Chapeau

Le développement des médicaments et de la médecine vétérinaire a été un facteur majeur de progrès pour l’élevage, mais il a conduit à une certaine surconsommation de médicaments et au développement de la résistance des agents pathogènes aux antiinfectieux. Comment lutter contre cette résistance ? La diminution du volume d’antiinfectieux utilisé en élevage est-elle la seule réponse possible ? À quel niveau d’utilisation des médicaments en élevage faut-il se situer ?

Avant-Propos

Les antibiotiques sont largement associés à la révolution médicale du 20ème siècle du fait de leur utilisation généralisée après la seconde guerre mondiale permettant une amélioration de la prise en charge des infections bactériennes humaines et animales. Cependant, du fait d’une forte consommation de ces molécules, les deux médecines, humaine et vétérinaire, ont contribué à la sélection et à la transmission de la résistance aux antibiotiques. Face à ce problème, les autorités françaises et européennes ont lancé des plans de réduction de l’usage des antibiotiques. En France, les deux plans ministériels EcoAntibio lancés en 2011 et 2017 ont permis de réduire fortement l’usage des antibiotiques en élevage. Ces plans s’inscrivent plus largement dans l’approche « un monde, une santé » gérée au niveau international par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OMSA) et au niveau européen par l’Agence Européenne du Médicament (EMA), l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA) et le Centre Européen de Prévention et de Contrôle des Maladies (ECDC). Même si elle n’a pas fait l’objet d’une mobilisation des politiques publiques, la résistance aux antiparasitaires est aussi une préoccupation pour certaines filières, notamment celle des strongles gastro-intestinaux des petits ruminants aux anthelminthiques. Cette mobilisation autour de la résistance aux antiinfectieux a permis de raisonner plus globalement le recours aux médicaments en élevage, de renforcer les mesures de prévention (biosécurité, vaccination), de modifier des pratiques d’élevage en concertation avec les éleveurs et les vétérinaires praticiens au sein des différentes filières et de développer des produits alternatifs aux antibiotiques et antiparasitaires (extraits de plantes, huiles essentielles, acides organiques, prébiotiques, probiotiques…). Il apparaissait donc nécessaire et utile de faire connaître les travaux et les résultats acquis grâce à cette mobilisation des pouvoirs publics, des organismes de recherche publics et privés, des instituts techniques et des différents maillons des filières animales et de dégager les perspectives de recherche et développement pour les prochaines années.

Les articles présentés dans ce numéro spécial sont le fruit du travail d'un réseau de scientifiques et d'experts issus de différents instituts, agences et organismes de recherche et de recherche-développement en élevage. Le premier article de ce numéro (Rostang et al., 2022) présente la pharmacie d'élevage, son rôle et ses enjeux en rappelant en préalable les particularités règlementaires du médicament vétérinaire. Puis, en s'appuyant sur les données publiées chaque année par l'ANSES et l'EFSA, deux articles (Urban et al., 2022 ; Madec, 2022) présentent le bilan sur les dix dernières années de l'usage des antibiotiques et de l'évolution de l'antibiorésistance pour l'ensemble des filières animales. Plusieurs articles détaillent ensuite les démarches collectives et participatives engagées au sein des filières monogastriques (Paul et al., 2022 ; Fortun-Lamothe et al., 2022) et de ruminants (Hoste et al., 2022) pour réduire l'usage des antibiotiques et/ou des antiparasitaires et pour mettre en place une gestion intégrée de la santé des animaux. Une évaluation socioéconomique de cette démarche en filière porcine est également présentée (Lhermie et al., 2022). Le faible recours aux médicaments est surtout prégnant en productions animales biologiques où les cahiers des charges limitent fortement leur utilisation. Un article décrit plus particulièrement les concepts et pratiques de gestion de la santé des animaux pour ce type de production (Bareille et al., 2022). Pour pallier l'interdiction ou la limitation de l'usage des antibiotiques, différents produits alternatifs ont été développés en utilisant par exemple des extraits de plantes dont la composition, les propriétés et l'efficacité ne sont pas toujours parfaitement documentées et pour lesquels le classement en additifs ou médicaments est délicat. Une synthèse de travaux réalisés sur ce sujet (Travel et al., 2022) propose des méthodologies pour choisir et caractériser les extraits de plantes et évaluer leurs activités biologiques sur les défenses naturelles et la santé des poulets. Si les deux premiers plans EcoAntibio ont permis de réduire de façon importante les volumes d'antibiotiques utilisés en élevage, il semble difficile de poursuivre dans cette direction car cela risque d'être au détriment de la santé et du bien-être des animaux d'élevage et de la viabilité économique des élevages. L'enjeu du prochain plan EcoAntibio sera d'optimiser l'usage des antibiotiques et d'améliorer l'information des consommateurs sur la gestion de la santé animale (Belloc et al., 2022).

Ces travaux ne font évidemment pas le tour complet des questions, nombreuses et complexes, Ils seront sûrement complétés, plus tard, par d'autres contributions en particulier sur les apports et enjeux de la vaccination et sur les avancées technologiques en matière de détection systématisée et précoce des animaux malades, d'adaptation des posologies des médicaments et de la définition de critères consensuels utilisés pour déclencher le traitement individuel ou collectif des animaux. Par ailleurs, plusieurs articles ont déjà été publiés par la revue INRAE Productions Animales sur ces sujets, en particulier sur la résistance des strongles gastro-intestinaux des petits ruminants aux anthelminthiques (Ravinet et al., 2017), sur les perspectives d'alternatives thérapeutiques antimicrobiennes aux antibiotiques en élevage (Ducrot et al., 2017), sur l'apport de la sociologie à l'étude de la réduction d'usage des antibiotiques (Ducrot et al., 2018) et sur l'évolution de l'usage des antibiotiques en filières bovins lait et bovins viande (David et al., 2019).

Enfin, pour compléter la lecture des articles de ce numéro spécial, les lecteurs pourront également consulter le portail web dénommé ActionAntibio lancé en mai 2022 et dédié aux actions EcoAntibio dans les filières animales : http://www.actionantibio.fr