (Fonds Européen de développement Régional) de l'Union Européenne et le conseil régional de Guadeloupe. L’action COST COMBAR CA16230, inscrite dans le COST 641 (European Cooperation in Science and Technology) est également remerciée.
Références
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Résumé
Les parasites (Helminthes, Protozoaires, Acariens, Insectes) restent responsables de pathologie majeures impactant l’élevage des ruminants. Pendant des décennies, la maitrise de ces divers groupes de parasites a reposé pour l’essentiel sur des molécules de synthèse développées par l’industrie pharmaceutique. Cependant, cette gestion quasi exclusive par des traitements chimiques se trouve désormais confrontée à plusieurs limites : d’une part, une demande sociétale croissante pour réduire les intrants chimiques en élevage dans le cadre d’une agriculture évoluant vers des critères agroécologiques ; d’autre part, le phénomène général de résistances aux antiparasitaires dans les différents groupes mentionnés. Dans ce contexte, le concept de gestion intégrée du parasitisme fondée sur une combinaison de solutions alternatives aux molécules de synthèse devient le nouveau paradigme de lutte applicable aux divers groupes de pathogènes. L’objectif de cette revue est de présenter quelques exemples de solutions complémentaires aux substances de synthèse en se fondant sur deux modèles principaux : les nématodes gastro intestinaux et les insectes chez des petits ruminants ou les bovins.
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