Chapeau

L’engouement pour les loisirs liés au cheval explique le développement du cheptel équin ces dernières décennies, y compris au sein des exploitations agricoles. Malgré cette croissance, la filière équine n’est pas encore perçue comme un secteur agricole à part entière. Aussi, l’article se propose de préciser les enjeux économiques mais aussi sociaux et environnementaux liés aux productions et activités équines au sein du secteur agricole.

Introduction

La mondialisation et l’évolution des attentes de la société ont recomposé au fil du temps les finalités de l’agriculture, notamment en Europe. Tout en restant à la base de l’alimentation humaine, l’agriculture doit aujourd’hui répondre aux exigences sociétales de protection des ressources naturelles et de bien-être animal, tout en contribuant à l’entretien du paysage et au maintien d’un tissu rural. Dans ce contexte, le cheval réapparaît dans l’agriculture, porté par l’engouement pour les activités de loisirs, alors qu’il avait failli disparaitre avec la mécanisation et la motorisation des équipements, en perdant sa fonction de force motrice. Toutefois, ce nouveau développement conduit à une diversité d’acteurs détenant des chevaux, du particulier considérant son cheval comme un animal de compagnie, aux structures professionnelles d’équitation, d’élevage, de dressage et d’entrainement pour la pratique équestre ou pour les courses hippiques.

Pour répondre à la demande de la filière équine française, la loi du 23 Février 2005 sur le développement des territoires ruraux a élargi l’application du statut agricole à l’ensemble de la filière, y compris aux activités et structures d’utilisation des équidés domestiques (Engelsen, 2017). Toutefois, le secteur agricole n’intègre aujourd’hui qu’une part de la filière équine française. En effet, toutes les structures professionnelles avec chevaux n’ont pas forcément opté pour le statut agricole et un grand nombre de chevaux sont détenus par des particuliers en dehors de tout statut ou structure agricole. De ce fait, la position de cette filière n’est pas toujours très lisible du monde agricole comme de ses interlocuteurs institutionnels et publics.

L’objectif de cet article est de préciser la place des productions et activités équines dans le secteur agricole français et de présenter leur contribution au développement de l’agriculture vis-à-vis des 3 piliers de la durabilité : économique, social et environnemental. L’ambition de ce texte est également d’apporter des éclairages sur l’incidence de l’ensemble du secteur équin sur l’agriculture, y compris pour la part non rattachée au secteur agricole, qu’elle soit portée par des professionnels ou des particuliers. En effet, l’incidence économique, environnementale et sociale de cette filière n’est pas aussi tangible que pour les autres productions animales, du fait de la diversité de ses orientations, des systèmes de production et de leur atomisation.

Chaque fois que cela est possible, la réflexion s’appuie sur les éléments connus au niveau de l’agriculture française mais, pour éclairer le propos, sont également utilisées des références plus globales sur l’ensemble de cette filière au niveau national et des éléments issus de la littérature scientifique internationale.

1. Un poids économique apparemment faible et pourtant…

1.1. Le cheptel équin

a. Un cheptel modeste au niveau agricole

Le dernier recensement agricole français dénombre 432 000 équidés en 2010 dans les exploitations, loin derrière les 19,4 millions de bovins (Perrot et al., 2013). Toutefois, converti en UGB (Unité Gros Bétail), ce cheptel équin représente 2% des herbivores recensés et se situe entre les cheptels ovins (6,6%) et caprins (1,4%).

Mais, le nombre total d’équidés présents en France est estimé à 1,1 million en 2014 (IFCE 2016), ce qui place la France dans le trio de tête européen, après l’Allemagne et la Grande Bretagne (Liljenstolpe, 2009). Cet écart entre l’estimation du cheptel total présent sur le territoire et les effectifs recensés au niveau agricole est une constante dans les pays développés où les équidés sont largement utilisés pour la pratique équestre et les courses (Vial et al., 2017b). En effet, l’effectif national d’équins regroupe 46% de chevaux de selle, 23% de poneys et 18% de chevaux de courses pour le trot et le galop (IFCE 2016). Les ânes et les chevaux de trait (ou chevaux lourds) ne représentent respectivement que 8 et 6% du cheptel total.

Du fait de l’importance des chevaux adultes utilisés pour l’équitation et les courses, ou gardés ensuite jusqu’à leur fin de vie, l’effectif total de juments reproductrices ne représente en 2015 que 7% du cheptel total estimé (IFCE 2016), quand les vaches représentent 40% de l’effectif bovin (Perrot et al., 2013).

b. Un cheptel qui se maintient dans un contexte difficile

La comparaison des recensements agricoles 2000 et 2010 fait état d’une baisse du cheptel équin de 4%, comparable à celle du cheptel bovin (Perrot et al., 2013). Cette évolution est surtout le reflet d’une diminution significative du nombre d’exploitations agricoles sur la période, puisque le nombre relatif d’exploitations avec équins augmente (Dobremez et Borg, 2015).

Parallèlement, Morhain (2011) estime à 20 000 têtes l’augmentation annuelle du cheptel total d’équidés entre 2000 et 2008. Cette croissance peut s’expliquer par un développement important des activités équestres (Vial et Gouguet, 2014) avec notamment une augmentation de près de 50% des cavaliers licenciés à la Fédération Française d’Equitation sur cette période (IFCE, 2016). Toutefois, après 2010, la croissance des effectifs ralentit (figure 1), du fait d’une légère diminution des activités liées aux chevaux, constatée en France comme au niveau international et pour partie expliquée par la crise économique de 2008 (Vial et al., 2017a).

Figure 1. Évolution des différents types de cheptels équins en France sur la période 2008-2014 (source : Ifce-OESC).

De plus, en France, le nombre de juments mises à la reproduction baisse de 24% entre 2005 et 2015 (IFCE, 2016), en lien avec une concurrence accrue de chevaux étrangers importés, mais aussi avec l’évolution des politiques publiques sur la période. D’une part, l’Etat se désengage institutionnellement de cette filière. L’étalonnage national disparaît totalement en 2010, alors qu’il assurait sur l’ensemble du territoire une mise à disposition de semences à un prix indépendant des marchés. Les soutiens financiers à l’élevage sont réduits et leur gestion est transférée aux syndicats de races. D’autre part, pour répondre à la législation européenne, la France augmente le taux de TVA de 5,5% à 20% sur le commerce des chevaux adultes en 2012, puis sur les activités équestres en 2013 (Engelsen, 2017). Cette dernière mesure accompagnée d’un changement des rythmes scolaires peut expliquer pour partie le ralentissement des activités équestres, réduisant consécutivement le marché national des chevaux de selle. Seules les naissances en races de courses semblent se maintenir. Deux raisons peuvent être avancées : cet élevage profite d’un soutien financier conséquent grâce aux paris sur les courses et les débouchés internationaux influent significativement sur son marché notamment dans le secteur du galop.

Le ralentissement des naissances, accompagné d'une réduction du cheptel reproducteur, n'a encore qu'un impact limité sur l'évolution du cheptel total qui se maintient du fait d’un vieillissement de la population. En effet, l’engouement de ces dernières décennies pour les loisirs avec chevaux oriente la réforme des animaux plus vers une mise à la retraite que vers leur abattage ou leur euthanasie.

1.2. En France, une exploitation agricole sur huit détient au moins un équidé

a. Des structures diverses aux activités équines variées

Sur les 490 000 exploitations agricoles recensées en 2010, 13% déclarent détenir au moins un équidé (Perrot et al., 2013).

Selon les critères économiques du recensement[1], seules 15% des exploitations avec équins sont considérées comme spécialisées dans cette production (tableau 1). Dans ce groupe, différents types de structures se distinguent quant à leurs cheptels (chevaux ou poulinières) puis leur rapport à la surface d’exploitation. Ainsi, les exploitations spécialisées « élevage » représentent moins de la moitié de ces structures et détiennent 15 juments en moyenne. Viennent ensuite les écuries de pension qui gèrent en moyenne 34 chevaux sur 34 ha, avec éventuellement des activités de dressage ou d’entrainement, ou proposent au contraire repos ou retraite pour chevaux. La dernière catégorie identifiée correspond aux établissements équestres qui concentrent en moyenne 36 chevaux sur 7 ha.

Par ailleurs, près d’un tiers des exploitations recensées avec équins détiennent de 4 à 12 individus, laissant présager une activité de diversification par rapport à d’autres productions agricoles. Ce seuil de 12 équidés correspond aux 8 UGB utilisés dans les autres productions d’herbivores pour isoler les petits producteurs.

Enfin, la moitié des exploitations avec équins détient de 1 à 3 individus, ce qui peut être assimilé à une activité de loisir pour l’exploitant ou sa famille. Cette tendance du monde agricole, reflète l’évolution sociétale puisque l’engouement de ces dernières décennies pour le cheval touche toutes les couches de la société, des plus modestes aux plus aisées.

Tableau 1. Caractéristiques des cheptels et activités équines dans les exploitations agricoles recensées en 2010 (d'après Perrot et al., 2013).


54 372 exploitations recensées avec équins

Type d'activités équines au sein de l'exploitation

Activité professionnelle (1)

Activité de diversification

Loisir familial

Nombre de chevaux
par exploitation

> 12

4 à 12

1 à 3

Part des exploitations recensées avec équins

18%

32%

50%

(1) : Dont 6 758 exploitations spécialisées équins réparties en : Élevages (42%) ; Écuries de pension (34%) ; Centres équestres (24%).

Toutefois, la comparaison du recensement de 2010 à celui de 2000 montre une augmentation des exploitations ayant au moins 10 équidés, soulignant une tendance à la « professionnalisation » des activités équines et une baisse relative des exploitations comptant au moins 3 juments, laissant présager un poids plus faible de l’élevage par rapport aux autres activités liées au cheval.

b. Une répartition hétérogène sur le territoire et différents gradients d’insertion

Bien qu’ils semblent être aujourd’hui présents dans tous les types d’espaces, agricoles ou non (Jez, 2014 ; Vial, 2017), les équidés ne sont pas répartis de manière uniforme sur le territoire.

La plupart des travaux sur le sujet, en France mais aussi en Europe (Quetier et Gordon, 2003 ; Elgaker et Wilton, 2008 ; Zasada et al., 2011), focalisent sur le développement des activités équestres en zone périurbaine. Celui-ci relève principalement d’un essor des services d’enseignement de l’équitation et de prise en pension d’équidés dans des structures spécialisées (centres équestres, pensions pour chevaux) ou diversifiées. Ces structures se situent préférentiellement à proximité des pôles urbains (pour la proximité de leur clientèle) et s’adaptent à la pression foncière par des concentrations élevées d’équidés sur des surfaces restreintes. En zone rurale, ce type de structure, plus souvent orientée vers le tourisme équestre, recherche principalement des facilités d’accès et la proximité de chemins de promenades. Les élevages et centres d’entraînement des chevaux (notamment de courses) trouvent davantage leur place aux limites rurales de l’aire urbaine ou en zone rurale, où ils utilisent de plus grandes surfaces éloignées des zones habitées (Vial, 2017). Les chevaux gardés par les particuliers se retrouvent quant à eux dans tous les types d’espace, accompagnant le phénomène de « rurbanisation » et adaptant leur stratégie à la disponibilité foncière à proximité des lieux de résidences.

Cette variété de situations se répercute sur le rapport à l’espace qu’entretiennent les propriétaires équins, c’est-à-dire sur la façon de gérer et d’utiliser les terres mais aussi d’entretenir des relations locales avec les acteurs du territoire. Cette diversité de modes d’insertion territoriale peut être présentée selon un gradient croissant, allant d’une simple intégration dans l’espace domestique, au développement d’une logique agricole de maîtrise de l’espace et de création d’un réseau professionnel (Vial, 2017). Ce gradient révèle aussi la façon dont des résidents non-agriculteurs s’approprient et utilisent des terres agricoles, notamment du fait de la vente de petites parcelles par des agriculteurs à des nouveaux arrivants propriétaires équins, comme le soulignent également Quetier et Gordon (2003) dans le cas de l’Ecosse. Il illustre également la double fonction de ces espaces, supports à la fois d’une consommation de nature et d’une production agricole, l’intégration de ces deux rôles pouvant offrir de nouvelles opportunités pour des activités durables en zone rurale ou périurbaine.

1.3. Une plus-value excessivement variable selon les productions et les activités

a. Secteur sports-loisir : le plus représenté et le plus évolutif

La croissance des loisirs équestres ces dernières décennies (Liljenstolpe, 2009 ; Jez et al., 2013) favorise le développement des structures détenant des chevaux de selle, des poneys voire des ânes. Ainsi, depuis 2005, la Fédération Française d’Equitation enregistre une augmentation du nombre d’établissements de + 5% par an, pour atteindre 9 000 établissements en 2015, malgré le contexte particulier français présenté plus haut.

Ce développement de l’équitation oriente la demande essentiellement vers des chevaux (et poneys) utilisables par des « amateurs », c’est-à-dire des animaux dressés, de 5 à 6 ans minimum, à un prix de quelques milliers d’euros, voire un peu plus pour une utilisation en compétition (tableau 2). Sur ce marché, les naisseurs ne représentent que 34% des vendeurs car deux tiers des transactions sont réalisées lors de reventes de chevaux durant leur utilisation que ce soit par un particulier ou un professionnel.

Tableau 2. Repères économiques des activités équines selon les secteurs de productions (d'après IFCE, 2016a(1) ; Boyer et Palazon, 2014(2) ; et IFCE stat et carte(3)).


Secteurs de production

Sport-loisirs

Courses

Trait

Ânes

Estimation du cheptel national d'équidés (1)

748 000

198 000

66 000

88 000

Prix de commercialisation d'un équidé en 2014 (3)

900 à 10 000 €

5 000 à 15 000 € (trot)
12 000 à 45 000 € (galop)

500 à
1 200 €

250 à
1 500 €

Types de structures

Élevages

Centres équestres

Écuries de pensions

Élevages

Entraineurs

Élevages

Élevages

Nombre de structures identifiées en France (1)

15 345

12 000

10 202

2 605

6 748

479

Indicateurs économiques moyens de structures professionnelles spécialisées

Types de structures

Élevages sport

Centres équestres

Écuries de pensions

Élevages

Entraîneurs

Nombre de structures dans l'échantillon

223 (1)

314 (1)

41 (2)

329 (1)

283 (1)

Surface Agricole Utile (ha)

28

20

26

38

17

Main-d'œuvre de l'exploitation (dont salariés) en UTH

1,6 (0,5)

2,2 (0,9)

2,7 (0,9)

2,4 (0,7)

3,5 (2,3)

Excédent brut d'exploitation/UMO en €

19 921

29 134

27 300

39 175

72 254

La phase de dressage et de valorisation du jeune cheval nécessite des moyens importants en équipements, installations et en main-d’œuvre (Bigot et al., 2015). Ainsi les structures spécialisées sport-loisirs concentrent une main-d’œuvre importante sur de petites surfaces (tableau 2). Lindberg et al. (2015) situent l’efficience économique des élevages et des pensions de chevaux en Suède, au même niveau que des exploitations agricoles intensives. Face aux variations annuelles de commercialisation, liées à la demande ainsi qu’aux qualités intrinsèques des animaux produits et en l’absence de primes à la production, les éleveurs de chevaux de selle sont conduits à diversifier leurs activités : centre de reproduction équine, prise en pension de chevaux et/ou autres productions agricoles pour assurer l’équilibre économique de l’exploitation (Morhain, 2011 ; Bigot et al., 2015). De ce fait, l’élevage professionnel de chevaux de selle glisse de plus en plus vers la fourniture de services : pension de juments et de jeunes en croissance, centre de reproduction et/ ou de dressage de jeunes chevaux à destination de particuliers propriétaires des poulinières et de leur suite (Bigot et al., 2015). D’après Bailey et al. (2000), la prise en pension de chevaux (comme la plupart des activités de diversification), peut être un facteur d’amélioration de la résilience des exploitations britanniques face aux productions agricoles classiques, grâce à l’élasticité de la demande sur ces services, et à la mobilisation de la main-d’œuvre et des infrastructures à des périodes creuses.

b. Secteur course : le plus rentable de la filière

Avec environ 10 milliards d’euros de paris hippiques annuels, la France se place au 5ème rang mondial après le Japon, l’Australie, la Grande-Bretagne et Hong-Kong et avant les Etats-Unis d’Amérique (IFCE, 2016). Sur 100 € d’enjeux, 75 reviennent aux parieurs ; 13 sont reversés au secteur des courses pour le fonctionnement des sociétés organisatrices, la dotation des épreuves et les encouragements aux éleveurs, mais aussi pour alimenter le « Fonds d'Encouragement aux Projets Equestres Régionaux Ou Nationaux » (Fonds EPERON) qui finance des projets novateurs et structurants portés par les autres secteurs de la filière. Les 12 € restant sont prélevés par l’Etat et servent pour partie pour le financement de l’IFCE (Institut Français du Cheval et de l’Equitation) et le soutien public aux autres secteurs de la filière (Engelsen, 2017).

Les jeunes chevaux sortent de l’élevage vers l’âge de 1 an pour être mis à l’entrainement dans des structures bénéficiant d’équipements et de main-d’œuvre spécialisés. Les trotteurs sont généralement commercialisés à un prix inférieur à celui des galopeurs (tableau 2) mais ils ont une carrière un peu plus longue que celle des galopeurs qui dure rarement plus de 3 ans. En France, une dizaine de ventes aux enchères dans chaque discipline sert de références annuelles sur ce marché (Litaize et Bigot, 2014).

Cette production se rapproche des autres élevages de rente par le tri important des reproducteurs et des produits réalisés en fonction des performances en courses ou lors de l’entrainement. Toutefois, les animaux réformés ne vont pas tous à l’abattoir et alimentent à bas prix le secteur du cheval de loisir (IFCE, 2012).

c. Secteur trait : le plus ancré dans l’agriculture mais en déclin

Les juments de trait mises à la reproduction sont passées de 32 000 poulinières en 2000 à un peu plus de 18 000 en 2015 (IFCE, 2016). Avec seulement de quelques centaines à quelques milliers de poulinières par race, les reproducteurs de trait sont tous éligibles aux aides pour les races menacées. 80% des poulains sont destinés à la production de viande (RÉFÉrences, 2011) et 90% d’entre eux sont exportés entre 6 et 18 mois, pour être engraissés en Italie (Interbev, 2016 ; France Agrimer, 2015b).

Élevés le plus souvent en plein-air intégral, de petits troupeaux valorisent les surfaces en herbe en complément d’un élevage bovin, souvent dans un rapport de moins de 1 cheval pour 8 bovins (Bigot et al., 2015). Le prix des laitons (poulain maigre sevré) varie autour de 500€ selon le poids et le cours du marché tandis que le prix d’une jument peut varier de 680€ pour la viande à 1 200€ pour la reproduction (tableau 2). Toutefois, les charges sont très limitées (peu de frais d’alimentation et de soins, peu de main-d’œuvre et pratiquement pas d’infrastructures spécifiques) (Bigot et al., 2015).

Les éleveurs essaient de diversifier la valorisation de leurs produits par la vente directe de viande en circuit court (Boyer et Palazon, 2017), ou le dressage des jeunes soit pour l’équitation d’extérieur (IFCE, 2012), soit pour des activités de traction pour le débardage ou le maraichage par exemple (Jez et al., 2013).

d. Secteur viande : quel cheval mange-t-on ?

La consommation française de viande est de 86 kgec (kg équivalents carcasses) par habitant et par an en 2014, dont les deux tiers en viande blanche (France Agrimer, 2015a). La consommation de viande chevaline n’est que de 0,2 kgec habitant/an (France Agrimer, 2015b). Cette viande reste la plus chère du marché avec 15,51 €/kg de viande fraîche en moyenne (France Agrimer, 2015a). La demande française porte essentiellement sur de la viande rouge, donc provenant de chevaux adultes ; aussi, depuis le milieu du XXème siècle, la France importe la moitié de ses besoins, estimés à un peu plus de 20 000 tec (France Agrimer, 2015b). Ces importations concernent d’une part, des animaux vivants provenant d’Europe (soit 4 000 têtes en 2013) et d’autre part, de la viande dont 55% vient du continent américain. En 2015, la France n’abat que 16 000 équidés issus à 52% de races de course, 32% de races de selle et seulement 10% de type trait ; les jeunes (de 3 ans et moins) ne représentent que 14% de ces abattages (Interbev, 2016).

Bien que la France ne soit que le cinquième producteur européen de viande chevaline, c’est le seul pays, avec l’Espagne, à produire, exporter, abattre et consommer de la viande de cheval sur son territoire (France Agrimer, 2015b). En effet, l’engouement des pays développés pour les loisirs avec équins tend à orienter leur fin de vie plus vers l’euthanasie que vers l’abattoir et limite la consommation de viande chevaline (Saastamoinen, 2015).

2. Une incidence sociale pas toujours facile à analyser

2.1. Une main-d’œuvre importante mais partiellement agricole

L’estimation du nombre d’emplois dans la filière équine est encore plus délicate que dans les autres secteurs agricoles pour de nombreuses raisons : la diversité des productions, leur association le plus souvent à d’autres productions agricoles ou des services, l’importance des emplois indirects spécifiques (comme maréchal-ferrant) ou non spécifiques (comme fournisseurs d’aliments du bétail ou d’équipements) et surtout, le poids important du secteur amateur et du travail bénévole. Comme dans le secteur sportif, la frontière est très floue entre loisir et profession. Ainsi, les stratégies des « professionnels » et « amateurs » s’opposent régulièrement au sein de la filière, notamment en termes d’objectifs de rentabilité économique ou de sélection génétique (Jez, 2014). Dans les structures, en particulier centres équestres et poneys-clubs, une utilisation massive du « travail invisible » (Chevalier, 2017) pose la question des conditions de travail en termes de sécurité pour les bénévoles mais aussi de surcharge de travail pour les professionnels (Thuneberg et Mustonen, 2015).

A partir des données de la Mutualité Sociale Agricole, complétées d’enquêtes spécifiques auprès d’entreprises de la filière, l’OMEFFE (Observatoire des Métiers, de l’Emploi et des Formations de la Filière Equine) estime qu’en 2012, 57 000 personnes ont un emploi directement lié aux équidés et que pour 123 000 autres, l’activité équine constitue un complément de revenu (Troy et Gelin, 2016). L’emploi salarié représente un peu moins de 50% de ces emplois ; ce qui place les équins comme la production animale faisant le plus appel à la main-d’œuvre, notamment salariée (Lang et al., 2015). Cet aspect peut s’expliquer par le fait que les chevaux à l’élevage et encore plus à l’utilisation, sont conduits individuellement et non en troupeaux comme les autres herbivores de rente. D’après le dernier recensement agricole, les exploitants ayant des équins ont des niveaux de formation initiale comparables à ceux de l’ensemble des exploitants recensés mais il y en a moins sans qualification. Les qualifications spécifiques à la filière relevant notamment de l’équitation (enseignant d’équitation, cavalier d’entraînement…) regroupent les ¾ des offres d’emplois salariés proposées par la filière de 2013 à 2015 (Troy et Gelin, 2016).

Au niveau national, l’emploi en contact direct avec des équins (éleveurs, entraineurs, maréchaux-ferrants) représente 70% des emplois estimés de la filière tandis que les 30% restant réunissent les fournisseurs amont et aval, les prestataires et les métiers liés à l’organisation et au développement de la filière. La France ne dispose pas de données sur les emplois induits par la filière mais différentes études en Europe et aux Etats-Unis, notamment sur le secteur course, concluent à des coefficients multiplicateurs, de 1,5 à 3,5 par emploi direct en fonction de l’activité (élevage ou entraînement) et du pays étudié (Lindberg et al., 2015).

2.2. Une production - activité marquée par la passion

Les différents acteurs de la filière, qu’il s’agisse d’éleveurs, gérants de centres équestres, employés, cavaliers, etc… sont animés par la même passion pour le cheval (RÉFÉrences, 2011 ; Jez, 2014 ; Chevalier, 2017). Lortal et al. (2010) précisent que la première motivation à l’existence d’un élevage de chevaux de trait au sein d’exploitations de moyenne montagne est la passion pour cette espèce (figure 2), même si la production principale reste les bovins laitiers ou allaitants. Ainsi, la présence d’un atelier d’élevage équin dans une exploitation agricole, qu’elle soit ou non spécialisée dans le domaine équin, se fait souvent par goût de l’exploitant, pour qui l’élevage équin (et parfois également l’équitation) représente un hobby, un loisir (SLU, 2001).

Figure 2. Hiérarchisation des motivations d’exploitants agricoles pour l’élevage de chevaux de trait dans une trentaine d’exploitations bovines de moyennes montagnes (projet EQUIDEATER 2009-2012).

Les logiques passionnelles qui régissent une grande partie des productions et activités équines leur confèrent certaines particularités. Par exemple, moins de 10% des éleveurs équins (amateurs et professionnels confondus) cherchent à vivre de leur seul élevage (Couzy et Capitain, 2009). Une autre illustration est celle du produit cheval, qui tout en étant un bien marchand, est porteur de différentes symboliques : affective, créative, artistique, ludique et sociale (reconnaissance par ses pairs) (Couzy et Capitain, 2009). En matière d’élevage, de chevaux de selle notamment, cette offre centrée sur les objectifs personnels de l’éleveur, atomisée (Jez, 2014) et opaque (marché peu organisé, non régulé) (RÉFÉrences, 2011) est aujourd’hui déconnectée d’une demande en pleine évolution : plus de 80% des achats sont destinés au sport/loisir parmi lesquels seulement un tiers ont un objectif potentiel de compétition (IFCE, 2012).

Enfin, l’aspect affectif de la relation entre le cheval et celui qui l’exploite, associé à une nouvelle culture équestre marquée par l’amour du cheval (Jez, 2014), engendrent de nouvelles problématiques. La vie des chevaux s’allonge avec une phase de mise à la retraite souvent plus longue que la période d’utilisation. La gestion de la fin de vie des chevaux devient compliquée. Pour les professionnels, mettre fin à la vie d’un cheval non-rentable peut faire face à des réticences d’ordre éthique personnelles mais aussi venant de leur clientèle et pouvant affecter leur image.

Ce mode de fonctionnement de nombreux acteurs de la filière équine, mettant de côté la rationalité économique au profit d’une vision mélangeant mode de vie, loisir et travail se retrouve également au-delà de nos frontières, comme le reportent Pussinen et Thuneberg (2015) pour la Finlande, Helgadottir (2006) en Islande, Zasada et al. (2011) en Allemagne ou encore Liljenstolpe (2009) au niveau Européen. Ce phénomène est difficile à évaluer par manque d’informations disponibles sur les motivations des acteurs, notamment amateurs (Vial et Gouguet, 2014). De plus, le manque de rationalité qui caractérise ces acteurs, aux yeux d’un non averti, affecte leur compréhension par le reste du monde agricole (Couzy et Capitain, 2009).

2.3. Un rôle dans le dynamisme et l’image des territoires français

La présence d’équidés est source de diverses aménités pour les territoires, pouvant varier selon qu’il s’agisse de zones rurales, périurbaines ou touristiques, mais demeurant peu visibles et difficiles à évaluer.

a. Une contribution au maintien d’un tissu rural

La présence d’élevages et d’activités équestres (écuries de pension ou d’entrainement, centres équestres, etc.) a pour effet de développer ou entretenir une activité économique dans ces territoires, générant une forme d’animation mais aussi le maintien des populations et la création d’emplois, comme le soulignent différents auteurs français et étrangers (Suggett, 1999 ; Elgåker et Wilton, 2008 ; Miraglia, 2012 ; Bigot et al., 2015). D’une part, les activités équines peuvent représenter des opportunités de diversification dans les structures agricoles (Jez, 2014). D’autre part, les structures agricoles peuvent fournir des biens et services aux particuliers locaux, propriétaires d’équins (fourrages, céréales, location ou prêt de matériel, entretien de parcelles, prêt, location ou vente de terres…) (Vial et Gouguet, 2014), ainsi que des services spécifiques de reproduction ou de valorisation de chevaux quand les exploitations ont des activités équines (Bigot et al., 2015). Ceci est également constaté dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne (Suggett, 1999 ; Bailey et al., 2000) ou l’Ecosse (Quetier et Gordon, 2003). Enfin, qu’ils soient détenus par des particuliers (Vial et Gouguet, 2014) ou des exploitants agricoles (Lortal et al., 2010), les équidés entretiennent souvent des espaces soumis à la déprise agricole.

b. Une activité parfois créatrice de conflits d’usage

En zone périurbaine, la présence croissante d’équidés pose question, en France comme dans d’autres pays. Il en résulte des concurrences d’accès au foncier avec l’urbanisation (Vial et al., 2015) mais aussi des conflits générés par la présence de ces gros animaux à proximité d’habitations. Ils sont relatifs aux odeurs et insectes qu’apportent les équidés, à des questions d’entretien des espaces (qu’il s’agisse de surpâturage des chevaux lié à une conduite inappropriée ou d’un entretien insuffisant des terres par leurs propriétaires), à des problèmes d’évacuation du fumier, aux divagations d’équidés ou à des nuisances subies par les propriétaires de chevaux eux-mêmes (vol de matériel ou de fourrages, individus effrayant les animaux ou ouvrant les parcs) (Ravenscroft et Long, 1994 ; SLU, 2001 ; Elgåker et Wilton, 2008 ; Vial, 2017 ; Delfosse et al., 2017).

En zone rurale, on constate une concurrence pour l’accès au foncier entre les activités liées aux chevaux et les autres activités agricoles. Localement, celle-ci semble dépendre du type d’agriculture en présence, les exploitations « professionnelles » ne laissant que peu de place aux équidés contrairement aux exploitations non-professionnelles (retraités, pluriactifs) qui pourraient avoir des besoins en espace moins importants, être davantage intéressées pour confier certaines de leurs terres à des utilisateurs temporaires ou par la prise en pension d’équidés (Vial et Gouguet, 2014).

c. Une amélioration de l’attractivité des territoires ruraux et périurbains

La présence d’équidés au sein d’un espace périurbain ou rural renforce l’attractivité de ses paysages pour différentes raisons : plaisir de voir des chevaux, maintien et entretien d’espaces verts notamment en zone urbanisée, forme de présence agricole en zone périurbaine attestant d’un lien avec la ruralité, réponse au besoin de « nature » des citadins etc., favorisant la création d’un cadre de vie agréable pour les populations locales (Delfosse et al., 2017).

Par ailleurs, comme le montrent Bailey et al. (2000) dans le cas de la Grande-Bretagne, l’existence de services liés aux loisirs équestres diversifie l’offre récréative de ces territoires, engendrant la venue de populations variées, dans un but ponctuel ou plus pérenne (SLU, 2001). Il peut s’agir d’une utilisation d’espaces de proximité par une population venant profiter ponctuellement des aménités du territoire à des fins ludiques ou sportives, dans un cadre marchand ou non. Mais cette attractivité des territoires peut également amener certains cavaliers ou propriétaires équins à quitter les grandes villes pour résider dans le périurbain ou le rural afin de se situer à proximité de leurs équidés et profiter durablement d’un cadre de vie attrayant, alimentant de ce fait les phénomènes de périurbanisation et de rurbanisation (Vial et Gouguet, 2014). Enfin, les évènements équestres (courses, concours ou fêtes du cheval…) peuvent susciter la venue de visiteurs originaires d’autres régions ou pays, engendrant un développement touristique local. De ces mouvements de populations résultent des rencontres et échanges entre des individus divers, notamment par la venue de populations urbaines ou périurbaines en zones périurbaines ou rurales, entrainant la création de liens entre les modes de vie urbains et ruraux (SLU, 2001 ; Miraglia, 2012).

d. Une participation à l’identité des territoires

Les équidés et leurs activités induites sont souvent intimement et historiquement liés à l’identité des territoires, en France comme à l’étranger.

Cet ancrage s’opère tout d’abord au niveau des paysages et activités agricoles traditionnels dont le cheval fait historiquement partie (Liljenstolpe, 2009). Ainsi, certaines races locales constituent un héritage culturel lié à l’image du territoire. L’équitation camarguaise et le cheval Camargue constituent un emblème et un atout touristique indéniable pour ce territoire. En Normandie, l’élevage de chevaux de courses et de sports est largement intégré dans les traditions agricoles locales et bénéficie aujourd’hui d’une renommée internationale. La filière équine normande a su s’organiser autour d’institutions historiques ou plus récentes (Haras national du Pin, Pôle hippique de Saint Lô, Conseil des Chevaux de Normandie), elle reçoit l’appui des élus locaux et accueille depuis 2005 Hippolia, le pôle de compétitivité filière équine (RÉFÉRENCES, 2011). En Islande les traditionnels rassemblements de chevaux islandais appelés « roundups » sont aujourd’hui un vecteur du tourisme équestre (Helgadottir, 2006).

Cette construction de l’identité culturelle des territoires autour du cheval et des activités équestres rejoint la question de l’émergence de clusters équins et/ou touristiques (Clergeau et al., 2015). Ainsi, quelques territoires (région Normandie, villes de Saumur, Maisons-Laffitte ou Deauville…) vont jusqu’à orienter leur stratégie de développement autour du cheval. Cet ancrage culturel territorial, associé au fait que le cheval, troisième animal préféré des Français, occupe une place particulière dans l’imaginaire collectif (Jez, 2014), font des activités équines un levier de différenciation identitaire pour les territoires (figure 3), pouvant contribuer à accroitre leur attractivité externe et interne et mener à un développement local.

Figure 3. Exemples de collectivités territoriales qui appuient leur communication sur le cheval

3. Une plus-value environnementale sous-estimée

3.1. Une diversité animale à maintenir

Sur la dernière décennie, environ 50 000 poulains naissent en France annuellement. Selon leurs origines, ils peuvent être inscrits dans une des 65 races reconnues en France (IFCE, 2016) sur les 170 races identifiées au niveau mondial (Miraglia, 2012). Mais cette diversité est à relativiser car certains stud-books (ou livres généalogiques) comme en races de selle, sont ouverts à des reproducteurs issus d’autres races françaises ou étrangères. Ainsi, une étude portant sur un demi-million de chevaux français nés entre 2002 et 2011 de 55 races différentes, montre que seules deux races (dont leurs stud-books sont internationaux), le Pur-sang anglais et le Pur-sang arabe, expliquent 25% de la variabilité génétique de cette population (Pirault et al., 2013). Par ailleurs, les races locales sélectionnées antérieurement pour la traction animale sont menacées aujourd’hui du fait de la disparition de leur usage ou de la baisse de la consommation de viande et nécessitent des programmes de sauvegarde (Bodô et al., 2005).

Pour conserver et multiplier ce patrimoine génétique, l’élevage équin dispose d’un panel de techniques de reproduction allant de la saillie naturelle au transfert d’embryon et plus récemment, au clonage (Aurich et Aurich, 2006) en passant par l’insémination artificielle (tableau 3). Mais, quels que soient leurs prix de revient, ces techniques sont conditionnées par la réglementation propre à chaque race, indépendamment de la valeur commerciale ou génétique des reproducteurs (Engelsen, 2017). Par exemple, l’insémination artificielle est interdite pour les Pur-sang des courses de galop, elle est possible en implantation immédiate pour les trotteurs. Enfin, le développement de techniques d’avenir comme le clonage ou le transfert d’ovocytes repose sur leur intérêt génétique mais surtout sur la volonté d’une certaine clientèle à utiliser ces techniques lourdes et onéreuses pour la production de chevaux à hauts potentiels sportifs (de Paula Reis, 2015).

Tableau 3. Répartition du nombre de saillies enregistrées en France en 2015 selon la race de l’étalon et le type de monte (d’après IFCE, 2016).


Secteurs de production

Sport - Loisir

Courses

Trait

Ânes

Races

24 races de chevaux de selle françaises
et étrangères

12 races de poneys

race
pur-sang

race trotteur français

11 races
et types trait

9 races d'ânes

Nombre de saillies

21 861

6 585

9 750

16 350

18 249

1 179

Répartition par type de monte en %

En liberté

19

52

0,2

0,3

58

50

En main

21

24

99,8

7

38

42

IA (1) immédiate

11

8

-

92

0,4

6

IA réfrigérée sur place

3

0,9

-

0,03

0,6

2

IA réfrigérée transportée

10

3

-

-

3

0,1

IA congelée

32

12

0,02

-

0,1

0,3

Transferts d'embryon

4

0.1

-

-

-

-

(1) : IA : Insémination Artificielle.

3.2. Une contribution significative à l’entretien de l’espace

a. Une omniprésence des équidés quel que soit le type d’espace

En France, les chevaux sont présents sur tout l’hexagone, et plus particulièrement dans les zones herbagères du Grand-Ouest (notamment en Basse-Normandie) et de moyennes montagnes, mais ils restent aussi souvent les seuls herbivores présents dans les régions délaissées par l’élevage comme le littoral méditerranéen, les landes et la périphérie des grosses agglomérations (Perrot et al., 2013). Les chevaux de selle et de course sont plutôt localisés dans les zones de plaine tandis que les chevaux de trait sont principalement dans les zones de massif et plus secondairement dans les berceaux de races de Bretagne, Perche et Franche-Comté (Dobremez et Borg, 2015).

Par ailleurs, on observe une concentration des chevaux de loisirs en zone périurbaine ou touristique (Vial et al., 2011). Ainsi, Bomans et al. (2011) constatent l’apparition dans la littérature de néologismes tels que « horsification » ou « horsiculture » (Quetier et Gordon, 2003). Ces termes se réfèrent à la présence croissante d’équidés au sein des territoires, notamment urbanisés et multifonctionnels où la pression foncière est déjà très forte (Ravenscroft et Long, 1994 ; Elgaker et Wilton, 2008), induisant des transformations dans leur utilisation, d’autant plus dans le contexte actuel du développement des fonctions résidentielles et récréatives de ces espaces (Vial et Gouguet, 2014). Cette tendance soulève aussi la question de l’utilisation de terres agricoles par des résidents non-agriculteurs. En plein développement, cette forme d’utilisation du sol reste souvent précaire ou temporaire, et les particuliers accordent en général peu d’attention à la gestion de leurs surfaces en prairies (Zasada et al., 2011 ; Vial, 2017).

Toutefois, il demeure aujourd’hui très difficile d’estimer l’importance du cheptel équin dans l’occupation du territoire, en France comme dans d’autres pays (Quetier et Gordon, 2003). En Europe, les six millions d’équidés présents (Liljenstolpe, 2009), utiliseraient environ 3,5 millions d’hectares pour leur pâturage et la production de leur nourriture, ce qui représente environ 3% des terres arables de l’Europe des 15 (SLU, 2001). Les résultats de travaux exhaustifs menés sur de petits territoires « modèles » en France montrent que les équidés occupent entre 1,5 et 6% de la surface totale des communes en zone rurale (selon la densité de population et la présence d’autres activités agricoles) et entre 1,6 et 3,5% en zone périurbaine (ce chiffre diminuant avec l’augmentation de la pression foncière), sachant que les espaces périurbains présentent les densités d’équidés les plus élevées (de 4 à 7 équidés/km²) (Vial et al., 2011).

b. Un entretien de zones délaissées par l’agriculture

Une autre particularité des équins est leur intervention dans l’entretien de zones inoccupées, ces espaces pouvant être délaissés pour deux raisons principales.

Premièrement, il peut s’agir, notamment en zone périurbaine, d’espaces en transition, qui sont délaissés par l’agriculture face au développement urbain mais qui ne sont pas encore construits, les équidés s’adaptant alors à un usage temporaire du territoire (Vial et al., 2011). Bien que moins fréquente, cette utilisation d’espaces de statut transitoire peut également être constatée en zone rurale où la progression du bâti impacte également certains espaces agricoles (Vial et Gouguet, 2014).

Deuxièmement, les équidés peuvent occuper des zones laissées en friche ou vouées à la friche. Alors que le nombre d’exploitations agricoles avec équins est relativement plus important en montagne (18%) qu’en plaine (10%) (Dobremez et Borg, 2015), des éleveurs de moyenne montagne précisent qu’une partie de leur surface retournerait en friche en absence de chevaux sur leur exploitation (Lortal et al., 2010). En effet, dans les élevages bovins (laitiers ou allaitants), de petites troupes de chevaux (de trait en montagne ou de selle en plaine) exploitent les parcelles non exploitables par les bovins car éloignées, de petites tailles ou de valeurs fourragères médiocres (Bigot et al., 2011 ; Lortal et al., 2010). D’autres auteurs (Bailey et al., 2000 ; Vial et al., 2011) constatent que ces parcelles difficilement exploitables peuvent être louées ou prêtées par des agriculteurs qui ne peuvent plus les entretenir du fait de la diminution de la main-d’œuvre et de l’accroissement de la taille des engins agricoles.

c. Une diversité de contributions dans la mise en valeur des territoires

Le cheval occupe et valorise une partie du territoire par le pâturage, la production de stocks destinés à son alimentation ou par le stationnement des animaux. Mais les cavaliers promeneurs et randonneurs, représentent aussi une catégorie émergente d’utilisateurs d’espaces de proximité ou plus distants. Ils sont présents dans tous les types d’espace et empruntent tous les types de voies. Enfin, ils entretiennent des relations avec les agriculteurs et les collectivités afin d’avoir accès à un plus grand nombre de terrains et d’agir sur la conservation et la création des chemins (Vial, 2017).

La France s’impose parmi les premières destinations mondiales en termes de tourisme équestre (Pickel-Chevalier, 2015a) mais l’importance croissante du tourisme équestre depuis les années 1960 se constate également à l’international : en Europe, Amérique du Nord mais aussi au-delà des frontières de l’Occident en Afrique du Nord, Brésil, Chine, etc. (Pickel-Chevalier, 2015b). Toutefois, le tourisme équestre peut être source de conflits d’usage pour les zones de promenade entre les cavaliers et les autres utilisateurs de ces espaces tels que les chasseurs, agriculteurs et autres promeneurs (à VTT, en moto, en quad ou à pied) (Ravenscroft et Long, 1994 ; Elgaker et Wilton, 2008).

Par ailleurs, le cheval garde ses fonctions de force motrice dans différents systèmes agricoles : protection des sols dans les systèmes d’agriculture biologique en maraîchage et viticulture (Lizet et al., 2015), respect des plantations et du sol dans le débardage des forêts à haute valeur environnementale en France (Maurel, 1991) et chez nos voisins européens (De Paul et al., 2006 ; Spinelli et al., 2013), tout en limitant la consommation d’énergies fossiles.

3.3. Des atouts pour préserver la biodiversité des surfaces pâturées

Certaines spécificités du comportement alimentaire des équidés sont intéressantes pour entretenir les espaces pâturés et leur biodiversité. On retrouve ainsi des équidés, parfois en association avec des ruminants, dans une importante diversité de milieux : prairies, parcours, garrigues, marais, espaces montagnards, milieux secs et pauvres, zones humides, coteaux calcaires, landes, dunes, alpages, etc. (Duncan, 1992 ; Lamoot et al., 2005 ; Jouven et al., 2015).

a. Des facultés d’ingestion favorisant l’entretien de milieux ouverts

En raison de leur physiologie digestive, les équidés sont moins contraints que les ruminants par la nécessité de réduire la taille des particules alimentaires. Leur ingestion est de ce fait moins limitée par la qualité de la végétation. Comparativement aux bovins de même format, les chevaux se caractérisent par des niveaux d’ingestion de matière sèche élevés, en particulier de fourrages grossiers (Ménard et al., 2002 ; Osoro et al., 2017), et semblent plus efficaces pour contrôler la végétation à même niveau de chargement. Par exemple, au Marais-Vernier, site protégé de l’estuaire de la Seine, des chevaux ont permis de limiter le développement du jonc épars au contraire des bovins qui le consommaient peu. Dans des landes de montagne du Massif Central, après 12 années de pâturage par des équins ou des bovins, seuls les chevaux ont permis la régression de graminées de faible valeur fourragère (nard raide, canche flexueuse) au profit de graminées de bonne valeur fourragère (fétuque rouge, agrostis commun) (Loiseau et Martin-Rosset, 1988) (figure 4). Au sein des exploitations herbagères élevant les deux espèces, les chevaux utilisent d’ailleurs fréquemment les surfaces de moindre valeur nutritive (Lortal et al., 2010) et/ou pâturent les refus des bovins (Mugnier et al., 2013). Les équins semblent toutefois moins efficaces que les bovins pour limiter l’expansion des jeunes ligneux, tout au moins en situation de sous-chargement. Ceci pourrait s’expliquer par leur moindre aptitude à détoxifier les métabolites secondaires des plantes (Duncan, 1992). Ainsi, aux Pays-Bas, une prairie naturelle humide pâturée par des chevaux a été rapidement envahie par le sureau noir alors que ce processus était fortement ralenti sous pâturage bovin à même chargement (Vulink et al., 2000). En Belgique, des auteurs ont également observé une utilisation significative du saule rampant par les bovins alors que les chevaux ne permettaient pas de freiner l’invasion des prairies par cette espèce (Lamoot et al., 2005). Des travaux réalisés en moyenne montagne humide (Massif Central) ont cependant montré que le piétinement exercé par les chevaux pouvait affecter certains ligneux bas (Loiseau et Martin-Rosset, 1988).

BIGOT G., VIAL C., FLEURANCE G., HEYDEMANN P., PALAZON R., 2018. Productions et activités équines en France : quelles contributions à la durabilité de l’agriculture ? INRA Prod Anim., 31, 37-50.

Figure 4. Variation de la contribution spécifique des graminées de faible et de moyenne valeur fourragère au cours de 12 années de pâturage mono-spécifique ou mixte (C : chevaux, B : bovins, CM : chevaux puis mixte, BM : bovins puis mixte) (d’après Loiseau et Martin-Rosset, 1988).

b. Un mode de pâturage sélectif qui accroît l’hétérogénéité des couverts

En dépit de leur faculté à exploiter l’herbe âgée, les équins créent et maintiennent par le pâturage des zones rases de bonne valeur nutritive, au sein d’une matrice d’herbes hautes où sont concentrées leurs déjections. Cette sélection de zones rases semble répondre à une stratégie de maximisation de l’ingestion de protéines digestibles (Edouard et al., 2010). Ce comportement est d’autant plus marqué que le chargement est allégé mais il s’observe également à fort chargement, augmentant ainsi l’hétérogénéité structurale du couvert (0,8 vs 1,4 UGB/ha dans Fleurance et al., 2016). Des travaux conduits dans le Marais Poitevin montrent que l’hétérogénéité de structure du couvert induit par le pâturage équin favorise la coexistence de différentes espèces végétales, et ce de façon plus importante comparativement à un pâturage bovin plus homogène (Loucougaray et al., 2004). Toutefois, les conséquences à long terme de la stabilité interannuelle de ces zones rases et hautes (Dumont et al., 2012) sur la diversité végétale et animale restent à évaluer. Enfin, les chevaux utilisent moins largement les dicotylédones que les ruminants mais des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer si ce comportement peut bénéficier à la diversité des plantes à fleurs et des insectes pollinisateurs (Stewart et Pullin, 2008).

c. Un prélèvement complémentaire à celui des bovins

Les pratiques de pâturage mixte se fondent sur la complémentarité des capacités de sélection des espèces animales pour utiliser au mieux une ressource diversifiée. Dans le Massif Central, l’introduction des équins dans le troupeau bovin a permis un meilleur contrôle des graminées de faible valeur nutritive et une amélioration de la valeur alimentaire du couvert (figure 4). A l’inverse, l’ajout de bovins dans un troupeau d’équins a réduit les effets positifs de celui-ci. En accord avec ces résultats, Orth (2011) rapporte une plus forte régression de la lande à callune sous pâturage mixte que sous pâturage bovin. Dans une estive du Massif Central, Carrère et al. (1999) ont également conclu à une plus grande efficacité du pâturage mixte équin-bovin pour contrôler les jeunes pousses de certains ligneux (par exemple bouleau, peuplier). En l’absence de résultats relatifs à l’utilisation de la végétation par les deux espèces, ces résultats ne permettent cependant pas de déterminer si la maîtrise des jeunes plants par le troupeau mixte est liée à un effet direct ou indirect des équins. Dans le Marais Poitevin, Loucougaray et al. (2004) ont montré que le pâturage mixte équin-bovin pouvait davantage préserver la biodiversité de la prairie qu’un pâturage monospécifique équin ou bovin dans des conditions de chargement modéré. En effet, les bovins n’ayant pas la capacité de s’alimenter sur les zones rases entretenues par les chevaux, ils se reportent sur les zones hautes en améliorant leur diversité via la consommation d’espèces nitrophiles compétitives.

d. Un faible impact en terme de rejets d’azote et de gaz à effet de serre

Les spécificités digestives du cheval présentent un bilan plus favorable que celui des ruminants, vis-à-vis de la production de gaz à effet de serre. L’émission de méthane entérique est estimée à 20,7 kg/tête/an chez les équins contre 62,3kg/tête/an chez les bovins (Vermorel et al., 2008). Sur le plan des rejets azotés, il est estimé que les équins restituent annuellement de 20 à 40 unités d’azote au cours de la saison de pâturage (contre 70 à 80 unités d’azote chez la vache laitière) (Martin-Rosset et al., 2013).

Conclusion

Comme dans la plupart des pays développés, le cheptel équin français présente un faible effectif par rapport aux autres productions d’herbivores et à ce titre, peut être perçu comme un secteur marginal pour l’agriculture. Ceci est d’autant plus vrai que les structures agricoles ne détiennent qu’à peine la moitié du cheptel national et que la majorité d’entre elles n’ont que quelques individus. Ce constat est le reflet de l’évolution générale de cette filière portée par le développement des loisirs autour des chevaux, ce qui conduit beaucoup de particuliers à détenir un équidé. Ces chevaux peuvent être hébergés à domicile ou à proximité, ou dans des structures spécialisées. Ainsi, les structures professionnelles se multiplient, que ce soit pour la pratique équestre ou pour apporter un service aux propriétaires d’équins : écuries de pension, centres de reproduction, de dressage ou d’entrainement. Ces activités peuvent être développées au sein d’exploitations agricoles spécialisées en équins ou en complément d’autres productions agricoles. Grâce à son large panel de productions : viande, loisirs, sport ou courses et à la diversité des activités possibles : élevage, enseignement, location de chevaux ou prise en pension, la filière équine peut apporter des opportunités de diversification des activités agricoles, contribuant à la résilience et pérennité des structures et au dynamisme des territoires.

A l’heure où l’agriculture doit répondre à des enjeux de durabilité, les activités équines, qu’elles soient l’activité principale de l’exploitation ou seulement source de diversification sont particulièrement porteuses d’aménités sur le plan social et environnemental. En effet, le cheval bénéficiant d’une image positive dans l’imaginaire collectif, sa présence contribue à la fois à la satisfaction de son détenteur, à l’attractivité des territoires et à relier les populations urbaines à la nature. Le premier point est important pour les exploitants agricoles qui vivent dans un contexte d’agrandissement des structures, et donc d’éloignement progressif de leur voisinage et des pôles sociaux que représentent les villes. De plus, le cheval contribue particulièrement à l’attractivité des territoires ruraux qui se désertifient et cherchent des leviers pour attirer des populations de façon transitoire ou permanente. Enfin, l’impact social du développement des activités autour du cheval s’accompagne d’effets favorables sur l’environnement : entretien de zones de transition ou en déprise agricole, amélioration de la gestion de zones herbagères peu productives, contribution au maintien de la biodiversité des espaces pâturés.

Alors que l’agriculture cherche à évoluer vers des modèles intégrant conjointement performances économiques, sociales et environnementales, la contribution potentielle des productions et activités équines s’en trouve renforcée. Dans cet objectif, il est particulièrement important que la filière équine et le secteur agricole se dotent d’outils et de références communes, au niveau national comme au niveau européen, afin d’intégrer cette filière dans les politiques agricoles et de développement rural.

Notes de bas de page